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1. Introduction et problématique

Face à un monde en profonde mutation, les partenariats traduisent un changement de conception des relations de l’école avec ses interlocuteurs communautaires, associatifs et parents. Dans les pays occidentaux, les réformes éducatives, la massification et la démocratisation de l’enseignement, ainsi que les enjeux liés au développement urbain et les mesures de décentralisation accentuent les rapprochements entre l’école et la collectivité locale (Étévé, 2005 ; Saint-Pierre et Brunet, 2004). Pareille décentralisation semble répondre aux critiques d’un État dépeint comme bureaucratique et opaque. Dans ce contexte, les écoles acquièrent davantage d’autonomie et sont considérées comme plus à même de répondre aux besoins locaux. L’autonomie des établissements entraîne une logique de marché dont les signes sont, entre autres, la diversification des projets d’établissement, le choix de l’école par les parents (Ball, 1993 ; Van Zanten, 2000b) et la mise en oeuvre de partenariats afin d’augmenter, notamment, le financement des écoles par l’entreprise privée et ainsi diminuer les dépenses de l’État (Zajda, 2004). Dans ce contexte, les partenariats deviennent un outil de rénovation de l’École (Lorcerie, 1991 ; Saint-Pierre et Brunet, 2004). Ces partenariats, pourtant liés à l’émergence du social et à la prise en compte des besoins locaux, ne sont toutefois pas à l’abri de la critique selon laquelle ils tenteraient d’imposer, dans le monde de l’éducation, des principes de gestion calqués sur le secteur privé. Leurs détracteurs voient également les effets possibles de ségrégation et d’exclusion qui peuvent en résulter dans le contexte d’un marché scolaire (Ball, 2007 ; Ball et Van Zanten, 1998 ; Broccolichi et Van Zanten, 1997 ; Glasman, 1992, 1996 ; Van Zanten, 2000a, 2000b, 2001). Le marché scolaire est entendu au regard des effets d’interdépendance et de compétitivité générées entre les écoles d’une même arène locale (Delvaux et Van Zanten, 2006 ; Maroy et Van Zanten, 2007).

L’objectif de cet article est de mieux comprendre, à partir d’une épistémologie constructiviste, ce que retirent les acteurs scolaires et communautaires, et en particulier les écoles de langue française en Ontario, de telles entreprises partenariales. Cela dans le contexte du marché scolaire grandissant qui définit ce réseau d’écoles, de façon similaire à plusieurs autres systèmes scolaires occidentaux. Cet article s’inscrit dans une série de travaux qui ont examiné, sur un plan général, les caractéristiques et les composantes des partenariats entre les écoles de langue française et la communauté en Ontario (Bélanger, Dalley, Dionne et Beaulieu, 2007a, 2007b) et, sur un plan spécifique, les définitions que donnent les acteurs au partenariat (Bélanger et Beaulieu, 2009).

Le plan de présentation du présent texte consiste, dans un premier temps, à situer la problématique parmi les récentes études traitant des avantages et des limites des activités partenariales ; par la suite, la méthode d’enquête utilisée est présentée. Enfin, à partir de l’analyse des données issues de questionnaires et d’entretiens provenant d’une recherche plus large, la discussion permettra d’aborder ce que les partenaires scolaires et communautaires retirent des projets de partenariat. Il apparaît qu’un des avantages importants semble être la mise en valeur de l’école et sa visibilité dans un contexte de plus en plus compétitif. La discussion permet de faire avancer les connaissances en éducation en milieu minoritaire de langue française, d’abord en informant les praticiens et les décideurs des usages des partenariats, puis en mettant en évidence leurs avantages et leurs limites, dans un contexte de concurrence entre les établissements où la mise en oeuvre de tels partenariats est de plus en plus encouragée.

2. Contexte théorique

Au cours des dernières années, les partenariats se sont popularisés dans les milieux éducatifs (Garnier, 2003 ; Zay, 1999, 2005). Selon son acception la plus commune, le terme partenariat renvoie à une forme de coopération entre deux ou plusieurs organisations qui concourent à réaliser un projet visant à résoudre un problème jugé commun ; par exemple, une situation fragile que vit une population d’élèves à risque de marginalisation ou d’exclusion (Boutin et Le Cren, 2004 ; Epstein et Sanders, 2003 ; Lewis, 1999 ; Mérini, 1994 ; Navarro et Natalicio, 1999 ; Van Zanten, 1997). Cette coopération s’opère principalement par la mise en commun de moyens matériels, intellectuels, humains ou financiers. Beaucoup d’auteurs ont traité des partenariats à partir des relations entre l’école et les parents (Epstein, 1995 ; Farmer et Labrie, 2008 ; Glasman, 1992 ; Maubant et Leclerc, 2008 ; Payet, 1991 ; Pithon, Asdith et Larivée, 2008 ; Vatz Laaroussi, Rachédie et Kanouté, 2008). D’autres auteurs ont traité des partenariats dans lesquels les enseignants s’investissent ; ces partenariats dépassent parfois les questions purement scolaires et concernent davantage le parascolaire ou toute activité pour les élèves (Lorcerie, 1991 ; Mérini, 1994 ; Perrenoud, 2004 ; Zay, 1999). Peu de travaux ont toutefois été menés sur le rôle instrumental du partenariat pour les acteurs scolaires et communautaires, et sur les bénéfices qu’ils en retirent dans un contexte de concurrence et de compétitivité entre les établissements.

