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1. Introduction et problématique

Le système éducatif joue un rôle central dans l’intégration des immigrants et de leurs descendants, et le secteur de la formation générale des adultes est particulièrement interpellé depuis quelques années au Québec. Les jeunes de 16 à 24 ans issus de l’immigration sont en croissance dans les centres d’éducation des adultes, surtout à Montréal (Potvin et Leclercq, 2010). Souvent dépeints comme l’école des décrocheurs, ces centres accueillent pourtant de plus en plus de jeunes qui arrivent en continuité du secteur de la formation générale des jeunes, souvent directement des classes d’accueil et du cheminement particulier, et/ou en situation de « grand retard scolaire » (retard de trois ans ou plus, selon le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 1998, p. 32) (Potvin et Leclercq, 2010, 2012). Sous l’impulsion de diverses mesures, dont le Plan d’action L’école, j’y tiens ! Tous ensembles pour la réussite scolaire (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2009), ce secteur doit désormais s’adapter aux besoins d’une population plus jeune pour participer à l’atteinte d’un taux de diplomation global de 80 % chez les élèves de moins de 20 ans d’ici 2020.

Si les analyses récentes à grande échelle montrent qu’en dépit de nombreux facteurs de risque ou obstacles, les jeunes issus de l’immigration réussissent bien au secondaire au Québec (Carpentier, Ghislain, Santana, et Aït-Saïd, 2009 ; Ledent, Carpentier et McAndrew, 2013 ; Ledent, McAndrew et Potvin, 2012), les écrits de recherche ont mis en évidence les répercussions multiples et à long terme de la migration sur l’expérience scolaire. Ces jeunes sont souvent victimes d’un stress scolaire en raison de l’écart entre les systèmes scolaires du pays d’origine et du pays d’accueil, en raison de la langue d’enseignement et des diverses transitions, ainsi que d’un stress d’acculturation ou d’adaptation psychologique lié à la perte d’amis, de rôle ou de statut, à la peur d’être rejeté, au manque de repères identitaires, à l’anxiété suscitée par les différences culturelles et aux sentiments d’abandon, de frustration ou de dépression (Hill, 2006).

Les écrits de recherche internationaux ont également montré comment certains processus et pratiques institutionnels, en apparence neutres, peuvent désavantager ces élèves ou avoir un effet préjudiciable sur leur parcours (et leur motivation), comme l’évaluation et le classement (tracking), l’over-policing ou l’under-protecting − la surévaluation ou sous-évaluation de leurs problèmes et des soutiens offerts (Cochran-Smith, 2004 ; Kushnick, 1999). Ces élèves sont parfois dirigés vers des classes spéciales à cause de biais culturels ou linguistiques dans les instruments d’évaluation ou lors des jugements professionnels, qui amènent à sous-estimer à ou surestimer leurs difficultés scolaires (Oller, Kim, et Choe 2000). Au Québec, cet enjeu se pose particulièrement pour les nouveaux arrivants allophones à l’accueil (francisation). Armand et De Koninck (2012) ont mis en évidence, entre autres, 1) une non-transmission des renseignements sur les antécédents scolaires de l’élève, sa (ses) langue(s) maternelle(s), les résultats des évaluations antérieures d’un ordre d’enseignement ou d’une région à l’autre, 2) une absence de pratiques communes en matière d’évaluation des acquis et de classement et 3) des défis d’identification des élèves en difficulté parmi les jeunes en francisation. En adaptation scolaire, Borri-Anadon (2013) a montré que certains processus d’évaluation des élèves issus de l’immigration par les orthophonistes pouvaient avoir des effets préjudiciables : des outils standardisés peu remis en cause, utilisés comme critère de validité sans égard à leurs limites psychométriques ; une faible utilisation de pratiques différenciées, d’évaluations en langue maternelle et de recours aux interprètes ; une faiblesse des ressources de suivi ; une perception, par les intervenants, du plurilinguisme des élèves comme facteur d’alourdissement des difficultés (plus que l’intégration récente dans le système scolaire) et une faible prise en compte des réalités migratoires dans les histoires de cas. Au secteur des adultes, Potter et Ferguson (2003) mentionnent, notamment, des biais lors des jugements professionnels et des procédures de classements, qui amènent à ignorer les besoins des apprenants immigrants, ainsi qu’une faible utilisation de pratiques pédagogiques interactives.

La première étude québécoise qui s’est intéressée à ces facteurs et aux besoins des jeunes de 16-24 ans issus de l’immigration en formation générale aux adultes est notre recherche exploratoire, menée entre 2007 et 2009 dans trois centres d’éducation des adultes de la Commission scolaire de Montréal (Potvin et Leclercq, 2010). Cette étude s’appuyait sur 104 entrevues semi-dirigées : 56 jeunes, 25 mentors accompagnant ces jeunes dans un projet de persévérance scolaire, sept enseignants, trois directeurs et six intervenants communautaires. L’objectif était d’évaluer l’implantation des deux projets de persévérance scolaire. Les entrevues menées avaient permis d’identifier différents types de facteurs (notamment institutionnels) qui caractérisaient les trajectoires de ces jeunes, mais qui différaient pour les jeunes de première génération et de deuxième génération, selon qu’ils passaient en continuité de la formation générale des jeunes à la formation générale des adultes, qu’ils arrivaient en formation générale des adultes de l’étranger ou qu’ils revenaient aux études après une interruption.

Les constats, questions et hypothèses soulevés dans cette première étude ont conduit à un second terrain de recherche auprès de 184 personnes, soit 104 agents institutionnels et 80 jeunes qui fréquentent l’un des 20 centres d’éducation des adultes à l’étude dans six commissions scolaires (Potvin, Leclercq, Vatz-Laaroussi, Steinbach, Armand, Ouellet et Voyer, 2014). Ce second terrain avait pour principal objectif de retracer les facteurs significatifs de la trajectoire sociale, migratoire et scolaire de jeunes de 16-24 ans issus de l’immigration ou réfugiés (de première génération, donc nés à l’étranger, ou de deuxième génération, donc nés au Canada d’au moins un parent né à l’étranger) dans les centres d’éducation des adultes. Nous avons comparé leurs parcours à ceux de jeunes non-immigrants (troisième génération et plus) rencontrés à Montréal et à Sherbrooke, afin de dresser une typologie des trajectoires à partir de différents facteurs. Une attention particulière a été porté à l’analyse des processus et pratiques institutionnels, à partir de la littérature grise (documents des commissions scolaires, des centres d’éducation des adultes) et des regards croisés des jeunes et des agents institutionnels, dans l’optique de proposer des pistes d’action.

Les données présentées ici s’appuient sur les entrevues menées lors de ces deux terrains. L’article dresse un portrait très synthétique des trajectoires scolaires des jeunes et des principaux facteurs qui les affectent, en ciblant particulièrement les pratiques institutionnelles. Les résultats, résumés ici de manière transversale, synthétisent les regards croisés des différents agents et des jeunes, dans tous les centres d’éducation des adultes et commissions scolaires ayant participé à l’étude, sur les principaux facteurs, c’est-à-dire ceux qui reviennent avec récurrence dans les discours des jeunes et des agents institutionnels. Quelques extraits d’entrevues avec les jeunes seulement (faute d’espace) permettent d’illustrer leur regard sur ces facteurs. Enfin, plusieurs pistes d’action pour les décideurs, praticiens et chercheurs, découlant des constats de recherche, sont dégagées en conclusion.

