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Introduction

Les enseignants d’aujourd’hui sont forcés de s’engager de plus en plus dans un apprentissage à vie, pour répondre aux attentes générales, se tenir à jour en ce qui à trait aux écrits professionnels et ancrer leur pratique dans la recherche (Bromme et Tillema, 1995 ; Simmons, Kuykendall, King, Cornachione et Kameenui, 2000). Ils devraient aussi répondre aux innovations pédagogiques provenant de théories en évolution (à propos de l’apprentissage), respecter les valeurs sociétales (par exemple, des demandes visant à inclure les élèves en difficultés dans les classes d’enseignement régulier), et recourir à de nouvelles ressources (par exemple, les nouvelles technologies). Ainsi, il n’est pas surprenant qu’autant d’attention soit présentement consacrée à la définition de modèles de développement professionnel pour soutenir l’apprentissage continu des enseignants (Fullan, 1995).

Plusieurs de ces modèles de développement professionnel, qui émergent actuellement, entraînent les enseignants dans des recherches collaboratives[1] comme moyen de favoriser la croissance professionnelle (Butler, Novak Lauscher, Jarvis-Selinger et Beckingham, 2004 ; Collins, 1998, Palincsar, 1999 ; Perry, Walton et Calder, 1999 ; Scott et Weeks, 1996 ; Simmons et al., 2000 ; Stein, Schwan Smith et Silver, 1999). Toutefois, même si des résultats positifs ont été associés à la participation des enseignants à des recherches collaboratives, un désaccord subsiste concernant la nature de l’apprentissage des enseignants dans ces contextes collaboratifs (Cole, 1991, Damon, 1991 ; Lave, 1991 ; Moore et Rocklin, 1998 ; Stein et al., 1999). À une extrémité du continuum, se retrouvent des conceptions de l’apprentissage étroitement centrées sur des processus individuels. À l’autre extrémité du même continuum, se retrouvent des modèles où l’apprentissage est indissociable du contexte et est caractérisé par le rôle de médiation qu’y joue le « social » (socially-mediated).

Dans cet article, nous comptons montrer que la compréhension de l’apprentissage des enseignants requiert de mettre en lien les perspectives mettant l’accent sur l’individu et celles centrées sur la pratique sociale, mais sans minimiser leur contribution respective. Afin d’élaborer cette position, je commence par présenter un cadre théorique pour comprendre l’apprentissage des individus comme situé dans la pratique. Ensuite, deux projets consécutifs de développement professionnel sont décrits, chacun ayant examiné l’apprentissage individuel et collectif dans le contexte de communautés d’apprentissage. Je termine avec une discussion des implications pour le développement professionnel continu.

Connaissances théoriques et développement professionnel collaboratif

Plusieurs modèles actuels du développement professionnel sont fondés sur une conception de l’enseignement nécessitant une prise de décisions complexe et contextualisée (Ball, 1995 ; Palincsar, 1999 ; Palincsar, Magnussen, Marano, Ford et Brown, 1998). Dans cette perspective, le but du développement professionnel est d’assister les enseignants dans la construction de connaissances théoriques concernant l’enseignement, sur lesquelles les décisions peuvent être basées, plutôt que de mettre l’accent de façon restrictive sur les habiletés procédurales (Gersten, Vaughn, Deshler et Schiller, 1997)[2]. Cette position va dans le sens contraire des approches communément observées du développement professionnel qui mettent l’accent sur la transmission de stratégies pédagogiques spécifiques aux enseignants, sans égard aux cadres théoriques qui sous-tendent les pratiques recommandées (Gersten, 1995 ; Englert et Tarrant, 1999).

Mais si le but ultime est de soutenir la (re)construction de connaissances professionnelles chez les enseignants, une attention doit être portée à la façon dont des liens bidirectionnels peuvent être forgés entre la théorie et la pratique (Schumm et Vaughn, 1995). Par exemple, imaginons un groupe d’enseignants qui se réunissent pour apprendre au sujet de pratiques innovantes qu’ils veulent implanter dans leurs classes. Le défi pour ces enseignants est d’ancrer profondément ces nouveaux principes théoriques qui vont influencer leur prise de décision en contexte (Gersten, 1995). De façon similaire, considérons un enseignant menant un projet de recherche-action afin de générer des nouvelles connaissances dans la pratique. Même de ce point de départ, l’enseignant va ultimement être mis au défi d’articuler ses connaissances ancrées dans la pratique avec des cadres théoriques produits par d’autres (par exemple, des pairs dans un groupe d’étude, des recherches antérieures). Dans chacun des scénarios précédents, le développement professionnel requiert de la part des enseignants qu’ils coordonnent des cadres théoriques existants avec des connaissances ancrées dans l’enseignement (Bromme et Tillema, 1995).

Plusieurs implications pour le développement professionnel des enseignants peuvent être tirées de cette discussion initiale. L’une d’elles est que soutenir des changements signifiants de l’enseignement requiert de consacrer une attention à la façon dont les enseignants construisent des connaissances et croyances qui sous-tendent leur prise de décision in situ. Deuxièmement, les changements qu’apportent des enseignants à leur pratique vont demander des occasions pour réfléchir et pour trouver des liens entre la théorie et la pratique, peu importe le point de départ. Une troisième implication est que le développement professionnel doit, d’une quelconque façon, être connecté à la pratique authentique à laquelle la théorie doit être reliée. Une quatrième implication est que la compréhension du développement professionnel des enseignants requiert la compréhension de la façon dont les processus de changement de la pratique et des connaissances théoriques se soutiennent mutuellement. Finalement, comprendre l’apprentissage des enseignants dans un contexte de collaboration requiert d’expliquer la façon dont les processus d’apprentissage individuels et collectifs coopèrent.

Autorégulation de l’apprentissage et développement professionnel collaboratif

Dans cet article, j’affirme que beaucoup d’éléments peuvent être tirés de modèles d’autorégulation de l’apprentissage pour comprendre l’apprentissage intentionnel (et potentiellement non intentionnel[3]) des enseignants en contexte de développement professionnel collaboratif (voir aussi Butler et al., 2004 ; Kremer-Hayon et Tillema, 1999). En effet, les modèles d’autorégulation sont centrés sur l’apprentissage individuel tel qu’il se réalise en contexte. Tel que noté par Zimmerman et Schunk (2001), en dépit de l’apparente centration sur l’autorégulation de l’apprentissage, ces modèles sont aussi par nature contextualisés, car ils décrivent la façon dont les individus s’adaptent stratégiquement aux environnements pour atteindre des buts. De plus, les modèles d’autorégulation de l’apprentissage sont cohérents avec les perspectives socioculturelles qui mettent l’accent sur l’impact des influences sociales, culturelles et historiques sur les individus qui agissent en contexte (Vygotsky, 1978). Ainsi, il est possible que les modèles d’autorégulation de l’apprentissage fournissent un cadre dans lequel les processus d’apprentissage individuels, socioculturels et situés peuvent être compris.