À l’échelle internationale, les écoles qui mènent des activités partenariales obtiennent une meilleure reconnaissance dans leur communauté (Lewis, 1999 ; Navarro et Natalicio, 1999), ce qui se traduit par une augmentation des effectifs scolaires (Schweisfurth, 2005). Les projets de partenariat avec, notamment, le secteur économique ou des organismes philanthropiques permettent une meilleure rétention scolaire des jeunes, voire une plus grande insertion des jeunes à risque de décrochage scolaire sur le marché du travail (Scales, Roehlkepartain, Neal, Kielsmeier et Benson, 2006). Le curriculum s’enrichit de partenariats axés sur l’apprentissage des langues autochtones (Graham, 2005) ou de l’expérience communautaire radiophonique de jeunes marginalisés (Johnson, 1992). Les partenariats scolaires avec des fondations ou des entreprises privées contribuent à l’amélioration des installations et de l’aménagement de l’école. De plus, ils servent parfois à subvenir aux dépenses des établissements moyennant un échange de services, comme de la publicité ou des produits et services au profit de l’entreprise privée (Edens et Gilsinan, 2005).

Influencés par ce même engouement pour le partenariat, les acteurs des écoles de langue française en situation minoritaire au Canada se voient encouragés à tisser des liens étroits avec les divers partenaires de leur communauté, notamment les parents, dans le but de mieux se faire connaître de la population francophone. Comme le mentionne le Sous-Ministre adjoint à la division de l’éducation de langue française au ministère de l’Éducation de l’Ontario (MÉO), ces écoles s’outillent pour s’attaquer aux défis que constituent le recrutement et la rétention des effectifs étudiants de ces écoles (Giroux, 2006). En effet, les effectifs scolaires ont progressé de façon étonnante dans les municipalités où l’on retrouve des centres scolaires et communautaires (Fournier, 1989 ; Gérin-Lajoie, 2000). Pourtant des liens ténus caractérisent encore le rapport entre l’école et sa communauté environnante. Selon plusieurs directions d’école en milieux minoritaires francophones, […] il y a très peu d’activités ou de relations réciproques entre l’école de langue française et la communauté francophone, et ce, malgré la présence des institutions dans l’environnement de l’école (St-Germain, Lapointe et Langlois, 2008, p. 45). Toutefois, […] il n’y a aucune école qui ne soit complètement isolée de sa communauté (p. 36).

Des auteurs de divers pays critiquent pourtant le rôle des partenariats dans le contexte de l’émergence d’un État managérial qui tente de calquer ses principes de gestion sur ceux du secteur privé (Ball, 2007 ; Ball et Van Zanten, 1998 ; Broccolichi et Van Zanten, 1997 ; Glasman, 1992, 1996 ; Van Zanten, 2000a, 2000b, 2001). Nous avons regroupé les études sur les liens entre les partenariats en éducation et l’émergence d’une mise en marché scolaire selon qu’elles portent sur une logique de compétition, un processus de marginalisation ou un processus d’exclusion.

2.1 Une logique de compétition

Une analyse des politiques éducatives des systèmes français et britannique et de leurs effets sur les acteurs en éducation révèle que ces deux systèmes scolaires ont été redéfinis par une logique de marché éducatif (Ball et Van Zanten, 1998, p. 52). La tendance est, en effet, vers le libre choix des familles, l’autonomie des établissements, l’initiative d’acteurs comme les collectivités locales ou entreprises et la commercialisation des résultats. La mise en place d’un marché éducatif où les parents peuvent choisir l’école qui convient le mieux à leur enfant en témoigne. La recherche dans le domaine du choix scolaire des parents révèle que les facteurs les plus influents dans l’exercice de ce choix sont l’excellence académique, la proximité de l’école de la maison et la continuité culturelle entre la maison et l’école (Bagley, Woods et Glatter, 2001 ; Teske et Schneider, 2001). Une étude menée auprès de parents au Yukon confirme la pertinence de ces facteurs pour le choix scolaire en situation minoritaire de langue française (Dalley et Saint-Onge, 2008).

Selon Ball (2007), la quasi-privatisation du secteur de l’éducation en Angleterre, qui s’exprime notamment à travers les partenariats, serait liée à une conception d’un État qualifié de compétitif et gestionnairedes services publics et des innovations économiques plutôt que pourvoyeur et décideur. La dissémination d’une culture de la compétition dans le système d’éducation, ainsi qu’une compétition qui se fait sentir même dans les relations entre les institutions, conduisent à une logique économique d’interdépendance liée aux avantages des partenariats. Selon ce même auteur, ce terme sert à masquer les différences entre les secteurs public, privé et non lucratif, notamment en ce qui a trait aux modes de fonctionnement. Les partenariats font partie du projet de réforme de l’école, dorénavant vue comme une entreprise. D’ailleurs, l’Education Act de 2002 permet aux écoles de se constituer en tant que compagnies et de mettre en marché des biens et des services au profit des autres écoles. Cette conception de l’école-entreprise introduit désormais les concepts de compétition et d’entreprenariat au coeur même du projet étatique de l’éducation. Une situation similaire existe aux États-Unis, où le domaine de l’éducation a été en partie transformé par le monde des affaires. Les concepts d’imputabilité, d’efficacité et de compétition économique sont devenus omniprésents dans la rhétorique des politiques de l’éducation et ont remplacé le discours traditionnel portant sur le rôle des écoles (Ball, 2007, p. 123 ; Saltman, 2005, p. 49). Les relations inégales de pouvoir qui peuvent survenir dans le cadre des partenariats, où les membres en théorie égaux discutent des objectifs du projet mais où peuvent dominer les valeurs d’un partenaire dominant, présentent des risques de dérives vers des processus de marginalisation et d’exclusion (Ball, 2007). Si le système scolaire de la France demeure plus centralisé sous la gouverne de l’État, il n’en demeure pas moins que des effets de compétition y sont discernables. Les écoles, encastrées dans des environnements locaux spécifiques, et dont les réputations, les équipements, les ressources et les succès varient les uns par rapport aux autres, entrent en compétition, selon Maroy et Van Zanten (2007), à travers les demandes de dérogation des familles qui peuvent opter pour l’école de leur choix. C’est en ce sens que des logiques de conquête et de captation des meilleurs élèves ont cours dans certains établissements. Felouzis et Perroton (2007) précisent toutefois que cette logique compétitive se présente tel un marché à trous, puisque certaines écoles ne scolarisent que le public d’élèves qu’elles sont censées recevoir au regard de la zone de fréquentation scolaire, tandis que d’autres sont fortement en concurrence les unes avec les autres au regard de la composition de leur clientèle.

