Article body

Introduction

En raison de la pandémie liée à la COVID-19 qui sévit dans le monde, la fermeture des universités a été annoncée en France par le président de la République le jeudi 12 mars 2020 et a pris effet à compter du lundi 16 mars 2020. Cette décision soudaine n’a pas permis aux enseignants et aux étudiants de se préparer à la continuité pédagogique à distance qui a dû se mettre en place à compter de cette date.

L’usage du numérique dans les universités françaises est encore peu développé, du moins pas autant que les enseignants le souhaiteraient (Béjean et Monthubert, 2015). Duguet (2014) montre que les enseignants du 1er cycle à l’université sont encore attachés à un enseignement selon des méthodes traditionnelles où l’enseignant se place comme « détenteur des savoirs » : les interactions ne semblent pas être privilégiées et le matériel employé est dit classique. Le cours magistral est préféré (Papi et Glikman, 2015). L’étudiant doit ainsi fournir un travail personnel qui lui permet de s’approprier les savoirs transmis dans le cours magistral.

1. Cadre théorique

1.1. L’usage du numérique en France : les TIC

Duguet et Morlaix (2017) définissent les TIC, les technologies de l’information et de la communication, par « l’ensemble des matériels, logiciels et services numériques pouvant être utilisés pour enseigner » (p. 7). Elles « rassemblent à la fois l’utilisation d’Internet, de logiciels de présentation, du courrier électronique et d’environnements d’apprentissage en ligne » (p. 6). Selon Paivandi et Espinosa (2013), leur usage peut diminuer la qualité de la relation enseignant/étudiant s’il se réalise dans le cadre d’une pédagogie traditionnelle. Leur usage nécessite un cadre pédagogique clair, avec des rôles prédéfinis et surtout un engagement réciproque.

Selon Duguet et Morlaix (2017), si les TIC restent encore peu mobilisées en France, les enseignants ont toutefois une perception positive à leur égard. Ces auteurs montrent également que plus les enseignants ont accès à du matériel, plus la perception à l’égard des TIC est positive. Le matériel fourni par l’université est un des facteurs explicatifs à la fois des perceptions de l’efficacité des TIC mais aussi des difficultés quant à leur usage. Peu d’enseignants disposent d’outils permettant leur utilisation et certains ignorent que des outils peuvent être mis à leur disposition dans leur université. Béjean et Monthubert (2015) avancent qu’une des raisons qui expliquent l’usage modéré du numérique en France est le manque d’accès des étudiants au matériel numérique et plus largement aux infrastructures universitaires.

D’autres auteurs indiquent également que le non-usage des TIC peut s’expliquer par un sentiment d’incertitude, d’anxiété ou encore d’inconfort ressenti par les enseignants à leur égard (Duguet et Morlaix, 2017). Raby et al. (2011) montrent que les étudiants perçoivent les TIC comme une valeur ajoutée. Les étudiants apprécient particulièrement les plateformes d’apprentissage intégrées par leurs enseignants. Les TIC permettent ainsi d’accéder à des informations complémentaires à leurs cours telles que des notes de cours, références supplémentaires, exercices complémentaires, corrigés, travaux et examens antérieurs, sites Web pertinents, etc. Les forums sont également appréciés, car ils permettent de partager l’information entre pairs ou avec l’enseignant. Michaut et Roche (2017) notent toutefois que les étudiants ne souhaitent pas que le numérique prenne plus de place dans leurs études.

Dans cette situation de crise sanitaire, les étudiants comme les enseignants ont dû s’adapter rapidement aux outils numériques pour préserver la continuité pédagogique à distance. Ils ont dû notamment se familiariser avec les TIC qui sont devenues pendant le confinement non pas des outils d’accompagnement aux enseignements en présence, comme on peut le voir habituellement, mais des outils pour un enseignement exclusivement à distance. Il semble par conséquent intéressant d’analyser les effets de cet enseignement à distance à l’aide du numérique sur le stress des étudiants.

