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1. Introduction et problématique

Conscientes du besoin croissant de main-d’oeuvre qualifiée, les universités québécoises ont pris l’engagement de faire réussir le plus grand nombre possible d’étudiants (Ministère de l’Éducation du Québec, 2000). Cet engagement a de nombreuses implications, dont celle de mieux s’adapter à la diversité des parcours étudiants afin de mieux soutenir la persévérance aux études. En effet, ceux qui poursuivent leurs études au baccalauréat sont de plus en plus nombreux à provenir, notamment, de la formation technique au collégial, alors que, jusqu’à récemment, ils possédaient essentiellement une formation préuniversitaire.

Ainsi, si le nombre de finissants du préuniversitaire qui poursuivent à temps plein à l’université durant l’année suivant l’obtention de leur diplôme est passé de 79,9 % en 1993-1994 à 77,9 % à l’automne 2005, la proportion de diplômés de la formation technique qui poursuivent directement au baccalauréat est, elle, passée de 18,6 % en 1993-1994 à 25 % à l’automne 2005 (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2007). L’implantation de programmes en continuum de formation compte parmi les facteurs explicatifs (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2007). Il faut ici mentionner qu’au Québec, la plupart des élèves désireux de poursuivre leurs études au premier cycle universitaire suivent, au cégep, une formation de deux ans dite préuniversitaire. Un nombre plus restreint d’élèves, mais toujours en croissance, réalisent une formation technique au cégep et, au lieu d’aller sur le marché du travail, choisissent de poursuivre leurs études à l’université de leur choix. Ils se voient alors reconnaître quelques cours en équivalence. Ces élèves empruntent tous un parcours régulier. Depuis quelques années, les universités offrent également d’accueillir des finissants de la formation technique dans des baccalauréats dispensés en continuum de formation selon d’autres modalités.

En 2002, on comptait onze baccalauréats et douze programmes techniques offrant ce type de parcours (Conseil supérieur de l’éducation, 2004). Le nombre de programmes en continuum a augmenté depuis. En effet, les universités offrent aujourd’hui plusieurs baccalauréats en continuum de formation pour des programmes de techniques physiques, de techniques biologiques et de la santé, et de techniques de l’administration. Également, mais en moins grand nombre, des continuums de formation existent pour ceux qui étudient en techniques humaines ainsi que pour ceux du secteur des arts et de la communication. Il n’existe cependant aucune donnée précise concernant le nombre de programmes et surtout le nombre d’élèves admis dans chacun de ces programmes. Le programme de sciences infirmières est certainement celui qui accueille le plus d’élèves. En effet, neuf regroupements cégeps-universités offrent un programme en continuum de formation depuis 2001 dans cette discipline. Selon l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, 45 % des finissantes de la formation technique, c’est-à-dire 678 personnes, s’étaient inscrites au baccalauréat en 2004 (Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, 2005). Nos démarches auprès des directions de programmes de cinq universités nous amènent à croire que le baccalauréat en gestion des affaires et en comptabilité est probablement celui qui accueille le plus d’élèves après le programme de sciences infirmières.

Les programmes en continuum ont été mis en place pour rendre le passage d’un niveau de formation à un autre plus attrayant en réduisant de façon notable la durée des études et en arrimant les deux formations (Conseil supérieur de l’éducation, 2004). Ils sont négociés entre un ou plusieurs cégeps offrant le programme technique et une université qui dispense le baccalauréat correspondant. Les cégeps et universités parlent alors de DEC BACintégrés ou encore de DEC BACharmonisés. Étant donné qu’il n’existe pas de consensus sur ce qui distingue ces parcours, nous avons choisi de parler de continuum de formation. Malgré cette réalité qui s’impose de plus en plus, notre recension des écrits nous a permis de constater que nous en savons bien peu sur ce que vivent les élèves lorsqu’ils entreprennent leurs études dans un programme offert en continuum.

Quelques rares chercheurs américains ont étudié l’expérience d’une personne qui passe du collège communautaire (community college) à l’université (Davies et Dickman, 1998 ; Davies et Kratky, 2000 ; Flaga, 2002, 2005 ; Green, 2001 ; Harrison, 1999 ; Ling, 2006). Ils mettent en exergue les défis auxquels les étudiants des collèges communautaires disent faire face. Certains étudiants déclarent vivre un choc important au moment de la transition. Ils se perçoivent, d’une part, comme mal préparés aux études universitaires, et d’autre part, ils considèrent que les enseignants et étudiants universitaires sont moins accessibles. Ces recherches ne précisent toutefois pas si les étudiants des collèges communautaires proviennent de la formation préuniversitaire ou de la formation technique.

Au Canada également, peu de recherches portent sur l’expérience de transition des étudiants. En Colombie-Britannique, des études rapportent qu’à l’université, les étudiants se plaignent de la lourdeur de la charge de travail, d’un environnement moins convivial, de professeurs moins accessibles et enfin, de la plus grande compétitivité entre les étudiants (Andres, 2001 ; Andres, Andres et Dawson, 1998 ; Qayyum et Dawson, 1997). Les auteures observent aussi une diminution de la moyenne générale de ces derniers. Elles croient que plusieurs d’entre eux vivent un choc au moment de leur passage à l’université. Quant aux recherches effectuées en Alberta, moins récentes, elles soulignent la nécessité de mettre en place des stratégies de soutien afin de faciliter la période de transition à l’université (Small et Vaala, 1989 ; Vaala, 1989, 1988 ; Vaala et Holdaway, 1989). Tous ces contextes de formation sont cependant différents du nôtre, car nous savons que les collèges communautaires américains et canadiens ne jouent pas le même rôle que le cégep québécois.