2.2 Un processus de marginalisation

Darling-Hammond (2007) et Gay (2007) critiquent l’intrusion d’une gestion scolaire calquée sur le privé, notamment dans le contexte de la loi américaine No Child Left Behind (NCLB). L’objectif de cette loi est d’accroître le rendement scolaire des élèves et de diminuer les écarts de réussite entre les élèves de différents groupes sociaux. Ces auteurs documentent les effets inattendus de cette politique ambitieuse, non complètement mise en oeuvre, qui a, entre autres, entraîné une tendance des écoles à attirer les élèves les plus forts, afin de rehausser leurs performances au palmarès des évaluations nationales. Cette situation a conduit au regroupement des élèves peu performants aux évaluations dans des écoles moins réputées, plus marginalisées, voire à risque de fermeture, puisqu’elles ne répondent pas aux exigences de la politique des évaluations nationales. En Ontario, les évaluations provinciales sont aussi utilisées pour juger les écoles et soumettre le personnel enseignant des établissements moins performants à un Partenariat d’interventions ciblées de l’Ontario (voir le site du ministère de l’Éducation de l’Ontario) : les écoles dont au moins deux tiers des élèves n’atteignent pas la norme provinciale aux tests de l’Office de la qualité et de la responsabilité en éducation, au cours des trois dernières années, sont astreintes à ce programme. L’établissement de partenariats école-communauté est une des stratégies instituées dans le cadre de ce partenariat entre l’école, son conseil scolaire et l’État. Tout comme le programme No Child Left Behind des États-Unis, le Partenariat d’interventions ciblées de l’Ontario s’inscrit dans une perspective d’imputabilité aux parents-consommateurs qui, bien qu’assujettis à des zones de fréquentation scolaire en Ontario, peuvent se prévaloir de l’école de leur choix pour leur enfant, après demande de dérogation, en fonction des différentes politiques des conseils scolaires. Ce processus risque de marginaliser certaines écoles jugées moins attrayantes notamment par les parents de la classe sociale moyenne et aisée. Inscrites dans une telle logique, les écoles de langue française doivent composer avec l’urgence de recruter et de retenir davantage d’élèves, tout en assurant une performance exemplaire aux tests de l’Office de la qualité et de la responsabilité en éducation. Ainsi, il est permis de se demander si les directions d’école jugent qu’un projet de partenariat est réussi lorsqu’il contribue à atteindre ces deux objectifs, parfois contradictoires.

2.3 Un processus d’exclusion

Dans un contexte de concurrence, les établissements scolaires des pays occidentaux deviennent de plus en plus sélectifs dans le recrutement des élèves. Diverses stratégies de promotion servent à recruter ou à retenir les meilleurs élèves, écartant ainsi les élèves qui ne cadrent pas avec la définition de bon élève comme l’ont formulée, consciemment ou non, les acteurs scolaires (Bagley, Woods et Glatter, 2001). Certaines stratégies consistent en la composition de classes de niveaux prétendument homogènes (composées d’élèves jugés similaires), en réponse à la contestation des classes hétérogènes par les parents de la classe moyenne. En témoignent la création d’options attirantes (langues, sports, arts, etc.) et la publication de brochures en vue de promouvoir l’école (Broccolichi et Van Zanten, 1997). Les acteurs de l’éducation sont encouragés à entrer en compétition les uns avec les autres pour maintenir un positionnement stratégique sur le marché (Ball, 2007). Dans ce contexte du clientusager, tout élève n’est pas bon à prendre, rappellent Broccolichi et Van Zanten (1997), puisque sont alors nettement distingués […] plusieurs types d’usagers suivant leur degré d’éloignement par rapport à un modèle [d’élève] idéal (p. 7). Des directions d’école développent diverses […] stratégies visant à attirer les usagers perçus comme les plus convenables (Becker, 1952 ; Broccolichi et Van Zanten, 1997, p. 7). Ce processus d’exclusion est également soutenu, à plus grande échelle, par la publication d’un palmarès des meilleurs établissements aux tests nationaux et provinciaux. La classification des écoles selon les résultats obtenus par leurs élèves aux évaluations provinciales et nationales concourt au développement de telles stratégies : plus on sélectionne de bons élèves, plus il sera facile d’obtenir un classement favorable et ainsi d’attirer davantage de bons élèves. Il va sans dire que ces stratégies ne sont pas déployées, voire élaborées de façon explicite (Teske et Schneider, 2001). Il en résulte néanmoins soit le refus de demandes d’inscription soit l’auto-exclusion de certaines familles (Bagley, Woods et Glatter, 2001). La logique du marché tend à éliminer les activités qui ne font pas directement partie du curriculum pour mettre l’accent sur les activités qui se traduisent par des résultats concrets sur le plan des évaluations nationales, précisent Broccolichi et Van Zanten (1997). Dans ce contexte, il pourrait être aisé de croire que les partenariats école-communauté sont délaissés, alors qu’ils constituent en fait une stratégie de recrutement. En outre, les partenariats servent à financer les activités de l’école et à favoriser le rayonnement de celle-ci auprès des parents (Broccolichi et Van Zanten, 1997). Alors que les instances scolaires font la promotion des partenariats à des fins éducatives, des acteurs engagés dans ces derniers s’en serviraient à des fins de mise en marché de l’école. Certains établissements scolaires et communautaires s’inscrivent clairement dans cette logique du marché, alors que d’autres y résistent. Les écoles de langue française en situation minoritaire en Ontario n’échappent pas à ces nouvelles logiques de marché où des processus de marginalisation et des processus d’exclusion sont à l’oeuvre. Dans ce contexte, il importe de mieux comprendre quels usages les acteurs font des partenariats école-communauté ; d’autant plus que ces initiatives sont dorénavant fortement encouragées dans les écoles de langue française en Ontario.