1.2. Le stress des étudiants

La période de vie des étudiants est particulièrement marquée par un certain nombre de changements qui viennent bouleverser leur identité : distanciation avec la famille, perte des repères qu’ils avaient au lycée, peur d’échouer dans leurs études, solitude, incertitude professionnelle, manque de ressources financières, etc. (Strenna et al., 2009). Les étudiants éprouvent des difficultés à assumer des situations nouvelles. L’enquête menée par Berlghith et al. (2018) montre que 20 % des étudiants présentent des signes de détresse psychologique dans les quatre dernières semaines précédant l’enquête. Ils peuvent traverser durant leurs études une période d’épisodes dépressifs, voire suicidaires plus marquée que dans la population générale. Notamment, Paivandi et Espinosa (2012) notent que la période étudiante est une phase de rupture avec la dépendance scolaire qu’ils ont vécue auparavant dans leur scolarité, et qui les place de ce fait dans une phase d’autonomie et d’affirmation de soi. L’entrée à l’université nécessite de redéfinir un statut et de reconstruire des repères (David et Melnik-Olive, 2014). Les étudiants doivent organiser leur temps de travail personnel. Les attentes et les exigences des enseignants sont moins explicites qu’au lycée. Tous ces changements peuvent être source de stress. Les étudiants sont ainsi amenés à opérer de nombreux changements durant leurs études et ils doivent mobiliser leurs ressources personnelles. Si ces dernières sont insuffisantes, ils sont alors confrontés à un état de stress (Mazé et Verlhiac, 2013).

Strenna (2011), dans sa thèse, évoque quatre agents stresseurs : « les évènements de vie majeurs, les agressions mineures au quotidien, les tensions chroniques liées au rôle social et les stresseurs environnementaux spécifiques » (p. 61). Le confinement vécu en France en 2020 et la continuité pédagogique à distance soudaine qui en découle peuvent être perçus comme des stresseurs environnementaux spécifiques par les étudiants.

Dans le milieu universitaire, le stress est perçu comme un moyen d’adaptation aux conditions pédagogiques universitaires; la réussite et l’échec en sont les conséquences (Lassarre et al., 2003). Les étudiants qui réussissent font face au stress en montrant une motivation et une régularité accrues dans leur travail. Lassarre et al. (2003) constatent également que le stress résiduel relatif aux études a un impact significatif sur l’échec à l’université.

2. Objectif de l’étude

L’objectif de cette recherche est double. D’une part, il s’agira d’analyser les outils que les étudiants ont à leur disposition et leur ressenti quant à la continuité pédagogique qui repose essentiellement sur les TIC. S’il semble acquis que les étudiants possèdent majoritairement un ordinateur et un accès Internet (Papi, 2012), il paraît important d’analyser plus finement les modalités d’utilisation de ces outils. D’autre part, il sera question d’analyser les conséquences de ces différentes variables sur le stress ressenti par les étudiants.

3. Méthodologie : présentation des outils et de la population d’enquête

Un questionnaire anonyme en ligne a été proposé aux étudiants pendant la période de confinement par le biais du service numérique de l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne/Roanne et en interne aux étudiants du Département des sciences de l’éducation de l’Université Lyon 2. Il portait exclusivement sur la période de confinement. Concernant le traitement de données, il s’est effectué avec le logiciel IBM SPSS® Statistics 24 qui nous a permis de faire une analyse descriptive de nos données et des analyses statistiques plus avancées sur nos variables (équipements numériques et stress notamment) telles que des régressions linéaires et des tests non paramétriques (test H de Kruskal‑Wallis).

Le questionnaire évalue dans une première partie les conditions de travail à distance des étudiants (ordinateur à leur disposition, accès Internet, ressenti relatif à la continuité pédagogique, etc.). Une deuxième partie inclut une échelle de stress. Il s’agit de l’échelle toulousaine de stress (ETS) qui évalue le stress perçu. Dans la première version validée auprès d’adolescents (Tap et al., 2001), l’échelle était composée de 4 dimensions (manifestations physiques, humeur dépressive, fébrilité/tension et lassitude). Nous retrouvons 4 dimensions dans la version de cette échelle administrée à des étudiants par Strenna et al. (2009) : le stress émotionnel, le stress physique, le stress temporel et le stress socioaffectif. L’échelle est composée de 30 items permettant d’obtenir à la fois un score dans les 4 sous-dimensions du stress et un score global.