En Ontario, nous n’avons identifié qu’une seule recherche sur le thème de la transition, réalisée par Cameron (2005, 2003). L’auteure rapporte l’expérience vécue par ceux qui passent d’une formation technique au baccalauréat dans le cadre d’un programme offert en continuum de formation. Il s’agit d’un continuum en sciences infirmières. Cameron confirme l’existence d’un choc de transition et l’associe au stress causé par les études, au défi de l’intégration en milieu universitaire et au changement d’identité professionnelle. En soi, ce constat est semblable à celui des autres chercheurs.

Au Québec, la plus importante série d’enquêtes qui portent sur les nouveaux étudiants du baccalauréat a débuté en 1993 dans le réseau de l’Université du Québec (Bonin, 2006 ; Pageau et Bujold, 2000). Les enquêtes ICOPE (Indicateurs de Conditions de Poursuite des Études) sont des enquêtes récurrentes réalisées à partir d’un questionnaire distribué aux étudiants à leur première session de leur programme. Elles visent à cerner les facteurs caractérisant les étudiants qui obtiennent leur diplôme dans une moins grande proportion que les autres.

Les résultats des enquêtes ICOPE (Bonin, 2006 ; Pageau et Bujold, 2000) effectuées jusqu’à aujourd’hui, auprès de 12 600 sujets, ont permis d’identifier les quinze facteurs suivants, les trois premiers étant les plus importants : 1) échec à un ou des cours au premier trimestre ; 2) peu d’intérêt pour le diplôme et interruptions prévues au cours du cheminement scolaire ; 3) indécision face au choix d’études ; 4) niveau de connaissance déficient face au cheminement à suivre dans le programme ; études entreprises à temps partiel ; 5) appartenance au sexe masculin ; 6) plus de 21 ans ; 7) responsabilité d’un ou plusieurs enfants ; 8) sentiment d’insatisfaction face à sa situation financière ; 9) interruption au cours des études antérieures ; 10) absence de fréquentation d’un établissement scolaire au cours de la dernière année ; 11) insatisfaction face à son état de préparation pour entreprendre un programme de baccalauréat ; 12) choix d’établissement non définitif ; 13) intention de poursuivre ses cours le soir ; 14) occupation d’un emploi rémunéré plus de 15 heures par semaine ; et 15) détention d’un autre diplôme que le Diplôme d’études collégiales (DEC), de formation préuniversitaire.

En somme, les recherches portant sur les continuums se limitent à celle réalisée par Cameron (2005, 2003). Cette dernière ne nous permet toutefois pas d’affirmer que l’expérience de transition des étudiants dans un baccalauréat offert en continuum de formation est semblable ou différente par rapport à l’expérience de ceux qui poursuivent leurs études dans un programme régulier. Par contre, nous savons que ceux qui ont un diplôme autre que le diplôme d’études collégiales de formation préuniversitaire réussissent moins bien au baccalauréat, indépendamment du type de parcours emprunté.

Dans le contexte où les universités visent l’accroissement des taux de réussite et de persévérance scolaires, il apparaît important d’identifier les facteurs qui influencent tant le parcours des étudiants qui s’inscrivent dans un programme régulier qu’en continuum de formation, afin de mieux répondre à leurs besoins. C’est dans cette perspective que nous tentons de répondre aux questions suivantes : Qu’est-ce qui distingue l’expérience scolaire des étudiants de formation technique inscrits dans un programme de baccalauréat offert en continuum de formation de celle des étudiants des formations préuniversitaire et technique inscrits dans un programme de baccalauréat offert selon le mode régulier ? Le type de parcours a-t-il un effet sur la persévérance aux études ?

Nous présentons, dans ce qui suit, le modèle de Tinto qui a servi de cadre théorique à la recherche. Ultérieurement, nous abordons la méthodologie de la recherche en décrivant les sujets qui ont participé à cette étude, et en détaillant la démarche utilisée pour l’élaboration et la passation du questionnaire, notre outil de collecte des données. Des précisions concernant le mode d’analyse des données précèdent la présentation et l’analyse des résultats. Nous terminons avec une discussion nous permettant de faire un retour sur le modèle de Tinto et d’identifier les facteurs qui semblent avoir influencé la persévérance aux études.

2. Contexte théorique

Le modèle le plus connu décrivant les facteurs qui contribuent à l’abandon ou à la persévérance scolaire au niveau collégial et universitaire est certainement celui de Tinto. Ce modèle a été élaboré en 1975 d’une part, à partir du modèle de Spady (1971), et d’autre part, à partir de la théorie du suicide de Durkheim (1951). Aux États-Unis, il a été soumis à de nombreuses expérimentations dans une multitude de contextes institutionnels et auprès de différents types d’étudiants (Braxton, Sullivan et Johnson, 1997 ; Cabrera, Nora et Castaňeda, 1993 ; Elkins, Braxton et Glenn, 2000).

Au Québec, les enquêtes visant à identifier les indicateurs de conditions de poursuite des études (ICOPE) des étudiants du réseau de l’Université du Québec (Bonin, 2006 ; Pageau et Bujold, 2000) se sont appuyées sur le modèle de Tinto (1987, 1993) et ont confirmé sa pertinence. Dans le cadre de cette étude, nous travaillons également avec le modèle de Tinto, car il permet de cerner l’ensemble des facteurs qui contribuent à la persévérance scolaire des étudiants au premier cycle universitaire. Nous choisissons le modèle de Tinto révisé en 1997, car non seulement il intègre les facteurs présentés dans le modèle de 1975, révisé en 1987 et 1993, mais il situe leur apparition dans le temps (1988) et il prend en compte l’expérience des étudiants en classe.

