
Volume 54, Number 2, 2024
Table of contents (3 articles)
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Le cerbère constitutionnel (première partie) : de la genèse à l’exercice de la procédure unilatérale provinciale
Hubert Cauchon and Patrick Taillon
pp. 203–256
AbstractFR:
Les modifications récentes apportées au texte de la Loi constitutionnelle de 1867 par le Québec et la Saskatchewan ont été critiquées par les uns, saluées par les autres. Parmi les objections avancées, plusieurs prétendent que la procédure de modification unilatérale prévue à l’article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne permettrait pas, contrairement à la procédure unilatérale fédérale, d’effectuer des modifications textuelles à la Constitution du Canada, les États fédérés n’étant habilités à modifier que la substance de certaines dispositions. La présente étude tente de démontrer le contraire. Pour y arriver, les auteurs exposent, exemples à l’appui, que le droit britannique a depuis longtemps autorisé les parlements des États fédérés à modifier certains textes de loi édictés par d’autres parlements. Puis, ils font valoir que cette autorisation pouvait s’étendre également, en tout ou en partie, aux lois impériales, dont la Loi constitutionnelle de 1867. Enfin, les auteurs illustrent comment une approche interprétative limitant les États fédérés à ne modifier que la substance de certaines dispositions peut conduire à des impasses. Il en est ainsi, notamment, lorsqu’il s’agit d’adopter, conformément à l’article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982, la version française des dispositions de la Constitution du Canada qui ont été édictées en anglais seulement.
EN:
The recent amendments to the text of the Constitution Act, 1867 made by Quebec and Saskatchewan have been criticized by some and praised by others. Among the objections raised, many argue that the unilateral amendment procedure provided in Section 45 of the Constitution Act, 1982 would not allow for textual changes to the Constitution of Canada, unlike the federal unilateral procedure. They contend that federated states are only authorized to modify the substance of certain provisions. This study seeks to demonstrate the contrary. To do so, the authors present examples showing that British law has long allowed the parliaments of federated states to amend certain laws enacted by other parliaments. They further argue that this authorization could also extend, in whole or in part, to imperial laws, including the Constitution Act, 1867. Finally, the authors illustrate how an interpretive approach that limits federated states to modifying only the substance of certain provisions can lead to deadlocks. This is particularly the case when adopting, in accordance with Section 55 of the Constitution Act, 1982, the French version of the provisions of the Constitution of Canada that were originally enacted only in English.
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Souveraineté autochtone et indépendance du Québec : réflexions sur un pacte de décolonisation
Ghislain Otis
pp. 257–300
AbstractFR:
Cet article ne préjuge pas de l’opportunité de l’indépendance politique du Québec et n’avance pas que la fin de l’ordre constitutionnel canadien garantirait la décolonisation de la relation entre l’État et les peuples autochtones. Il propose simplement d’identifier les moyens par lesquels il pourrait être tiré profit de l’indépendance pour dépasser résolument le paradigme colonial. L’auteur s’attache dès lors à esquisser les principales composantes d’un possible pacte de décolonisation entre les peuples autochtones du Québec et le peuple québécois, pacte qui serait au fondement du nouvel État indépendant. La condition première de la décolonisation résidera dans le dépassement non équivoque du logiciel juridique canadien hérité de l’entreprise coloniale. Pour conjurer la continuité coloniale, l’indépendance devra se faire non « par le haut » entre entités étatiques, mais « par le bas » entre peuples ayant un territoire et une histoire en partage. Le pacte fondateur du Québec indépendant passera alors par la restitution des souverainetés originaires et des territoires autochtones dans une relation égalitaire avec le peuple et l’État québécois, étant entendu toutefois qu’il ne sera pas question de faire l’impasse sur la présence durable et irréversible d’une majorité non autochtone et d’un État en place depuis des siècles. À partir d’une approche juspluraliste, l’auteur propose des procédés juridiques et une ingénierie institutionnelle qui permettraient d’articuler dans la constitution du Québec indépendant la souveraineté autochtone à celle de l’État, sans supplantation ni absorption de l’ordre juridique autochtone non étatique. Pour mettre un terme à la captation coloniale des peuples autochtones par l’ordre étatique, des moyens d’inscrire la relation entre les peuples premiers et le Québec dans la sphère internationale sont aussi mis de l’avant.