Un total de 2 570 questionnaires ont été recueillis : parmi les répondants, 1 857 sont des femmes (72,3 %) et 675 sont des hommes (26,3 %); la moyenne d’âge est de 21,55 ans. Les non-boursiers sont au nombre de 1 329 (51,7 %) et les boursiers de 1 228 (47,8 %). Ils sont inscrits majoritairement pour cette année universitaire à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne (N = 2 228; 86,7 %), à l’Université de Lyon 2 (N = 277; 10,8 %), à l’Université Jean Monnet de Roanne (N = 41; 1,6 %) et à l’Université de Lyon 1 (N = 9; 0,4 %). Concernant leur année d’étude, les étudiants sont majoritairement issus de la licence (64 %; 1er cycle universitaire), du master (16,3 %; 2e cycle), des DUT/BTS[2] (13,3 %), de médecine (première année commune des études de santé et du cursus supérieur de médecine : 3,1 %), de la licence professionnelle (2,2 %) et, de façon marginale, d’autres cursus de l’enseignement supérieur.

Concernant leur filière d’études, les étudiants sont issus majoritairement de la filière des sciences et techniques (N = 556; 21,6 %), 517 (20,1 %) des filières des sciences humaines et sociales (sciences de l’éducation, sociologie, psychologie, histoire, géographie), 342 (13,3 %) de la filière des arts, lettres et langues, 265 (10,3 %) de la filière de droit, 260 (10,1 %) de la filière de l’Institut d’administration des entreprises, qui regroupe les domaines axés sur l’économie, la finance, le marketing et le commerce, 225 sont issus de la filière de médecine (8,8 %), 41 de la filière des télécommunications et 81 sont inscrits en master MEEF (métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation; N = 63 dans le premier degré et N = 18 dans le second degré).

4. Résultats

4.1. Outils utilisés par les étudiants

Concernant le matériel numérique, nous retrouvons des résultats proches de ceux de Michaut et Roche (2017) qui montraient que les étudiants étaient bien équipés en matériel numérique. Ces auteurs relevaient en effet que 90,6 % des étudiants étaient dotés d’un ordinateur portable avec une connexion à Internet. Nous souhaitions analyser plus finement les modalités d’équipement numérique des étudiants. Si les étudiants de notre recherche disposent majoritairement d’un ordinateur en bon état de marche (N = 1 922; 74,8 %), nous constatons tout de même qu’ils sont 314 à disposer d’un ordinateur difficilement utilisable (trop petit, vieux, cassé, etc.; 12,2 %), 192 (7,5 %) à disposer d’un ordinateur qu’ils doivent partager avec au moins une personne qui en a besoin dans un cadre scolaire ou professionnel, 93 (3,6 %) qui disposent d’un ordinateur qu’ils doivent partager même s’ils peuvent en disposer facilement et, enfin, 35 à ne pas disposer d’un ordinateur (1,4 %). Seulement trois évoquent un prêt d’ordinateur par leur université ou leur entreprise.

Nous avons également interrogé les étudiants sur leur accès à Internet pendant la période de confinement. Majoritairement, les étudiants disent avoir un accès à Internet dans leur logement, mais rencontrent parfois des problèmes de connexion (N = 1 164; 45,3 %). Ils sont 1 005 (39,1 %) à disposer d’une connexion à Internet sans problème de connexion. Pour 271 étudiants, l’accès à Internet se fait avec de grandes difficultés de connexion (10,5 %) et 124 (4,8 %) ont Internet seulement par le biais d’un téléphone portable. Brotcorne et Valenduc (2013) parlent de fracture numérique de premier niveau. Cette dernière a une dimension matérielle qui est marquée par des « déficits en termes de moyens, d’équipements et d’accès » (p. 62). Les auteurs tendent à penser actuellement que la fracture numérique de premier niveau est obsolète (Michaut et Roche, 2017), mais nous percevons à travers ces résultats des différences quant aux modalités d’équipement qui ne semblent pas être adaptées aux conditions de travail à distance pour tous les étudiants. Nous allons voir par la suite si ces différences affectent leur ressenti relatif à leur réussite universitaire.