Figure 1

Le modèle de Tinto en 1997 (p. 615, traduction libre)

Le modèle de Tinto en 1997 (p. 615, traduction libre)

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Tinto (1997) affirme que l’abandon est le résultat d’un processus longitudinal d’interactions entre l’étudiant et l’environnement scolaire et social de l’université, processus durant lequel les expériences vécues par l’étudiant modifient constamment son engagement envers ses études et envers l’institution. Ce processus mène à l’intégration universitaire et sociale et à la persévérance scolaire. Tinto tient compte, dans son modèle, des caractéristiques de l’étudiant avant son entrée, des modalités de son engagement initial et postérieur (engagement envers ses études et l’institution), des caractéristiques et ressources de l’université ainsi que des engagements de l’étudiant à l’extérieur de l’université. Toutefois, selon lui, l’intégration se réalise effectivement aujourd’hui essentiellement lorsque l’étudiant participe activement à des activités d’apprentissage en salle de classe. Cette version du modèle distingue également les trois étapes du parcours scolaire des étudiants : la séparation, la transition et l’intégration. La période de transition, celle qui nous intéresse ici, couvre la période de passage entre l’ancien et le nouveau, c’est-à-dire entre le cégep et l’université. L’étudiant amorce le processus de séparation de son passé et doit apprivoiser les normes et les conduites de son nouveau milieu. Il peut alors vivre beaucoup de stress et un important sentiment d’isolement au cours de cette phase.

C’est en nous appuyant sur le modèle de Tinto que nous poursuivons les objectifs suivants : 1) identifier les facteurs qui affectent l’expérience scolaire des étudiants qui poursuivent leurs études dans un programme de baccalauréat offert en continuum de formation ainsi que selon le mode régulier ; 2) faire le lien entre le type de parcours et la persévérance aux études. Nous avons décidé de nous limiter à l’expérience scolaire des étudiants au premier trimestre d’études, car elle représente, selon Tinto, l’étape la plus critique de leur parcours.

3. Méthodologie

Dans cette section de l’article, nous présentons, dans un premier temps, les programmes que nous avons retenus pour effectuer notre collecte des données et, dans un deuxième temps, le questionnaire utilisé et les sujets auprès desquels il a été distribué.

3.1 Sujets

3.1.1 Programmes d’études des sujets

Pour la collecte des données, nous avons retenu trois programmes de baccalauréat, de trois universités différentes, dispensés à la fois sous le mode régulier et en continuum de formation : 1) Gestion du tourisme et de l’hôtellerie, concentration Gestion hôtelière et restauration ; 2) Sciences infirmières et 3) Administration des affaires et sciences comptables. Nous avons retenu ces trois programmes dans trois universités, parce que, d’une part, ils étaient parmi les rares programmes identifiés à annoncer suffisamment d’étudiants en continuum pour permettre l’étude du phénomène et, d’autre part, parce qu’ils ont accepté de collaborer à la recherche.

Pour ces trois programmes, le mode régulier implique trois années d’études au baccalauréat, alors qu’en continuum de formation, le parcours universitaire varie selon les programmes (Conseil supérieur de l’éducation, 2004). En gestion du tourisme et de l’hôtellerie, le continuum de formation a été mis en place en 2003 et il a été réalisé conjointement. Il s’agit d’un cheminement comportant deux ans et demi au cégep et deux ans et demi à l’université. L’implantation du continuum de formation en sciences infirmières remonte à l’automne 2001 (au cégep) et il s’articule de la façon suivante : trois ans au cégep et deux ans à l’Université. Quant aux programmes en administration des affaires et en sciences comptables, ils datent aussi de 2001, et impliquent trois ans d’études au cégep et cinq sessions à l’université.

Les étudiants en gestion du tourisme et en hôtellerie sont tous issus d’un cégep de Montréal ; les étudiants en sciences infirmières sont recrutés dans plusieurs cégeps de l’Outaouais et du nord de Montréal, alors que ceux qui sont en administration des affaires et en sciences comptables proviennent des cégeps du nord du Québec. L’université offrant le programme de sciences infirmières représente un des neuf consortiums en sciences infirmières qui ont développé un programme en continuum. Gestion du tourisme et de l’hôtellerie et administration des affaires et sciences comptables, tous les deux des programmes en sciences de la gestion, sont dispensés dans deux des quatre universités affichant des programmes en continuum de formation dans ce domaine.

3.1.2 Nombre de répondants

Des 506 étudiants inscrits aux trois programmes, 60,5 % ont répondu au questionnaire, c’est-à-dire 306 étudiants. Le tableau 2 détaille le nombre de répondants selon leur type de parcours au baccalauréat et selon leur cégep de provenance. Le nombre d’étudiants en provenance des formations préuniversitaire et technique et qui sont inscrits au baccalauréat régulier n’est cependant pas spécifié, car, malgré nos demandes auprès des directions des différents programmes, ils ont tous répondu ne pas posséder cette information.

