Abstracts
Résumé
Écouter le son spatialisé au moyen d’appareils électroniques constitue une des nouvelles expériences arrivées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. En ce qui concerne l’histoire de cette nouvelle forme d’écoute audiotechnique en France, l’une des manifestations du son stéréophonique qui a eu le plus d’impact auprès du public fut sans doute les spectacles son et lumière, dont le premier de l’histoire eut lieu en 1952 au château de Chambord, avec une musique signée Maurice Jarre. La partie sonore de ce spectacle était le fruit d’un dispositif stéréophonique inédit. Les spectacles son et lumière ont initié de nombreux auditeurs à une nouvelle forme d’écoute directionnelle, une habileté exploitée ensuite par une génération de compositeurs d’avant-garde. Cet article se penche sur la dimension musicale de ces spectacles afin de mesurer leur impact sur l’entraînement de l’oreille du public général à la musique qui conquit l’espace au moyen de la stéréophonie.
Mots-clés :
- son et lumière,
- Maurice Jarre,
- spatialisation,
- stéréophonie,
- musique concrète
Abstract
Listening to spatialized sound by electronic means was one of the new experiences that awaited listeners in the years following the Second World War. As far as new forms of audiotechnical listening in France goes, one of the stereophonic listening situations that had the greatest impact on audiences was son et lumière, the first of which was presented at the Chambord château in 1952 with music composed by Maurice Jarre. The soundtrack of this show was the diffused via a novel stereophonic setup. These son et lumière shows initiated many listeners to new forms of directional listening a skill that would then be called upon by a generation of avant-garde composers. This article explores the musical dimension of these son et lumière presentations in order to evaluate their impact on the development of new generalized forms of listening that conquer space through stereophony.
Keywords:
- son et lumière,
- Maurice Jarre,
- spatialization,
- stereophony,
- musique concrète
Article body
La réception de Doubles (1958)
Quelle expérience du son spatialisé dans la musique un mélomane en France aurait-il eue au cours des années 1950 ? Des éléments de réponses se déduisent de la réception de Doubles de Pierre Boulez, créée le 16 mars 1958 par l’Orchestre Lamoureux à la Salle Pleyel et qui a été retravaillée et prolongée pour devenir Figures Doubles Prismes (Goldman 2016)[2]. Doubles fait appel à une disposition spatiale peu habituelle des pupitres de l’orchestre symphonique, les répartissant en trois groupes instrumentaux étalés sur l’espace de la scène. Cette disposition a provoqué une critique acerbe notoire de la part de Clarendon (pseudonyme de Bernard Gavoty) dans LeFigaro, portant le titre en forme de boutade désormais célèbre : « La polka des chaises » (Clarendon 1958, p. 18). Dans la note de programme, Boulez a justifié la disposition orchestrale nouvelle de l’oeuvre non pas en réclamant l’héritage des Gabrieli, de Berlioz, et tous ceux qui ont pensé la disposition des musiciens de l’orchestre dans l’espace, comme on aurait pu l’imaginer, mais plutôt en tant que moyen pour atteindre un dispositif « stéréophonique », une référence à la technique visant la présence et le relief sonore qui – en ce qui a trait au son enregistré sur disque – en était alors à ses premiers tâtons et l’objet d’une campagne de marketing de masse[3]. Le compositeur y déclarait : « Nul ne me contredira encore si j’affirme que l’oreille, de nos jours, exige la stéréophonie dans un désir d’évidence et de mouvement » (Boulez 1958, p. 247).
D’autres critiques ont réagi à cette création tant attendue composée dans un idiome auquel, on le devine, le public de l’Orchestre Lamoureux était peu habitué, en mesurant la capacité de l’oeuvre à répondre à leurs attentes préformatées à propos des effets de la stéréophonie sur la perception. Dans les pages du Monde, René Dumesnil confesse qu’il n’a « aucunement éprouvé une sensation particulière de “stéréophonie” annoncée par le programme » (Dumesnil 1958, p. 13). En revanche, dans Les Nouvelles littéraires, Marc Pincherle avance que la disposition orchestrale a été employée pour « obtenir une stéréophonie adéquate à l’économie de l’oeuvre (les cors au premier plan, en deux groupes se faisant face, les contrebasses en trois groupes, deux latéraux, l’autre face au public, etc.) », mais avoue aussitôt qu’il n’a « saisi que l’extérieur, le jeu des sonorités » (Pincherle 1958, p. 10). Visiblement, ces critiques mesuraient Doubles à l’aide d’une échelle constituée par leurs préconceptions à propos de la technologie naissante de la stéréophonie. Le présent article tente de comprendre en quoi consistaient justement les attentes du public en 1958 par rapport au son stéréophonique, et dans quelle mesure le spectacle son et lumière a contribué à la construction de ces attentes.
Celles-ci étaient sans doute peu exactes, car les disques 33 tours stéréo n’ont fait leur apparition chez les disquaires qu’au cours de cette même année, et relativement peu d’auditeurs auraient conséquemment fait l’expérience d’un tourne-disque équipé d’un « pick-up » stéréophonique et des disques stéréo dès le mois de mai. Or, rappelons que le terme « stéréophonie », proposé d’abord par Alexander Graham Bell, l’inventeur du téléphone, en 1880 (Ouzounian 2020, p. 28), est employé au cours des années 1950 et 1960 pour désigner « any method of sound reproduction involving more than one speaker » (Valiquet 2012, p. 404), et devient courant au fur et à mesure que les foyers s’équipent de systèmes hi-fi permettant la diffusion à deux pistes. L’expression « spatialisation », plus technique, provient du domaine de la musique concrète et désigne « a family of techniques for organising and manipulating the location, movement, and propagation of sound within a listening environment » (ibid.). Si les techniques de spatialisation remontent aux années 1930, le type de spatialisation que la stéréophonie rend possible devient disponible à un public général au moyen du disque stéréophonique à partir de 1958. Certes, déjà en 1881, Clément Ader avait breveté son « théâtrophone » qui permettait la diffusion d’un spectacle théâtral à travers des lignes téléphoniques aboutissant à deux combinés de téléphone qui permettait une audition stéréophonique. Ce système a joui d’une popularité certaine en France, au Royaume-Uni et en Hongrie (Ouzounian 2020, p. 28-29), mais semble n’avoir eu que peu de prolongements subséquents. Par ailleurs, l’emploi des magnétophones stéréophoniques disponibles au cours des années 1950 constituait un passe-temps confidentiel, loin des pratiques du public de masse ou des mélomanes de la musique classique. De plus, il aurait fallu attendre un à deux ans avant que les dispositifs multicanaux du Cinérama et du Cinémascope arrivent dans des salles de cinéma parisiennes (Buhler, Neumeyer et Deemer 2010, p. 340).
