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Deux phénomènes ont marqué l’éducation postsecondaire dans tous les pays industrialisés au cours du dernier demi-siècle, à savoir la très forte augmentation de la population étudiante dans les établissements d’enseignement supérieur, ainsi que sa féminisation. Dans son ouvrage, Christine Fontanini trace un portrait de la façon dont ces deux phénomènes se sont développés en France, ce qui l’amène à traiter d’un thème trop peu étudié : les choix d’orientation professionnelle et les parcours de formation des filles et des garçons en enseignement supérieur, particulièrement durant les dernières décennies. En France, comme ailleurs, les filières de formation demeurent fortement genrées et contribuent à reproduire la division sexuelle du travail. L’auteure présente une synthèse solidement documentée des recherches qui se sont intéressées à l’orientation professionnelle sous l’angle du genre. Cette analyse met en lumière les facteurs qui expliquent la prédominance des filles ou des garçons dans certaines formations ou professions ainsi que les résistances et les barrières à s’engager dans des secteurs où elles et ils sont minoritaires.

L’ouvrage est divisé en trois parties. La première, qui est relativement brève, traite de la massification de l’accès à l’enseignement supérieur en France. La croissance économique observée à la suite de la Seconde Guerre mondiale a créé un désir de mobilité sociale à travers la population française, ce qui a incité les jeunes Français et Françaises à se former, bien que des disparités existent dans l’accès aux études selon le sexe, le lieu de naissance et la classe sociale. Ces disparités sont présentes dans les choix de filière des jeunes, mais aussi dans leur insertion en emploi après l’obtention de leur diplôme. Très bien documentée en fonction des différents cheminements possibles, cette section propose une abondance de données statistiques qui permet de saisir le portrait d’ensemble du phénomène; cela a cependant le désavantage de rendre la lecture plus technique et moins stimulante.

La deuxième partie s’intitule « Les orientations des filles et des garçons dans l’enseignement secondaire supérieur préfigurent les choix d’études dans l’enseignement supérieur ». Elle débute par un bref rappel de l’histoire de l’orientation scolaire et professionnelle. Par la suite, à partir d’un corpus de recherches, l’auteure passe en revue un ensemble de variables et de facteurs dont l’influence sur l’orientation scolaire et professionnelle a été étudiée au fil du temps. Outre la classe sociale, le lieu d’origine et le genre, l’auteure aborde la socialisation de genre, familiale, à l’école et dans les médias, afin de mettre en lumière les diverses influences auxquelles sont soumis les jeunes et qui les mènent à faire des choix professionnels différenciés. Les pages abordant la socialisation devraient se retrouver dans les lectures obligatoires de la formation des conseillères et des conseillers d’orientation, car elles constituent une présentation succincte mais simple et pertinente des processus et des mécanismes à l’oeuvre pour reproduire les différences observées dans les orientations professionnelles entre les filles et les garçons.

La troisième et dernière partie porte précisément sur les choix d’orientation des filles et des garçons en enseignement supérieur. Représentant presque la moitié du volume, cette partie est la plus intéressante, à mon avis. Les principaux facteurs déterminant le choix d’études supérieures y sont abordés, notamment la réussite scolaire (le type de baccalauréat achevé et les résultats obtenus), l’environnement du lycée, ainsi que les attentes exprimées à l’égard des étudiantes et des étudiants. Les multiples filières qui leur sont offertes sont ensuite présentées en deux grandes catégories : celles à prédominance masculine, puis celles à prédominance féminine. En plus des données exposées pour chacune des filières de la première catégorie, l’auteure aborde les éléments qui freinent l’inscription ou la rétention des filles, voire parfois les obstacles anticipés à la carrière qui influencent leur décision de poursuivre une formation ou qui orientent leur recherche de travail. Dans la seconde catégorie, l’auteure examine les processus de féminisation des cohortes ainsi que la façon dont les femmes et les hommes sont représentés à l’intérieur de ces professions. Il est très intéressant d’apprendre, par exemple, que les écoles vétérinaires n’ont jamais été interdites aux femmes, contrairement aux facultés de médecine! Cela ne signifie pas pour autant que les diplômées étaient nombreuses : en 1934, seulement deux femmes avaient terminé cette formation (p. 143). L’auteure insiste dans l’ensemble de cette partie sur les motifs expliquant l’attrait de la profession pour les filles et les garçons, ainsi que sur les particularités qui touchent leur représentation dans la profession ou leurs choix de carrière.

Dans sa conclusion, l’auteure se penche sur deux éléments importants. Le premier a trait à la compréhension de l’orientation professionnelle en fonction des différentes variables sociodémographiques. Aujourd’hui encore, il demeure difficile de comprendre l’effet de certaines variables sur les motivations et les choix scolaires des étudiantes et des étudiants, car les données ne sont pas collectées. Bien que le genre soit indéniablement une variable qui marque les parcours scolaires et professionnels, d’autres variables ont des effets qui demeurent difficiles à saisir, faute de données. Le second élément important concerne la persistance des obstacles et des freins en ce qui a trait aux divers cheminements des filles dans l’enseignement postsecondaire et dans la carrière. Même si les analyses féministes réalisées au cours des dernières décennies ont révélé les causes des inégalités dont sont victimes les femmes tout au long de leur vie professionnelle et désigné les personnes clés à mobiliser pour intervenir auprès des jeunes afin de produire un monde plus égalitaire, l’impulsion attendue pour entamer un changement profond et durable se fait toujours attendre. L’auteure le rappelle et en conclut ceci avec justesse (p. 179) :

S’il est difficile d’agir directement sur la socialisation des enfants dans la sphère familiale, il serait par contre possible d’agir sur la transmission des rôles sociaux sexués par les médias, les professionnel(le)s de la petite enfance, les enseignant(e)s et toutes les personnes travaillant auprès des enfants et des adolescent(e)s. Mais qui le souhaite?