Tableau 2

Nombre de répondants au questionnaire et d’inscrits aux programmes selon leur provenance au cégep et leur parcours au baccalauréat

Nombre de répondants au questionnaire et d’inscrits aux programmes selon leur provenance au cégep et leur parcours au baccalauréat

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La lecture du tableau nous permet de constater que le nombre de répondants qui étudient au baccalauréat régulier et au baccalauréat offert en continuum de formation n’est pas réparti également d’un programme à l’autre. Nous étions conscients de cet écart au moment de planifier la recherche ; cependant, lors de la collecte, il s’est avéré beaucoup plus important que prévu en gestion du tourisme et en sciences infirmières. Au baccalauréat régulier, nous retrouvons, à notre grande surprise, beaucoup plus d’étudiants diplômés d’un programme technique que nous l’avions appréhendé. Ces derniers proviennent d’un programme semblable à celui qui fait partie du continuum, mais le cégep d’attache n’est pas inclus dans ce continuum, ou alors ils sont tout simplement issus d’un autre programme technique (par exemple, une étudiante en techniques administratives inscrite au baccalauréat en sciences infirmières). Dans les deux cas, un nombre de cours variable est reconnu en équivalence. Il faut également remarquer que les répondants du parcours régulier regroupent moins d’hommes que de femmes (au préuniversitaire, 40 hommes et 77 femmes ; au technique régulier, 23 hommes et 30 femmes), alors que le continuum de formation comporte une grande majorité de femmes, notamment à cause des sciences infirmières (115 femmes contre 21 hommes).

3.2 Instrumentation

Afin de recueillir des données concernant l’expérience scolaire des étudiants au cours du premier trimestre au baccalauréat, nous avons eu recours au questionnaire. Ce dernier regroupe 104 questions, avec des choix de réponses ou comportant une échelle de Likert (Gauthier, 1992). Il prend en compte l’ensemble des facteurs du modèle de Tinto : les caractéristiques de l’étudiant avant son entrée (antécédents familiaux, caractéristiques individuelles, antécédents scolaires), l’engagement initial de l’étudiant envers ses études et l’institution, les engagements extérieurs à l’université (travail, famille, loisirs), l’environnement académique, l’environnement social à l’université dans la classe et à l’extérieur de la classe (interactions avec les autres étudiants et les professeurs), le vécu en salle de classe (participation aux activités d’apprentissage), l’effort fourni, l’engagement postérieur de l’étudiant (intention de poursuivre ses études, importance du diplôme) et les ressources universitaires (services offerts).

Tableau 1

Exemples d’items présentés dans le questionnaire

Exemples d’items présentés dans le questionnaire

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L’outil a été élaboré principalement à partir de questionnaires utilisés dans deux études américaines, celles de Braxton, Bray et Berger (2000) et de Braxton, Milem et Sullivan (2000). Nous avons fait traduire les items par un traducteur, puis nous les avons adaptés au contexte québécois après consultation des membres de l’équipe et des directions de programmes. Ensuite, nous les avons validés auprès d’un échantillon de six étudiants par programme, trois du programme régulier et trois du programme en continuum. Quelques items ont alors été précisés.

3.3 Déroulement

Nous avons distribué le questionnaire papier aux étudiants aux deux tiers du trimestre de l’automne 2005. Pour rejoindre les étudiants, nous avons d’abord obtenu l’accord des professeurs responsables des cours obligatoires offerts au premier trimestre. En classe, nous avons expliqué aux étudiants que les résultats de la recherche permettraient de mieux comprendre la période de transition qu’ils vivent au cours de leur premier trimestre au baccalauréat. Nous leur demandions de répondre au questionnaire en se référant à leur vécu et à ce qu’ils perçoivent de leur cheminement. Leur participation était volontaire. Les étudiants disposaient de 50 minutes pour remplir le questionnaire. Malgré le fait que nous nous sommes présentés à deux reprises dans la plupart des cours, la cueillette de données n’a pas produit tous les résultats escomptés à cause d’un taux d’absentéisme très élevé, et ce, dans toutes les disciplines !

3.4 Méthode d’analyse des données

Pour réaliser l’analyse des données, nous avons croisé les trois parcours étudiants avec les questions du questionnaire : 1) le parcours des étudiants du préuniversitaire qui sont dans un baccalauréat régulier ; 2) celui des étudiants de formation technique qui sont dans un programme régulier ; et 3) celui des étudiants des programmes techniques qui sont en continuum. Nous ne présentons que les données dont les différences sont statistiquement significatives. Sauf en ce qui concerne la cote R où nous avons utilisé l’analyse de variance, tous les autres croisements ont été analysés à l’aide du chi carré. Notons que la cote R représente la cote de rendement au collégial. Elle permet aux universités québécoises d’évaluer l’excellence du dossier scolaire des étudiants pour l’admission dans certains programmes. Une cote R peut varier entre 15 et 35. L’étudiant qui a une cote R de 32 à 35 a cumulé des notes très supérieures à la moyenne, alors que celui qui a une cote de 20 à 25,9 a obtenu des notes dans la moyenne. Chaque cours possède une cote R et l’ensemble des cours suivis produit une cote R générale.

Pour être considéré comme significatif, le seuil critique ne devait pas dépasser 5 %. Étant donné que le nombre de répondants de chacun des parcours n’est pas équivalent en sciences infirmières, en gestion du tourisme et de l’hôtellerie, et en administration des affaires et sciences comptables, nous notons dans le texte les résultats d’un programme s’inscrivant dans un parcours qui sont nettement différents de ceux des autres programmes appartenant aux autres parcours, afin de permettre une analyse plus nuancée.

3.5 Considérations éthiques

Afin d’obtenir le consentement éclairé des étudiants pour répondre au questionnaire, nous avons d’abord donné de l’information aux étudiants concernés. Pour ce faire, nous avons expliqué, oralement et par écrit, le but et les modalités de la recherche ainsi que la tâche qu’ils avaient à réaliser. Nous avons également précisé que leur participation était volontaire et que, par conséquent, ils étaient entièrement libres de refuser de répondre au questionnaire sans fournir d’explication. Nous les avons finalement assurés que les renseignements recueillis étaient confidentiels et que seuls les membres de l’équipe de recherche avaient accès aux questionnaires.