EN:
This article does not take a position on the advisability of Quebec’s political independence, nor does it assert that the end of the Canadian constitutional order would guarantee the decolonization of the relationship between the State and Indigenous peoples. It merely seeks to identify ways in which independence could be leveraged to decisively move beyond the colonial paradigm. The author aims to identify and outline the main components of a possible decolonization pact between the Indigenous peoples of Quebec and the Québécois people, a pact that would form the foundation of the new independent State. The primary condition for decolonization will be the unequivocal rejection of the Canadian legal framework inherited from the colonial enterprise. To break free from colonial continuity, independence must be pursued not “from above” between state entities, but “from below” between peoples sharing a territory and a history. The founding pact of an independent Quebec would thus involve the restoration of original sovereignties and Indigenous territories within an egalitarian relationship with the Québécois people and State. However, this must take into account the enduring and irreversible presence of a non-Indigenous majority and a State that has existed for centuries. From a juspluralist perspective, the author proposes legal mechanisms and institutional arrangements that could integrate Indigenous sovereignty into the constitution of an independent Quebec without supplanting or absorbing the non-state Indigenous legal order. To end the colonial capture of Indigenous peoples by the State, the article also emphasizes the need to frame the relationship between Indigenous peoples and Quebec within the international sphere.
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Le droit à l’aide médicale à mourir pour les personnes mineures. Réflexions dans une perspective de droit comparé
Pénéloppe Chabot
pp. 301–362
AbstractFR:
Une personne mineure souffrant d’une maladie incurable et mortelle ne peut demander à bénéficier de l’aide médicale à mourir. En effet, tant le droit fédéral que le droit québécois interdisent une telle pratique. L’aide médicale à mourir soulève son lot d’enjeux éthiques, cliniques et juridiques. Cela est d’autant plus le cas lorsqu’il est question de l’aide médicale à mourir chez les personnes mineures. Le présent texte s’intéresse, au regard des notions juridiques applicables et des données factuelles disponibles quant à la souffrance vécue par les personnes mineures atteintes d’une maladie incurable, à la question de savoir si le droit québécois pourrait se prêter à qualifier l’aide médicale à mourir comme un soin requis par l’état de santé d’une personne mineure. Au-delà de cette qualification, il y a lieu de s’inspirer du droit applicable en Belgique et aux Pays-Bas, qui sont les seuls États au monde admettant la pratique de l’aide médicale à mourir chez les personnes mineures. Partant, il s’agit de proposer un potentiel cadre législatif de l’aide médicale à mourir chez la personne mineure en fonction d’un nouveau critère d’appréciation du consentement en droit québécois, au regard du droit comparé. Par exemple, le cadre juridique belge omet la notion arbitraire d’un âge fixe et privilégie une approche individualisée basée sur la capacité de discernement de la personne mineure, tout comme c’est le cas dans les autres provinces canadiennes, qui apprécient le consentement aux soins sur la base de cette capacité de discernement, appréciation in concreto de l’aptitude de chaque individu.
EN:
A minor suffering from an incurable and fatal illness cannot request medical assistance in dying. Both federal and Quebec law prohibit such a practice. More generally, medical aid in dying raises its share of ethical, clinical and legal issues. This is particularly the case when it comes to medical assistance in dying for minors. In light of the applicable legal concepts and the factual data available on the suffering experienced by minors with incurable illnesses, this text examines whether Quebec law could, given the current state of the law, qualify medical assistance in dying as care required by the state of health of a minor. Beyond this qualification, there is reason to draw inspiration from the law applicable in Belgium and the Netherlands, the only jurisdictions in the world that allow the practice of medical assistance in dying for minors. From a forward-looking perspective, the present text proposes a potential legislative framework for medical assistance in dying for minors, based on a new criterion for assessing the consent in Quebec law. Drawing inspiration from the Belgian legal framework, it emerges that it omits the arbitrary notion of a fixed age and favours an individualized approach based on the minor’s capacity for discernment, as do the other Canadian provinces, which assess a minor’s consent to care on the basis of his or her capacity for discernment, a criterion that is subjective to the individual.