2. Contexte théorique

Les écrits de recherche sur l’éducation des adultes a mis en évidence un certain nombre de contraintes objectives et subjectives, liées autant aux institutions (fonctionnements, règles, services, processus, etc.) qu’à des facteurs individuels ou cognitifs, culturels, familiaux ou socioéconomiques, concernant les situations de vie des personnes (Bélanger, Voyer et Wagner, 2004 ; Doray, Picard, Trottier et Groleau, 2009). Plusieurs chercheurs ont emprunté le modèle de Cross (1981) sur les obstacles à la participation des adultes à la formation (Bélanger, Carignan-Marcotte et Staiculescu, 2007 ; Darkenwald et Merriam, 1982 ; Doray, Bélanger et Labonté, 2004 ; Lavoie, Lévesque, Aubin-Horth, Roy et Roy, 2004 ; Lemire, 2010 ; Statistique Canada et Développement des ressources humaines Canada, 2001), utilisé aussi dans le document du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, État de la formation de base des adultes au Québec (Roy, Coulombe, et Charest, 2005), qui analyse ces facteurs à partir de grandes études internationales et nationales (Statistique Canada et Développement des ressources humaines Canada, 2001 ; Peters, 2004 ; Bélanger, Voyer, et Wagner, 2004 ; Lavoie et al., 2004).

C’est en se basant sur une revue de la littérature que Cross (1981) établit une catégorisation des types d’obstacles à la participation des adultes à la formation. Reprenant les deux grandes catégories de barrières à la participation de Johnstone et Rivera (1965), soit les obstacles personnels (situational barriers) et les dispositions dissuasives (dispositional barriers), elle y ajoute les freins institutionnels directement reliés. Cross sépare donc les différents obstacles en trois catégories de manière idéale-typique. Dans la réalité, les obstacles sont souvent interreliés, mixtes ou cumulatifs ou se retrouvent dans plus d’une catégorie.

Les obstacles situationnels font référence surtout aux situations du contexte quotidien de la personne et aux facteurs dans son environnement physique et social immédiat (Cross, 1981). Il s’agit de barrières liées à l’économie, à la culture et à la structure de la famille (Tuijnman et Belanger, 1997). Les plus fréquemment relevés par les adultes eux-mêmes sont : le manque d’argent, le manque de temps, les responsabilités familiales, problèmes de transport (Cross, 1981 ; Darkenwald et Merriam, 1982 ; Doray, Bélanger et Labonté, 2004 ; Myers et de Broucker, 2006 ; Peters, 2004 ; Statistique Canada et Développement des ressources humaines Canada, 2001 ; Sherman, 1990 ; Tuijnman et Bélanger, 1997). Toutefois, aucune étude ne fait mention des barrières liées aux processus migratoire, d’intégration, d’acculturation ou aux discriminations.

Les obstacles dispositionnels sont liés aux attitudes, croyances et connaissances que l’individu entretient à l’égard de l’éducation et de l’apprentissage et qui sont liées à ses valeurs et à sa perception de lui-même comme apprenant (Cross, 1981). Darkenwald et Merriam (1982) parlent d’obstacles psychosociaux afin de tenir compte du contexte social de la personne et de son appartenance à certains groupes sociaux, qui influencent sa perception, ses attitudes, ses croyances et ses valeurs face à l’éducation. Dans plusieurs études canadiennes et américaines sur la participation des adultes à des programmes d’éducation de base (formation générale des adultes), les mêmes obstacles dispositionnels reviennent, dont des expériences scolaires négatives (rejets vécus ou étiquettes attribuées par les acteurs scolaires : inadaptés, à problèmes, etc.) (Beder, 1990 ; Cross, 1981 ; Thomas, 1990) et une perception négative de soi au regard de l’apprentissage comme le fait de se croire trop vieux (Cross, 1981 ; Darkenwald et Merriam, 1982 ; Myers et de Broucker, 2006). Les études ne font aucune mention des barrières liées aux processus migratoire, d’intégration ou d’acculturation. Encore une fois, aucune étude portant sur les facteurs dispositionnels n’a mis en perspective l’impact des barrières liées aux processus migratoire, d’intégration ou d’acculturation sur les attitudes ou la motivation des apprenants

D’autres chercheurs ont aussi ajouté de nouvelles catégories ou sous-catégories de facteurs, associés à l’individu ou liés au capital humain ou culturel de l’individu et ne relevant pas de ses dispositions à l’égard de l’éducation ou de lui-même. Ainsi, Lemire (2010) estime qu’en tant que handicap, les troubles d’apprentissage constituent un obstacle à la participation qui ne peut être classé comme dispositionnel ou situationnel. Elle parle alors d’obstacles intrinsèques, mais qui, selon nous, peuvent plutôt s’inscrire dans une définition élargie des autres catégories d’obstacles, notamment lorsqu’ils témoignent d’un manque d’adaptation institutionnelle pour faciliter la participation. Evans (1995) a aussi ajouté des obstacles culturels, découlant de la socialisation, donc de l’intériorisation et de l’exercice de certains rôles sociaux (notamment hommes-femmes), qui peuvent être classés aussi comme situationnels (surtout dans un processus d’acculturation pour un immigrant), de même que des obstacles liés aux qualifications, qui réfèrent aux exigences imposées en matière de prérequis, pouvant mener à une faible reconnaissance des acquis, voire à des discriminations institutionnelles si ces prérequis sont injustifiés. À cet égard, MacKeracher, Stuart et Potter (2006) estiment que l’insuffisance des compétences essentielles requises par une activité de formation peut faire obstacle à la participation, au-delà de la motivation à participer ; mais selon nous, elle peut être vue comme un obstacle institutionnel, si des soutiens ou ajustements ne sont pas prévus pour permettre l’entrée en formation. Ces auteurs parlent d’obstacles académiques lorsqu’ils relèvent de l’absence des compétences essentielles au succès des apprentissages, mais ils peuvent visiblement relever de logiques institutionnelles ou situationnelles dans un grand nombre de cas.

Enfin, les obstacles institutionnels sont liés aux programmes, aux politiques, aux procédures et pratiques qui régissent le contexte de l’éducation des adultes (Cross, 1981). Les obstacles institutionnels les plus souvent mentionnés sont les conflits d’horaire, le coût de la formation (Doray, Bélanger, et Labonté, 2004 ; Peters, 2004 ; Statistiques Canada et Développement des ressources humaines Canada 2001 ; Tuijnman et Belanger, 1997), un lieu inapproprié, des conditions et un contexte d’accueil inadéquats, l’insuffisance des mesures de soutien, des pratiques andragogiques peu appropriées (Bourdon, Roy et Bélisle, 2004). Sont également évoqués la publicité inadéquate (Tuijnman et Belanger, 1997), la présence de jeunes adultes dans les classes et le temps de présence obligatoire (Doray, Bélanger et Labonté, 2004). Darkenwald et Merriam (1982) ont ajouté les obstacles informationnels, qui englobent l’accessibilité des informations sur les ressources éducatives et les opportunités de formation et ils font référence aux messages, aux contenus et à l’image que projette l’information disponible. MacKeracher et ses collaborateurs ont aussi ajouté des obstacles associés à la formation liée à l’emploi, ainsi que des obstacles pédagogiques pour identifier les pratiques ou stratégies pédagogiques inadéquates de l’enseignant et qui peuvent entraver la participation, et que nous incluons dans les obstacles institutionnels. Plus largement encore, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) parle de contraintes au droit à l’éducation pour certains groupes lorsqu’il existe des difficultés systémiques à mettre en oeuvre ce que Tomaševski (2002) nomme les quatre grands critères ou conditions d’effectivité du droit à l’éducation : dotation en ressources, accessibilité des services, acceptabilité sociale des contenus de l’éducation et adaptabilité des contenus et des pratiques de tous ordres. Aucune étude québécoise n’a exploré en détail si, ou comment les normes, programmes ou pratiques des institutions sont ou non adaptés aux réalités et besoins des populations issues de l’immigration et affectent leur parcours.