Pour protéger leur anonymat, les étudiants n’ont pas eu à s’identifier lorsqu’ils répondaient au questionnaire. De même, tous les éléments permettant de reconnaître un groupe d’étudiants appartenant à un programme, comme par exemple le nom de l’université d’appartenance, ont été retirés dès le début du traitement des données. Le fait que les résultats aient toujours été présentés par groupe d’étudiants avec seulement l’intitulé du parcours et du programme a ainsi permis de contrôler le risque qu’un étudiant ou qu’un groupe appartenant à une institution soit reconnu.

4. Résultats

Dans la section qui suit, nous présentons les réponses au questionnaire qui permettent de décrire l’expérience des 144 étudiants provenant des programmes techniques et qui poursuivent dans un baccalauréat offert en continuum, et des 162 étudiants issus du préuniversitaire et d’un programme technique inscrits au baccalauréat régulier.

4.1 Caractéristiques des étudiants avant leur entrée au baccalauréat

4.1.1 Les antécédents scolaires

Considérant leur performance en formation générale au cégep, 55 % des étudiants du préuniversitaire estiment que leurs résultats étaient au-dessus de la moyenne ou très au-dessus de la moyenne, alors qu’ils sont 49 % en continuum de formation et 29 % en technique régulier à affirmer la même chose. En cohérence, les étudiants en provenance du préuniversitaire déclarent avoir obtenu une cote R au cégep plus élevée (27,4) que leurs collègues issus d’un programme technique en continuum de formation (26,2) et régulier (25,4). Toutefois, lorsque nous demandons combien de temps il leur a fallu pour obtenir leur diplôme d’études collégiales, ce sont les étudiants en continuum de formation qui sont les plus nombreux (73 %) à avoir terminé leur programme d’études dans le temps normalement prévu. Ces derniers sont en effet suivis, avec un écart important, par les étudiants de technique régulier (60 %) et du préuniversitaire (56 %). Quant à savoir si les études au cégep les ont bien ou très bien préparés au baccalauréat, la grande majorité des étudiants des trois programmes et des deux cheminements répond de façon positive.

Tableau 3

Réponses aux variables en lien avec les antécédents scolaires

Réponses aux variables en lien avec les antécédents scolaires

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4.1.2 Les antécédents familiaux

Un des deux parents, un ami et le conjoint sont les personnes qui ont le plus souvent influencé la décision des cégépiens, qu’ils soient issus de la formation technique ou du préuniversitaire, à s’inscrire au baccalauréat. Seuls le conseiller en orientation et le professeur ont influencé différemment les étudiants. La plus forte proportion d’étudiants ayant mentionné que le conseiller en orientation au cégep a influencé leur décision se retrouve chez ceux du préuniversitaire (26 %), alors que seulement 9 % des étudiants de technique régulier et 2 % de leurs collègues en continuum de formation déclarent la même chose. En ce qui a trait à l’influence du professeur, les étudiants de tous les programmes en continuum de formation arrivent cette fois en première position (33 %), suivis par ceux du programme régulier (12 % au préuniversitaire et 9 % au technique régulier).

4.1.3 L’engagement initial et postérieur de l’étudiant

En ce qui concerne les motifs des étudiants à s’inscrire au baccalauréat, l’intérêt pour la discipline, le souhait d’obtenir un emploi qui offre de bonnes conditions de travail, le désir d’obtenir davantage de connaissances et d’habiletés dans la discipline, le désir d’enrichir sa culture personnelle et le souhait de se perfectionner dans son domaine d’emploi sont, pour l’ensemble des étudiants des trois disciplines et des différents parcours, les raisons les plus fréquemment évoquées. Les motifs de nature affective tels que se prouver qu’on est capable de faire des études universitaires, répondre aux attentes de la famille ou suivre des amis qui ont choisi ce programme, sont rarement mentionnés. En général, les étudiants affirment être assez ou très certains de se réinscrire à l’automne prochain (88 % des étudiants du parcours régulier et 94 % de ceux du continuum).

4.2 Les engagements extérieurs à l’université

Si 35 % de l’ensemble des étudiants travaillent à l’extérieur 21 heures et plus par semaine, 50 % des étudiants issus d’un programme technique régulier déclarent travailler 21 heures et plus par semaine, alors que le pourcentage descend à 39,5 % chez ceux en continuum de formation et à 22 % chez ceux de formation préuniversitaire qui, eux, se retrouvent surtout dans la catégorie 16 à 20 heures par semaine. Cette proportion se trouve cependant inversée en tourisme, où les étudiants en continuum de formation travaillent plus souvent 21 heures et plus par semaine que ceux du programme technique régulier.

Nous savons que les responsabilités familiales peuvent également influencer le parcours des étudiants. À cet égard, nous constatons que les étudiants en tourisme répondent qu’ils n’ont pas d’enfants et que seulement quatre étudiants en sciences de la gestion et comptabilité en ont. C’est en sciences infirmières que l’on retrouve le plus d’étudiantes avec des enfants : une étudiante sur 10 au préuniversitaire, 4 sur 9 au technique régulier et 17 sur 77 en continuum. Ce sont d’ailleurs les étudiants les plus nombreux à avoir des enfants qui déclarent le plus souvent avoir une situation financière peu satisfaisante ou pas du tout satisfaisante. En effet, 60 % des étudiantes en continuum de formation en sciences infirmières le mentionnent, alors que c’est le cas de très peu de collègues en continuum dans les deux autres programmes. Par ailleurs, notons que seulement 38 % des étudiants de technique régulier et 32 % des étudiants du préuniversitaire affirment avoir une situation financière peu satisfaisante ou pas du tout satisfaisante.