4.2. Ressenti par rapport au décrochage dans les études

Nous avons proposé l’item « Cette année, en raison de la crise sanitaire, je n’ai plus la tête dans les études, et j’ai décroché : ». Les étudiants devaient se positionner sur une échelle de Likert en 5 points allant de « pas du tout d’accord » à « tout à fait d’accord ». Les réponses sont assez partagées : s’ils sont 27 % (N = 695) à être « moyennement d’accord », ils sont 40,4 % à être « pas du tout d’accord » ou « pas d’accord » et 31,2 % à être « tout à fait d’accord » ou « d’accord » et donc à se sentir dans une situation de décrochage. Ces résultats sont quelque peu surprenants chez les répondants, car ils sont 1 956 à avoir validé leur premier semestre (76,1 %) et 569 à ne pas l’avoir validé (22,1 %). On peut supposer que la continuité pédagogique à distance et/ou la crise sanitaire ont pu affecter leur motivation universitaire au cours du second semestre.

4.3. Ressenti par rapport à la continuité pédagogique

Concernant le ressenti général par rapport à la continuité pédagogique (figure 1), les résultats sont également assez partagés : les étudiants sont généralement « moyennement satisfaits » (= 986; 38,5 %). Puis ils sont 34,7 % à être « très satisfaits » ou « satisfaits » (= 887) et 26,5 % (= 681) à être « pas du tout satisfaits » ou « peu satisfaits » de la continuité pédagogique à distance. Duguet et Morlaix (2012) décrivaient ainsi la perception des étudiants quant à la relation pédagogique avec leur enseignant dans le supérieur : une distanciation physique et morale s’opère, certains évoquent un sentiment de délaissement qui peut être accentué ici par la mise en place de l’enseignement à distance. Si l’usage des TIC en pédagogie universitaire est perçu comme une valeur ajoutée pour les étudiants (Raby et al., 2011), elle ne peut se substituer à la relation en présence avec les étudiants. Et c’est sans doute ce qui explique leur ressenti mitigé quant à la continuité pédagogique.

Figure 1

Fréquence d’étudiants à l’item relatif au ressenti général par rapport à la continuité pédagogique à distance

Fréquence d’étudiants à l’item relatif au ressenti général par rapport à la continuité pédagogique à distance

-> See the list of figures

4.4. Ressenti des difficultés relatives à la motivation scolaire

Les étudiants ressentent majoritairement des difficultés de motivation scolaire pendant le confinement (figure 2) : ils sont 61,4 % à être « tout à fait d’accord » ou « d’accord » avec ce ressenti (= 1 579). Alors que 19 % des répondants se disent : « pas du tout d’accord » et « pas d’accord » (= 490), 19,1 % sont « moyennement d’accord (= 491). Ces résultats peuvent s’expliquer par les enseignements à distance. En effet, Tremblay-Wragg et al. (2018) notent l’importance des qualités personnelles du professeur comme élément déterminant de la motivation. La relation de confiance qui s’instaure entre l’enseignant et ses étudiants, la capacité d’entrer en relation avec eux et la qualité du cours augmentent la motivation à apprendre. Le confinement semble créer une distanciation entre les étudiants et leur enseignant qui explique sans doute la démotivation des étudiants. Le modèle proposé par Tinto (1993) pour expliquer la persévérance des étudiants montre l’importance de la perception de l’intégration sociale de l’étudiant : plus l’étudiant interagit avec ses pairs et ses enseignants, plus il persévère dans ses études. Le confinement peut ainsi être perçu comme une expérience négative telle que décrite par Schmitz et al. (2010), expérience qui nuit à l’intégration sociale de l’étudiant. Le confinement a pu créer une distance entre ce dernier et l’établissement qui a favorisé son désengagement.

Figure 2

Fréquence des étudiants en fonction de leur ressenti par rapport aux difficultés liées à la motivation

Fréquence des étudiants en fonction de leur ressenti par rapport aux difficultés liées à la motivation

-> See the list of figures

4.5. Travail fourni pendant le confinement

Pendant le confinement et la continuité pédagogique à distance, ils sont également plus nombreux à dire qu’ils fournissent moins de travail pour leurs études (N = 1 253; 48,8 %) qu’avant le confinement (figure 3) alors que l’enseignement se faisait en présence. Ils sont 673 (26,2 %) à dire qu’ils fournissent autant de travail et 644 (25,1 %) à dire qu’ils fournissent plus de travail pendant le confinement. Duguet et Morlaix (2012) avancent que les pratiques pédagogiques auraient un effet indirect sur la réussite, notamment sur la motivation des étudiants et plus particulièrement sur leur manière d’étudier. Les étudiants qui ont une perception positive de l’enseignement s’investissent davantage dans leur travail scolaire.