Au Québec, les écrits de recherche québécois sur les apprenants peu scolarisés dans les activités de formation et d’éducation de base pour les adultes (Beaudet, Sénéchal et Stephen, 1997 ; Doray, Bélanger et Labonté, 2004 ; Lavoie et al., 2004 ; Bélanger, Carignan-Marcotte et Staiculescu, 2008), ou sur les jeunes en difficulté d’apprentissage de 16-24 ans − dont le nombre s’est accru ces dernières années en formation générale des adultes (Lemire, 2010 ; Rousseau, Théberge, Bergevin, Tétreault, Samson, Dumont et Myre-Bisaillon, 2010) − ont peu pris en considération les facteurs liés à l’immigration et à l’adaptation des immigrants, et encore moins des 16-24 ans issus de l’immigration. Les quelques rares études ayant tenu compte des apprenants immigrants (souvent de plus 25 ans) au secteur des adultes ont souligné des obstacles culturels (surtout linguistiques), institutionnels ou socioéconomiques au retour aux études. Certains de ces obstacles sont relativement semblables à ceux rencontrés par les autres adultes issus du groupe majoritaire, notamment l’isolement et l’éloignement du milieu de l’éducation (Bélanger, Voyer et Wagner, 2004). Ces études n’ont pas tenu compte des facteurs et types de stress vécus par les personnes immigrantes ou réfugiées, tels que les processus d’acculturation et d’adaptation psychologique et sociale (Berry, 2006), ainsi que la perte de leur capital social au cours du projet migratoire, lorsqu’ils laissent derrière eux leur famille, leurs amis et les groupes qui leur fournissaient un soutien affectif, un sentiment d’appartenance et une identité sociale. L’adaptation dans un nouveau contexte entraîne en effet des réactions psychologiques conditionnées par l’histoire de vie des individus, leur capital humain, social et culturel (Rogers-Sirin, Ryce et Sirin, 2014).

Les écrits de recherche québécois et internationaux sur la scolarisation des jeunes immigrants au secteur obligatoire et les facteurs explicatifs de leur cheminement ou réussite scolaires (facteurs personnels, migratoires, systémiques), sont beaucoup plus abondants (McAndrew, Ledent et Ait-Said, 2005). Ces écrits montrent, entre autres, que les jeunes sont généralement victimes d’un double stress − scolaire et d’acculturation intrapsychique (Kanouté, Vatz-Laaroussi, Rachédi et Tchimou, 2008, p. 269) − parce qu’ils doivent s’adapter 1) à une nouvelle société, 2) à un système scolaire inconnu dans ses modes de fonctionnement, programmes, normes, contenus et approches pédagogiques, et 3) à une langue d’enseignement souvent différente de leur langue maternelle. Ayant peu de contrôle sur ce qui leur arrive, ils peuvent accumuler un retard scolaire en raison du passage en classe d’accueil et de certains classements ou déclassements effectués par l’école. Deux études longitudinales américaines, la Longitudinal immigrant families and teachersstudy (LIFTS) et la New York academic and social engagement study (NYCASES), ont mesuré le stress d’acculturation à long terme. La Longitudinal immigrant families and teachersStudy a examiné le contexte scolaire et comment les écarts culturels entre la culture scolaire et celle de l’élève, de même que les difficultés d’adaptation culturelle affectent les perceptions des enseignants et leur jugement à l’égard des élèves issus de l’immigration et de leurs parents. La New York academic and social engagement study a plutôt montré comment l’intersection de différents facteurs contextuels a des impacts, à travers le temps, sur la santé mentale des adolescents issus de l’immigration. Elle a mis en évidence que les jeunes de première génération ont des symptômes de dépression et de stress d’acculturation plus élevés que les autres groupes, et que l’accroissement du stress d’acculturation est un facteur prédictif d’une augmentation des symptômes internalisés de détresse psychologique. L’étude révèle que des soutiens sociaux élevés et une identité ethnique positive (en termes de sentiment d’appartenance à un groupe ethnique) peuvent être des facteurs de protection contre l’internalisation de symptômes de dépression et d’anxiété (Rogers-Sirin, Ryce et Sirin, 2014).

Les longues séparations familiales en raison de l’immigration jouent un rôle important dans l’adaptation psychologique et scolaire des jeunes : plus ils arrivent à la fin de l’adolescence – et plus la séparation a été longue − plus les jeunes ont de la difficulté à s’identifier à leurs parents ou à se conformer aux règles parentales au moment de la réunification de la famille (Suarez-Orosco, Suárez-Orozco et Todorova, 2008). Le rétablissement de l’autorité parentale est souvent entravé par un sentiment de culpabilité, qui envoie à l’enfant un message inconsistant. Une logique de rejet et contre-rejet se met souvent en place, menant certaines familles à rechercher une aide psychologique. Un jeune arrivé au pays d’accueil à l’adolescence, dans un contexte de réunification familiale après plusieurs années de séparation avec les parents, et qui doit recommencer sa scolarité en partie en raison de sa faible maîtrise du français, transposé par ses parents dans une société où les obstacles à sa réussite sont vécus comme une injustice, se sent souvent démotivé face à l’école et cherche inconsciemment à échouer (et se venger de ses parents) pour retourner dans son pays, surtout lorsqu’il était performant au plan scolaire (Suárez-Orozco, Suárez-Orozco et Todorova, 2008). Lorsque le déclassement scolaire est ressenti comme une discrimination, il accroît, chez le jeune issu de l’immigration (parfois même de deuxième génération chez les minorités visibles, selon (Potvin, 2007), le sentiment d’appartenir à une minorité involontaire, parce qu’il n’a pas choisi d’immigrer, se sent citoyen de seconde zone et vit une dynamique identitaire complexe (Ogbu et Simons, 1998).

Dans la présente recherche, nous avons adapté les modèles de Cross (1981) et Potter et Ferguson (2003) sur les obstacles à l’apprentissage et à la participation à la formation des adultes aux réalités des immigrants et de leurs descendants ; nous y avons intégré les processus et facteurs classiques liés aux expériences migratoires des première et deuxième générations issues de l’immigration (Kanouté et Lafortune, 2011 ; Kanouté, Vatz-Laaroussi, Rachédi et Tchimou, 2008 ; Legault et Rachédi, 2008 ; Potvin, Eid et Venel, 2007), dont les conditions pré et postmigratoires (par exemple, guerre, séisme, séparation avec les membres de la famille, âge, etc.) qui influent sur les processus d’adaptation, d’intégration et d’acculturation et sur les apprentissages scolaires (Kanouté et al., 2008). Nous avons donc construit un cadre heuristique adapté aux réalités de ces jeunes, en catégorisant les facteurs et obstacles rencontrés par ces apprenants (et identifiés par les jeunes et les agents institutionnels en entrevue) comme : 1) situationnels, 2) institutionnels et 3) dispositionnels, au regard de critères d’équité, qui se posent en termes de soutiens, de reconnaissance d’acquis, de dotation en ressources, d’accessibilité des services, d’acceptabilité sociale des apprentissages et d’adaptabilité des contenus et des pratiques de tous ordres (Tomaševski, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture - UNESCO, 2002).