4.3 L’environnement académique

Si nous examinons le parcours scolaire des étudiants, nous constatons que ceux du baccalauréat régulier sont plus nombreux à être inscrits à temps plein (96 % du préuniversitaire et 79 % de technique régulier) que ceux en continuum de formation (74 %). Les 12 étudiants inscrits en continuum de formation en tourisme font toutefois exception, car ils sont tous inscrits à temps plein. Suivant le parcours emprunté, nous remarquons aussi que les étudiants vivent différemment le passage du cégep à l’université. En effet, les étudiants du parcours régulier, plus souvent inscrits à temps plein, sont proportionnellement plus nombreux à trouver le passage entre les deux niveaux de formation assez facile ou très facile (82 % de technique régulier et 79 % du préuniversitaire) que leurs collègues en continuum (65 %). Cette proportion est encore plus faible chez les étudiantes du continuum en sciences infirmières, car seulement 52 % des étudiantes du continuum ont trouvé le passage très ou assez facile. Les étudiants du cheminement régulier (91 % du préuniversitaire et 92 % de technique régulier) sont également plus nombreux à s’estimer satisfaits de leurs études universitaires que les étudiants en continuum de formation (75 %). Satisfaits de leurs études, les étudiants du préuniversitaire répondent d’ailleurs à 85 % que les professeurs et chargés de cours ne leur font pas perdre de temps en classe, comparativement à 73,5 % de ceux inscrits en continuum de formation, moins satisfaits. Quant aux étudiants du continuum en tourisme, ce sont les plus négatifs à cet égard : seulement 40 % d’entre eux. Ce qui surprend ici, c’est que, dans une proportion plus importante (71 % des répondants), les étudiants du secteur technique régulier, les plus satisfaits de leurs études, affirment que les professeurs et chargés de cours leur font perdre du temps.

Tableau 4

Réponses aux variables en lien avec l’intégration académique

Réponses aux variables en lien avec l’intégration académique

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4.4 L’environnement social

Les étudiants de la formation préuniversitaire (73 %) et du continuum de formation (77 %) disent dans une proportion plus importante que ceux de technique régulier (58 %) établir souvent ou très souvent des relations d’entraide avec les autres étudiants au niveau du travail scolaire. Très peu d’étudiants indiquent cependant qu’ils participent très souvent aux activités sociales organisées à l’université. Le nombre le plus important se retrouve chez les étudiants du préuniversitaire en sciences de la gestion et comptabilité avec 4 des 32 étudiants !

Tableau 5

Réponses aux variables en lien avec l’environnement social

Réponses aux variables en lien avec l’environnement social

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4.5 Le vécu en salle de classe

En ce qui concerne la participation des étudiants aux activités d’apprentissage en classe, environ la moitié d’entre eux répondent qu’aucun professeur (ou seule une minorité) ne leur demande de travailler en équipe durant les cours (la proportion est de 75 % chez les étudiants en sciences de la gestion), ni ne leur font faire des exercices d’application ou de résolution de problèmes.

4.6 L’effort fourni

Les répondants reconnaissent généralement que le nombre d’heures travaillées à l’extérieur a un impact sur leur temps d’études. Ainsi, de nombreux étudiants en continuum de formation (68 %) affirment que leur emploi les a empêchés parfois ou souvent de consacrer du temps à leurs études. La proportion la plus élevée se retrouve en sciences infirmières, suivie par ceux du secteur technique régulier (50 %) et, enfin, par ceux du préuniversitaire (44 %).

4.7 Les ressources universitaires

Les répondants disent peu connaître les ressources d’aide offertes à l’université. Cette méconnaissance des ressources universitaires est particulièrement importante chez les étudiants du continuum de formation en sciences infirmières et en tourisme (moins du quart connaissent les ressources disponibles), comparativement à leurs collègues du continuum en sciences de la gestion et comptabilité (60 % d’entre eux prétendent connaître les ressources d’aide) et à leurs collègues du parcours régulier (42 % du technique régulier et 55 % du préuniversitaire).

5. Discussion des résultats

Pour éclairer la discussion des résultats, nous nous permettons de rendre compte de la proportion des étudiants qui ont répondu au questionnaire à leur premier trimestre d’études et qui se sont inscrits à leur deuxième année d’études. Il faut mentionner qu’il a été impossible d’obtenir, auprès des responsables de programmes, des informations précises sur les taux de persévérance scolaire des étudiants du premier trimestre, c’est-à-dire sur le nombre d’étudiants du premier trimestre ayant poursuivi leurs études au deuxième trimestre ou en deuxième année dans le même programme, car le système d’inscription actuel ne permet pas ce suivi. Nous avons décidé de procéder en comparant, pour chaque programme, la liste des étudiants ayant répondu au questionnaire au premier trimestre à la liste d’étudiants inscrits au deuxième trimestre et en deuxième année. Bien qu’imprécis, car il ne permet pas d’identifier les quelques étudiants qui auraient décidé d’interrompre leurs études pour la période donnée tout en demeurant dans le même programme, cet exercice permet tout de même d’observer que les étudiants du parcours en continuum de formation persévèrent dans une plus grande proportion (92 %) que leurs collègues en provenance du préuniversitaire (82 %) et d’un programme technique régulier (78,5 %).