Certes, une source significative de l’expérience spatiale de la stéréophonie sonore aurait pu provenir du côté de la musique concrète, car la spatialisation devient vite fondamentale à la pratique de la musique concrète puis électroacoustique – parfois appelée « cinéma pour les oreilles ». Pierre Schaeffer et son équipe ont présenté une série de concerts « en relief spatial » en commençant par celui qui eut lieu en juillet 1951 au Théâtre de l’Empire à Paris. Ce concert a mis en oeuvre un appareil conçu par l’équipe de Schaeffer baptisé « pupitre potentiométrique », qui envoyait le son à différents haut-parleurs disposés autour du public. Boulez lui-même a présenté ses Deux études de musique concrète à la salle de l’Ancien Conservatoire le 21 mai 1952, au même concert où Olivier Messiaen créa son propre essai acousmatique, Timbres-Durées. Le pupitre potentiométrique diffusait des pistes sonores issues de trois magnétophones synchronisés auxquelles s’ajoutait une quatrième dite « cinétique », qui constituait la somme des trois autres afin de créer la sensation de mobilité sonore (Gayou 2007, p. 79). Mais ces concerts auraient interpellé un nombre limité d’auditeurs spécialistes pour la plupart et n’auraient eu qu’un faible rôle à jouer dans l’entraînement du public généraliste à une nouvelle écoute audiotechnique offerte par la stéréophonie multicanal, pour laquelle les médias de masse ont joué un rôle plus déterminant. Parmi des prestations grand public significatives de l’époque, on compte la diffusion sur deux pistes par la Radiodiffusion-télévision française (rtf) de l’adaptation radiophonique du poème Une larme du diable de Théophile Gauthier, sous la direction artistique de René Clair, en juin 1950 (Nilchiani 2019). Cette radiodiffusion invitait le public à écouter la production stéréophonique à l’aide de deux postes de radio ajustés à deux fréquences différentes de la rtf. La production radiophonique d’Une larme du diable fut conçue par les ingénieurs José Bernhart et Jean-Wilfrid Garrett, spécialistes de la prise de son et tous deux membres du Club d’essai. Cette division de la radio nationale a succédé au Studio d’essai de Schaeffer, ce dernier datant des années de guerre, et avait entre autres pour mission de fournir un accompagnement musical à des pièces radiophoniques.
Une autre manifestation grand public de la stéréophonie se trouve dans la production de 1952 au théâtre de Jean Vilar, le Théâtre national populaire (tnp), de la pièce Nucléa d’Henri Pichette. La musique de cette production a été composée par le jeune Maurice Jarre, fréquent collaborateur du Studio d’essai à l’époque, qui, prolongeant sa recherche sur l’espace, allait composer deux ans plus tard une oeuvre spatialisée, Mouvements en relief, créée au Festival d’Aix-en-Provence. Pour la réalisation de Nucléa au tnp, Jarre, Bernhart et Garrett se sont servis de haut-parleurs spécialisés à divers endroits de l’immense salle du Palais Chaillot afin de produire des effets de spatialisation conçus pour pallier les défauts acoustiques des lieux, déplorés par Vilar (Mervant-Roux 2019 ; Huthwohl 2019). Cette technique s’appelle « stéréophonie dirigée » ou parfois « stéréophonie en relief sonore » (nous y reviendrons), et permet, au dire de Jarre, « un déplacement horizontal, vertical ou diagonal d’un volume sonore donné : bruitage, musique, parole » et ainsi « d’inclure la salle dans l’action dramatique » (cité dans Mervant-Roux 2019). Toutefois, l’une des manifestations du son stéréophonique qui a eu le plus d’impact auprès du public furent sans doute les spectacles son et lumière, dont le premier de l’histoire eut lieu en mai 1952 au château de Chambord. La partie sonore de ce spectacle, fruit d’un dispositif stéréophonique, a non seulement été conçue par le Club d’essai, à l’instar des productions radiophoniques des Larmes du diable et théâtrale de Nucléa, mais a fait appel au même compositeur de la production de Nucléa, à savoir Jarre. Ce premier son et lumière a joui d’un succès populaire presque immédiat : alors que le site devant le château accueillait environ 50 000 visiteurs par an avant l’avènement du son et lumière, plus de deux fois ce nombre a assisté au spectacle donné à Chambord en 1952. Plus de 750 000 visiteurs viendront au site entre 1952 et 1959 et continueront à affluer au cours des années 1960 et 1970 afin de voir les nouveaux spectacles proposés devant la façade du célèbre château du Val de Loire (figure 1). Après un tel succès, des centaines d’autres son et lumière seront à l’affiche au cours des années 1950 et 1960 à travers la France et au-delà, transformant l’industrie touristique en France durant cette période (Caudron 1960, p. 22)[4].
Ces expériences ont initié de nombreux auditeurs à une nouvelle forme d’écoute directionnelle, une habileté exploitée ensuite par une génération de compositeurs d’avant-garde qui se sont servis de plus en plus dans leurs oeuvres des possibilités de spatialisation offertes par les ensembles instrumentaux distanciés ou par la technologie de diffusion sonore. Vers la fin des années 1950, la spatialisation constituait une préoccupation absolue chez les compositeurs d’avant-garde, comme le souligne ironiquement le critique Everett Helm dans un compte-rendu d’une édition du fameux Festival de Donaueschingen de musique contemporaine : « The word, friends, is “Music in Space.” Or perhaps we should say it in German: “Musik im Raum”—it sounds more impressive that way. If you want to be a modern composer you must concern yourself with this very new and, it would seem, highly complex problem » (Helm 1958, p. 55). Des artistes d’allégeance avant-gardiste ou expérimentale, et ce à l’échelle mondiale, ont créé un foisonnement d’oeuvres qui, par la distanciation de sous-ensembles d’un orchestre ou par des moyens électroniques, incorporaient le paramètre de l’espace. Au-delà de Doubles et de l’oeuvre de Stockhausen crée à une semaine de distance, Gruppen (1955-1957), on peut penser à d’autres oeuvres spatialisées composées ou créées en 1958 seulement, comme Nirvana Symphony du compositeur Toshiro Mayuzumi (créée à Tokyo), Allelujah II de Luciano Berio (Rome), Rimes I de Henri Pousseur (Bruxelles) et Spectra de Gunther Schuller (New York), sans parler de deux autres oeuvres spatialisées de Stockhausen et de Boulez, Carré, du premier, et Poésie pour pouvoir, du second (Goldman 2017).
Or, il faudrait prendre soin de distinguer entre les publics non équivalents de la culture populaire et de la culture savante, même s’il y a eu un important recoupement entre les deux à l’époque qui nous concerne. Certes, le public d’un festival de musique contemporaine, par exemple le Festival de Royan (1964-1977) ou celui d’une série de concerts comme le Domaine musical (à partir de 1954) est loin d’être identique à celui du son et lumière[5]. Néanmoins, une importante catégorie sociale pouvait déguster à la fois le cinéma contemporain, les concerts par abonnement de musique symphonique (comme ceux de la Société Lamoureux où Doubles fut créée), une pièce de théâtre au tnp et, pendant les vacances d’été, des spectacles son et lumière en Val de Loire (Mervant-Roux 2019). Ce public acquérait, pièce par pièce, et grâce à des dispositifs technologiques parfois voisins, de nouvelles formes d’écoutes audiotechniques dans ces diverses prestations de nature pourtant si différente.
Le spectacle son et lumière de Chambord et les autres prestations touristiques qu’il a inspirées ont donc initié le public (français, mais aussi mondial) à une nouvelle forme d’écoute rendue possible par la médiation technologique, une écoute qui intègre la localisation des sons dans l’espace grâce à l’enregistrement et la diffusion multipistes. Le son et lumière est si étroitement associé à la stéréophonie au cours des années 1950 qu’un journaliste français a ressenti le besoin de rectifier une « erreur très courante » selon laquelle la stéréophonie est « l’adjonction d’effets d’éclairage à des effets sonores » (Peignot 1957, p. 11). L’omniprésence du son et lumière était telle à cette période que même un compositeur dont le nom évoque les courants les plus avant-gardistes de la musique comme Boulez considérait ces spectacles, décidément petits-bourgeois, comme culturellement saillants au point d’en inclure une discussion dans ses écrits théoriques. En 1955, Boulez fait l’éloge du potentiel de la musique électronique de créer des « espaces multidimensionnels » grâce à la stéréophonie, mais il ajoute aussitôt que
toutefois, cette notion de stéréophonie, si vulgarisée par le cinéma, ou diverses formes de parades son-lumière, a été absorbée par ces prétextes voyants, si bien que la confusion règne en ce domaine, et que les meilleures intentions sont découragées par les incidences anecdotiques de pareilles utilisations.