3. Méthodologie

La présente étude s’inscrit dans un projet de recherche plus vaste (Bélanger, Dalley, Dionne et Beaulieu, 2007a). Cette recherche visait à recenser et décrire les projets de partenariat existant entre les écoles et les communautés francophones de l’Ontario dans le contexte de la Politique d’aménagement linguistique (Ministère de l’Éducation de l’Ontario, 2004) afin d’en identifier les principales caractéristiques. Le travail comporte aussi un volet pratique, en ce sens que nous avons créé un prototype pour guider d’éventuels partenaires intéressés à concevoir un projet de partenariat (Bélanger, Dalley, Dionne et Beaulieu, 2007b). Intitulée École-COmmunauté (ÉCO) et effectuée pour le compte du ministère de l’Éducation de l’Ontario, la recherche a été réalisée entre septembre 2006 et octobre 2007.

3.1 Sujets

Le projet de recherche ÉCO a été réalisé auprès d’écoles de neuf conseils scolaires de district de langue française en Ontario (parmi les 12 conseils scolaires). Pour la collecte de données, 105 directions d’école, sur un potentiel d’environ 400 écoles, ont été recrutées. Les directions des conseils scolaires ont d’abord été jointes par téléphone pour répondre à un sondage et donner leur consentement. Les directions des écoles des neuf conseils scolaires qui ont accepté de participer à la recherche ont été jointes afin de remplir un questionnaire. Sur les 105 écoles recrutées, 76 sont des écoles élémentaires et 29 des écoles secondaires ; 63 écoles sont catholiques et 42 sont publiques. Les écoles ont été catégorisées selon leur emplacement géographique : 42 écoles sont situées dans ou à proximité de grands centres urbains et 63 écoles, à l’extérieur de ces grands centres. Parmi les répondants, nous avons retenu 10 projets de partenariat pour leur exemplarité sur le plan des résultats obtenus, de la durée et de leur impact dans le milieu. Nous avons recherché une certaine diversité dans les projets, sur le plan des secteurs d’activités (économiques, culturels, etc.) et selon leur représentativité géographique. Dix-huit personnes ont été sollicitées pour participer à un entretien approfondi (Tableau 1). L’échantillonnage de convenance réunit des volontaires, c’est-à-dire les personnes invitées à participer et ayant accepté (Gay, Mills et Airasian, 2009).

Tableau 1

Partenariats sélectionnés pour les entretiens approfondis

Partenariats sélectionnés pour les entretiens approfondis

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3.2 Instrumentation

La collecte de données s’est effectuée principalement à partir d’un questionnaire. Ce dernier comportait 11 questions (ouvertes et fermées) qui visaient à décrire les partenariats école-communauté en cours (Annexe 1). De plus, des entretiens semi-directifs ont été réalisés à partir d’un guide d’entrevue dont les rubriques portaient principalement sur les caractéristiques, les composantes, les modalités de mise en oeuvre, les modes de fonctionnement et les défis des partenariats.

3.3 Déroulement

Les 105 questionnaires ont été remplis principalement par téléphone. Quelques questionnaires l’ont été par écrit et transmis par courriel ou par télécopie. Cette collecte de données s’est réalisée entre janvier et juin 2007. Les entretiens semi-directifs, d’une durée moyenne de 45 minutes, ont eu lieu entre mai et juillet 2007. Neuf entretiens ont été réalisés en personne sur les lieux de l’établissement scolaire. Six entretiens ont été réalisés par téléphone, et un entretien de groupe (nouvelle direction, direction adjointe et direction sortante) s’est déroulé en personne à l’école. Dix des personnes interviewées sont des directions d’école ; l’une provient d’un conseil scolaire, une autre est responsable d’une unité scolaire et six proviennent du secteur communautaire.

3.4 Méthode d’analyse des données

Les données analysées dans le cadre de cet article ont été recueillies lors de l’administration du questionnaire (105 écoles) et de la conduite des entretiens (16 entretiens) portant sur les retombées du partenariat. D’abord, les acteurs scolaires interrogés par questionnaire étaient invités à nommer un ou deux avantages découlant du partenariat vécu (question 9a, Annexe 1). Les réponses au questionnaire ont été compilées et analysées suivant la méthode d’analyse de contenu (Miles et Huberman, 2003). L’analyse a d’abord été réalisée par l’un des chercheurs de l’équipe et validée par la chercheure principale. Les participants étaient aussi invités à noter dans le questionnaire, à partir d’une échelle graduée, s’ils estimaient que leur partenariat était bénéfique sous différents aspects (question 9b). Les réponses quantitatives ont fait l’objet d’un simple calcul de fréquence. L’analyse de contenu des données recueillies lors des 16 entretiens semi-directifs visait à faire ressortir ce que les acteurs scolaires et communautaires engagés dans des partenariats en retirent. Précisons que les 16 entretiens ont été enregistrés et transcrits, puis traités à partir d’une grille d’analyse de contenu destinée à examiner les retombées du partenariat pour les acteurs scolaires et communautaires. Des unités de sens ont d’abord été repérées par deux chercheurs, indépendamment l’un de l’autre, et ensuite discutées en groupe de recherche. Les réponses à la question ouverte 9a et les extraits d’entrevue ayant servi à l’analyse, et permettant de mieux comprendre la pensée des acteurs, se retrouvent pour référence à l’Annexe 2. Ils sont indiqués par l’acronyme V-1, V-2, V-3, etc. dans la suite du texte. Les résultats constituent des illustrations significatives et ancrées dans des contextes précis de projets de partenariat école-communauté en Ontario.