Figure 3

Fréquence des étudiants en fonction du travail fourni pendant le confinement

Fréquence des étudiants en fonction du travail fourni pendant le confinement

-> See the list of figures

4.6. Stress des étudiants pendant le confinement

Nous souhaitions analyser dans un second temps l’impact de la continuité pédagogique à distance sur le stress des étudiants.

Nous aurions pu supposer qu’en raison de la crise sanitaire mondiale que nous traversons, les étudiants seraient particulièrement stressés par cette situation, ou plus particulièrement par le virus qui circule ou par la situation de confinement. Nous constatons pourtant que le premier facteur de stress évoqué par les étudiants, et ce très majoritairement, est leur situation universitaire (= 1 603; 62,5 %), bien avant leur situation personnelle (= 180; 7 %), la situation de confinement (= 174; 6,8 %), la COVID‑19 (= 158; 6,1 %) et leur situation financière (= 124; 4,8 %). Ils sont seulement 83 à n’invoquer aucun facteur de stress (3,2 %), 72 à désigner leur santé (2,8 %), 42 la santé de leur proche (1,6 %) et 70 l’avenir (2,7 %). Faurie et al. (2016) citaient l’insertion professionnelle, la réussite universitaire, le manque de temps, l’argent et la dépendance financière comme stresseurs les plus importants pour eux. Nous retrouvons donc des résultats assez similaires, et ce, même pendant la période de confinement : les étudiants restent particulièrement stressés par leur situation universitaire. Selon le modèle transactionnel (Lazarus et Folkman, 1984), le sujet va puiser dans ses ressources pour faire face aux exigences de la situation stressante. La situation universitaire peut être perçue comme l’agent principal spécifique de stress (Strenna, 2011), mais elle doit être envisagée dans son contexte, notamment au regard de la continuité pédagogique à distance pendant la crise sanitaire.

4.7. Effet de la continuité pédagogique sur le stress des étudiants

Nous constatons que le ressenti quant à la continuité pédagogique à distance a des effets sur le niveau de stress des étudiants (tableau 1) : plus les étudiants sont insatisfaits quant à la continuité pédagogique à distance, plus leur niveau de stress est élevé (Kruskal-Wallis H(5) = 269,624; < 0,001). Nous retrouvons les mêmes résultats pour le stress émotionnel (Kruskal-Wallis H(5) = 259,249; p < 0,001), le stress physique (Kruskal-Wallis H(5) = 182,241; p < 0,001), le stress temporel (Kruskal-Wallis H(5) = 277,901; p < 0,001) et le stress socioaffectif (Kruskal-Wallis H(5) = 234,545; p < 0,001).

Brotcorne et Valenduc (2009) évoquent une fracture numérique de second degré. Les problèmes relatifs aux équipements ou aux conditions de connexion n’expliquent pas à eux seuls les inégalités sociales quant à la diffusion des TIC. L’utilisation des TIC dépend également des compétences cognitives nécessaires à leur usage. Pour ces auteurs, le simple accès aux TIC ne suffit pas pour induire leur usage. Ni les étudiants ni leurs enseignants ne semblent préparés à l’usage du numérique, ce qui peut expliquer d’une part le ressenti mitigé des étudiants quant à la continuité pédagogique à distance, mais également ses répercussions sur le stress ressenti par les étudiants.

Tableau 1

Moyenne du stress en fonction du degré de satisfaction par rapport à la continuité pédagogique à distance

Moyenne du stress en fonction du degré de satisfaction par rapport à la continuité pédagogique à distance

* Votre ressenti général par rapport à la continuité pédagogique à distance. Vous êtes : ...

-> See the list of tables

4.8. Moyenne du stress en fonction de l’ordinateur à la disposition des étudiants

Plus spécifiquement, nous souhaitions par la suite analyser l’impact des outils numériques sur le niveau de stress des étudiants. Nous avons effectué des comparaisons de moyenne du niveau de stress ressenti par les étudiants, en fonction de leur usage d’un ordinateur et de leur accès à Internet.