Boulez 1966, p. 207
La spatialisation sonore propre au son et lumière était à ce point familière à ses lecteurs que Boulez jugeait prudent de distinguer sa démarche en spatialisation de ce que ce type de spectacle proposait. Plus tard, dans Penser la musique aujourd’hui (1963), Boulez évoque la stéréophonie au cinéma, notant que « la diffusion stéréophonique dans les salles de cinéma date d’ailleurs de la même époque (Cinérama à New York, fin 1952). Les applications industrielles et commerciales, on le voit, vont à peu près de pair avec les recherches plus désintéressées » (Boulez 1963, p. 72-73). Mais Boulez s’empresse ensuite d’ajouter la phrase suivante au tapuscrit du futur livre, avant envoi à l’éditeur : « C’est également le temps où commencent à prendre leur essor les spectacles son et Lumière[6] ». Même si Boulez se rangeait du côté des « recherches plus désintéressées », il insérait néanmoins son travail dans un champ qui comprenait des projets stéréophoniques à but lucratif et même touristique comme ceux du son et lumière. Nous avançons ici que le son et lumière a formé un horizon d’attente déterminant pour la réception de réalisations spatialisées subséquentes.
Brève histoire du spectacle son et lumière
Emblème « agaçant » de la médiocrité de la classe moyenne ascendante des Trente Glorieuses pour certains (ce que recouvre le vocable dénigrant de « middlebrow », arme brandie fréquemment au cours des « culture wars » anglo-américaines du milieu du xxe siècle [Carter 2021]), digne symbole de la démocratisation de la culture pour d’autres, le son et lumière se trouve au carrefour de la valorisation du patrimoine mémoriel et d’une vitrine de nouvelles technologies de communication. Parfois, la désapprobation de cette forme de divertissement venait de camps non soupçonnés, comme lorsque Vilar, directeur du tnp, et donc a priori ouvert aux arts et à la culture dits « populaires », celui même qui avait accueilli Garrett et Bernhart et leurs appareils stéréophoniques au Chaillot pour la production de Nucléa, ne voyait pas l’ascendance du son et lumière d’un oeil favorable, y exprimant son « opposition sans réserve, à 100 % » et ajoutant : « Je serai le premier […] à signer toutes les pétitions que vous voudrez » (Christ 1956). Quoi qu’il en soit, à l’instar de la radio, du disque et des magazines illustrés, le son et lumière « made restricted tastes accessible to a broader public, with new cultural intermediaries enabling and guiding that access » (Carter 2021, p. 175). Ce qui est sûr, c’est que les spectacles son et lumière, au cours de quelque quinze années d’essor, se sont imposés dans les habitudes de divertissement des Français, devenant, selon les termes d’un article du journal La Croix de 1966, « des éléments récréatifs presque indispensables du temps des vacances : leçons d’histoire, de la petite et de la grande, ils apportent cette note de poésie, de féérie qui contribue tant au dépaysement que chacun recherche pendant cette heureuse période de détente » ([Anonyme] 1966b).
« Son et lumière » est, selon l’Encyclopédie de l’audiovisuel défini comme un « spectacle nocturne associant la musique et les jeux de lumière d’après un scénario mettant en valeur le plus souvent l’histoire du monument constituant le décor choisi » (cité dans Garrett 1990, p. 1), ou comme « …an entertainment held by night at a historic monument or building, telling its history by the use of lighting effects and recorded sound » (Soanes et Stevenson 2008). Afin de cerner notre sujet et de distinguer les spectacles qui nous préoccupent dans cet article d’autres manifestations ultérieures qui portaient le nom de « son et lumière » sans qu’elles entretiennent un rapport significatif avec les propositions de Chambord, Versailles et ses nombreuses émules, nous limitons notre sujet aux spectacles audio, composés de dialogues, musiques et bruits, accompagnés d’une illumination d’un monument historique, dont le but premier est d’initier le spectateur à l’histoire du lieu. Ce type de spectacle « édifiant » se multipliait en France et dans le monde à partir du début des années 1950 avant de perdre de la vitesse vers le début des années 1970. Sont exclus de cette définition des projections d’image (diapositives, cinéma, lasers) ainsi que des formules purement sonores sans dialogues, comme c’est le cas du Polytope de Cluny d’Iannis Xenakis, présenté au Musée du même nom en 1972, qui proposait des projections laser et des flashs lumineux et un son électronique à sept pistes sans trame narrative (Xenakis [1972]2011), ou des propositions rock populaires dans des planétariums à travers le monde (Laser Floyd, Laser Beatles, etc.), même si ces événements entretiennent une filiation évidente avec ceux étudiés ici. Le son et lumière dont il est question dans le présent article se définit également par la composition sociologique de son public, dont le profil correspond à celui des des touristes des lieux historiques de France, issus des classes moyennes.
Le guide Michelin 1972 des châteaux de la Loire décrit ces spectacles en ces mots : « Dans le calme de la nuit, les façades, les créneaux, les tourelles sortent soudain de l’ombre et s’animent. Un commentaire et un accompagnement musical invitent à rêver aux fastes de ces grandes demeures » (Manufacture française des pneumatiques Michelin 1972, p. 49). L’effet produit par cette conjugaison de monuments ténébreux et de technologie au service de l’illusion optique et auditive était vécu par un public contemporain comme une espèce d’inquiétante étrangeté (« unheimlich ») dans laquelle, selon les termes imagés de Jean Cocteau qui a cosigné un livret de son et lumière particulièrement monumental au Château de Versailles en 1953, « le “son et lumière” donne aux fantômes illustres de l’Histoire l’envie de quitter ces tunnels de taupes d’où Hamlet demande au roi de sortir » (Cocteau 1960, p. 48).
Le précurseur de ces productions eut lieu à l’Exposition internationale des arts et techniques à Paris en 1937, au cours de laquelle la compagnie française d’éclairage Mazda a organisé un gigantesque « Tour de France de la Lumière » qui comptait 800 monuments historiques illuminés, soulignant de la sorte le potentiel esthétique et spectaculaire de la nouvelle technologie des projecteurs lumineux (Le Moellic et Berthod s.d.). À la même exposition, la « Fête de la lumière » proposait un spectacle de feux d’artifice au bord de la Seine accompagné d’enregistrements d’oeuvres de compositeurs français comme Olivier Messiaen et Florent Schmitt, diffusées depuis des haut-parleurs disposés à terre, dans des arbres, sur la Tour Eiffel et même, semble-t-il, depuis un avion survolant la Seine (Simeone 2002 ; Nones 2016). Nonobstant ce précurseur notable, le son et lumière est un phénomène d’après-guerre indissociable de la politique de reconstruction économique propre à la France post-1945, où des préfets se joignaient à l’effort de stimuler l’activité touristique en installant des éclairages sur les monuments historiques, ce « “burin des projecteurs” » qui « fouille la façade, les terrasses, les cheminées, embrase l’intérieur, fait surgir des aspects inattendus et inconnus » (Boret 1965) afin d’attirer une clientèle touristique le soir. La venue à Chambord du président de la République, Vincent Auriole, pour inaugurer le spectacle le 5 juillet 1952, et la confection d’un timbre-poste commémoratif de 20 F témoignent de l’impact culturel qu’a eu ce premier son et lumière. Par ailleurs, la dimension politique de ces spectacles aux allures nationalistes n’a pas échappé aux journalistes qui commentaient le phénomène : non seulement les récits célébraient l’histoire de la France, mais l’appareil technique mettait en valeur la qualité de l’industrie française. Ainsi, le son et lumière est loué comme « une victoire pour la Radiodiffusion française », car « ce sont les ingénieurs de la Radiodiffusion française qui ont permis la réalisation de ces étonnants spectacles “son et lumière” » (Caudron 1960, p. 22) ; ailleurs, on vante un « triomphe de l’art et de la technique française » grâce à l’expertise de la compagnie qui assurait la technique sonore du premier son et lumière et de nombreux spectacles par la suite, soit Pathé Marconi ([Anonyme] 1957a).