3.5 Considérations éthiques

Par souci de confidentialité et afin de conserver l’anonymat des sujets, les noms des partenariats ont été modifiés. Les partenaires interrogés ont été identifiées par leur secteur d’activité soit scolaire ou communautaire, et un code a été assigné aux questionnaires (A1, A2, etc.) et aux entretiens (E1, E3, etc.), pour les fins de cet article (Tableau 1). Dans la suite du texte, les participants et participantes à l’étude seront identifiés en tant que partenaires scolaires ou partenaires communautaires. Le terme partenaire est utilisé sous sa forme épicène et représente ainsi aussi bien les femmes que les hommes.

Le consentement éclairé des participants a été obtenu par une lettre d’information où ceux-ci étaient invités, sous couvert d’anonymat et de confidentialité, à participer à un ou plusieurs volets du projet de recherche. Les participants ont été invités à consulter le site du ministère de l’Éducation de l’Ontario afin d’accéder aux résultats de recherche ou de faire la demande d’une copie du rapport de recherche.

4. Résultats

4.1 Les avantages du partenariat

À la question ouverte (question 9a) sur les avantages des partenariats, les partenaires scolaires ont nommé de zéro à quatre avantages, pour la communauté, pour les élèves et pour les écoles. Pour cette même question, les réponses des partenaires scolaires montrent que les écoles bénéficient de plusieurs retombées positives des projets école-communauté : 1) le développement économique de l’école est mentionné par 7 % des répondants ; à titre d’exemples, grâce aux partenariats, l’école bénéficie de rentrées de fonds, ce qui permet aux élèves de participer à des activités (A51) et d’organiser des sorties éducatives (A3) ; 2) les partenariats permettent parfois de diminuer le coût de certains programmes (A20) et de gagner des prix ou d’amasser de l’argent (A75) ; 3) de surcroît, les partenariats offrent une plus grande accessibilité à des ressources pour les écoles, selon environ 8 % des répondants ; les écoles ont ainsi accès à de meilleures installations et à de plus grandes salles, telles un gymnase, une bibliothèque ou un laboratoire de technologie ; 4) les partenariats école-communauté, notamment avec les centres de la petite enfance (A95), favorisent le recrutement des élèves à l’école, comme le mentionnent environ 9 % des répondants ; 5) de plus, les partenariats permettent à l’école de mieux se faire connaître et d’établir des relations avec les familles. Enfin, 11 % des partenaires affirment que leur partenariat favorise la participation des parents et augmente la satisfaction de ces derniers face à l’école (V-1, Annexe 2).

En offrant une plus grande visibilité à l’école, les partenariats stimulent le recrutement et peuvent même aller chercher des élèves qui sont dans les écoles de langue anglaise (A8). En somme, les partenariats peuvent apporter des effectifs à long terme (A100). Selon environ 4 % des répondants, les transitions d’un niveau à l’autre (centre de la petite enfance, école primaire, secondaire, postsecondaire) sont facilitées par certains partenariats. Les écoles profitent également de la promotion et de la visibilité que leur offrent certains partenariats, de l’avis d’environ 11 % des répondants. Les partenariats augmentent la visibilité de l’école dans la communauté, en lui permettant de se faire connaître (A102) ; l’école s’affiche davantage, ce qui lui permet d’assurer sa promotion : de tels projets fournissent de la publicité et sont valorisants pour l’école (A64). Enfin, certains projets améliorent l’apparence de l’école et les services qu’elle offre (V-2, Annexe 2). 

4.2 La mise en valeur de l’école

Les réponses des partenaires scolaires à la question fermée 9b du questionnaire sont ventilées au tableau 2.

Tableau 2

Avantages des partenariats selon les acteurs scolaires

Avantages des partenariats selon les acteurs scolaires

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D’après une forte majorité de répondants, le projet de partenariat est bénéfique pour la mise en valeur de l’école au sein de la communauté (96 %), ou pour le développement social et culturel des élèves (95 %). Une vaste majorité a aussi mentionné que le partenariat était bénéfique pour les relations avec la communauté (91 %), ou pour la mise en valeur, dans le milieu, de l’organisme communautaire participant (88 %). L’analyse des questionnaires révèle que les partenaires scolaires retirent de nombreux avantages des partenariats école-communauté dans lesquels ils sont engagés, l’avantage de la mise en valeur de l’école arrivant au premier rang.

4.3 Le discours des partenaires scolaires et communautaires sur la visibilité de l’école au sein de la communauté

Cette seconde partie de l’analyse fait ressortir, de façon plus fine, ce que les partenaires scolaires et communautaires interrogés lors des entretiens perçoivent des retombées que leur procurent les partenariats. Cinq parmi les 10 projets, soit 50 % des projets examinés de manière plus approfondie (Tableau 1, partenariat 4, 7, 8, 9 et 10), font état des avantages du partenariat au regard de la mise en valeur de leur établissement, dans le contexte d’une mise en marché de l’école où des effets d’interdépendance et de compétitivité entre les établissements sont notables. Ceux-là sont examinés plus en détail dans la suite de ce texte, étant donné le lien étroit qui existe entre les stratégies de recrutement des écoles et le marché scolaire examiné dans la recension des écrits de recherche sur ce sujet. Nous avons regroupé les propos des partenaires selon trois thématiques : la visibilité de l’école, le marketing scolaire et la survie de l’établissement.

4.3.1 La visibilité de l’école ou le partenariat pour mettre l’école en valeur

Le partenariat 8, soit le partenariat de l’Assemblée communautaire, permet, selon un des partenaires scolaires, de mettre en valeur et de mieux faire connaître les différentes initiatives et retombées qui découlent de ce projet (V-3, Annexe 2). Un des partenaires communautaires perçoit de gros avantages au partenariat et estime que les avantages sont mutuels. Il ajoute que les partenariats donnent une visibilité : il y a un besoin de visibilité des francophones dans la ville (E1). Un autre partenaire communautaire admet : l’objectif pour moi, c’est juste être visible (E5).