Afin d’établir des liens entre un modèle d’autorégulation de l’apprentissage et le développement professionnel collaboratif, la Figure 1 présente un aperçu des processus d’autorégulation typiquement associés à l’apprentissage des élèves (voir Butler et Cartier, 2004 ; Butler et Winne, 1995 ; Zimmerman, 1994 ; Zimmerman et Schunk, 2001). Ce modèle d’autorégulation de l’apprentissage suggère que, lorsque confrontés à un travail académique dans un contexte culturel et historique, les apprenants interprètent les exigences de la tâche et les attentes qui leur sont reliées (explicitement ou implicitement) à la lumière de leurs cadres théoriques. Ces cadres comprennent les connaissances antérieures, les croyances et les conceptions des apprenants (par exemple à propos d’un domaine, d’un sujet, ce qu’est l’apprentissage, eux-mêmes comme apprenants, le travail académique, les tâches, les stratégies). Puis, sur la base des buts d’apprentissage qu’ils établissent, les apprenants autorégulés sélectionnent, adaptent, ou même inventent des stratégies afin d’atteindre leurs objectifs. Ils mettent en oeuvre ces stratégies, réfléchissent à leur succès, et ajustent leurs approches sur la base du progrès perçu. Finalement, les apprenants autorégulés gèrent non seulement leur apprentissage, mais aussi leurs environnements, leurs ressources, leurs émotions, et leur motivation pour s’aider à atteindre leurs objectifs (Butler et Cartier, 2004 ; Corno, 1994 ; Pintrich, 2000).

Figure 1

Un modèle d’autorégulation de l’apprentissage

Un modèle d’autorégulation de l’apprentissage

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En parallèle avec cette description des processus d’apprentissage des élèves, les projets de développement professionnel collaboratifs engagent typiquement les enseignants dans un processus conjoint d’investigation de l’enseignement, comme moyen de changement des pratiques (Borko, Mayfield, Manon, Flexer et Cumbo, 1997 ; Bos, 1995 ; Boudah, Logan et Greenwood, 2001 ; Briscoe et Peters, 1997 ; Englert et Tarrant, 1995 ; Hunsaker et Johnston, 1992 ; Palincsar et al., 1998 ; Perry et al., 1999 ; Rennie, 2001 ; Stein et al., 1999). Dans ce contexte, les enseignants sont soutenus afin d’identifier des buts communs, basés sur une combinaison de principes théoriques et/ou de réflexions sur la pratique. Puis, individuellement ou collectivement, ils sélectionnent, adaptent ou construisent des stratégies pédagogiques basées sur des buts, mettent en oeuvre ces stratégies, et assurent le suivi des résultats. Les enseignants se rencontrent généralement à intervalles réguliers pour réviser leur enseignement, parler de leurs progrès et réfléchir de façon critique sur leur enseignement. À travers ce processus récursif et cyclique, les enseignants arrivent à développer un langage commun pour référer à des concepts, coconstruire des connaissances à propos de l’enseignement et coordonner la théorie avec la pratique (Englert et Tarrant, 1995).

Sur la base de cette caractérisation, il est possible d’affirmer que l’apprentissage intentionnel des enseignants dans le cadre d’une recherche collaborative englobe l’autorégulation de l’apprentissage à deux niveaux simultanément. Premièrement, les enseignants autorégulent de manière réflexive leur apprentissage de l’enseignement. À travers des cycles d’autorégulation de l’apprentissage, les enseignants construisent des nouvelles connaissances, croyances, et conceptions à propos de l’enseignement, en coordonnant leurs cadres théoriques avec leur réflexion sur leur propre pratique. Mais au même moment, les enseignants apprennent à autoréguler leurs pratiques d’enseignement, c’est-à-dire qu’à partir de buts spécifiques pour leurs élèves, les enseignants construisent des stratégies pédagogiques, les mettent en oeuvre dans leurs classes, font le suivi des résultats, et ajustent leur enseignement en conséquence. Ainsi, quand le développement professionnel est contextualisé dans la pratique même des enseignants, ces derniers construisent activement de nouvelles approches de l’enseignement (en contexte et modulées par les connaissances, croyances et conceptions qui ancrent leur prise de décision in situ). Et quand leur attention est centrée sur leur propre apprentissage dans ce contexte (avec des occasions pour l’établissement de buts, l’apprentissage actif, la réflexion, et l’autoévaluation), ils révisent simultanément leurs cadres théoriques qui, en retour, influencent leur pratique d’enseignement.

Il est important de noter que la façon dont un enseignant autorégule son apprentissage (ou son enseignement) est fondamentalement dépendante de son interprétation des buts, parce que c’est en fonction de buts que les enseignants sélectionnent des stratégies pédagogiques et assurent le suivi de leur travail. Pour cette raison, favoriser des changements dans les pratiques professionnelles des enseignants requiert une attention à la façon dont ils conçoivent les buts sous-jacents à l’enseignement et l’apprentissage (pour eux-mêmes et leurs élèves). Et, quand les enseignants (ou les élèves) ont des visions claires des buts ils peuvent être activement engagés dans la construction des stratégies pour l’atteinte de ces buts (Butler, 1995, 1998a, 1998c ; Butler et al., 2004).

L’autorégulation et les communautés de pratique

Dans cette section, je mets l’accent spécifiquement sur l’interface entre la pratique située, la collaboration et l’autorégulation dans l’apprentissage individuel et collectif. Lorsqu’ils décrivent des initiatives de développement professionnel collaboratif, les chercheurs adoptent souvent le cadre des « communautés de pratique » (CDP) ancré dans les théories socioculturelles, situées, et/ou distribuées de l’apprentissage (Englert et Tarrant, 1995 ; Henry et al., 1999 ; Palincsar et al., 1998 ; Perry et al., 1999). Ces théories définissent la construction de connaissances comme socialement et culturellement située, idéalement dans une pratique « authentique » (c’est-à-dire professionnelle) (Barab et Duffy, 2000 ; Brown, Collins et Deguid, 1989). Par exemple, il est suggéré que les identités professionnelles des enseignants sont en grande partie modulées par des valeurs sociétales qui dictent ce qui compte comme enseignement et apprentissage. De façon similaire, les contextes éducatifs dans lesquels les enseignants se retrouvent délimitent et définissent les pratiques possibles. Une autre prémisse centrale est que les connaissances tirent leur signification seulement à partir de l’activité (et ne peuvent être décontextualisées sans perdre de sens). Finalement, les contextes de pratique fournissent et contraignent le langage et les outils culturels disponibles que les enseignants peuvent utiliser pour interpréter et donner une signification à l’expérience. Il s’ensuit clairement que la compréhension de l’apprentissage des enseignants demande une compréhension des contextes socioculturels en relation avec la construction et l’utilisation des connaissances.