Le spectacle son et lumière était un événement fondamentalement audiovisuel qui combinait l’illumination du célèbre château dûe aux projecteurs Mazda à la technologie de diffusion sonore – voix parlée, musique et bruitage – de Pathé Marconi ou du géant néerlandais de l’audiovisuel, la maison Philips. Le son était émis par des haut-parleurs aux contours sculpturaux accrochés pour la plupart sur la façade du monument et fabriqués par la compagnie française Elipson (Monin 2019, p. 3)[7]. Les trames lumineuses et sonores permettaient une expérience inouïe du temps et, conséquemment, du rythme, pour un public peu habitué jusqu’alors à vivre une expérience du passé inscrite dans le temps vécu. Citons encore Cocteau à ce propos : « Un faste neuf donne à l’histoire qui se désagrège à la longue cette jeunesse du rythme qui, à la longue, devient plus vrai que le vrai» (Cocteau 1960, p. 48). Le spectacle a aussitôt été baptisé « son et lumière » et l’expression française a été conservée dans les autres langues lorsque ce genre de prestation in situ était exporté à travers le monde, notamment à Cardiff (Pays de Galles) en 1958, à l’Acropole (Grèce) en 1959, aux pyramides de Gizeh (Égypte) en 1961[8], à Baalbek (Liban) en 1963, ou sur l’île de Gorée (Sénégal) en 1966, où un gigantesque son et lumière, agrémenté d’une distribution de centaines de figurants, racontait l’histoire de la traite d’esclaves transatlantique (Jaji 2014). Au cours des cinq années qui ont suivi l’inauguration du spectacle à Chambord, non moins de 35 autres son et lumière ont vu le jour seulement en France, à différents degrés de succès auprès du public.
Ces prestations véhiculaient des perceptions audiovisuelles nouvelles qui allaient bientôt devenir des expériences quotidiennes du public avec l’avènement de la stéréophonie au cinéma (par l’intermédiaire des dispositifs du Cinérama et du Cinémascope) et chez soi (grâce à la chaîne haute fidélité). En tant qu’oeuvre collective, le son et lumière ressemble au cinéma, chaque spectacle ayant de nombreux cocréateurs. Pour le son et lumière de Chambord, qui portait le titre Les très riches heures de Chambord ([Anonyme] 1966a)[9], on doit cette nouvelle forme de spectacle à, entre autres, Michel Ranjard, architecte en chef des monuments historiques, Paul Robert-Houdin, architecte des monuments historiques du département où se trouve le château, le Loir-et-Cher (et petit-fils du magicien Jean Eugène Robert-Houdin, d’où, peut-être, l’attirance vers un spectacle haut en illusionnisme), Pierre Sudreau, préfet du département du Loir-et-Cher à l’époque et futur ministre gaulliste (Boret 1965), ainsi qu’aux ingénieurs de la rtf précédemment évoqués, Jean-Wilfrid Garrett et José Bernhart, sans parler du dramaturge Jean Martin-Demézil, archiviste en chef du département du Loir-et-Cher, du metteur en scène Yves Jamiaque et, bien sûr, du compositeur Maurice Jarre. La paternité du premier son et lumière a par ailleurs été contestée publiquement dans les années qui ont suivi sa fulgurante réussite (Crespelle 1958 ; Ranjard 1958)[10]. Comme l’a noté l’historien de l’architecture Éric Monin, « le succès des spectacles son et lumière relève en effet d’une curieuse alchimie entre l’architecture, l’histoire, les voix, les lumières et l’ensemble des ressources techniques chargées d’agréger tous ces composants de manière harmonieuse sous les yeux du public » (Monin 2019, p. 9 ; voir aussi Monin 2010). Étudier la conception et la réception de ces spectacles multimédias (comme on dirait aujourd’hui) tisse des liens avec deux champs distincts de l’histoire de la musique en France. D’une part, comme ce type de spectacle implique les compositeurs et les ingénieurs du Club d’essai de la rtf, il constitue une extension du domaine d’activité des inventeurs de la musique concrète vers la culture populaire. D’autre part, sa structure collaborative et multiplateforme rappelle inévitablement celle de la production cinématographique[11]. C’est dans ce sens que la recherche sur la musique du son et lumière s’allie avec les travaux récents sur la musique pour le cinéma en France (Lewis 2019 ; Sprout 2019). En 1972, un journaliste a décrit le caractère collaboratif du spectacle dans un article qui commémore les 20 ans du genre :
En 1952 ce n’était plus un fond musical, mais un texte spécialement composé par un grand littérateur et historien qui servait de trame au spectacle. On y contait l’histoire anecdotique du château, de l’église ou de tout autre monument ou site. Un musicien de grand renom écrivait une musique destinée à rehausser encore le caractère spectaculaire et émotif du texte. Enfin un metteur en scène, parfaitement adapté à ce mode d’expression, complétait chaque séquence de ce thème sonore par des éclairages minutieusement choisis pour renforcer visuellement les impressions auditives.
Cayssials 1972, p. 36
Malgré des recensions élogieuses, l’intérêt et la valeur artistique de telles manifestations n’ont pas fait consensus, et ce, surtout auprès de ceux qui voyaient d’un oeil sceptique le mariage forcé entre un monument historique et la technologie de communication de masse. Ainsi, Yvan Christ pouvait se livrer à une diatribe contre ces spectacles dans un papier publié dans Arts le 16 avril 1958, qui déplorait la métamorphose de « nos monuments les plus précieux en palais des mirages renouvelés (très peu) du Musée Grévin » (Christ 1958), décriant la tendance « à les noyer sous des flots de lumière brutale, à les contraindre à bavarder bruyamment comme des compères de revue qui trompent leur indigence en recourant aux pires anecdotes, à élever à la hauteur d’une institution le principe d’un feu d’artifice à qui la parole aurait été donnée et qui serait devenu fou » (ibid.). Loin de nier la nouveauté de cet art, Christ reproche justement au son et lumière les nouvelles conduites perceptives qu’il inaugure :
Toutes les tares du xxe siècle, « son et lumière » les possède en surabondance : le sens du tapage et de la publicité, l’appétence frénétique de la démagogie, le goût immodéré de la formule mise à la mode par les magazines à gros tirage, la cuistrerie de la technique, l’utilisation avide et la consommation gloutonne des restes de l’histoire, un sentimentalisme sommaire et veule, que sais-je encore ?… Notre temps se reconnaît ici avec complaisance : je n’en suis pas du tout surpris.
Ibid.
Néanmoins, dans ces tares se trouvait aussi la force durable de ces nouvelles prestations : leur capacité à induire une façon originale de voir le monde et le passé historique, à travers une écoute et un regard technologiquement médiés.