En ce qui concerne le partenariat 7, soit le partenariat Sport-éducation, le partenaire scolaire (E3) et un des partenaires communautaires y perçoivent des avantages pour la visibilité de l’école. L’école a été mise sur la carte, affirme le partenaire communautaire (E11) (V-4 Annexe 2), tandis que le partenaire scolaire (E3) précise que la visibilité de leur démarche a été assurée grâce à une feuille publicitaire produite par le centre partenaire et envoyée aux médias pour les informer du projet. L’école a, de surcroît, envoyé des articles aux journaux et affiché le projet sur sa page Web.

4.3.2 Le marketing scolaire ou le partenariat comme outil de promotion de l’école

Un des partenaires communautaires (E5) du partenariat 8 conçoit l’école comme une entreprise (V-5, Annexe 2). Pour sa part, le partenaire communautaire du projet 7 estime que l’école bénéficie du partenariat puisque les membres de la communauté sont informés de l’engagement de l’école sur le plan de la santé : ça met l’accent sur l’importance de la santé pour l’école (E11). Un partenaire scolaire se montre très conscient de la compétition qui existe entre les écoles et de la nécessité de vendre l’école sur ce marché scolaire. Il estime que son école secondaire occupe une place de choix dans cette compétition grâce aux divers projets, partenariats et programmes qui y sont offerts (V-6, Annexe 2). Pour lui, le rang de l’école sur le palmarès des meilleurs établissements apparaît fort important. Il vante volontiers le placement de l’école : dans notre conseil de [x] on est [dans les premiers]. Sur plus de 500 élèves, l’école dessert plus d’une centaine d’élèves identifiés avec des difficultés. L’école qui se place au premier rang n’a pas d’élèves en difficulté, compare-t-il. La compétition se fait aussi sentir à l’intérieur de l’école, où les membres du personnel rivalisent pour créer des projets, amener des fonds et, ainsi, conserver leur poste, précise-t-il encore (E3).

En outre, lorsqu’il vante les mérites de son école, il insiste sur l’importance des relations publiques dans un milieu où tous se connaissent (V-7, Annexe 2). Dans ce contexte de compétition, le partenariat Sport-éducation sert à l’école d’outil de marketing (V-8, Annexe 2). Les partenariats les plus intéressants sont ceux qui génèrent des fonds pour l’école, ajoute le partenaire scolaire, même s’il se dit ouvert aux autres partenariats qui n’offrent que des services, des ressources ou du matériel. Grâce au projet de partenariat, on peut vendre l’école, réitère-t-il (E3).

Une autre école secondaire publique en milieu rural mise aussi beaucoup, à travers ses entreprises partenariales, sur l’achèvement des études secondaires, le passage des élèves au postsecondaire ou au marché du travail (voir partenariat 4, dans le tableau 1). Car la compétition entre écoles françaises et anglaises, notamment, est palpable de même que le jeu politique qu’elle engendre, précise un partenaire scolaire (E12). L’école cherche donc à mettre en valeur ses forces, telles sa petite taille et l’encadrement plus étroit des élèves que cela permet (V-9, Annexe 2). Cette école a réalisé un projet d’aménagement paysager dans le cadre du programme pour une école saine lancé par le gouvernement ontarien du Libéral Dalton McGuinty. Ils ont cherché à rendre l’école plus agréable tout en répondant à un besoin en santé mentale, affirme le partenaire scolaire (E12). Le concept est inspiré de l’architecture d’un centre commercial, puisqu’il s’agit d’endroits où les jeunes aiment généralement se retrouver (V-10, Annexe 2).

Le partenariat Artistes à l’école (partenariat 10) fait partie d’un programme de subventions aux artistes destiné à fournir aux apprenants et aux éducateurs des écoles ontariennes des expériences créatives. Lors de l’entretien, le partenaire scolaire (E6) précise à quel point de tels partenariats constituent un outil de promotion de l’école : Ça pourrait attirer les gens parce que c’est une chose qu’on peut utiliser pour vendre notre école, en écrivant des articles dans les journaux, en les affichant sur le site Internet de l’école et en faisant des expositions dans le centre commercial de la ville (E6). Il constate en effet que les parents magasinent et visitent les écoles avant d’inscrire leurs enfants. Les parents et les écoles se trouvent ainsi dans une logique marchande d’offre et de demande (V-11, Annexe 2). Les partenariats avec des artistes peuvent, selon le partenaire communautaire interrogé, offrir des activités attirantes de même que des modèles aux élèves des écoles de langue française, parfois tentés de se diriger vers les écoles de langue anglaise lors de leur passage au secondaire (V-12, Annexe 2).