Concernant tout d’abord le stress total (tableau 2) : les étudiants qui ressentent moins de stress sont ceux qui disposent d’un ordinateur personnel en bon état de marche (M = 64,64 : N = 1 922; ET = 24,775), suivi de près par les étudiants qui ont un ordinateur qu’ils doivent partager mais dont ils peuvent disposer facilement (M = 67,56; N = 93; ET = 25,85). Le niveau de stress est bien plus élevé pour les étudiants qui disposent d’un ordinateur qu’ils doivent partager avec d’autres personnes qui en ont besoin (M = 76,86; N = 192; ET = 26,77) et de ceux qui ont un ordinateur difficilement utilisable (M = 80,14; N = 314; ET = 28,38). Ceux qui n’ont pas d’ordinateur à leur disposition, même si l’effectif est faible, ont un stress plus élevé que les autres groupes (M = 89,89; N = 35; ET = 35,00). Nous retrouvons la même hiérarchisation concernant les sous-dimensions du stress (émotionnel, physique, temporel et socioaffectif).

Tableau 2

Moyenne du stress en fonction de l’ordinateur à la disposition des étudiants

Moyenne du stress en fonction de l’ordinateur à la disposition des étudiants

-> See the list of tables

Pour montrer si ces différences de moyennes observées sont significatives, nous avons réalisé le test de Kruskal-Wallis qui semble plus adapté à la distribution de notre échantillon dont les tailles des groupes diffèrent. Les moyennes de stress total varient bien significativement en fonction de l’ordinateur que les étudiants ont à leur disposition (Kruskal-Wallis H(7) = 130,750; p < 0,001). Nous retrouvons les mêmes résultats pour le stress émotionnel (Kruskal-Wallis H(7) = 114,084; p < 0,001), le stress physique (Kruskal-Wallis H(7) = 89,233; p < 0,001), le stress temporel (Kruskal-Wallis H(7) = 151,683; p < 0,001) et le stress socioaffectif (Kruskal-Wallis H(7) = 112,653; p < 0,001).

4.9. Moyenne du stress en fonction de l’accès à Internet

Concernant tout d’abord le stress total : les étudiants qui ressentent moins de stress sont ceux qui disposent d’Internet dans leur logement et qui n’ont pas de problème de connexion (tableau 3; M = 60,70; N = 1 005; ET = 24,78), suivis des étudiants qui ont un accès Internet dans leur logement mais qui rencontrent parfois des problèmes de connexion (M = 70,02; N = 1 164; ET = 25,92). La moyenne du score de stress est bien plus élevée pour les étudiants qui ont un accès seulement par le biais de leur téléphone portable (M = 77,71; N = 124; ET = 29,36) et pour ceux qui ont un ordinateur difficilement utilisable (M = 80,56; N = 271; ET = 30,57). Nous retrouvons la même hiérarchisation concernant les sous-dimensions du stress (émotionnel, physique, temporel et socioaffectif).

Tableau 3

Moyenne du stress en fonction de l’accès à Internet

Moyenne du stress en fonction de l’accès à Internet

-> See the list of tables

Les moyennes de stress total varient bien significativement en fonction de l’accès à Internet des étudiants (Kruskal-Wallis H(5) = 154,831; p < 0,001). Nous retrouvons les mêmes résultats pour le stress émotionnel (Kruskal-Wallis H(5) = 138,728; p < 0,001), le stress physique (Kruskal-Wallis H(5) = 130,319; p < 0,001), le stress temporel (Kruskal-Wallis H(5) = 156,154; p < 0,001) et socioaffectif (Kruskal-Wallis H(5) = 128,744; p < 0,001). Ces résultats tendent à montrer que la fracture numérique de premier degré a des répercussions sur le niveau de stress des étudiants. Or, la réussite aux examens dépend de la manière dont les étudiants font face à des situations ou à des évènements qu’ils jugent stressants (Lassarre et al., 2003).