Comment un modèle d’autorégulation de l’apprentissage est-il relié à une perspective de CDP ? Une réponse pourrait être que les deux s’appuient sur la façon dont les connaissances émergent et sont contextualisées dans la pratique. Par exemple, dans le cadre d’une CDP, un individu bénéficie d’une immersion dans une pratique authentique et, ce faisant, prend conscience des buts que les membres de la communauté d’apprentissage doivent atteindre, et, plus fondamentalement, il définit les identités que les membres espèrent assumer, telles que des formes particulières d’identités professionnelles (Lave et Wenger, 1991). Une perspective d’autorégulation de l’apprentissage est consistante avec celle d’une CDP en mettant l’accent sur l’importance des buts dans la modulation de l’apprentissage. Si la pratique est fondamentalement façonnée par les perceptions des enseignants concernant leurs buts, alors l’engagement dans une pratique authentique soutient les enseignants dans leur compréhension des buts qu’ils poursuivent. Les modèles d’autorégulation semblent indiquer qu’un tel impact serait dépendant de la façon dont les enseignants interprètent les pratiques auxquelles ils sont exposés (à la lumière de cadres théoriques et au sein d’une situation dynamique).

Un autre point commun entre une perspective de CDP et un modèle d’autorégulation de l’apprentissage est une centration similaire sur la façon dont l’apprentissage chez des enseignants et au sein d’une CDP est ancré dans la réflexion sur action. Une perspective de CDP et un modèle d’autorégulation de l’apprentissage convergent pour suggérer de soutenir la prise de décision des enseignants ancrée dans la théorie en concomitance avec les réflexions sur leurs pratiques. De plus, les enseignants peuvent moduler l’apprentissage et la prise de décision des autres au sein de communautés d’apprentissage quand ils travaillent en collaboration afin de (1) comprendre de nouveaux cadres théoriques et interpréter des demandes environnementales, (2) définir des buts communs, (3) sélectionner, adapter ou inventer des stratégies pédagogiques, (4) contextualiser des principes dans la pratique, (5) comprendre les résultats, et (6) définir les implications dérivées de leurs expériences à la lumière des connaissances, croyances et conceptions émergentes. C’est à travers ce processus d’investigation collective que les enseignants s’influencent lors de la construction « transactionnelle » de connaissances qui sont plus riches que les connaissances qu’un enseignant pourrait construire par lui-même (Pressley et al., 1992).

En somme, on peut affirmer que l’apprentissage des enseignants est fonction de processus individuels et socioculturels/historiques. L’importance des processus individuels d’apprentissage ne peut être sous-estimée, car la façon dont les enseignants autorégulent leur apprentissage est façonnée par des cadres théoriques et approches de traitement de l’information. L’impact d’un environnement (par exemple, d’autres enseignants, des ateliers, des exemples, des valeurs sociales, de l’historique des pratiques) ne peut qu’être indirect, car les réponses des enseignants aux contributions sociales, culturelles, et historiques sont fonction de l’information à laquelle ils sont attentifs et de la signification qu’ils dégagent de cette information. Mais, simultanément, on ne peut nier que l’apprentissage des enseignants et la signification des connaissances sont aussi situés dans des contextes social, culturel et historique. C’est dans ces contextes que les ressources disponibles (et non disponibles) pour la construction de cadres théoriques sont déterminées, et que les connaissances sont empreintes de signification dans la mesure où elles se révèlent pertinentes pour la pratique. De plus, dans le contexte d’une CDP, les enseignants influencent la construction des connaissances des autres quand ils s’engagent dans des recherches collaboratives, et quand ils investiguent, génèrent et interprètent collectivement le langage et les outils pour la compréhension de leurs pratiques (Butler, 1998b ; Stone, 1998).

Structurer l’apprentissage collaboratif

Plusieurs principes pour structurer le développement professionnel collaboratif sont dérivés du cadre théorique développé dans cet article. Une première recommandation est de soutenir les enseignants dans la coordination de cadres théoriques par la réflexion sur la pratique authentique. Pour relier la théorie et la pratique, les enseignants doivent (1) être conscients des suppositions, connaissances, croyances et conceptions existantes qui influencent leurs décisions pédagogiques, (2) situer des nouvelles idées dans leur pratique en s’appuyant sur leurs connaissances théoriques révisées pour prendre différentes sortes de décisions pour leur enseignement, et (3) réviser ou restructurer leurs connaissances sur la base de leur réflexion sur leurs activités d’enseignement. C’est seulement à travers ce processus complexe et cyclique, qui implique de situer de façon réflexive les « connaissances dans l’action », que les enseignants peuvent (re)construire les connaissances théoriques (et les cadres théoriques) afin d’opérer des changements profonds dans leur pratique.

Une deuxième recommandation est de faciliter l’autorégulation de l’apprentissage (et de l’enseignement) en amenant les enseignants à s’engager dans des recherches collaboratives ancrées dans des activités authentiques. Dans ce contexte, les enseignants peuvent travailler collectivement pour définir des buts communs, articuler des stratégies pédagogiques possibles et leurs relations avec des principes théoriques, mettre de nouvelles idées en pratique, assurer le suivi des succès et des défis, et interpréter les résultats pour dégager les implications pour la théorie et la pratique. Au sein de communautés d’apprentissage, les enseignants peuvent être soutenus pour parler, réfléchir et interpréter la théorie parallèlement avec l’expérience. En développant un langage et des cadres communs pour comprendre la pratique éducative, les enseignants peuvent se soutenir l’un l’autre pour re/coconstruire de nouvelles significations théoriques (Englert et Tarrant, 1995).

Une troisième recommandation est que, même si on peut fournir de l’information aux enseignants pour soutenir la révision de leurs cadres théoriques (c’est le cas des exemples fournis dans un atelier de formation), ces types d’activités doivent être accompagnés d’un soutien afin que les enseignants révisent leurs prises de décision in situ. C’est lorsque les enseignants sont forcés de prendre différents types de décisions pédagogiques qu’ils interprètent les implications de la théorie et changent leurs pratiques éducatives. En effet, le cadre théorique développé dans cet article suggère que toute nouvelle information disponible aux enseignants (par exemple, des descriptions de la théorie, du modelage, des discussions interactives) aura un impact seulement dans la mesure où cette information sert de ressource (par exemple, un outil culturel) pour la prise de décision des enseignants (par exemple, dans le processus collaboratif de résolution de problèmes).