5.1 Avant l’entrée au baccalauréat

Pour amorcer l’analyse, revenons aux caractéristiques des étudiants avant leur entrée au baccalauréat. Nous observons que ce sont les étudiants issus des programmes préuniversitaires et en continuum de formation qui déclarent le plus souvent avoir une cote R et une performance en formation générale au cégep plus élevées, suivies de loin par ceux en provenance d’un programme technique régulier. Ce sont, par ailleurs, les étudiants en continuum de formation qui mentionnent le plus souvent avoir fait leurs études dans les délais prévus, suivis de loin par ceux du technique régulier et du préuniversitaire. Malgré le fait que l’ensemble des étudiants réponde que le cégep les a bien ou très bien préparés à l’université, les antécédents scolaires des étudiants de formation technique inscrits en continuum ainsi que des étudiants du préuniversitaire nous indiquent qu’ils étaient vraisemblablement mieux préparés pour réussir et persévérer dans leur programme que les étudiants de technique régulier.

Si nous nous attardons maintenant à l’influence plutôt marquante des conseillers en orientation sur la décision des étudiants du préuniversitaire à s’inscrire au baccalauréat et des enseignants sur la décision des étudiants de formation technique à poursuivre leurs études dans un programme offert en continuum, nous pouvons supposer que c’est la proximité du conseiller en orientation qui fait la différence dans le premier cas, et que c’est l’engagement de l’enseignant dans le programme offert en continuum qui joue dans le second. Au préuniversitaire, nous savons que les contacts avec les enseignants sont de courte durée, alors que le conseiller en orientation demeure souvent le même durant tout le passage de l’étudiant dans un programme, ce qui explique que le conseiller exerce plus d’influence que l’enseignant sur les étudiants du préuniversitaire. En ce qui concerne les étudiants des programmes en continuum, l’influence des enseignants est plus marquante car, étant directement impliqués dans les continuums, ils sont certainement enclins à en discuter régulièrement avec les étudiants et à leur suggérer de poursuivre leurs études à l’université. Dans la perspective d’augmenter la proportion d’étudiants du cégep qui poursuivront leurs études au baccalauréat et de mieux les informer sur ce qui les attend, l’influence des conseillers d’orientation et des enseignants est certainement à prendre en compte.

Les motifs qui poussent les étudiants à poursuivre leurs études à l’université sont semblables pour l’ensemble des étudiants. Ils sont essentiellement de nature scolaire ou professionnelle. Plus âgés, les étudiants se laissent peu influencer dans leur choix par les parents et amis ou par le désir de se prouver quelque chose.

5.2 Engagements extérieurs

Rappelons que les engagements extérieurs à l’université des étudiants de formation technique sont plus importants que ceux du préuniversitaire, car ils travaillent plus souvent à l’extérieur 21 heures et plus par semaine. Le fait d’avoir déjà obtenu un diplôme les amène probablement, plus que les autres, à occuper à un emploi plus stable qui exige plus d’heures de travail.

En ce qui concerne les responsabilités parentales, les étudiantes poursuivant au continuum de formation en sciences infirmières sont nettement plus nombreuses à répondre qu’elles sont responsables d’un ou de plusieurs enfants. Elles sont aussi les plus nombreuses à vivre une situation financière qu’elles jugent peu ou pas du tout satisfaisante. D’ailleurs, rien d’étonnant à ce que le temps consacré aux études par ces étudiantes soit inférieur à celui des autres étudiants.

5.3 Intégration académique et sociale

Analysons maintenant ce que les étudiants ont déclaré au sujet de leur expérience scolaire au premier trimestre. Il semble que celle des étudiants du parcours régulier soit plus satisfaisante que celle des étudiants en continuum de formation, car ils sont plus nombreux à trouver le passage entre les deux niveaux de formation assez facile ou très facile, à s’estimer satisfaits de leurs études universitaires et à considérer que les professeurs ne leur font pas perdre de temps en classe, et ce, malgré le fait que la moitié des professeurs ne les font pas participer activement à leur apprentissage en classe. Il semble bien que le niveau de participation en classe affecte davantage le taux de satisfaction des étudiants du continuum, qui s’avère plus bas que celui des étudiants du parcours régulier.

Il faut noter que les étudiants du secteur technique régulier et du continuum de formation sont les plus critiques face à leurs professeurs et chargés de cours en disant qu’ils leur font perdre leur temps en classe. Ce sont les étudiants du continuum en tourisme qui le sont le plus. On peut penser que l’arrimage de contenu entre la formation universitaire et technique, même dans le cas d’un continuum de formation, n’est pas toujours adéquat et que certains étudiants ont, par conséquent, l’impression de perdre leur temps en classe.

En ce qui concerne l’intégration sociale des étudiants, nous constatons qu’elle se réalise beaucoup plus en lien avec le travail scolaire que par le biais de leur participation aux activités sociales universitaires. Déjà en 1997, Tinto attire notre attention sur le fait que l’intégration sociale des étudiants se réalise aujourd’hui davantage en salle de classe. Cela dit, cette intégration semble être plus importante pour les étudiants provenant du préuniversitaire et du continuum de formation que pour ceux du secteur technique régulier.

5.4 Facteurs impliqués dans la persévérance aux études

Si nous considérons le modèle explicatif de Tinto et les taux de persévérance des étudiants, nous observons que les résultats scolaires au cégep ainsi que les facteurs caractérisant l’intégration scolaire et sociale des étudiants du préuniversitaire n’ont pas eu l’influence positive qu’ils auraient théoriquement dû avoir sur leur intention de poursuivre au baccalauréat et sur leur persévérance scolaire. En ce qui concerne les étudiants de formation technique qui suivent le parcours régulier, certains facteurs semblent, cette fois, expliquer leur taux de persévérance plus bas. En effet, leurs résultats scolaires au cégep, leur faible intégration sociale et la présence de facteurs extérieurs négatifs (davantage de responsabilités professionnelles que les étudiants du préuniversitaire) concourent à justifier le fait qu’ils persévèrent en moins grand nombre que les autres étudiants. A contrario, si nous détaillons les réponses au questionnaire des étudiants de formation technique inscrits dans un continuum, et à plus forte raison pour les étudiantes de sciences infirmières, nous constatons que malgré une intégration scolaire à l’université moins satisfaisante ainsi que la présence de facteurs extérieurs négatifs semblables à ceux des étudiants de technique régulier, leur taux de persévérance est plus élevé. Malgré ce qu’affirme Tinto, nous remarquons que l’intégration scolaire ne semble pas déterminante, car elle est plutôt perçue comme insatisfaisante chez les étudiants du continuum. Par contre, l’intégration sociale en salle de classe a probablement eu un effet positif, car elle est importante chez ces mêmes étudiants.