  • Les facteurs situationnels peuvent être d’ordres académique, social, culturel ou informationnel. Il s’agit de situations liées au processus migratoire, telles que les conditions de départ et d’arrivée (dont les conditions de séparation/réunification familiale), les traumatismes associés (guerre, pertes, deuils, etc.), les écarts et transitions entre le système scolaire du Québec et celui du pays d’origine, les attentes parentales et autres. La situation familiale entre également en compte : séparation, recomposition, désorganisation, responsabilités, monoparentalité, rapports hommes-femmes et intergénérationnels, etc. À cela s’ajoutent l’adaptation et l’intégration économique et sociale de l’élève et de sa famille (conditions de vie au Québec : emploi et sources de revenu, précarité, conditions et contexte du travail, perte de statut social, conciliation études-travail, logement, etc.), l’appartenance à la première ou à la deuxième générations, les relations scolaires significatives (pairs, enseignants et autres intervenants), l’acculturation lié à la socialisation dans un autre contexte, l’absence de repères culturels et linguistiques, la méconnaissance du système et de ses filières (règles, cadres, démarches), l’éloignement géographique des lieux de formation, les conditions dans lesquelles se déroulent les études, le retard accumulé, ainsi que le capital culturel, humain et social.

  • Les facteurs ou obstacles institutionnels peuvent avoir des effets systémiques, cumulatifs et préjudiciables : ce sont les écueils rencontrés lors de l’entrée en formation, les mesures de soutien à la formation (incluant en français) absentes, limitées ou trop restrictives, le formalisme du cadre d’éducation, le contexte andragogique peu approprié, les limites des finalités observées dans la formation, les règles et normes, les processus de sélection, d’évaluation, de classement et d’orientation, les pratiques pédagogiques et académiques, les soutiens et suivis qui ont marqué le parcours du jeune, les faiblesses dans la dotation, l’accessibilité, l’adaptabilité ou l’acceptabilité sociale des services ou pratiques.

  • Les facteurs ou obstacles dispositionnels ou intrinsèques concernent l’impact des autres facteurs sur le sens donné par l’acteur à sa situation pré et post-migratoire : les gains ou pertes, tout recommencer, apprendre le français, s’intégrer au Québec, se faire un nouveau réseau social, etc. À cela s’ajoutent les problèmes psychosociaux de l’acteur, sa motivation/démotivation, sa perception de soi (âge, sexe, etc.) et son estime de soi sur le plan des apprentissages et de l’intelligence. sa confiance en soi et en l’avenir ou au contraire, son découragement dû à la faible maîtrise de la langue ou aux retards et déclassements, ses attitudes face aux efforts, ses croyances ou valeurs, ses dispositions symboliques/culturelles, son projet personnel ou professionnel, sa vision des retombées (lointaines ou non) de la formation. son rapport à la lecture et à l’écriture (surtout s’il est peu francisé ou alphabétisé), ses expériences scolaires et sa perception de l’école, son acquisition ou non d’une culture de formation. Soulignons que ces facteurs sont d’ailleurs particulièrement importants dans une phase développementale dite de vie adulte émergente (emerging adulthood) (Arnett, 2000).

Notre attention a surtout porté sur les facteurs institutionnels, administratifs ou systémiques, tout en analysant différents facteurs situationnels (liés aux dispositions symboliques ou culturelles ou à des conditions de vie, ainsi qu’à divers processus liés à la migration (facteurs pré et postmigratoires) et aux transitions. L’analyse s’intéresse aux effets combinés des pratiques − volontaires ou involontaires (omission ou commission d’actes) − des règles, des services et des décisions sur les parcours des apprenants, ainsi qu’à l’adaptation des pratiques en fonction des besoins des élèves (équité) pour assurer leur réussite (égalité substantive). Nous nous appuyons sur des assises théoriques inclusives et critiques de l’équité en éducation, en portant une attention particulière aux effets systémiques des normes, processus et pratiques institutionnelles qui, bien que neutres en apparence, peuvent désavantager certains groupes d’apprenants issus des minorités ou avoir un effet préjudiciables sur leur parcours scolaire ; par exemple, les déclassements, la surévaluation ou la sous-évaluation de leurs problèmes, donc des services et soutiens offerts (Cochran-Smith, M., 2004 ; Kushnick, 1999).

Les facteurs sont souvent interreliés et ont des effets cumulatifs. Par exemple, la faible maîtrise du français (une caractéristique de la personne à un moment donné) se conjugue souvent avec un manque de repères dû à l’arrivée d’un immigrant au pays, qui peut entraîner un manque de motivation et d’estime de soi à plus ou moins long terme. Les facteurs dispositionnels sont souvent des effets des autres facteurs.

L’objectif n’est pas de mesurer leur poids relatif, mais de saisir leur imbrication dans les discours des acteurs (comment ils donnent la primauté aux effets de ces facteurs sur leur parcours, comment ils transigent avec ces facteurs). Dans le présent article, les regards des jeunes ont été croisés avec ceux des agents institutionnels sur les processus, pratiques et services institutionnels.

Le volet avec les jeunes adopte une approche biographique (life course), axée sur l’analyse des types de facteurs qui renvoient à des événements prenant en considération différentes étapes et sphères de la vie (migratoire, familiale, scolaire, professionnelle etc.), en dégageant du discours des acteurs les facteurs et obstacles qui paraissent les plus significatifs pour eux (Crockett, 2002). Dans notre étude, le concept de trajectoire est abordé comme un ensemble d’éléments objectifs et subjectifs (situations, relations, contraintes ou événements objectifs auxquels l’individu donne un sens subjectif), référant à des processus rétrospectifs, réflexifs et prospectifs impliquant le passé, le présent et le futur de la personne (Dubet, 1994 ; Bélanger et al., 2007). Les facteurs et contraintes sont à la fois une réalité objective, s’imposant à l’individu, et une réalité subjective, par le sens donné par l’acteur lui-même et par ses réactions face à la situation. Dans cette perspective, les trajectoires individuelles sont modelées par le contexte social, historique et géographique dans lequel elles s’inscrivent, tout comme par le contexte normatif, structurel et institutionnel spécifique (normes scolaires, normes du marché du travail, etc.). L’impact d’une succession de transitions ou d’événements (dont la transition d’un pays à l’autre, ou d’un système social et scolaire à l’autre par la migration) est tributaire du moment où cette succession se produit dans la vie de l’individu, les jeunes âgés entre 16 à 24 ans étant dans leur phase développementale de vie adulte émergente (emerging adulthood) (Arnett, 2000). Les individus construisent leur propre vie par les choix et actions effectués dans les limites des occasions qui se présentent à eux et des contraintes offertes par les conditions historiques et sociales qui prévalent (Doray et al., 2009).

3. Méthodologie

Comme nous l’avons mentionné, nous avons privilégié une approche à la fois qualitative par cas multiples, inductive, typologique et biographique, afin de dresser un portrait d’ensemble des facteurs qui influencent les parcours de jeunes qui fréquentent ce secteur, et d’explorer comment ces facteurs sont médiatisés par l’apprenant. En ce qui touche notre échantillon qualitatif par cas multiples, le critère majeur de sélection est la diversification externe (intergroupe, par les regards croisés et contrastés des acteurs) et interne (intragroupe chez les jeunes), plutôt que la représentativité statistique (Glaser et Strauss, 1967, p. 50-63 ; Pires, 1997, p. 64-65). L’étude vise à donner un panorama des facteurs affectant les parcours des jeunes en formation générale des adultes, une vision d’ensemble, un portrait global de cette question de recherche. Diversifier les cas nous permet d’inclure la plus grande variété possible de regards, indépendamment de leur fréquence statistique. La démarche implique l’adoption d’entretiens semi-directifs permettant de centrer le discours des personnes interrogées, d’une part, sur des thèmes liés aux parcours social, scolaire, familial, professionnel et migratoire pour les jeunes, et d’autre part, aux pratiques institutionnelles envers ces jeunes, pour les agents. Ce type d’entretien révèle des discours et représentations basés sur les expériences personnelles, qui aident à mieux saisir les rapports sociaux en jeu et les facteurs, notamment institutionnels, dont les impacts sur les parcours des jeunes paraissent les plus significatifs dans les regards croisés des jeunes et des acteurs institutionnels.