Finalement, il découle de ces trois recommandations qu’un développement professionnel signifiant doit être soutenu. Les enseignants ont besoin de suffisamment de temps pour expérimenter des idées et réfléchir sur les changements qu’ils tentent d’apporter à leur pratique pour changer les cadres théoriques sur lesquels leurs approches de l’enseignement sont fondées.

Les projets aux niveaux secondaire et intermédiaire

La suite de cet article présente un aperçu de deux projets consécutifs de développement professionnel collaboratif de deux ans dans lesquels le développement professionnel des enseignants a été examiné. Les deux projets ont été menés dans la même commission scolaire d’une grande communauté suburbaine de l’Ouest du Canada. Le but commun adopté par les enseignants dans chaque projet était d’implanter une innovation pédagogique conçue pour promouvoir l’autorégulation de l’apprentissage chez des élèves de classes des niveaux secondaire et intermédiaire[4], dans les projets 1 et 2 respectivement.

Plus spécifiquement, les enseignants de chaque projet étaient intéressés par l’adoption de l’approche du Strategic Content Learning (SCL) pour la promotion de l’autorégulation de l’apprentissage (voir Butler, 1995, 2002 ; Wong, Harris, Graham et Butler, 2003). Le SCL fusionne le soutien de l’autorégulation de l’apprentissage et l’enseignement dans une matière scolaire, plutôt que l’enseignement des processus d’apprentissage (c’est-à-dire des stratégies) comme un sujet d’études séparé. Dans le SCL, les enseignants abordent toutes les tâches scolaires comme des occasion de guider l’autorégulation (voir la Figure 1), et soutiennent les élèves lorsqu’ils apprennent comment interpréter les exigences de la tâche, sélectionner, adapter, ou inventer des stratégies efficaces pour compléter un travail académique, faire le suivi des résultats, et adapter les approches d’apprentissage. Les principes éducatifs du SCL peuvent être adaptés pour l’utilisation avec le groupe-classe, en petit groupe, ou dans le cadre d’un enseignement individualisé (voir Butler, 2002).

Plusieurs résultats de recherche étaient disponibles quand le projet a débuté concernant l’efficacité du SCL dans l’obtention de résultats positifs pour les étudiants du post-secondaire (Butler, 1995, 1998a ; Butler, Elaschuk et Poole, 2000). Toutefois, peu de recherches étaient disponibles à ce moment concernant l’applicabilité du SCL chez les enfants et adolescents. Ainsi, dans les projets aux niveaux secondaire et intermédiaire décrits ici, les enseignants ont eu l’occasion de définir de nouvelles façons de contextualiser les principes du SCL dans leurs environnements pédagogiques.

En accord avec les recommandations décrites plus haut, le modèle de développement professionnel employé dans les deux projets présente des caractéristiques fondamentales communes (Butler et al., 2004). Premièrement, dans chacun, nous avons établi des communautés d’apprentissage comprenant des combinaisons variées d’enseignants, de chercheurs, d’assistants pédagogiques, de personnels de soutien et d’administrateurs. Ces individus ont travaillé ensemble aux niveaux intra et inter-écoles pour trouver de nouvelles façons de promouvoir l’autorégulation de l’apprentissage chez leurs élèves. Deuxièmement, nous avons amorcé chaque projet au moyen d’un à trois courts ateliers (60 à 90 minutes chacun). Dans les ateliers, nous avons fourni un cadre théorique pour comprendre l’autorégulation de l’apprentissage au moyen d’une variante de la Figure 1. Nous avons ensuite présenté schématiquement les principes du SCL pour guider la prise de décision pédagogique (par exemple, engager les élèves dans la création active de sens, prendre appui sur les connaissances antérieures des élèves). En accord avec les principes du SCL, nous avons recommandé une stratégie d’enseignement centrale (et générale). Nous avons suggéré aux enseignants d’utiliser le « questionnement stratégique » dans des discussions interactives tant pour accéder aux connaissances des élèves (dans une sorte d’évaluation dynamique continue) que pour guider leur traitement cognitif. Toutefois, nous avons mis l’accent sur la coconstruction de stratégies pédagogiques plus spécifiques et personnalisées avec les enseignants afin d’apprendre avec eux la façon dont les principes du SCL peuvent être contextualisés dans la pratique avec des élèves des niveaux secondaire ou intermédiaire.

Une troisième caractéristique de notre modèle de développement professionnel réside dans le fait que nous avons soutenu les enseignants dans le processus de prise de décisions pédagogique in situ. À la suite des ateliers initiaux, dans le contexte de pratique authentique des enseignants, nous avons engagé les enseignants dans la coplanification, le coenseignement et le suivi à propos d’événements qui se produisent dans leurs classes. Quatrièmement, dans les deux projets, les enseignants étaient soutenus dans la réflexion à propos de leurs pratiques d’enseignement. Ils ont documenté leurs essais d’utilisation du SCL, les succès et défis, et les révisions possibles avec les « formulaires de réflexion des enseignants ». Et, lors des rencontres des écoles, les enseignants ont partagé leurs expériences au sujet du SCL, discuté les résultats positifs ainsi que les défis, et ont trouvé, de façon coopérative, des solutions aux problèmes rencontrés.

Le projet au secondaire

Le principal objectif de recherche du projet au secondaire était d’examiner le processus d’apprentissage des enseignants lorsqu’ils contextualisent les principes théoriques dans leur pratique. Pour atteindre cet objectif, le projet était construit pour faciliter l’observation fine des processus d’apprentissage des enseignants et des changements dans la pratique d’enseignement. Suivant l’atelier d’introduction, la chercheuse principale a passé beaucoup de temps dans les écoles à travailler avec les enseignants et à les observer. Des assistants de recherche ont recueilli des données à partir d’observations en classe. Des enregistrements vidéo ont été réalisés pour un échantillon de leçons afin de permettre des études de cas en profondeur des interactions enseignant-élèves en relation avec l’apprentissage des élèves (voir Butler, Beckingham et Novak Lauscher, 2004). Dans cette section, je fournis un aperçu du projet au secondaire accompagné d’un résumé des résultats concernant l’apprentissage des enseignants et leur développement professionnel. Un rapport plus complet existe déjà (Butler et al., 2004).