« Stéréophonie dirigée » : le son du son et lumière
La diffusion sonore du son et lumière de Chambord se faisait à travers de nombreux haut-parleurs disposés autour du site et dont certains étaient fixés sur la façade du château. Comme Robert-Houdin précisait dans un rapport rédigé en amont du spectacle :
6 [haut-parleurs] seront installés sur le mur longeant le Cosson, deux groupes de chacun deux haut-parleurs seraient installés dans les arbres très en retrait de l’esplanade, afin de reprendre la sonorisation de 6 premiers haut-parleurs et d’assurer une large diffusion dans l’allée principale, deux autres haut-parleurs seraient installés de façon à sonoriser l’allée longeant le Château sur le côté gauche, ce qui permettrait en plus, de sonoriser la partie commerciale et le parking voitures.
Robert-Houdin 1951
Sur le plan acoustique, le spectacle à Chambord a employé un dispositif inédit pour localiser la source du son dans l’espace et pour créer l’illusion de son déplacement, en continuité avec la sonorisation de Nucléa au tnp. Bernhart et Garrett avaient récemment breveté un « procédé pour la reproduction stéréophonique des sons » qu’ils ont nommé par la suite la « stéréophonie dirigée » (Bernhart et Garrett 1953). Il s’agit d’un dispositif qui permet d’obtenir une sensation de relief et de mouvement sonore grâce à la diffusion de son enregistré dans plusieurs haut-parleurs en variant le voltmètre de chaque canal manuellement. Comme l’explique l’historien de l’architecture Éric Monin, la stéréophonie dirigée est une technique de spatialisation qui, à la différence des techniques de captation à l’aide de plusieurs microphones,
ne s’opérait plus à l’enregistrement, mais à la reproduction. L’originalité du procédé résidait dans le traitement des enregistrements sonores qui, après avoir été effectués séparément et à des niveaux d’intensité différents, étaient montés sur une bande à double piste. Les deux voies autonomes étaient alors transmises simultanément par des procédés classiques, produisant ainsi l’illusion d’une « source virtuelle image » en mouvement.
Monin 2019, p. 6
Grâce à cette technique, au dire d’un ingénieur du son écrivant dans un journal de l’époque,
si deux sources sonores sont placées aux deux sommets d’un triangle équilatéral, face à un auditeur placé au troisième sommet, la variation de la puissance relative des deux sources donne l’impression que le son se déplace d’une source vers l’autre… Les spectateurs du « son et lumière » de Versailles entendaient ainsi la foule arrivant par l’aile nord du château et se déplaçant progressivement jusqu’à l’aile sud. On entendait, on « voyait » presque les chasses traverser la grande prairie qui précède le château de Chambord.
Cayssials 1972, p. 40, cité dans Garrett 1990, p. 21
Dans une lettre envoyée aux producteurs du spectacle de Chambord, Bernhart défend les coûts supplémentaires occasionnés par l’emploi d’équipement stéréophonique en notant qu’il « apporte la possibilité de […] créer le mouvement dans l’espace en parallèle avec les jeux de lumière » (Bernhart 1952). Pour sa part, le critique Jean Hamon – qui, en 1958, faisait aveu de son désarroi devant la conception « stéréophonique » de Doubles de Boulez –, est convaincu par les mérites de la stéréophonie deux années plus tard, lorsqu’il en fait lui-même l’expérience dans le cadre d’un son et lumière :
La stéréophonie [est] considérée comme la technique électronique la plus propre – convenablement employée – à créer l’illusion physique d’un espace sonore complet à trois dimensions. Grâce à cette technique… nous avons vu la reproduction d’une symphonie, d’un opéra ou d’un concerto s’éclairer d’une vie nouvelle, les plans instrumentaux ou vocaux prendre place avec une étonnante vérité les uns par rapport aux autres, reconstituer un univers chatoyant, modelé en pleine pâte, et – lorsque techniquement réussi – d’une hallucinante présence sensible.
Hamon 1960
Néanmoins, la stéréophonie était prévue non seulement comme un moyen de faire déplacer le son, mais avant tout comme un moyen de diffuser un son en haute fidélité. Dans un rapport rédigé deux mois avant la création du premier spectacle de Chambord, Bernhart défend les coûts supplémentaires nécessaires pour
réaliser une diffusion stéréophonique depuis les tourelles supérieures du Château de telle façon qu’à l’emplacement des spectateurs (environ 250 m plus loin) la qualité sonore soit absolument irréprochable avec une intelligibilité suffisante et une qualité musicale qui respecte intégralement les timbres des différents instruments.
Bernhart 1952
Le rôle de stéréophonie se trouvait davantage dans sa capacité de produire une image sonore « réaliste » plutôt que comme un moyen de mise en mouvement du son, mais les deux fonctions –haute fidélité et déplacement sonore – sont soulignées dès le début par les divers médiateurs de cette nouvelle forme de spectacle. Ainsi un témoignage paru dans un journal de l’époque de la part d’un ingénieur du nom de E. Roux précise que,
en ce qui concerne le son, on a recours à la stéréophonie. Ce procédé consiste à réaliser une perspective sonore ainsi que des déplacements continus du son dans l’espace. Un exemple, la chasse à courre de Chantilly. On entend d’abord sur la gauche, le bruit lointain des aboiements des chiens. Le bruit se rapproche, auquel se mêle le galop des chevaux, puis s’éloigne, passe derrière le château, puis revient sur la droite si près, que les effets de lumière aidant, l’on croit voir le hallali [sic] qui se passe à l’orée de la forêt.
Roux 1957
Par ailleurs, cette spatialisation est prise en charge par d’autres moyens que seule la stéréophonie : les effets « hallucinogènes » de profondeur spatiale et de localisation du son qui ont tant contribué à l’expérience du son et lumière ne sont pas tous le résultat de la fameuse « stéréophonie dirigée ». Celle-ci permettait la circulation d’une source sonore sur l’axe horizontal de l’auditoire grâce à un procédé simple qui consistait à monter deux enregistrements mono, pris à différentes intensités et distances, d’une même prestation sur une bande à deux pistes, pour ensuite les diffuser en modulant l’intensité de chaque piste (Monin 2019, p. 6). En tant qu’ingénieur mythique, pourvu de décennies d’expérience en matière de diffusion radiophonique de musique (notamment orchestrale) et de productions théâtrales, Bernhart était un spécialiste futé de l’emploi du microphone pour produire des effets de distance et de profondeur, même à l’aide d’une seule piste sonore, comme c’était le cas de la radio de l’époque. L’ingénieur a décrit ses techniques de manière systématique dans son Traité de la prise de son, paru en 1949, dont les 474 pages présentent en détails minutieux les procédés à l’oeuvre dans l’art de l’enregistrement et de la diffusion sonores pour la radio. Même si le traité ne fait pas mention de techniques stéréophoniques (sa parution ayant précédé le dépôt du brevet de Bernhart et Garrett), il consacre néanmoins plusieurs chapitres à des techniques dont Bernhart allait se servir dans le cadre du son et lumière. Dans un chapitre portant sur la « perspective sonore », il note par exemple que lorsque, pour une prise de son, l’on place un microphone à une plus grande distance de la source que ce qui se fait habituellement, une plus grande part de son réverbéré se fait entendre dans la captation. Cette caractéristique peut, explique-t-il, être exploitée artistiquement afin de contribuer à la trame narrative d’une pièce radiophonique :
Nous verrons […] comment la technique récente du radio-théâtre peut tirer des effets subjectifs de cette considération de tonalité apparente. Elle se propose non seulement de créer une impression de distance physique, mais elle transpose cet effet. Éloignement reste dans ce cas synonyme d’impression d’éloignement dans le temps et dans l’espace. Ces procédés mettent en page par exemple l’idée d’un personnage très lointain, tel un personnage qui a vécu à une autre époque, voire même l’idée d’un fantôme ou d’un mort.