Dans le volet qui concerne les agents institutionnels, nous nous sommes penchés sur les pratiques déclarées et opinions des acteurs institutionnels à l’égard des pratiques, services, règles, mode de fonctionnement et instrumentation utilisés, envers les jeunes issus de l’immigration, dans leur centre ou commission scolaire. Seules les pratiques déclarées et opinions sont présentées ici, croisées avec les discours des jeunes sur les facteurs qui leur paraissent les plus significatifs.

3.1 Les sujets

Nous avons rencontré au total 288 personnes, soit 136 jeunes et 152 agents institutionnels de différents corps d’emploi entre 2007 et 2012. Dans la première étude exploratoire (2007-2009), nous avons mené 104 entrevues semi-dirigées, individuelles ou par petits focus group de 2-3 personnes : 56 jeunes, 25 mentors, 7 enseignants, 3 directeurs et 6 intervenants communautaires à la Commission scolaire de Montréal. Lors du second terrain (2009-2012), nous avons rencontré 184 personnes en entrevues (individuelles, semi-dirigées ou par groupes de 2-3 personnes) dans 6 commissions scolaires (5 à Montréal, 1 à Sherbrooke), anglophones et francophones, entre janvier 2010 et mars 2012. Il s’agissait de 104 agents institutionnels (responsables de la formation générale des adultes dans les commissions scolaires, directeurs de centres d’éducation des adultes et leurs adjoints, responsables des Services d’accueil, de référence, de conseil et d’accompagnement (SARCA), conseillers de formation, d’information ou d’orientation, conseillers pédagogiques, travailleurs sociaux, enseignants, directeurs d’écoles secondaire et adjoints, agents d’Emploi-Québec) et de 80 jeunes de 16-24 ans (première, deuxième et troisième générations) inscrits en formation générale des adultes. Le choix de la formule (entrevue individuelle ou focus-group) était fixé avec les participants, selon les besoins et disponibilités. Ils ont tous participé de manière volontaire. Les agents institutionnels ont été sélectionnés en fonction des postes occupés en vertu du principe de diversification externe. Pour la sélection des jeunes, les seuls critères étaient l’âge (16-24 ans) et l’appartenance à l’une ou l’autre des générations, en vertu du principe de diversification externe et interne et de saturation des parcours selon les générations.

3.2 Instrumentation

Les entretiens ont tous été enregistrés et retranscrits. En plus des entrevues, d’une durée moyenne d’une heure, les données ont été recueillies à l’aide de fiches de renseignements signalétiques et d’informations sur les jeunes et leurs parcours.

L’analyse thématique des données qualitatives a suivi l’ordre des questions posées en entrevue (entretiens semi-dirigés). Les agents institutionnels ont surtout été interrogés sur les éléments suivants : 1) les dispositifs mis en oeuvre en formation générale des adultes pour répondre aux besoins des 16-24 ans (services offerts, règles, procédures officielles…), 2) les pratiques effectives des agents, 3) les instruments de diagnostic et de classement/tests oraux et écrits et leur administration selon les profils des jeunes (types de tests, évaluation des élèves à l’inscription, conditions de passation des tests, pratiques reliées au transfert des résultats des tests), 4) les pratiques pédagogiques (cours magistraux, individualisés), 5) les pratiques liées aux présences et au mode de financement, 6) les pratiques d’accueil (procédures inscription, documents demandés), 7) le rôle des agents aux différentes étapes (accueil, classement et orientation des jeunes issus de l’immigration, services d’accompagnement, de formation et complémentaires), 8) les ponts entre la formation générale des jeunes et la formation générale des adultes, 9) les programmes d’Emploi-Québec et, de manière plus secondaire, 10) les autres facteurs qui, selon eux, ont des impacts sur les parcours de ces jeunes (familiaux, migratoires, etc.).

En ce qui concerne les jeunes, nous avons surtout orienté les questions sur l’expérience migratoire (conditions et situations pré et postmigratoires), la situation familiale, les étapes du parcours scolaire (processus d’accueil, de classement et d’orientation en formation générale des jeunes et en formation générale des adultes), de même que sur les pratiques institutionnelles, services de formation et services complémentaires, le parcours scolaire dans le pays d’origine et au Québec. Il s’agit d’un regard subjectif du jeune sur les facteurs explicatifs jugés comme les plus déterminants de son parcours.

3.3 Déroulement

Avec l’autorisation des directions et des enseignants, nous avons recruté les participants en appliquant la technique dite boule de neige. Dans la première étude, les entrevues ont été effectuées en français par la chercheure principale et un assistant dans des centres d’éducation des adultes entre janvier 2007 et mai 2009. Dans la seconde étude, les entrevues ont été menées en français et en anglais dans les centres, écoles secondaires, bureaux d’Emploi-Québec à partir de canevas adaptés aux jeunes et aux agents, et ce, par des assistants de recherche formés par la chercheure principale.

3.4 Méthode d’analyse des données

L’objectif était d’obtenir les regards croisés des acteurs (triangulation des données) sur les processus et pratiques institutionnels et leurs impacts sur les trajectoires de scolarisation des jeunes issus de l’immigration. Notre type de matériel empirique a permis de combiner l’échantillon par contraste et l’échantillon par saturation. Il ne s’agissait pas de viser une représentativité numérique dans l’échantillon mais, tout simplement, d’avoir quelques exemples par groupe professionnel, centre d’éducation des adultes et commission scolaire. Le but de l’échantillon par contraste avec entrevues étant d’ouvrir les voies à la comparaison (externe) ou à une sorte de totalité hétérogène (Pires, 1997, p. 70), nous avons entrepris la construction d’une cartographie des pratiques, et d’une typologie des trajectoires types des jeunes, par l’entremise d’un nombre diversifié de cas. Dans le cas des jeunes, une diversification interne, par saturation empirique, était aussi recherchée et nous avons construit par induction des cas types empiriques de trajectoires, par saturation des cas selon les générations.

L’analyse qualitative a été réalisée sur un corpus de données documentaires, d’entrevues et d’observations, colligées dans 20 centres d’éducation des adultes et écoles secondaires, et ensuite triangulées. Les entretiens individuels et de groupes ont tous été enregistrées, retranscrits puis traités selon une démarche classique d’analyse de contenu, sans l’aide d’un logiciel : analyse thématique (découpage par grands thèmes et sous-thèmes), repérage des unités de sens pertinentes dans chaque entrevue de groupe, attention portée aux dimensions émergentes, articulation des différents facteurs. Pour effectuer l’analyse descriptive, de nombreux tableaux-synthèses ont permis de dresser un portrait des dispositifs, procédures et pratiques (administratives, pédagogiques, classement et orientation) dans chaque centres d’éducation des adultes et commission scolaire selon, d’une part, les pratiques officielles recueillies à partir des sites web et de la littérature grise, et d’autre part, les pratiques déclarées et opinions des acteurs institutionnels en entrevues sur les pratiques, règles, mode de fonctionnement et instrumentation. Seule la synthèse générale des pratiques déclarées et opinions des agents est présentée ici, croisée avec les discours des jeunes sur les facteurs qu’ils perçoivent comme les plus significatifs de leur parcours. Les synthèses par catégories d’acteurs ont permis d’effectuer une analyse transversale, puis comparative et de croiser les regards des acteurs sur les processus et pratiques.