Treize enseignantes ont participé aux deux années du projet au secondaire[5]. Douze travaillaient aux niveaux de la 8e à la 11e année avec des élèves qui, bien qu’intégrés dans des classes régulières, recevaient du soutien en dehors de celles-ci. Un enseignant a utilisé le SCL pour promouvoir l’écriture autorégulée dans sa classe où étaient combinées les sciences humaines et l’anglais, langue maternelle, en 9e année. Tous les enseignants participants étaient des femmes et avaient entre 2 et 32 ans d’expérience en enseignement. Les 13 enseignantes travaillaient dans quatre écoles secondaires qui variaient selon plusieurs dimensions (par exemple, l’âge de l’école, la culture de l’école, l’horaire de l’école, le contexte socioéconomique).

La première année du projet au secondaire a commencé avec trois ateliers au niveau de la commission scolaire, suivis de trois rencontres de tous les enseignants participants durant l’année. À la suite des ateliers initiaux, la chercheuse principale a soutenu les enseignantes dans l’application du SCL dans les classes. Ces visites dans les écoles ont eu lieu grosso modo une fois par semaine dans chaque classe pour le premier semestre, mais cette fréquence a décliné subséquemment. Durant les visites des écoles, la chercheuse principale passait son temps typiquement (1,5 à 2 heures) à coplanifier et coenseigner avec les enseignants, et à faire un retour sur leurs expériences individuellement. En dépit du fait que les enseignantes étaient encouragées à collaborer entre elles entre les visites de la chercheuse, elles l’ont fait de façon intermittente seulement. Toutefois, les enseignantes ont saisi les occasions de travailler avec d’autres enseignants de la commission scolaire lors des rencontres avec tous les autres participants. Durant la deuxième année du projet, les ateliers initiaux ont été abrégés, et les visites dans les classes n’étaient pas aussi fréquentes qu’elles l’avaient été dans la première année.

Afin d’examiner le processus d’apprentissage des enseignantes, une méthode d’étude de cas a été employée (Merriam, 1998 ; Yin, 1994). Les sources de données incluaient des notes de terrain à partir d’observations des pratiques des enseignantes dans les classes, les formulaires de réflexion des enseignantes, des copies de matériel pédagogique, les transcriptions des entrevues avec les enseignantes, et les procès-verbaux des rencontres des participants. Ces données ont été soumises à des analyses qualitatives systématiques afin d’examiner l’évolution de l’apprentissage des enseignantes en relation avec les activités de développement professionnel (Merriam, 1998 ; Miles et Huberman, 1994 ; Yin, 1994).

Un résultat majeur qui a émergé de ces analyses de données fut que, par notre modèle de développement professionnel, nous avons réussi à engager les enseignantes dans une réflexion sur leur pratique. Par exemple, dans les entrevues finales à la fin de la première année, 8 des 10 enseignantes ont expliqué la façon dont elles étaient activement engagées dans une réflexion sur leur pratique comme partie intégrante de leur expérience dans le projet. Comme une enseignante l’a expliqué : « J’ai senti que j’avais une occasion réelle de réfléchir à mon enseignement. Le [SCL] était très puissant de cette façon. Ça m’a aidé à saisir l’idée générale concernant où on va avec ces élèves plutôt que d’essayer une stratégie après l’autre » (LN, 200-204[6]). Cette citation traduit aussi un autre résultat majeur, à savoir que les enseignantes ont appris comment développer de nouvelles stratégies d’enseignement ancrées dans une vision plus claire des buts.

Nous avons aussi découvert que les enseignantes ont opéré des révisions positives de leur pratique qui étaient consistantes avec le cadre théorique du SCL. Des changements signifiants ont été tant observés que rapportés par les enseignantes dans leur enseignement, leurs routines de classe, leur habileté à répondre aux besoins individuels et leur communication avec les élèves. Fait significatif, les ajustements de la pratique sont apparus en lien avec la reconstruction des connaissances théoriques des enseignantes. Dans 9 des 10 entrevues finales réalisées à la fin de la première année et lors de chaque rencontre avec tous les participants, les enseignantes ont décrit des changements dans leurs connaissances à propos de l’enseignement ou de l’apprentissage. De plus, à la fin de la deuxième année, les enseignantes ont semblé avoir réalisé des changements pédagogiques qui seraient maintenus dans le temps, parce qu’ils étaient reliés à des changements fondamentaux dans leurs façons de penser concernant l’enseignement et l’apprentissage, plutôt que restreints à l’adoption de nouvelles procédures pédagogiques. Par exemple, CF mentionne que « comprendre comment amener un enfant à travers […] vers l’indépendance à travers le SCL fait maintenant partie de ma pensée et façon d’être » (573-579). Toutefois, nos résultats ont aussi montré que faire de tels changements signifiants à la pratique, ancrés dans le changement conceptuel, est difficile et prend du temps. Par exemple, nous avons observé que c’était seulement à la fin de la deuxième année que plusieurs enseignantes se sont senties complètement à l’aise avec leurs nouvelles approches de l’enseignement.

En accord avec la prémisse qui veut que l’interaction sociale durant le développement professionnel collaboratif fournit un langage et des outils culturels pour comprendre l’expérience (Englert et Tarrant, 1995), quatre enseignantes ont explicitement relié l’apprentissage de SCL à l’apprentissage d’un langage. Tel que décrit par PM, « ça devient partie intégrante de votre langage aussi et puis vous commencez à le faire avec d’autres avant que vous ne vous en rendiez compte » (328-331). De façon similaire, CF a expliqué que « le langage est vraiment important, et c’est ce que j’ai trouvé utile de vous [le modelage de Deb] parce que j’écoutais comme une folle lorsque vous étiez ici pour voir ce que je pourrais dire pour pousser les élèves en avant » (389-393).

Comme constituante de notre évaluation de l’efficacité de notre modèle de développement professionnel, à la fin de chaque année nous avons demandé aux enseignantes de décrire des activités qu’elles ont trouvées les plus utiles pour leur propre apprentissage. Nos résultats montrent que les enseignantes ont apprécié les ateliers, car ces derniers fournissaient un cadre théorique. Elles ont aussi tiré profit des occasions de réflexion sur leur pratique et de partage d’idées avec d’autres (par exemple, lors des rencontres de tous les participants à la recherche). De plus, la vaste majorité des enseignantes ont mis l’accent sur l’importance du soutien dans leurs propres classes. Par exemple, MH a pensé que ce qui « est absolument critique est d’avoir quelqu’un qui vient et qui fait la démonstration, puis qui travaille à tes côtés quand tu essaies de le faire et puis de faire un retour sur les problèmes et sur ce qui a fonctionné » (120-137). Ainsi, les enseignantes ont valorisé les occasions leur permettant de coplanifier, coenseigner, et de faire un retour sur leurs expériences au cours des visites à leur école. Il était clair qu’elles ont bénéficié du fait de voir le SCL au travail in situ avec leurs propres élèves (Rennie, 2001 ; Stein et al., 1999).