Bernhart 1949, p. 88
Une telle technique du microphone éloigné et de l’emploi de la réverbération est employée dès Les très riches heures de Chambord, lorsque, par exemple, la voix de basso profondo de Dieu parle du ciel au comte Thibaut Ier de Blois (dit Thibaud le Tricheur), condamné, pour avoir tué son chapelain, à chasser le même cerf pour l’éternité « sans que jamais pour lui, l’hallali ne sonne[12] » (Jarre et Martin-Demézil 1952 à 03:40). Le traitement de la voix de Dieu, captée par un microphone placé loin de la source et baignant dans une épaisse reverberation, illustre la façon dont les technique de capatation et de diffusion du son jouaient un rôle dramaturgique dans les sons et lumière. Rendre compte, à la lecture du Traité de la prise de son, de la manière dont Bernhart conceptualise ces procédés, jette une lumière sur la façon dont la trame sonore du son et lumière de Chambord fut conçue.
Un traitement similaire de la voix – mais pas de la trame musicale – s’observe dans un autre son et lumière produit peu après celui de Chambord, au Château de Chenonceau en 1953 (Au temps des dames de Chenonceau, légende historique). Les voix y subissent un traitement de réverbération parfois intense : par exemple, lorsque Catherine Briçonnet – l’épouse de Thomas Bohier qui, en 1512, prend possession du domaine où le futur château allait être érigé – prend la parole, sa voix, incarnée par l’actrice Arlette Thomas, baigne dans une réverbération riche et spacieuse (Cloërec 1953, face a, 5:02).
Rester attentif aux techniques sonores à l’oeuvre dans le son et lumière fait également ressortir les façons dont la production de pièces de théâtre radiophoniques a contribué au développement de la musique concrète, et plus généralement de la musique électroacoustique. Jennifer Iverson a observé que Schaeffer a inventé la musique concrète en « reappropriating the sound effects of the radio-play department » (Iverson 2018, p. 39). Fidèles à la tradition de la pièce radiophonique, la plupart des techniques « experimentales » de prise de son dans les son et lumière étaient appliquées aux voix parlées des acteurs – et à un moindre degré aux bruits et à la musique. Quoi qu’il en soit, l’apport de Garrett et Bernhart à l’aventure du relief sonore était tel que Jean Tardieu, alors directeur du Club d’essai de l’Office de radiodiffusion-télévision française (ortf), écrivit en 1953 :
tandis qu’à l’étage supérieur, Pierre Schaeffer inventait la « musique concrète », deux autres chercheurs : José Bernhardt [sic] et Jean[-]Wilfrid Garrett étudiaient les moyens d’ajouter à l’illusion de profondeur, déjà obtenue par les artifices de la mise en ondes, dans une oeuvre dramatique ou musicale, une autre dimension spatiale : l’impression de situation ou de déplacement latéral, telle qu’elle résulte des conditions normales de l’audition biauriculaire. On sait la fortune de ce procédé de relief sonore ou de stéréophonie et les nombreuses applications qui en ont été faites, tant au micro (avec l’adaptation, par René Clair, du poème de Théophile Gauthier [sic] « Les larmes du diable »), qu’à l’extérieur même de la Radio.
Tardieu 1957, p. 103-104
Pour Tardieu, les liens qui subsistent entre le développement de la musique concrète et les innovations de la stéréophonie dirigée étaient évidents, et il était conscient de l’habileté commune de la radio, du cinéma et du son et lumière (cet « extérieur même de la Radio ») à sensibiliser le public aux nouveaux modes d’écoute que permettait la technologie.
Certes, la participation de certains membres du grm ne démontre pas que ceux-ci vivaient le son et lumière comme une extension naturelle et artistiquement consacrée de leurs activités intra muros. Au contraire, cette porosité peut être bien le signe d’un besoin matériel de contrats « alimentaires » dans les domaines de la radio, la télévision et les spectacles populaires y compris les spectacles son et lumière, qui soutenait le travail plus expérimental du Groupe, comme l’ont montré les travaux de Pierre-Michel Menger et Anne Veitl (Menger 1983 ; Veitl 1997 ; Goldman 1999). Mais même si on admet que les son et lumière répondait surtout à un besoin alimentaire, il n’est pas exclu que des pratiques de création de l’un (musique concrète) aient influé sur l’autre (son et lumière) ou vice versa, comme il n’est pas sûr que les pratiques d’écoute du public de l’un n’aient pas exercé une influence sur l’écoute d’autres types de prestations sonores.
Composer de la « stéréophonie dirigée » instrumentale : de la marche latérale à la danse circulaire
Alors que les voix parlées du son et lumière ont été enregistrées en exploitant toutes les techniques créatrices mises en place par le Club d’essai pour les pièces radiophoniques, employant au passage des effets d’écho et de mise en relief, il est plus difficile de trouver des exemples où l’on emploie le microphone comme un instrument de musique dans la partie musicale de la bande. Les « effets phonographe », pour emprunter l’expression de Mark Katz, s’observent davantage dans le traitement de la parole que de la musique (Katz 2010, p. 2). Néanmoins, le médium stéréophonique de la diffusion du son et lumière était exploité par Jarre lorsqu’il créait des antiphonies ou des passages en strettes orchestrales, qui mettaient en valeur la distribution spatiale du son. Les producteurs des premiers son et lumière misaient sur le pouvoir de la diffusion stéréophonique de la trame musicale à souligner la dimension spatiale du récit. Ainsi Gaston Papeloux, qui a réalisé le son et lumière À toutes les gloires de la France à Versailles en 1953 (celui pour lequel Cocteau a signé le livret en collaboration avec André Maurois, et Jacques Ibert la musique), nota dans le programme du spectacle : « au musicien de songer en écrivant sa partition qu’elle sera diffusée dans l’espace, qu’elle a pour mission de souligner le texte, annoncer ou préciser les sentiments et former d’un bout à l’autre du spectacle un lien continu, mais varié » (Papeloux 1954). Pour sa part, Jarre avait déjà employé des effets antiphoniques dans sa première pièce pour « stéréophonie dirigée », Nucléa, en répartissant des phrases successives aux côtés opposés du théâtre (figure 2).
L’antiphonie est ici un moyen d’exhiber les possibilités spatiales du dispositif stéréophonique dont le Chaillot était alors nouvellement muni. Dans la musique des Très riches heures de Chambord, Jarre écrivait pour un orchestre dirigé par un jeune Serge Baudo qui n’avait pas encore créé Et exspecto resurrectionem mortuorum d’Olivier Messiaen (il faudra attendre 1965)[13]. Jarre ouvre sa partition par une figure rythmique facilement repérable, commençant par une note répétée quatre fois, qui est ensuite traitée en strettes, faisant entendre sur l’axe horizontal les instruments orchestraux dans leur emplacement habituel sur la scène (cordes à gauche, vents au milieu, cuivres à droite, etc.).