3.5 Considérations éthiques

De l’information aux participants jusqu’à l’analyse des données, les chercheurs se sont conformés aux exigences de l’éthique en recherche (consentement éclairé, signature des participants, possibilité de retrait, confidentialité, anonymat).

4. Résultats

4.1 Portrait général des jeunes

Les 136 jeunes rencontrés avaient en moyenne 19 ans, et étaient plus souvent nés à l’étranger (85/136 ou 62,5 %, dont plusieurs réfugiés) qu’au Canada (deuxième génération : 38/136, ou 28 % et non-immigrants 13/136, ou 9,5 %) ; ceux de première génération étaient principalement arrivés au Québec entre 16 et 24 ans et depuis moins de 4 ans. Ils provenaient plus souvent d’Haïti ou d’un pays d’Amérique Latine pour ceux de la Commission scolaire de Montréal et de la Commission scolaire de la Pointe-de-l’Île,  de l’Afriqu,e pour ceux de la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, d’un pays en guerre (Congo, Burundi, Colombie, Afghanistan) pour ceux de Sherbrooke, et de divers pays pour le secteur anglais. Plus de la moitié (56 %) des jeunes avait quitté la formation générale des jeunes à 15 ou à 16 ans et au moment de l’inscription en formation générale des adultes, 48,5 % étaient arrivés en continuité de la formation générale des jeunes sans interruption, que ce soit du cheminement particulier, du secteur régulier ou des classes d’accueil. Les autres provenaient directement de l’étranger (23,8 %) ou avaient interrompu leurs études (27,7 %). Près de 51 % des jeunes avaient été séparés de leurs parents pendant plusieurs années dans l’attente des papiers d’immigration. Plus de 77 % avaient effectué leur scolarité en partie ou en totalité au Québec. Parmi eux, 45 % avaient déjà fréquenté une classe d’accueil et 44 % avaient suivi le cheminement particulier (11 % les deux). Aucun n’avait été en cheminement particulier au secteur anglais, mais plus du tiers (36 %) des jeunes rencontrés dans ce secteur provenait de la formation générale des jeunes du secteur français, en continuité d’une classe d’accueil.

4.2 Des trajectoires diversifiées chez les jeunes rencontrés

Nous avons construit une typologie des différents parcours des jeunes à partir des facteurs significatifs qui font varier ces parcours. L’expérience d’un jeune, son adaptation au secteur des adultes et sa trajectoire scolaire, n’est pas la même selon qu’il arrive en formation générale des adultes directement de l’étranger ou d’une classe d’accueil, de l’adaptation scolaire ou d’une classe régulière du secteur des jeunes, à l’adolescence, avec ou sans retard scolaire et maîtrisant ou non le français, ou qu’il soit né au Québec et ayant arrêté de fréquenter l’école pendant des années. Le passage en formation générale des adultes est vécu par certains comme une opportunité de réussir, et par d’autres, comme un passage obligé ou imposé, voire comme un déclassement.

4.2.1 Les jeunes de première génération

Parmi les jeunes de première génération de notre échantillon (85/136, soit 62,5 %), les parcours types sont très diversifiés selon l’âge à l’arrivée, la maîtrise du français, la scolarité effectuée au Québec et hors-Québec et la trajectoire migratoire. Nous en avons identifié quatre.

Le parcours le plus fréquent est la trajectoire en accéléré (20,2 % des jeunes de ce groupe), qui correspond à deux profils : des jeunes arrivés au Québec avant l’âge de 10 ans, qui ont vécu une classe d’accueil au primaire et accumulé un léger retard au secondaire, et qui viennent terminer rapidement et en continuité un ou deux cours obligatoires en formation générale des adultes pour obtenir leur diplôme d’études secondaires (9 %) ; des jeunes arrivés soit à l’adolescence (entre 13 et 16 ans), soit à l’âge de 17-18 ans, scolarisés avant la migration et durant la trajectoire migratoire et parlant français à leur arrivée (11,2 %). Ceux-ci peuvent entrer directement en formation générale des adultes ou transitent de la formation générale des jeunes à la formation générale des adultes pour finir rapidement quelques cours obligatoires, où ils bénéficient d’un classement parfois revu lors de l’entrée en formation. Certains apprécient l’autoformation assistée et terminent rapidement leur formation, d’autres prennent plus de temps et n’apprécient pas l’autoformation assistée. Ils sont surtout Africains à Sherbrooke, et de diverses origines dans les autres commissions scolaires.

Le 2e parcours est la trajectoire ambiguë pour le système scolaire (15 % des jeunes) ; il correspond à des jeunes arrivés à l’adolescence (entre 14 et 16 ans), scolarisés avant la migration et durant la trajectoire migratoire et ne parlant pas français à leur arrivée. Ces jeunes vont en classe d’accueil au secondaire et sont souvent envoyés directement en formation générale des adultes, dès 16 ans, par l’école secondaire, lorsqu’ils n’ont pas les acquis du secondaire 3. Ils sont considérés comme difficiles à évaluer et à classer en raison de leur faible maîtrise du français. Ils sont souvent placés en alphabétisation ou en présecondaire une fois arrivés en formation générale des adultes, ou bénéficient du programme Français de transition. Ils ont peu de contrôle sur ce qui leur arrive et transitent vers la formation générale des adultes, où ils n’apprécient pas l’approche d’autoformation assistée et vivent difficilement les déclassements subis. Ils sont de différentes origines dans les commissions scolaires, et s’orientent souvent vers le secteur anglais en formation générale des adultes.

Toujours chez les jeunes de première génération, le 3e parcours est la trajectoire d’acquisition du français (12,5 % des jeunes), celle des jeunes arrivant à 17 ans ou plus, scolarisés dans leur pays d’origine et ne maîtrisant pas le français. Ils ont souvent un vécu de déplacement prémigratoire, mais ont pu continuer l’école. Parfois, ils font une année de classe d’accueil au secondaire, entrent au programme Français de transition, en francisation (à la Commission scolaire de Montréal), en alphabétisation ou au présecondaire en formation générale des adultes. Ils sont plus souvent Colombiens, Iraniens, Irakiens, Afghans à Sherbrooke et de diverses origines dans les autres commissions scolaires.

Le 4e parcours concerne la trajectoire dite chaotique (11,3 % des jeunes), celle de jeunes arrivés à l’adolescence, provenant de la réunification familiale, ou encore de pays en guerre et de camps de réfugiés ; ils ont vécu des pertes dans leur famille ou de longues séparations avec les parents, sont peu ou pas scolarisés avant leur arrivée, et le français est souvent leur deuxième ou troisième langue, plus ou moins maîtrisée à l’oral à leur arrivée. Ces jeunes passent par les classes d’accueil au primaire, puis souvent en adaptation scolaire au secondaire. Leur cheminement est en dents de scie ; ils ont peu de contrôle sur ce qui leur arrive et ils fréquentent la formation générale des adultes, où ils apprécient la souplesse du classement et la possibilité de reprendre leurs apprentissages sans être stigmatisés. Ils ont besoin de soutien psychosocial et de temps pour se scolariser. Ils sont surtout d’origine africaine et afghane à Sherbrooke, haïtienne et latino-américaine à la Commission scolaire de Montréal.