Si nous comparons nos résultats à ceux de ICOPE, nous constatons le fait que les étudiants en continuum prévoient plus souvent des interruptions et sont plus souvent inscrits à temps partiel (ce qui est en lien avec leurs contraintes) que les autres étudiants viennent contredire ce que rapporte l’enquête ICOPE comme indicateurs de persévérance aux études (vouloir étudier sans interruption et être inscrit à temps plein). De plus, les étudiantes du continuum en sciences infirmières sont, dans 20 % des cas, responsables d’un ou plusieurs enfants et à 60 % insatisfaites de leur situation financière. On peut donc inférer que les facteurs qui nuisent à la persévérance scolaire des étudiants diffèrent selon les parcours empruntés.

5.5 Choc de la transition

Quant au choc de la transition, si souvent évoqué dans les recherches inventoriées aux États-Unis et au reste du Canada, il ne semble pas toucher la majorité de nos répondants. Toutefois, nous constatons qu’il est certainement plus prégnant chez les étudiants en continuum de formation que chez les autres, car seulement 65 % des étudiants en continuum répondent avoir trouvé leur passage à l’université facile ou très facile, contre 79 % et 82 % pour les autres. La situation apparaît plus dramatique pour les étudiantes du continuum en sciences infirmières, car seulement 52 % des répondantes disent avoir vécu une transition facile ou assez facile.

6. Conclusion

Le parcours scolaire des étudiants inscrits au baccalauréat dans une université québécoise s’est beaucoup diversifié au cours des dernières années. Aujourd’hui, on identifie deux types de parcours différents : le parcours régulier, regroupant des étudiants de formations préuniversitaire et technique, ainsi que le parcours en continuum de formation accueillant uniquement des étudiants de formation technique en provenance de cégeps avec lesquels il y a eu arrimage. Alors qu’on incite les universités à faire réussir le plus grand nombre, force est de constater que nous ne savons pas ce qui distingue les étudiants de ces deux parcours. Pour mieux comprendre cette nouvelle réalité, nous avons effectué une collecte de données à l’aide d’un questionnaire élaboré à partir du modèle de Tinto et regroupant tous les facteurs susceptibles d’influencer l’expérience scolaire des étudiants. Nous avons rejoint 306 étudiants inscrits dans trois programmes offrant les deux types de parcours. Selon nos résultats, généralement, les étudiants du continuum prévoient plus fréquemment une ou des interruptions dans leurs études et sont plus nombreux à s’inscrire à temps partiel, à vivre une situation financière peu satisfaisante et un passage à l’université difficile, et à percevoir leurs cours moins satisfaisants que ceux issus du préuniversitaire. La situation des étudiantes du continuum en sciences infirmières reste la plus difficile. Pourtant, tous les étudiants du continuum persévèrent en plus grand nombre que ceux du préuniversitaire. Nous avons également noté que les étudiants de formation technique inscrits dans un parcours régulier se distinguent des étudiants du continuum de formation à certains égards : ils sont plus nombreux à prévoir étudier sans interruption, à juger facile le passage du cégep à l’université, à travailler 21 heures et plus par semaine, à juger leur situation financière satisfaisante et à se considérer satisfaits de leurs études universitaires que ceux en continuum de formation. Par contre, leurs résultats au cégep sont moins élevés et ils développent moins souvent des relations d’entraide avec les autres étudiants. Leur niveau de persévérance est le plus faible.

Comment interpréter ces résultats ? Nous croyons que le modèle de Tinto n’explique que partiellement la poursuite des études de nos répondants en continuum de formation. L’intégration scolaire ne semble effectivement pas déterminante, mais un niveau d’intégration sociale supérieur en salle de classe pourrait contribuer à expliquer le taux de persévérance de ces étudiants. Comment interpréter plus particulièrement le niveau de persévérance des étudiantes du continuum en sciences infirmières ? Le fait que la durée du programme universitaire en sciences infirmières soit de courte de durée (deux ans) peut constituer un des facteurs explicatifs.

Il va de soi que cette recherche comporte des limites qu’il serait utile de dépasser. La comparaison entre différentes disciplines, mais avec un nombre de répondants équivalent pour chacune des disciplines et chacun des parcours, permettrait de vérifier l’impact de la discipline sur les facteurs de réussite et de persévérance scolaires. Il serait également intéressant, à l’avenir, de suivre les étudiants durant tout leur cursus scolaire, afin de mieux saisir l’évolution de leur expérience scolaire et de vérifier si, par exemple, les facteurs qui influencent les étudiants changent avec le temps. La durée des études à l’université joue-t-elle un rôle déterminant ? Il serait finalement pertinent de rencontrer les professeurs et chargés de cours qui enseignent aux étudiants de différentes disciplines et de différents parcours afin de connaître leurs perceptions face à ces regroupements et de savoir s’ils considèrent que chacun d’entre eux devrait bénéficier d’un soutien spécifique.