On devine que le motif en strette a été conçu pour mettre en valeur le dispositif de la stéréophonie dirigée, invitant l’auditeur, dès le début du spectacle, à repérer l’emplacement du motif chaque fois qu’il réapparaît chez un autre instrument placé dans un endroit unique du champ stéréophonique. Tout comme l’antiphonie de l’ouverture de Nucléa de la figure 2, l’écriture en strette ici constitue un exemple de l’« effet phonographe » proposé par Katz, car il découle des caractéristiques d’enregistrement et/ou de diffusion. Mais le cas le plus spectaculaire de « stéréophonie dirigée » est probablement celui qui est le plus difficile à évaluer, même à partir d’un enregistrement d’archive stéréophonique. Les effets spatiaux les plus spectaculaires étaient inscrits dans les deux pistes du magnétophone employé pour la diffusion du spectacle. Pendant le transfert de la bande, les potentiomètres étaient ajustés de telle manière à créer l’illusion de déplacement sonore, un procédé qui est au coeur de la stéréophonie dirigée. Comme l’a expliqué Jean-Wilfrid Garrett : « Ce procédé permettait de recréer artificiellement des déplacements arbitraires en reproduisant électriquement dans les deux canaux de transmission des variations d’intensité opérées sur un collecteur sonore unique » (Garrett 1990, p. 21). Garrett et Bernhart ont par ailleurs précisé dans le brevet déposé pour la stéréophonie dirigée que leur technique
consiste à utiliser à la prise de son une seule source de modulation (microphone, pick-up, etc.) dont l’énergie de sortie est envoyée dans deux canaux de transmission alimentant chacun, directement ou après enregistrement, un appareil de reproduction sonore, l’effet recherché de localisation ou de déplacement étant obtenu par réglage des niveaux relatifs des signaux dans ces deux canaux.
Bernhart et Garrett 1953, p. 1
Ce témoignage nous amène à suggérer qu’un long passage dans le son et lumière de Chambord qui évoque les armées du maréchal de Saxe traversant le terrain du palais fut spatialisé au moyen de cette technique. Dans ce même extrait du spectacle, Jarre composa une musique qui rend hommage à la tradition des marches militaires françaises, un thème d’une certaine carrure en do majeur, avec des figures de marche conventionnelles de croche pointée-double croche, le tout déclamé par les cuivres et accompagné par des roulements de la caisse claire.
Sur l’enregistrement d’archive stéréophonique que nous avons obtenu, les cuivres et percussions se trouvent à droite. Mais au cours des presque deux minutes de cette marche ininterrompue, le son passait lentement de droite à gauche, inspirant probablement un critique à noter que la technologie de la stéréophonie dirigée « parvenait à évoquer, d’une façon saisissante, la marche des régiments du maréchal de Saxe, dont les différentes fanfares semblaient toutes venir d’un point de l’horizon, pour disparaître à l’autre » (Peignot 1957, p. 9). Garrett et Bernhart ont créé cet effet à l’aide de leur procédé stéréophonique qui « permet de créer artificiellement à la reproduction la localisation ou des effets de déplacement d’une ou plusieurs sources sonores images, lesquels effets peuvent être modifiés à volonté » (Bernhart et Garrett 1953, p. 1). Intégrer une musique de marche qui évoque une troupe de soldats qui traverse l’espace du spectacle devant le monument semble être un topique voire un cliché du genre, du moins à ses débuts. Le dispositif de la stéréophonie dirigée aurait été à même de pouvoir faire déplacer le son sur l’axe latéral, invitant le spectateur à un mouvement de la tête qui cherche à localiser le son comme lorsque l’on assiste à un match de tennis.
Un an après le son et lumière de Chambord, le spectacle du château de Chenonceau, Au temps des dames de Chenonceaux (1953), présenté pendant quatre décennies, proposait une autre marche à fort potentiel stéréophonique (Lerouge 1996). Cette fois, la marche n’évoque pas l’arrivée de l’armée du maréchal de Saxe, mais plutôt, selon la description de l’auteur du texte, Jean Martin-Demézil, l’« entrée solennelle » du « petit roi François II accompagné de sa femme, la douce Marie Stuart, et de la Reine mère » (Cloërec 1953, face a, 12:10). On imagine bien les têtes qui tournaient dans l’espoir d’apercevoir le passage des personnages royaux. La musique qui accompagne cette scène suggérée fut composée et dirigée par un autre compositeur de film, René Cloërec, qui confie un thème allant à différents groupes d’instruments à vent, offrant la possibilité de déplacements sonores à mesure que les thèmes sont confiés à différents groupes instrumentaux (ibid., 12:15-13:17).
Une autre séquence musicale du son et lumière de Chenonceau semble évoquer un mouvement spatial également propice à la stéréophonie dirigée : aux déplacements linéaires de la marche se substitue le mouvement circulaire d’une danse en rond (extrait audio 3). La narratrice décrit « Paysannes aux chapeaux à la rustique ». S’ensuit une danse vivace à quatre temps arrangée en antiphonies brusques. Le thème se relaie entre les groupes suivants : trompettes, hautbois, trompettes, hautbois, trombones, clavecin, trombones, clavecin, bois-clavecin. Sur le plan spatial, en se basant sur l’emplacement habituel de ces familles d’instruments sur une scène lors d’un concert symphonique, nous passons de l’arrière-gauche (trombones) à l’avant-gauche (bois), de l’arrière-droite (trombones) à l’arrière-gauche (clavecin) (ibid., 13:40-14:10).
Plus on avance dans le temps, plus il est probable que les compositeurs (encouragés par les producteurs ou de leur propre volonté) composaient de la musique antiphonique afin de mettre en valeur les systèmes de son stéréophoniques que les spectacles déployaient. Ainsi, dans un article de 1957 sur les dispositifs sonores des sons et lumière mis en place par Pathé-Marconi, on évoque le son et lumière de Domrémy, où « un oratorio [de Delerue] aux effets stéréophoniques spectaculaires fait revivre “sainte Jeanne de Domrémy” » ([Anonyme] 1957a).
Conclusion
Le spectacle son et lumière fait ressortir la façon dont des développements dans le domaine de la musique d’avant-garde allaient souvent de pair avec l’évolution simultanée de moyens et de formes propres à l’industrie et à la culture de masse. Ceci n’est sans doute pas étonnant, mais a longtemps été occulté par le discours des compositeurs eux-mêmes pour lesquels, comme l’a noté Patrick Valiquet, « an ideology of aesthetic isolation supported the otherwise contradictory work of appropriating the tools of commercial broadcasting and recording » (Valiquet 2012, p. 415). Dans un compte-rendu du Cambridge Introduction to Electronic Music, Monty Adkins note ainsi que bien que les genres et les formes de la musique électronique n’existaient pas en vase clos et entraient en contact avec des aspects de la culture populaire de l’époque, les récits dominants du volume de Cambridge occultent le fait que, par exemple, « it is no coincidence that Jean-Michel Jarre, Christian Clozier, Iannis Xenakis and François Bayle all produced large-scale son et lumière experiences in the 1970s and 1980s » (Adkins 2015, p. 273). Certes les « expériences » son et lumière qu’évoque Adkins correspondent peu à ce qu’on entend par « spectacle son et lumière » au cours des années 1950 et 1960, le sens même de « son et lumière » ayant muté au cours des années 1970 et 1980. Cette mutation fait en sorte à ce que les son et lumière de créateurs comme Xenakis ou Clozier n’avaient que peu à voir avec les drames historiques présentés à Chambord ou Villandry. Néanmoins, certaines constantes persistaient : offre culturelle grand public, spectacles centrés autour d’une écoute médiée par l’audiotechnique, et le caractère in situ du spectacle qui offre une « animation » d’un lieu historique. Isoler artificiellement les activités purement « savantes » des principaux acteurs de l’avant-garde musicale sans prendre en compte leurs activités plus visibles par le public généraliste revient à accepter l’esthétique d’isolement esthétique comme axiome et fausse le portrait historique de l’écosystème de la musique expérimentale. Les spectacles grand public jouaient, selon cette lecture, un rôle de vulgarisateur de modes d’écoute déjà courants dans les sphères confidentielles de la musique expérimentale au sens large, à l’instar de la démocratisation de la musique concrète menée par Luc Ferrari dans les Maisons de la culture dans la France au lendemain de Mai 68 (Drott 2009).