4.2.2 Les jeunes de deuxième génération

Les jeunes de deuxième génération (nés au Québec) rencontrés (38/136, soit 28 %), connaissent des trajectoires types un peu plus similaires. Deux types de trajectoires se dégagent de ce groupe : la trajectoire en continuité et la trajectoire du raccrocheur type (12,5 % de l’ensemble des jeunes). La trajectoire en continuité est celle du jeune de deuxième génération en classe régulière, qui avait accumulé un léger retard au secondaire, des échecs ou un redoublement, et qui vient terminer rapidement un ou deux cours obligatoires du secondaire en formation générale des adultes pour obtenir son diplôme d’études secondaires. Elle est plus fréquente chez les jeunes rencontrés au secteur anglophone. Quant à la trajectoire du raccrocheur type (12,5 % des jeunes), elle se compose de jeunes de deuxième génération qui ont plus souvent interrompu leurs études entre la formation générale des jeunes et formation générale des adultes pendant un an ou plus, qui ont reçu un code Élèves handicapés ou Élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA) en formation générale des jeunes, qui sont passés par le Cheminement particulier au secondaire, les classes d’adaptation scolaire avec plan d’intervention, et pour certains, un centre spécialisé avec un dossier de diagnostics et des besoins en services complémentaires. Ils étaient souvent inscrits au Service d’entrée en formation (SEF), au présecondaire ou au premier cycle du secondaire. La plupart ont interrompu puis repris leurs études à plusieurs reprises. Il s’agissait de jeunes dont les parents provenaient plus souvent d’un pays d’Amérique latine ou d’Haïti à la Commission scolaire de Montréal et à la Commission scolaire de la Pointe-de-l’Île.

4.2.3 Les jeunes non-immigrants

Enfin, les jeunes non-immigrants rencontrés (13/136, soit 9,5 %) avaient une trajectoire du raccrocheur type, marquée par le redoublement, l’adaptation scolaire, des abandons scolaires et des retours, des tests de classement ou de diagnostic à l’arrivée en formation générale des adultes, un passé marqué par des situations familiales lourdes entraînant des difficultés psychosociales importantes (placement en centre d’accueil ou en familles d’accueil, dépendances, etc.).

4.3 L’interrelation des principaux facteurs : regards des jeunes et des agents

4.3.1 Les facteurs situationnels

Ce qui caractérise particulièrement les trajectoires des jeunes de première génération rencontrés, surtout ceux arrivés à l’adolescence ou réfugiés, ce sont les facteurs situationnels de stress liés au parcours migratoire : séparations avec leurs parents (ou l’un d’entre eux) pendant parfois des années et réunifications familiales tardives et complexes ; départs précipités, transits par plusieurs pays ; familles reconstituées à leur arrivée au Québec ; pertes et deuils à faire des amis ou parents laissés au pays, traumas liés à la guerre ou conditions de départ difficiles ; absence plus ou moins prolongée de scolarisation. Plusieurs de ces jeunes ne voulaient pas venir au Canada et disent en vouloir à leurs parents. Certains soutiennent avoir des réticences à apprendre le français dans l’espoir de retourner au plus vite dans leur pays. Plusieurs prennent des années avant d’accepter leur immigration au Québec. Ils comparent leur retard scolaire au Québec avec le niveau qu’ils auraient atteint dans leur pays d’origine. Sur le plan scolaire, les jeunes rencontrés étaient majoritairement en situation de grand retard scolaire au Québec, selon les classements obtenus et la reconnaissance de leurs acquis, en raison de la langue, de leur arrivée tardive au Québec, des écarts entre les systèmes scolaires, d’une scolarité chaotique ou intermittente ou du décrochage.

Ces facteurs situationnels résultent de contraintes informationnelles, liées à la méconnaissance et à l’absence de repères des jeunes sur le fonctionnement du système social et scolaire au Québec, surtout lorsqu’ils maîtrisent peu le français. Nos données qualitatives montrent que trois facteurs caractérisent le parcours des jeunes de première génération en formation générale des adultes : être arrivé au Québec entre 14 et 17 ans, avoir une faible maîtrise de la langue française et être considéré comme sous-scolarisé par l’école québécoise.

Soulignons que presque tous les jeunes rencontrés, peu importe la génération, disent avoir vécu des situations familiales chaotiques et difficiles, marquées par la déstructuration et parfois par la violence, et qui ont entraîné une grande confusion sur le plan scolaire. Plusieurs se sentent (ou se sont sentis) en situation de détresse psychologique (certains jeunes ont même mentionné leurs tentatives de suicide), ce qui les aurait amenés à se désintéresser de l’école, qui était loin d’être leur préoccupation centrale. C’est le cas de la majorité des jeunes de troisième génération (non-immigrants) et de deuxième génération, ainsi que des immigrants très récents (moins de 5 ans) arrivés entre 14 et 17 ans au Québec. Le secteur des adultes doit donc composer avec des réalités psychosociales de plus en plus difficiles (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2009). Ces facteurs situationnels se combinent aussi à des facteurs institutionnels, qui reviennent de façon récurrente dans le discours des jeunes et des agents institutionnels, facteurs sur lesquels nous mettons davantage l’accent.

4.3.2 Les facteurs institutionnels

Dans cette sous-section, nous traiterons, d’une part, du regard des jeunes sur les facteurs institutionnels, et d’autre part, nous croiserons ces points de vue avec ceux des agents institutionnels

4.3.2.1 Le regard des jeunes
Sur les processus et pratiques

Les apprenants rencontrés sont, dans l’ensemble, très critiques à l’égard des processus et pratiques en formation générale des adultes : la pédagogie employée, l’autoformation assistée, les classes multi-niveaux, les tests de classement. Les représentations des jeunes soulignent plusieurs contradictions à cet égard : d’un côté, l’approche andragogique repose sur la prémisse d’une autonomie de l’adulte et d’un respect de celui-ci, avec les cahiers et modules, les classes multi-niveaux, les suivis individualisés, les activités parascolaires facultatives… De l’autre côté, le centre impose des contraintes, perçues comme infantilisantes par plusieurs apprenants : contrôle serré des présences et des retards, sonneries pour marquer les rythmes scolaires, surveillance et contrôle disciplinaire (à la cafétéria, sur le terrain du centre). Certaines contraintes, comme le contrôle des absences, sont clairement reliées aux sources de financement et à la gestion de la protection sociale (entente entre les centres et Emploi-Québec).

Sur les tests de classement et d’évaluation

En ce qui concerne les tests de classement et d’évaluation, plusieurs jeunes parlent des effets de déclassement, de conditions de passation difficiles et du stress associé à ces tests. Ils sont nombreux à ne pas comprendre les écarts de « niveaux » entre les systèmes scolaires, et à croire qu’après avoir été en classe d’accueil secondaire, ils ont été « rétrogradés » au moment de leur inscription en formation générale des adultes, parce qu’ils ont été classés à des niveaux inférieurs à ceux atteints dans leur pays d’origine. Les jeunes de première génération disent avoir été bouleversés lorsqu’ils ont reçu leur classement et pris conscience du décalage avec le niveau atteint dans leur pays d’origine. Ils se sentent, pour la plupart, honteux et victimes d’une injustice et de discrimination.

