Recensions

Hegel et l’hégélianisme, de Jean-François Kervégan, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », [3e éd.] 2017, 127 p.[Record]

  • Nichola Gendreau Richer

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  • Nichola Gendreau Richer
    École d’études politiques, Université d’Ottawa
    ngend101@uottawa.ca

Jean-François Kervégan est l’un des interprètes de Georg Wilhelm Friedrich Hegel [1770-1831] les plus importants dans le monde francophone. Il est surtout connu pour sa brillante traduction vers le français des Principes de la philosophie du droit (1998, PUF) de Hegel ainsi que pour son ouvrage L’effectif et le rationnel : Hegel et l’esprit objectif (2008, Vrin). Publié aux Presses universitaires de France dans la collection « Que sais-je ? », le livre Hegel et l’hégélianisme a connu plusieurs éditions, la première datant de 1982 et ayant été écrite par le philosophe français Jacques D’Hondt. Dans la présente édition, Kervégan affronte d’abord des lieux communs autour de la pensée de Hegel et fait ensuite quelques remarques sur les écrits de l’auteur de la période d’avant Iéna (1801-1803), ce qui l’amène vers le coeur même de l’ouvrage, soit l’exposition des grandes lignes des trois oeuvres majeures de Hegel : la Phénoménologie de l’esprit (1807), La science de la logique (1812) et les Principes de la philosophie du droit (1820). Le livre se termine avec quelques réflexions portant sur l’absolu dans la pensée de Hegel. Kervégan affirme d’emblée que « la compréhension de son oeuvre [à Hegel] est souvent bâtie sur des schémas sommaires qui font obstacle à la lecture de ses écrits. L’image de Hegel tient à quelques thèses qui lui sont attribuées, et elle fait office d’écran. » (p. 13) Peu de philosophes dans l’histoire ont eu un filtre de lecture aussi dense que Hegel. C’est pourquoi Kervégan s’est donné pour tâche de défaire quelques lieux communs autour de la pensée du grand philosophe allemand qui brouillent les possibilités de compréhension de l’oeuvre de ce dernier. L’auteur en explicite cinq fort importants, soit : 1) « Thèse-antithèse-synthèse » ; 2) « [Tout] ce qui est réel et rationnel » ; 3) « La dialectique du maître et de l’esclave » ; 4) « La ruse de la raison » ; et 5) « La fin de l’histoire ». Ces cinq lieux communs partagent la thèse selon laquelle Hegel aurait construit une fiction philosophique et tenté de lui faire correspondre le réel. Au niveau de la logique, il aurait réduit le caractère pluriel du monde au triptyque thèse-antithèse-synthèse. Dans l’histoire, il aurait plaqué une vision rationnelle artificialiste. Enfin, dans les interactions sociales, il aurait imposé un rapport conflictuel fondé sur des relations de domination. Kervégan mentionne que ces cinq lieux communs ne résistent pas à l’examen des textes. Le lieu commun le plus intéressant est probablement celui de la dialectique du maître et de l’esclave, véritable matrice de la réception de la pensée de Hegel en France. C’est surtout par l’entremise de l’interprète Alexandre Kojève dans Introduction à la lecture de Hegel (Gallimard, 1947) que cet aspect de la pensée de Hegel s’est cristallisé. Kervégan précise la thèse de Kojève en affirmant que, pour ce dernier, « Hegel est l’auteur d’une “dialectique du maître et de l’esclave” qui serait à la fois la définition de ce qu’il faut entendre par dialectique et une sorte de parabole sur l’accession de l’homme à l’humanité et la genèse de la société. » (p. 19) Il est important de souligner la dimension anthropologique et philosophique de l’interprétation kojévienne. Faire de la dialectique du maître et de l’esclave le coeur de la pensée hégélienne tout en l’analysant en termes sociopolitiques (parler de dominants/dominés et d’affrontements), pour Kervégan, c’est inféoder l’esprit absolu à l’esprit objectif, mais, surtout, c’est ignorer le principe de reconnaissance qui a lieu dans cette relation (p. 21). La période d’avant Iéna est caractérisée par Kervégan comme étant le moment de construction de la …