Finalement, les enseignantes ont utilisé l’information issue du modelage ou des exemples au moment d’essayer de nouvelles stratégies d’enseignement (par exemple, au moment d’adopter un nouveau langage pour interagir avec les élèves). Toutefois, plutôt que de seulement imiter ce qu’elles ont observé, elles ont activement interprété cette information dans leur effort pour comprendre le SCL. Comme l’explique MN à la fin de deuxième année de l’étude : « Je ne vois pas le SCL comme quelque chose que tout le monde fait exactement de la même manière, donc je ne pense pas que vous deviez nécessairement imiter quelqu’un d’autre qui le fait. C’est plus le processus d’essai, puis quelqu’un d’autre qui essaie, vous comprenez ce que je veux dire ? » (383-389)

En somme, des résultats positifs du projet au secondaire sont que les enseignantes réfléchissaient activement sur la pratique et ont construit des nouvelles connaissances concernant l’enseignement. Les changements des enseignantes concernant les cadres théoriques peuvent être associés avec des changements signifiants et durables dans la pratique (Gersten et al., 1997). L’apprentissage des enseignantes semblait stimulé lorsque nous les assistions dans la relation entre les cadres théoriques et la pratique authentique en utilisant une combinaison d’ateliers et d’activités contextualisées de soutien à la prise de décision des enseignantes, et par la promotion de la réflexion sur l’activité authentique. La collaboration a semblé fournir le langage et les outils (tels des exemples) qui ont aidé les enseignantes à interpréter l’expérience et à re/coconstruire des connaissances à propos de l’enseignement.

Le projet au niveau intermédiaire

Notre modèle de développement professionnel dans le projet au niveau intermédiaire prenait appui sur le même cadre théorique qui avait guidé notre travail au niveau secondaire. Mais tandis que le but du projet au secondaire était d’examiner en profondeur l’apprentissage des enseignantes, projet qui a mené au soutien continu des enseignantes par la chercheuse principale, le but du projet au niveau intermédiaire était d’implanter et d’évaluer un modèle de développement professionnel qui pourrait être implanté et soutenu par une commission scolaire. Ainsi, nous avons porté notre attention sur le développement de communautés d’apprentissage au sein des écoles, et dans la deuxième année, sur un ensemble de leaders enseignants qui pourraient fournir un soutien continu à leurs collègues de la commission scolaire. Afin de soutenir le développement de la collaboration au sein des écoles, nous avons demandé aux participants du projet de former des équipes. Nous avons changé le rôle de la chercheuse principale en organisant des visites dans les écoles moins nombreuses et plus ciblées, durant lesquelles nous avons continué à coplanifier et consulter les enseignants concernant leurs succès et défis dans l’utilisation du SCL. Nous avons aussi facilité le travail d’équipe, en soutenant les équipes dans la planification de temps pour la réflexion, la coplanification de l’enseignement, le coenseignement, et le retour sur les expériences vécues. Nous avons également aidé à définir les rôles et responsabilités permettant de répondre aux besoins de développement professionnel des enseignants.

Malheureusement, le projet au niveau intermédiaire a commencé au cours d’un conflit de travail, et a débuté plus tard que prévu dans l’année (avril). Néanmoins, cinquante-huit participants ont assisté à deux ateliers initiaux similaires à ceux fournis dans le projet au secondaire (incluant des enseignants, des membres du personnel de la commission scolaire, des employés administratifs, et un conseiller pédagogique). Pendant les deux années du projet, des rencontres de suivi ont été faites auprès de 37 membres d’équipes provenant de 13 écoles différentes (6 hommes, 31 femmes). Tous sauf trois enseignants travaillaient avec des élèves de 4e à 7e année. Un autre enseignait l’économie en 10e année. Deux autres travaillaient au niveau primaire avec des enfants de 1re à la 3e année.

Les visites dans les écoles étaient à nouveau conçues pour favoriser le lien entre la théorie et la pratique chez les enseignants. Typiquement, les enseignants ont coplanifié et mis à l’essai une série de leçons avant la visite des chercheurs. Les visites d’une demi-journée débutaient généralement par une rencontre de coplanification, suivie par une observation par des chercheurs dans les classes et quelquefois aussi par du coenseignement. Elles incluaient des moments permettant un retour sur les succès et défis ainsi que sur les implications pour les leçons subséquentes.

Pour étudier la façon dont notre modèle de développement professionnel révisé a eu un impact sur le développement professionnel des enseignants, nous avons observé la participation des enseignants dans les ateliers et recueilli des données durant toutes les visites dans les écoles. Les sources de données ont inclus des notes de terrain et des copies des documents pertinents (par exemple, les plans de leçon). Ces données ont été analysées systématiquement pour fournir un compte rendu de la façon dont l’apprentissage des enseignants était soutenu et de la façon dont le SCL était implanté. Dans cet article, je présente un aperçu des résultats pertinents aux thèmes du présent article.

Résultats de la première année

Une première observation générale basée sur les données de la première année est que les enseignants au niveau intermédiaire semblaient assumer une plus grande responsabilité pour leur développement professionnel que les enseignantes dans le projet au secondaire. Tandis que les enseignantes du projet au secondaire rencontraient rarement leurs pairs pour coplanifier ou effectuer une retour sur les expériences vécues, attendant plutôt les visites de l’équipe de recherche ou les rencontres initiées par les chercheurs au niveau des écoles pour discuter de leur implantation du SCL, les enseignants du primaire planifiaient des moments pour se rencontrer, coplanifier et coenseigner au sein de leurs équipes-écoles, indépendamment des chercheurs. Même s’il est tentant de conclure que nous avons modifié avec succès notre modèle de développement professionnel pour soutenir le développement professionnel au sein de la commission scolaire, il est aussi possible que la différence soit survenue à cause de différences systématiques entre les environnements du primaire et du secondaire, les enseignants du secondaire étant souvent plus isolés de leurs collègues. Ainsi, d’autres études sont requises pour déterminer si des bénéfices similaires pourraient survenir au niveau du secondaire avec le modèle de développement professionnel révisé.

