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Alors que la loi ESS a été votée le 23 juillet 2014, voici une publication utile et remarquablement bien faite : l’Atlas commenté de l’économie sociale et solidaire 2014, portant sur des données au 31 décembre 2011 en raison du retard inhérent à la production statistique de l’Insee, devrait se trouver dans la bibliothèque de toutes les organisations de l’économie sociale et dans celle de toutes les personnes qui s’intéressent à cette autre forme d’entreprendre. Car la nouvelle édition de l’Atlas a été substantiellement enrichie par rapport aux versions précédentes, tout en adoptant le format plus maniable de la collection Juriséditions de Dalloz : enrichissement des thèmes traités – comme on le verra par la suite – et approfondissement de ces derniers par des commentaires permettant d’interpréter les variations entre types d’entreprises de l’ESS, entre territoires et entre secteurs d’activité. Cette mise en perspective des résultats statistiques ou cartographiques a été écrite par les éminents chercheurs membres du conseil scientifique de l’Observatoire national des chambres régionales de l’économie sociale (CNcres) Danièle Demoustier, Jean-François Draperi et Nadine Richez-Battesti. En outre, des focus ont été introduits pour éclairer les concepts les plus controversés – ESS, entreprise sociale et entrepreneuriat social ; l’entrepreneuriat salarié dans l’ESS, par exemple – ou les plus récents : pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) ou conseils prud’homaux de l’ESS. Enfin, quelques portraits d’entreprises d’économie sociale viennent illustrer chacune des parties de l’Atlas et souligner le rôle de l’initiative humaine, tempérant ainsi la sécheresse des quatre-vingt-dix tableaux statistiques, des cinquante graphiques et des trente cartes.

L’Atlas est d’abord enrichi de nouveaux thèmes. On y retrouve cependant les sujets essentiels mais récurrents que sont le poids de l’ESS et la répartition de ses composantes (associations, coopératives, mutuelles et fondations) en région (partie 1), ainsi que la description et la répartition régionale de ses principaux secteurs d’activité par ordre d’importance déclinant : action sociale, sports et loisirs, activités financières, bancaires et d’assurance, arts et spectacles, enseignement, santé et autres domaines d’activité (partie 4). D’autres parties abordent de nouveaux thèmes comme la démographie d’entreprises, l’évaluation du sociétariat, le dialogue social, la qualité de l’emploi dans l’ESS ou encore sa contribution au PIB.

Dans une remarquable deuxième partie, « Engagement, travail et emploi », toutes les questions d’actualité sont évoquées : vieillissement des salariés, renouvellement des départs à la retraite et gestion des âges ; effort de formation soutenu, mais trop faible implication dans l’apprentissage ; échelle des salaires plus resserrée que dans le reste du secteur privé ; trop grande diversité des conventions collectives (avec un très intéressant tableau de synthèse de celles-ci dans le champ de l’ESS, p. 81) ; enfin, montée récente d’un syndicalisme employeur et malaise des syndicats de salariés classiques en ESS, d’où un dialogue social encore balbutiant.

La troisième partie, « Contribution de l’ESS au développement économique », s’intéresse aux budgets des associations et des fondations, aux chiffres d’affaires des coopératives et des mutuelles et à la masse salariale versée. Elle a également le courage, face aux chiffres fantaisistes qui ont attribué lors de la discussion de la loi ESS une contribution du secteur au produit intérieur brut (PIB) de 10 à 15 %, de reprendre l’étude de l’Insee de 2013 estimant la valeur ajoutée de l’ESS à un peu plus de 100 milliards d’euros, soit 6 % du PIB, dont environ la moitié pour les associations. Rappelons que la statistique n’est pas un moyen de communication et que l’inflation statistique nuit à la crédibilité des chiffres. Cette partie évoque aussi le rapprochement ou la diversification des modèles économiques de l’économie sociale.

L’ancrage de l’ESS dans les territoires est traité de manière nouvelle dans la cinquième partie. Sa dimension territoriale est considérablement affinée à l’aide d’une cartographie des divers secteurs d’activité par zone d’emploi, permettant d’appréhender la forte diversité intra-régionale, ce qui donne d’utiles informations aux décideurs locaux. On regrette cependant que ces bassins d’emploi ne soient identifiés que par leur numéro, sans table permettant de mettre un nom derrière. Alors que le top 20 des départements où le poids de l’emploi dans l’ESS est le plus élevé n’a pas grande signification car il peut aussi bien exprimer la force de l’ESS que la faiblesse de l’emploi du secteur lucratif et de l’emploi public dans ces départements, la série des cartes montrant les activités dominantes par zone d’emploi est extrêmement riche et devrait guider les politiques d’aménagement du territoire. Peut-on suggérer que, pour une édition ultérieure de l’ouvrage, les variations géographiques de l’ESS sur quelques années soient montrées aux divers échelons territoriaux ?

La sixième partie, « Enjeux et mutations », aborde les problèmes les plus ardemment discutés lors de la préparation de la loi : le périmètre de l’économie sociale et son évolution, avec la question des entreprises sociales et celle de filiales SA ou SARL des coopératives et parfois des associations. Ces filiales ont des rapports avec leurs mères d’une grande diversité, qui les rattachent de manière plus ou moins lâche avec l’ESS. C’est là un chantier à creuser pour les années ultérieures. La contribution de l’ESS aux transformations contemporaines du système productif et à la transition écologique (économie de proximité, de la circularité et de la fonctionnalité) laisse un peu le lecteur sur sa faim et mériterait d’être développée pour ne pas donner l’impression d’un système de défense du village gaulois contre la mondialisation.

Il faut souligner la très grande lisibilité de l’ensemble de l’ouvrage et la qualité technique des tableaux, des graphiques et, surtout, des cartes – qualité remarquable dans un aussi petit format et dont sont responsables Elisa Braley, Thomas Guérin et Arnaud Matarin, qui ont assuré la direction technique de la publication. On regrette cependant que la dette de l’Atlas à l’égard des données localisées Insee-Clap des Tableaux harmonisés de l’économie sociale, publiés depuis 2008, ne soit évoquée que dans la note méthodologique. Sans ces données remarquables, source sans équivalent dans aucun pays, il n’y aurait pas d’Atlas de l’ESS, même si la valeur ajoutée de l’Observatoire du CNcres est très substantielle. Pour terminer, souhaitons le renouvellement annuel de cette précieuse publication et l’interprétation chronologique de la série temporelle qu’elle constitue progressivement.