4.4 La disparition de l’école du village ou le partenariat pour la survie

Une école élémentaire catholique d’une région rurale entretient des partenariats avec les commerçants du village, des agents municipaux et l’Église afin de favoriser le développement économique du village et que perdurent les activités de l’école menacée de fermeture (partenariat 9). Le partenaire scolaire maintient que l’ouverture d’une nouvelle école publique de langue française dans la petite ville adjacente aurait attiré les gens : Une école publique française toute belle toute neuve, ça attire les gens (E7). De plus, le conseil scolaire a changé sa politique en ce qui a trait au territoire et à la zone de fréquentation des écoles : les enfants peuvent désormais fréquenter l’école de leur choix (ou du choix de leurs parents) (V-13, Annexe 2). Cet exode a inquiété le partenaire scolaire de même que des gens du village. C’est à ce moment qu’il a choisi d’entreprendre ce qu’il nomme son engagement communautaire (V-14, Annexe 2). Un comité a été créé et il regroupe des membres de l’école, de l’Église et de la communauté. Afin de rehausser le sentiment d’appartenance à l’école, les membres du comité ont conçu un dépliant qui valorise l’école et qui est distribué dans le village. De cette manière, le conseil d’école a décidé de faire connaître l’établissement à tous les membres de la communauté (parents, aînés, etc.) et de développer un sentiment d’appartenance : Ça devient notre école […] que ça soit l’école à tout le monde (E7). Il précise : c’est de vendre ce qui est positif pis de montrer toi-même que tu crois à ton école (E7). Ce comité cherche même à faciliter le retour des élèves qui ont quitté l’école : penser comment les ramener (E7). Car il vise non seulement la rétention des élèves à l’école mais aussi le recrutement (V-15, Annexe 2). Le partenariat permet de montrer ce qu’on fait à l’école puis tout ce qui est disponible pour nos élèves (E7). De concert avec l’école, un partenaire communautaire, qui travaille au plan de développement économique du village, met en évidence les stratégies arrêtées : créer des emplois, attirer des investisseurs, de jeunes familles, des personnes âgées (V-16, Annexe 2).

L’analyse des propos des partenaires scolaires et communautaires interrogés révèle que leurs entreprises partenariales procurent des avantages aux écoles, plus précisément pour leur mise en valeur (visibilité), pour le marketing (outil de promotion) et même pour leur survie (recrutement et rétention). Les partenaires scolaires et communautaires, du moins chez la moitié de ceux interviewés, se servent donc des partenariats pour se positionner dans un environnement scolaire devenu plus compétitif, comme le montre notamment Ball (2007).

5. Discussion des résultats

Il semble que le milieu minoritaire de langue française en Ontario n’échappe pas aux logiques de marché scolaire qui caractérisent de plus en plus les systèmes scolaires des pays occidentaux (Bagley, Woods et Glatter, 2001 ; Ball, 2007 ; Ball et Van Zanten, 1998 ; Darling-Hammond, 2007 ; Gay, 2007 ; Maroy, 2006 ; Van Zanten, 2000a, 2000b, 2001). Par exemple, les propos des partenaires analysés ci-dessus montrent que des écoles cherchent à contrer les effets de la concurrence, notamment en ce qui concerne le recrutement et la rétention des élèves, avec les établissements avoisinants de langue anglaise, mais également à rivaliser avec les autres écoles de langue française de la localité, publiques ou catholiques.

5.1 Les partenariats : outils de mise en marché de l’école

Ainsi, si l’excellence des résultats scolaires est un facteur influençant le choix scolaire des parents (Bagley, Woods et Glatter, 2001 ; Dalley et Saint-Onge, 2008 ; Teske et Schneider, 2001), et si les partenariats engendrent des retombées sur les apprentissages (Graham, 2005 ; Johnson, 1992), il est permis de penser que ces partenariats ont un potentiel stratégique à la fois scolaire et managérial. Or, il se dégage, de l’analyse précédente, que plusieurs partenaires interviewés (50 %) ne reconnaissent pas d’emblée ce double potentiel et y voient surtout un outil de mise en marché de l’établissement scolaire au sein de la communauté. Bien que l’on ne puisse conclure quoi que ce soit au sujet de l’importance qu’accordent les écoles aux expériences partenariales pour le rehaussement des apprentissages, les projets recensés et analysés dans le cadre de cette recherche servent davantage d’outil de marketing que de moyens visant l’amélioration de l’apprentissage. À ce titre, plusieurs partenaires scolaires de l’étude ont mentionné la nécessité de rendre l’école visible. D’autres sont allés plus loin en parlant de la possibilité d’attirer davantage d’élèves, et surtout de vendre ce qu’il y a de positif dans l’école. Afin de rendre l’école plus visible, les partenaires ont décrit leur gestion de l’école comme celle d’une entreprise, leurs stratégies de communication et de publicité gravitant autour de la production de brochures, de sites Web, de conceptions d’espaces jugés agréables pour les jeunes élèves, d’expositions dans des centres commerciaux ou d’affichage.

La mise en valeur de l’école assure une meilleure visibilité à cette dernière, dans un contexte compétitif où les outils de promotion des établissements visent à retenir l’attention des parents de la classe moyenne. Ces derniers, notamment en milieu urbain ou semi-urbain, magasinent la meilleure école pour leur enfant. En outre, cette visibilité accrue permet d’attirer les élèves, notamment les bons élèves, donc les plus susceptibles d’accroître la performance de l’école aux évaluations provinciales. Alors que le rendement d’une école aux tests de l’Office de la qualité et de la responsabilité en éducation pourrait se bonifier grâce à un projet partenarial et ainsi profiter à l’ensemble des élèves, le partenariat école-communauté semble être davantage perçu comme un outil visant à rendre l’école plus attrayante auprès de certaines familles et populations d’élèves. Par exemple, le discours d’un partenaire scolaire porte à réflexion lorsqu’il compare, à partir du palmarès des résultats aux tests provinciaux des établissements, le positionnement de son école, qui compte une proportion importante d’élèves identifiés comme étant en difficulté par rapport aux autres écoles. Il semble que, dans ce cas, les projets de partenariat servent à rehausser l’image scolaire face aux parents-consommateurs. En effet, ces parents risquent de juger d’un mauvais oeil le nombre d’élèves en difficulté de l’école. Le partenariat devient alors un outil, un objet, un emballage qui permet de mesurer, d’évaluer l’école et de la rendre attirante, plutôt qu’une ressource au service des apprentissages des élèves.