Deuxièmement, nous avons observé que les enseignants expérimentaient très activement différentes façons d’utiliser le SCL dans leurs classes. Comme suivi aux ateliers initiaux, 32 membres d’équipes de 11 écoles différentes ont invité les chercheurs à observer leurs essais d’utilisation du SCL. Durant ces visites en classe, 22 leçons différentes ont été observées (pour lesquelles un échantillon est décrit dans le Tableau 1. Les leçons étaient données dans une variété de matières et abordaient une multitude de sujets, tant dans des classes régulières que spéciales, et pour des niveaux académiques différents. Dans chaque leçon, les enseignants ont essayé de promouvoir au moins quelques aspects de l’autorégulation de l’apprentissage chez leurs élèves.

Tableau 1

Contextualiser les principes théoriques de SCL dans la pratique : un échantillon de la première année du projet au niveau intermédiaire1.

Contextualiser les principes théoriques de SCL dans la pratique : un échantillon de la première année du projet au niveau intermédiaire1.
1.

Les 10 premières leçons ont été observées (pour éviter un biais de sélection).

2.

Classe = environnement de classe ; SAA = soutien à l'apprentissage dans un contexte autre que la classe régulière.

3.

Façons de travailler des enseignants pour la promotion de l'autorégulation de l'apprentissage des élèves.

-> See the list of tables

Ainsi, les résultats de la première année suggèrent que les enseignants étaient disposés à prendre des risques pour essayer quelque chose de nouveau, et montrent que les équipes d’enseignants au sein des écoles peuvent s’engager dans la coconstruction et la réflexion pour changer leur pratique prenant appui sur de nouveaux principes théoriques. Il était clair que, durant les rencontres visant un retour sur l’expérience, tant les chercheurs que les enseignants ont appris, en apportant différents types de connaissances et d’expertise dans les interactions (Lave et Wenger, 1991). Tandis que les chercheurs ont soutenu la réflexion des enseignants concernant l’utilisation du SCL, les enseignants ont assisté les chercheurs dans leur apprentissage de nouvelles façons de contextualiser le SCL dans les classes.

Résultats de la deuxième année du projet au niveau intermédiaire

Comme ce fut le cas lors des années précédentes, la deuxième année du projet au niveau intermédiaire a été lancée avec deux ateliers consécutifs. Mais ces ateliers étaient différents selon deux aspects importants. Premièrement, nous avons montré des exemples concrets d’utilisation du SCL (dans des plans de leçon et/ou des vidéos) que nous n’avions pas montrés précédemment (tirés de l’année précédente). Deuxièmement, nous avons fourni un cadre plus détaillé pour intégrer le soutien de l’autorégulation de l’apprentissage lors de la planification de leçons. Nous avons commencé par demander aux enseignants d’identifier un but curriculaire. Puis, des activités subséquentes ont amené les équipes-école à s’impliquer dans la coplanification d’une leçon qui favoriserait aussi l’autorégulation de l’apprentissage.

Un autre changement que nous avons apporté au projet dans sa globalité est que nous avons invité les enseignants à considérer la possibilité de devenir des « enseignants leaders » relativement au SCL dans la commission scolaire. Trois enseignants ont accepté cette invitation (deux d’une même école ; un d’une autre). Ces enseignants ont travaillé ensemble durant plusieurs mois pour apprendre le SCL. Dans le cadre de notre analyse de données, nous avons complété une étude de cas en profondeur de cet apprentissage chez l’un de ces enseignants.

Après l’enthousiasme avec lequel les enseignants ont accueilli le projet dans la première année, nous avons été surpris de constater que les enseignants étaient plus réservés dans la deuxième année. Seulement 17 enseignants provenant de six écoles ont demandé que les chercheurs les visitent, et peu de visites de suivi ont été planifiées. Nous savions que le moral était très bas dans les écoles étant donné le conflit de travail. Mais nous nous sommes aussi doutés que nous avions fait des changements qui décourageaient la participation.

Plusieurs hypothèses ont émergé de notre examen des données du projet entier (c’est-à-dire des ateliers et des visites dans les écoles) concernant ce qui avait pu décourager la participation des enseignants dans la deuxième année. Premièrement, des observations durant les ateliers suggèrent que les enseignants considéraient qu’il était facile de trouver des activités d’apprentissage, mais très difficile d’articuler ces activités aux buts à atteindre en lien avec le programme d’études. De plus, les enseignants ont commencé à reconnaître des écarts entre les types d’apprentissage requis par les activités qu’ils proposaient et les types d’apprentissage qu’ils espéraient promouvoir. Ainsi, il se peut que dans la deuxième année, nous ayons par inadvertance incité les enseignants à reconsidérer la totalité de leur approche de planification de leçons, ce qu’ils ont trouvé décourageant. Cela était certainement inattendu et involontaire, car nous espérions que les enseignants auraient acquis de l’expérience relativement à planification de leçons centrées sur l’atteinte de buts curriculaires.

Deuxièmement, présenter des exemples dans les ateliers a semblé inhiber leurs propres essais pour générer des stratégies d’enseignement en lien avec le SCL. Nous craignons avoir donné l’impression par inadvertance qu’il n’y avait qu’une bonne façon de faire le SCL. De plus, nous craignons que les enseignants n’aient commencé à faire la correspondance entre le SCL et l’utilisation de stratégies particulières, plutôt que de rester centrés sur les principes éducatifs qui peuvent être contextualisés de façons variées. Enfin, nous appréhendons que les enseignants n’aient perçu un écart trop grand entre les exemples et leur propre pratique, de telle sorte que les changements requis leur sont apparus inaccessibles. Peu importe l’explication, nous avons semblé perdre la volonté des enseignants de prendre des risques et d’expérimenter dans leurs classes (au moins en présence des chercheurs).

Une étude de cas de l’apprentissage d’un enseignant

Une de nos leaders en formation, Jana, a été sélectionnée comme participante à notre étude de cas parce que, même en démontrant beaucoup de potentiel en termes d’apprentissage du SCL, elle n’était pas en confiance concernant le lien théorie-pratique. Ainsi, nous avons pressenti que l’examen de ses processus d’apprentissage fournirait de l’information valable. À partir de la deuxième moitié de l’année, nous avons mis en place une structure pour travailler avec Jana, qui a consisté en deux visites effectuées la même semaine, répétées mensuellement. La première rencontre était utilisée pour coplanifier une leçon. Durant la deuxième rencontre, nous rencontrions Jana pour raffiner la leçon, puis Jana dispensait la leçon pendant que nous observions. Nous terminions la deuxième journée par une réflexion sur les succès et défis, et ainsi que sur les apprentissages de Jana dans ce processus. Les données recueillies incluent des notes de terrain, des cassettes audio et/ou des documents de visites d’écoles de même qu’une entrevue en profondeur à la fin de l’année.