4.10. Le décrochage universitaire en fonction du niveau de stress ressenti

Pour terminer, nous souhaitions analyser dans quelle mesure le stress influence la perception du décrochage des étudiants dans leurs études. Nous avons croisé l’item « Cette année, en raison de la crise sanitaire, je n’ai plus la tête dans les études, et j’ai décroché » avec le score de stress total. À cette fin, nous avons réalisé une régression linéaire en incluant en variable indépendante le score de stress et en variable dépendante le ressenti quant au décrochage. Nous constatons que le stress explique bien le ressenti relatif au décrochage universitaire des étudiants (r = 0,378; t = 20,585; p < 0,001; ß = 0,378). Il semble que plus les étudiants sont stressés, plus ils ont le sentiment de décrocher de leurs études. Le modèle transactionnel du stress de Lazarus et Folkman (1984) est intéressant pour comprendre le mécanisme engendré par le confinement. Ce modèle postule que ce n’est pas l’évènement en lui-même qui détermine le stress, mais la perception et le vécu de cet évènement et notamment la relation entre l’étudiant et son environnement. Le stress apparaît comme une réponse quand le sujet ne peut pas s’adapter à une situation. Ainsi, la situation du confinement peut engendrer une menace quant à la réussite universitaire qui peut potentiellement entacher le bien-être de l’étudiant et ici influencer négativement son sentiment de décrochage universitaire.

5. Discussion

Cette enquête, qui a été réalisée pendant le confinement, nous a permis d’appréhender de manière plus significative les difficultés que les étudiants rencontrent dans une situation d’enseignement à distance et notamment par rapport aux outils qu’ils ont à leur disposition. L’objectif de cette enquête était de comprendre comment cet enseignement à distance influence la situation universitaire (sentiment de décrochage, motivation, etc.) et le niveau de stress des étudiants. Si les recherches montrent que la période d’études est perçue comme une source de stress (Romo et al., 2019), nous constatons que même pendant la crise sanitaire, les étudiants restent stressés par leurs études et que la crise sanitaire vient renforcer leur stress, notamment avec l’enseignement à distance.

Ces résultats s’expliquent notamment par le fait que ni les étudiants ni les enseignants n’ont pu se préparer à la continuité pédagogique. Or le travail numérique doit être pensé avec un réel engagement réciproque des étudiants et des enseignants (Paivandi et Espinosa, 2012), ce qui n’a pas pu être le cas dans cette situation de crise sanitaire soudaine. Les résultats nous montrent ainsi que le ressenti quant à la continuité pédagogique a eu un impact significatif sur le niveau de stress des étudiants.

Ces résultats viennent alimenter les études qui portent sur la fracture numérique de premier degré (Brotcorne et Valenduc, 2013) : même si les étudiants sont majoritairement équipés, nous constatons des différences quant à leurs modalités d’accès à ces équipements (ordinateur et Internet). Or ces modalités influencent significativement leur niveau de stress (stress total ainsi que sous-dimensions : stress émotionnel, physique, temporel et socioaffectif). Les étudiants qui ont un ordinateur personnel en bon état de marche ont un niveau de stress significativement moins élevé que les étudiants qui doivent partager un ordinateur ou qui n’en ont pas. L’accès à Internet est aussi un facteur de stress : les étudiants qui n’ont pas de problème de connexion à Internet sont significativement moins stressés que les étudiants qui rencontrent des difficultés de connexion. Or ce niveau de stress influence significativement leur sentiment de décrochage universitaire.

Depuis plusieurs années, et plus particulièrement en cette période de crise sanitaire, les discours tendent à démocratiser les cours à distance. Si dans leur rapport Béjean et Monthubert (2015) préconisent de développer l’usage du numérique dans la formation et l’évaluation des étudiants, ils stipulent également que :

l’accès des étudiants à des ordinateurs reste une question non réglée : peut‑on exiger que chaque étudiant ait un ordinateur portable, par exemple? Doit-on, pour assurer l’égalité entre les étudiants, continuer à investir dans des salles d’ordinateurs fixes? De nombreuses initiatives se développent comme les prêts d’ordinateurs portables, mais il manque un cadre clair qui permette aux enseignants de considérer que tous les étudiants ont accès aux ressources numériques, et par conséquent d’en faire un plein usage dans le cadre de leur formation. L’environnement numérique de travail doit désormais être la règle, ce qui exige un accès des étudiants à un ordinateur, la mise en place des infrastructures nécessaires mais surtout un usage systématique par les enseignants et enseignants-chercheurs qui auront été formés et impliqués.