Mais au-delà de ce fait, la dimension sonore des spectacles son et lumière démontre comment la stéréophonie en France a été comprise à travers le prisme du concept schaefferien d’« objet sonore » transmis notamment à travers des productions du Club d’essai comme le son et lumière. En concevant les sons en tant qu’objets plutôt qu’en tant qu’événements, les oreilles des auditeurs ont été formatés à percevoir leur position dans l’espace – les objets sont pourvus d’un emplacement, alors que les événements vibratoires n’ont pas de position unique dans l’espace (Kane 2019, p. 62-63)[14]. Essentiels à ce travail de « formatage » des oreilles du public, les journalistes, dans d’innombrables textes sur les spectacles, guidaient le public à travers cette nouvelle forme d’écoute audiotechnique, comme l’illustre cette description de 1955 du dispositif sonore du spectacle de Versailles :
Si huit haut-parleurs dans les jardins et 12 sur le château font naître et s’éteindre les voix [des acteurs] à droite, à gauche, au centre, permettant de localiser les sources sonores, de les situer suivant le relief et les plans que leur ont accordés les scénaristes, ce ne fut possible que grâce à un procédé stéréophonique inventé par un ingénieur de la r.t.f. : José Bernhart. Il s’agissait de reproduire électriquement ce que l’oreille, par la vibration des timbres et l’intensité des ondes, perçoit naturellement. Les mouvements et les cris de la foule furent enregistrés à part, sur magnétophone ; récits, passages dramatiques, gros plans, subirent le même sort, tandis que la musique, à l’aide de micros disposés à droite et à gauche, suivant la localisation sonore, était enregistrée directement en stéréophonie. Un mixage définitif eut lieu sur double piste, et par l’intermédiaire des haut-parleurs disposés à droite et à gauche de la façade, il fut possible de faire entendre les sons à gauche ou à droite ou à tel point précis, suivant les besoins de l’action !
Serge 1955, s.p.
Cette conception a donc eu un impact sur la façon dont la stéréophonie a été conçue, employée, perçue et mise en marché. Mais la nouvelle écoute audiotechnique que le son et lumière contribuait à répandre n’a pas fait l’unanimité. Dans une lettre datée du 11 février 1960 au metteur en scène belge Oscar Lejeune, le vénérable critique musical Émile Vuillermoz dénonce le « domaine de l’imposture et du mensonge organisés » qui sont le propre du « son électronique » :
J’en suis désormais certain. Nous ne connaissons que des timbres musicaux fardés, maquillés, marinés et cuisinés avec un art certain, mais en contradiction flagrante avec la vérité. Le son acoustique, pur au départ, passe par les mains de 20 intermédiaires savants et consciencieux qui lui prodiguent des soins de beauté analogues à ceux des chirurgiens esthétiques qui pour améliorer le visage d’une star redessinent ses sourcils, lui inventent une bouche nouvelle et transforment la couleur de son épiderme.
Médiathèque de l’architecture et du patrimoine (map), 80-1-130
Mais déplorer les effets du son électronique est tacitement reconnaître sa portée sur l’écoute. Ainsi, des prestations grand public comme le son et lumière renforçaient la conception de la stéréophonie en tant que phénomène d’orientation spatiale qui concernait le mouvement d’objets sonores à travers l’espace. Cette conception a ensuite exercé un impact profond sur la façon dont des oeuvres d’allégeance avant- gardiste qui appropriaient la dimension spatiale, telles que Doubles et Gruppen, furent perçues et évaluées.
Appendices
Notes
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[1]
Cet article s’appuie sur des recherches financées en partie par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. L’emploi du masculin pour désigner des personnes n’a d’autres fins que celle d’alléger le texte.
-
[2]
Après la création de Doubles le 16 mars 1958, une nouvelle version (maintenant intitulée Figures Doubles Prismes) fut présentée en première audition le 10 janvier 1964 par l’Orchestre du swf à Bâle (Boulez [1965]2010).
-
[3]
La campagne de marketing du disque stéréophonique qui a eu cours à partir de 1958 est documentée dans Goldman 2016.
-
[4]
Des documents internes de l’administration du château de Chambord montrent que 116 524 entrées furent vendues en 1952, et un total de 776 721 billets vendus entre 1952 et 1959 (Médiathèque de l’architecture et du patrimoine (map), 80-1-130).
-
[5]
Je remercie l’évaluateur anonyme pour cette suggestion. Voir aussi Mervant-Roux 2019.
-
[6]
Tapuscrit de Penser la musique aujourd’hui (1963), p. 22, majuscules de l’auteur (Fonds Pierre Boulez, Faculté de musique, Université de Montréal).
-
[7]
L’innovation des projecteurs Mazda Infranor P1000 permettait « d’illuminer intensément de grandes surfaces rectangulaires » (Monin 2019, p. 3).
-
[8]
Ici a commencé l’histoire, avec musique de Georges Delerue comprenant « deux thèmes musicaux » ajoutés par le pionnier égyptien de musique électronique, Halim el Dabh, qui « imprègnent l’ensemble d’un véritable cachet pharaonique » (notice du disque de 1961).
-
[9]
Il y aura d’autres spectacles écrits pour Chambord par la suite, dans un effort de renouveler l’offre proposée au public. Après le spectacle de Martin-Demézil/Jarre, une nouvelle proposition, sur un texte d’André Castelot et une musique de Georges van Parys, a vu le jour l’année suivante, présentée en alternance avec Les très riches heures de Chambord. Plus tard, ces spectacles furent remplacés par un son et lumière sur un texte de Louise de Vilmorin avec la musique du plus prolifique compositeur du genre, Georges Delerue.
-
[10]
Alors que Robert-Houdin en réclame la paternité dans les pages de France-Soir (Crespelle 1958), Michel Ranjard tente de rectifier le tir en publiant une réponse dans le même journal (Ranjard 1958), affirmant que « très pris par la mise au point de l’illumination fixe d’autres monuments du département, il n’a pu à cette époque m’apporter la collaboration sur laquelle j’aurais pu compter [à Chambord] ».
-
[11]
Parmi les compositeurs de musique pour les son et lumière, on compte Maurice Jarre, Marius Constant (Lapalisse et Albi), Georges Delerue (Domrémy, Lisieux, Chambord et Gizeh), Jacques Ibert (Versailles et Vincennes), et Marcel Landowski (Toulouse).
-
[12]
Ce traitement de la voix est aussi utilisé pour incarner celle de Dieu, deux ans auparavant, dans la réalisation de la pièce radiophonique en stéréo Les larmes du diable (Nilchiani 2019, p. 12).
-
[13]
Parmi les musiciens de l’orchestre qui ont enregistré la partition du spectacle de Chambord, on compte le célèbre flûtiste Jean-Pierre Rampal, Ginette Martenot à l’instrument électronique inventé par son frère, ainsi que l’hautboïste Étienne Baudo, père du chef d’orchestre (Contrats d’artistes, map 81-4-138).
-
[14]
Voir l’opposition de Christopher Cox à l’objet sonore schaefferien en faveur de l’« événement sonore », dans Kane 2019, p. 62-63.
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Archives
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- Fonds Pierre Boulez, Faculté de musique, Université de Montréal.