Cette instrumentalisation du partenariat est aussi repérable en milieu rural, où un partenaire scolaire interviewé exprime bien le combat qu’il mène pour que son école survive. Dans ce cas, le recours au partenariat a pour but de mieux faire connaître l’école et que se développe un sentiment d’appartenance envers l’établissement en le plaçant au coeur du village. Ce partenaire confie que son établissement est à risque de fermeture dans un contexte de déclin démographique et de compétition avec les établissements avoisinants. Dans ce cas précis, le partenariat est clairement activé dans l’urgence, comme dernier recours face à une situation jugée fragile, comme le montre la recension des écrits de recherche.

5.2 Logique de compétition entre écoles et risques de marginalisation et d’exclusion

La logique de compétition mise au jour dans la documentation scientifique (Ball, 2007) est donc aussi identifiable, selon différents scénarios, dans le discours des partenaires scolaires et communautaires engagés dans des partenariats, au sein des écoles de langue française en Ontario qui ont participé à cette étude. En insistant sur la mise en valeur de l’école au sein de la communauté et la nécessité de vendre l’école aux parents, les partenaires scolaires et communautaires interrogés laissent entrevoir le contexte de compétition dans lequel ils se position- nent. Ils n’envisagent cependant pas toujours le lien entre ce processus compé- titif – notamment dans le cas de la mise en oeuvre d’un partenariat écoles- communauté –, le rendement scolaire et les risques possibles d’exclusion de certains élèves. Les données recueillies dans le cadre de cette étude soulèvent donc de sérieux questionnements quant à l’interface entre le marché scolaire, les partenariats, l’exclusion potentielle d’individus et la marginalisation de communautés scolaires.

En ce qui a trait à la marginalisation de certaines écoles, il faut dire que les écoles de langue française de l’Ontario se trouvent, dans certaines régions, en situation de baisse démographique en faveur des écoles de langue anglaise, notamment lors du passage entre l’école élémentaire et secondaire. Or, comme le mentionne un partenaire scolaire, il semble que ce ne soit que lorsque la situation est criante que les partenaires scolaires et communautaires se mobilisent dans une relation d’entraide, pour la survie de l’école et de la communauté. Ici, il semble que le partenariat soit aussi activé pour des raisons de visibilité dans le contexte ultime de survie de l’établissement. L’étude en profondeur de cas particuliers autant en contexte rural qu’urbain et périurbain permettrait, sans doute, de mieux élucider ce lien entre le contexte sociopolitique global et local, et la relation entre l’école et la communauté.

6. Conclusion

Le but de cet article était de mieux comprendre ce que les acteurs scolaires et communautaires de langue française en Ontario retirent des partenariats école-communauté. Grâce à une recension des écrits scientifiques, plusieurs avantages des partenariats ont été documentés ; par exemple, le rehaussement des expériences d’apprentissage des élèves, les retombées positives sur la visibilité au sein de la communauté et le recrutement et la rétention scolaires en milieu minoritaire (Gérin-Lajoie, 2000 ; Graham, 2005 ; Johnson, 1992 ; Lewis, 1999 ; Navarro et Natalicio, 1999 ; Scales, Roehlkepartain, Neal, Kielsmeier et Benson, 2006 ; Schweisfurth, 2005). Néanmoins, nous avons relevé également des aspects négatifs à ces partenariats, à l’instar d’auteurs soucieux d’analyser le rôle de ces relations scolaires communautaires, dans un contexte de mise en marché des écoles (Ball, 2007 ; Ball et Van Zanten, 1998 ; Broccolichi et Van Zanten, 1997 ; Glasman, 1992, 1996 ; Van Zanten, 2000a, 2000b, 2001).

Dorénavant repérable partout en Occident, cette situation de compétitivité montante dans la société se traduit, en Ontario, par des effets d’interdépendance entre les établissements d’un même voisinage, qu’ils soient de langue française en situation minoritaire ou de langue anglaise. En analysant plus spécifiquement les réponses aux questions 9a et 9b d’un questionnaire administré à des directions d’école, principalement à propos des avantages que génèrent les partenariats, il apparaît que la mise en valeur de l’école et sa visibilité accrue, dans un contexte de plus en plus compétitif, représentent des avantages pour la majorité des personnes ayant participé à la recherche. Plusieurs partenariats école-communauté assurent, en effet, une visibilité certaine à l’école grâce, entre autres, aux ressources (humaines, économiques ou autres) qu’ils génèrent, à la publicité qu’ils rendent possible et à la satisfaction qu’ils créent chez les parents face à l’école.

Dans un deuxième temps, nous avons souhaité mettre en évidence de façon plus fine ce que les partenaires scolaires et communautaires perçoivent des bénéfices des partenariats dans lesquels ils sont engagés. Il ressort que, sur 18 partenaires interviewés, engagés dans des projets examinés en profondeur, 12 d’entre eux mentionnent le rôle important des initiatives partenariales pour la visibilité de l’établissement scolaire, dans le contexte d’un marché scolaire devenu plus compétitif.

Il serait pertinent de voir comment ces partenariats sont perçus par la communauté et plus particulièrement par les parents. Comment influencent-ils les parents dans le choix de l’école de leur(s) enfants(s) ?

Selon différents modes de régulation, autant en milieu urbain ou périurbain qu’en milieu rural, des écoles s’autonomisent et leurs acteurs utilisent les partenariats afin de mieux faire connaître leur projet d’établissement. Ce faisant, les acteurs des partenariats s’inscrivent, sciemment ou malgré eux, dans une logique de marché dont les conséquences peuvent générer des processus d’exclusion et de marginalisation. Si les écoles de langue française en Ontario, pour lesquelles le recrutement et la rétention des effectifs d’élèves demeurent primordiaux, s’engagent dans des entreprises partenariales, il serait sans doute opportun de s’assurer que les initiatives intègrent, tant sur le plan de leur conception que de leur mise en oeuvre, une réflexion au sujet des inégalités, afin de pallier les risques d’exclusion des élèves en difficulté ou de marginalisation de certaines écoles.