p. 92

Les résultats de cette recherche exploratoire nous invitent à la prudence quant à la précipitation dans laquelle nous envisageons un enseignement hybride ou à distance, en raison de la crise sanitaire, alors même que les étudiants ne semblent pas encore tous avoir accès aux outils, notamment aux outils de base, à savoir un ordinateur personnel en bon état de marche mais aussi un accès à Internet sans problème de connexion. On peut s’attendre à un taux d’échec plus important qu’en formation classique en présence si la mise en place des cours à distance est envisagée sans réflexion préalable. Équiper les étudiants est par conséquent un enjeu central afin de développer le numérique. Il l’est d’autant plus si nous ne souhaitons pas renforcer les inégalités sociales de réussite dans l’enseignement supérieur. Il est également important de prendre en considération les fractures numériques dans une perspective multidimensionnelle, comme le décrivent Brotcorne et Valenduc (2009), et notamment de prendre en considération les faibles compétences cognitives relatives aux TIC qui freinent leur usage. Dans ce sens, les fractures numériques sont à envisager dans une approche holistique, d’une part, à travers les modalités d’équipement numérique des étudiants. Il ne s’agit pas d’envisager seulement l’équipement, mais également le contexte dans lequel l’étudiant peut utiliser les outils qu’il a à sa disposition. D’autre part, il est important de prendre en considération les compétences numériques (stratégiques, structurelles, instrumentales) relatives à l’utilisation des TIC (Brotcorne et Valenduc, 2009).

Cependant, la crise sanitaire que nous avons traversée semble montrer un avantage quant à l’utilisation des TIC. Cette crise sanitaire a en effet été l’occasion pour les enseignants comme pour les étudiants de se familiariser avec les outils numériques. Jusqu’à présent, les études avaient tendance à montrer un faible usage du numérique dans l’enseignement supérieur (Valluy, 2013). Raby (2004) propose un modèle synthèse du processus d’intégration des TIC par les enseignants, en quatre étapes. La première étape, la « sensibilisation », se caractérise par le fait que l’enseignant se retrouve en contact indirect avec les TIC dans son environnement personnel et/ou professionnel, qui l’amène à les utiliser dans un cadre personnel, professionnel ou pédagogique. L’enseignement à distance, qui se traduit dans notre cas par une obligation d’ordre professionnel dans le contexte de la crise sanitaire, a ainsi pu motiver plus rapidement les enseignants mais aussi les étudiants à une utilisation professionnelle. Ils ont dû se familiariser avec les rudiments techniques et les maîtriser, prendre connaissance des logiciels, des systèmes d’exploitation, etc., passant ainsi plus rapidement du stade d’exploration à celui d’appropriation. Raby (2004) note cependant que l’usager des TIC se retrouve, par cette obligation quant à son utilisation, dans un état de peur et d’insécurité face à ce nouveau défi qui l’amène à s’interroger sur l’intérêt de ces outils. Dans notre étude, c’est ce qui peut expliquer le stress ressenti par les étudiants. Nous remarquons ainsi à travers nos résultats les répercussions néfastes de la mise en place d’un enseignement à distance par obligation, sans préparation, notamment marqué dans notre étude par un ressenti mitigé des étudiants quant à la continuité pédagogique, mais aussi par une faible motivation et par le stress. Ces résultats auraient pu être atténués si les enseignants et les étudiants avaient été familiarisés avec les TIC avant la crise sanitaire. L’usage des TIC est réduit bien souvent à un dépôt de ressources ou d’informations relatives aux enseignements (Paivandi et Espinosa, 2012), ce qui limite les interactions entre étudiants et enseignants, pourtant un facteur clé de la réussite universitaire (Schmitz et al., 2010; Tinto, 1993) Remédier à ces fractures numériques à deux niveaux reste l’enjeu actuel dans l’enseignement supérieur : équiper mais aussi apporter aux enseignants et aux étudiants les compétences requises pour un bon usage des TIC, en complément aux enseignements en présence. Annoot (2014) propose en ce sens une réflexion sur les pratiques pédagogiques des enseignants du supérieur afin « de penser les modalités de leur développement professionnel dans une université qui change » (§ 17). Cependant, comme le rapportent Duguet et Morlaix (2012), le peu de formations et le nombre important de missions n’incitent pas les enseignants-chercheurs à repenser leurs pratiques pédagogiques.