En comparaison avec les autres participants au projet du primaire, Jana était une enseignante particulièrement engagée, expressive et réflexive. Du fait que nous avons travaillé plus intensivement avec Jana que nous l’avons fait avec les autres enseignants, son expérience a différé de la leur. Néanmoins, les références croisées des résultats de l’étude de ce cas avec des thèmes qui ont émergé des données du projet complet ont fourni des indications convergentes concernant les raisons pour lesquelles les enseignants ont répondu différemment lors de la deuxième année. De plus, en comparaison avec les enseignantes du projet au secondaire, Jana a en fait reçu moins de soutien. L’examen de son apprentissage permet une comparaison intéressante de ce dernier et de celui des enseignants de l’étude plus intensive au secondaire. Le reste de cette section rapporte des résultats que nous avons sélectionnés concernant les principaux thèmes discutés dans cet article.

Premièrement, comme ses pairs Jana a lutté pour relier son enseignement aux buts curriculaires. Mais nous avons aussi trouvé, en accord avec les résultats du projet au secondaire, que Jana est devenue au fil du temps de plus en plus à l’aise avec la planification d’activités pédagogiques basées sur ses objectifs d’apprentissage pour ses élèves (ainsi elle parvenait à mieux autoréguler son enseignement). Ces indications ont corroboré notre hypothèse selon laquelle un obstacle au succès des enseignants dans la deuxième année du projet au secondaire était la difficulté concernant la connexion entre l’enseignement et les buts curriculaires.

Les données de l’étude de cas de Jana ont aussi fourni des indications importantes à propos tant des contributions que des limites des exemples pour l’apprentissage du SCL. De la perspective de Jana, observer des exemples n’était pas suffisant pour savoir comment implanter le SCL dans sa classe. Par exemple, en décrivant ses premières tentatives pour apprendre le SCL, Jana explique : « Vous avez parlé de ça, je l’ai vu, j’ai vu d’autres enseignants le faire, j’en ai entendu parler, j’ai lu les choses, mais je ne suis juste pas sûre de quoi ça a l’air, je l’ai essayé par moi-même et ça devient toujours trop. Trop gros » (JD int., 194-198, emphase ajoutée). Malgré le fait d’avoir vu le SCL utilisé par d’autres enseignants (dans des visites avec d’autres leaders enseignants, dans les exemples aux ateliers), Jana a eu de la difficulté à imaginer comment elle pourrait concrétiser des principes théoriques dans sa propre classe. Ce résultat est consistant avec les données du projet au secondaire suggérant que les enseignants bénéficient d’une exposition au SCL-en-action dans le contexte de leur propre travail.

Les expériences de Jana ont aussi suggéré que les exemples sont plus utiles aux enseignants s’ils sont reliés à des buts authentiques et/ou activement interprétés dans un cadre théorique. Par exemple, Jana a expliqué que : « avoir des exemples est important, parce que les enseignants aiment les exemples... Je crois aussi que ça dépend, par contre. Parce que quelques enseignants veulent, par exemple, la feuille photocopiée qu’ils peuvent faire et essayer – ils veulent la tâche. Ils ne veulent pas penser à “quel est mon but” ? » (JD int., 387-391). Par la suite, elle a expliqué comment, quand elle a implanté pour la première fois une activité pédagogique qu’elle avait adaptée d’une classe d’un autre enseignant, elle a pensé : « Oh ! Je fais le SCL, j’ai ses feuilles. Et ce n’était pas le SCL. D’accord ? C’était les choses de quelqu’un d’autre. Et ce n’est pas que les gens ne peuvent pas emprunter et échanger comment ils ont fait le SCL, comment ils ont pris en main un type particulier de leçon. Vous pouvez faire ça. Je veux dire, quelqu’un peut faire ma leçon sur les rapports parce que nous devons tous enseigner les rapports. Mais je pense qu’il y a un besoin d’un peu, peut-être, plus de soutien à propos de comment ça a été abordé et pourquoi c’était abordé de la sorte, si cette personne décide de prendre ça en charge » (JD int., 448-453).

Finalement, encore une fois en accord avec les résultats du projet au secondaire, l’apprentissage de Jana était favorisé par le soutien de sa réflexion sur sa pratique. Comme elle l’a expliqué : « Donc c’est… et je pense que c’est une de ces expériences du genre… J’ai fait une leçon où ça ne marchait pas et puis j’ai fait une leçon où ça marchait, oh, c’est ça ! Je vois la différence. Je pense que ça a été un processus comme ça » (JD int., 729-732).

Discussion et conclusions

Dans les deux projets décrits dans cet article, nous avons essayé de mettre en oeuvre des principes sous-jacents à notre modèle de développement professionnel dans différents ensembles d’activités concrètes, incluant les ateliers, les visites en classe, et les rencontres avec des groupes d’enseignants, dans des combinaisons variées. Dans les deux études, nous avons poursuivi notre réflexion concernant nos succès et défis afin de mieux comprendre l’apprentissage et le développement des enseignants. Même si des études additionnelles sont clairement requises pour tester les explications offertes, un certain nombre de conclusions semblent soutenues par une convergence des données. Ce sont ces conclusions générales que nous mettons brièvement en évidence dans cette section finale.

Premièrement, les résultats ont suggéré, de manière convergente, que les activités de développement professionnel efficaces étaient celles qui soutenaient les enseignants, dans la coordination de leurs cadres théoriques et de leur réflexion sur la pratique authentique (Palincsar et al., 1998 ; Rennie, 2001). Nous avons eu beaucoup de succès dans la promotion du développement des enseignants, en particulier quand nous appuyions la prise de décision in situ. À la lumière de nouveaux principes théoriques, nous pouvions montrer que la construction collaborative de nouvelles stratégies d’apprentissage était clairement reliée à des buts, et des occasions de réflexion individuelle et collective sur la pratique (Butler et al., 2004 ; Englert et Tarrant, 1995 ; Perry et al., 1999). Les enseignants ont valorisé les exemples de SCL en pratique, mais ces exemples n’ont eu l’impact le plus significatif que quand ils étaient activement interprétés par rapport à un cadre théorique et en considérant des buts particuliers (Henry et al., 1999 ; Perry et al., 1999 ; Rennie, 2001). Une combinaison de toutes ces activités de développement professionnel, échelonnées dans le temps, a permis de promouvoir des changements « en profondeur » dans l’enseignement, changements ancrés dans les connaissances théoriques des enseignants, plutôt que dans la maîtrise de routines spécifiques (Gersten et al., 1997 ; Palincsar et al., 1998).