Je suis arrivé à 16 ans et j’ai commencé l’accueil puis ils m’ont fait faire un examen de classement pour les maths. Ils m’ont mis en secondaire 1. Ils m’ont traité comme un cave parce que j’étais immigrant. J’avais le goût de m’en aller et de laisser tout ça, et je n’aimais pas le Québec […] Je pense qu’ils traitent les immigrants comme des caves. Je voulais repartir en Colombie pour finir mes études. J’avais presque fini mon secondaire. Ils m’ont fait refaire tout le primaire, tout le 1. […] en français, c’était pire parce que mon prof me disait : « Tu vas rester toute ta vie ici, si tu continues comme ça, tu vas faire des années en accueil ». […] Je voulais casser la gueule au prof, parce qu’il me traitait comme un cave

Christian, 18 ans

Ils posent un regard très critique sur le mode d’évaluation de la langue en formation générale des adultes, n’ayant reçu, selon eux, aucune explication sur leurs erreurs aux examens de classement. Les jeunes estiment que ces derniers sont mal expliqués aux étudiants, inadéquats pour les allophones, mal appliqués dans certains cas (sans préparation, sans manuels ou documents) et parfois injustifiés. Ils auraient simplement été informés du programme dans lequel ils ont été classés. Dans tous les cas, les classements auraient été faits à l’aide de tests ou d’examens écrits, en français et mathématiques, le jour de l’inscription. Ils auraient reçu une feuille et auraient été installés dans une salle avec un surveillant. Selon Roseline : On connaissait rien du système, de la société, et tout. J’étais toute confuse. Je n’ai rien écrit sur ma feuille à l’examen. La plupart des élèves ne savent pas qui leur a fait passer ces tests.

La critique est particulièrement acerbe chez les jeunes arrivés vers 14-15 ans au Québec, qui sont passés du secteur jeunes à la formation générale des adultes sans interruption et qui avaient presque terminé leurs études secondaires dans leur pays d’origine. À cet égard, le regard que portent les jeunes sur leurs études en formation générale des adultes varie selon leur parcours scolaire. Ceux qui ont interrompu leurs études au secteur des jeunes acceptent plus facilement d’être classés dans des programmes de rattrapage ou de niveaux inférieurs en formation générale des adultes.

Parmi les élèves arrivés au secondaire en formation générale des jeunes, ceux qui avaient atteint les niveaux inférieurs aux 2e et 3e secondaire dans leurs pays d’origine ont des parcours semblables : ils ont été en classe d’accueil pour se retrouver ensuite en alphabétisation, en présecondaire ou en 1re secondaire en formation générale des adultes, afin de « se remettre à niveau ». En général, les étudiants les plus avancés dans leur pays d’origine (4e et 5e secondaire) vivent souvent un choc psychologique en formation générale des adultes :

Gladys : Moi j’étais déjà arrivée au secondaire 5 dans mon pays, j’étais au lycée. Et puis quand j’ai fait mon équivalence [au ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport], on m’a donné le secondaire 4, avec les bulletins que j’ai amenés. J’étais contente, on m’avait donné secondaire 4 et je pensais aller au cégep […] Mais après, je suis allée à (un centre), on m’a donné un test, c’était vraiment difficile. J’étais un peu stressée et là, on me remet comme au primaire. Je croyais qu’on allait me mettre en secondaire 4 et on m’a mis en alphabétisation ! J’avais tellement mal, le soir, quand je revenais à la maison, je pleurais. […] Et puis, ils voyaient comment je travaillais en classe, la façon dont je répondais. Et on me disait : pourquoi tu es venue ici ? Ben parce que j’ai échoué mon test. Et la dame a dit : OK, je vais voir la directrice pour ton cas. Elle est allée voir la directrice pour dire : son niveau n’est pas vraiment ici. On va la mettre au moins en 1re secondaire. […] La femme m’a fait passer les tests pour la deuxième fois et j’ai eu 90 %. On m’a fait passer en 1re secondaire, on m’a enlevée en alphabétisation.

Le parcours de Marlaine, 20 ans et arrivée à 16 ans d’Haïti, est relativement semblable. Elle était en 3e secondaire dans son pays d’origine, a passé un an en classe d’accueil à son arrivée au secteur des jeunes, puis se retrouve en alphabétisation en formation générale des adultes pour être reclassée en 1re secondaire quelques mois plus tard dans le même centre d’éducation des adultes. Elle est en 4e secondaire au moment de l’entrevue et estime avoir accumulé un retard de trois ans. Elle n’a jamais compris les classements reçus :

Marlaine : Quand j’ai fini cette classe d’accueil […] j’ai présenté mon bulletin et ils m’ont fait faire des tests. Ils m’ont mis dans alphabétisation. […] Ils ne m’ont jamais expliqué pourquoi. […] C’était vraiment triste. […] Je ne sais pas. Ils n’ont pas dit combien j’ai eu.

Un autre jeune de 22 ans, arrivé à 16 ans d’Haïti, est en formation générale des adultes depuis 5 ans :

Julien : Je suis arrivé ici au Québec à l’âge de 16 ans. Et c’est ma mère… ma mère habite ici. Et mon père est là-bas, en Haïti. Quand je suis arrivé ici, j’avais déjà 16 ans… j’étais un peu vieux, là. Je suis venu à l’école des adultes. Directement. J’étais classé comme présecondaire. […] Je n’ai jamais lâché, jamais abandonné. Ça fait 5 ans. Je suis en train de finir mon secondaire.

Une étudiante de 19 ans, d’origine africaine, qui a vécu quelque temps au Nouveau-Brunswick, ne comprend pas pourquoi elle a été rétrogradée à son arrivée au Québec alors qu’elle avait un bulletin d’une autre province canadienne. Elle est arrivée au Canada à 16 ans, chez sa tante au Nouveau-Brunswick, où elle a atteint la 4e secondaire. Lorsqu’elle déménage au Québec, à 18 ans, elle passe un test de classement en mathématiques et se retrouve en 1re secondaire, alors que son bulletin du Nouveau-Brunswick indiquait 4e secondaire dans cette matière. Elle vit très mal ce déclassement et questionne les modalités d’équivalence d’une province à l’autre :

Sarah : […] ma tante est allée m’inscrire en secondaire, mais ils ne m’ont pas acceptée parce que j’avais 18 ans… Au Nouveau-Brunswick, je pouvais aller au secondaire jusqu’à 20 ans, mais ici on ne m’a pas acceptée alors on m’a mis ici [au centre]. On m’a donné encore mathématiques et j’avais déjà terminé. […] Quand j’étais venue ici, j’ai passé un test de classement et je n’ai pas réussi […] Ils m’ont donné le test sans calculatrice, puis on m’a demandé des choses de primaire dont je ne me souvenais même pas. J’avais déjà fait mathématiques jusqu’en secondaire 4. […] Ils disent que c’est à cause du test que je n’ai pas passé. Mais dans mon dossier, on a écrit que je devais juste faire secondaire 4. Eux, ils m’ont mis en secondaire 1. Au Nouveau-Brunswick, ça veut dire primaire. J’ai déjà fait ! […]. Et le directeur avait dit dans mon dossier, ou le ministère de l’Éducation, que je devais faire juste le secondaire 4. Il m’avait dit de juste passer le test, car on m’avait déjà inscrit en secondaire 4. Après, la directrice a dit « c’est parce que tu n’as pas réussi le test de classement ».

Tara, 20 ans, qui était en 3e secondaire en Haïti, passe un an en classe d’accueil, puis trois ans au centre d’éducation des adultes, où elle tente de terminer son secondaire 4 :

Je suis arrivée à 16 ans. L’année suivante, j’étais aux adultes. En Haïti, c’est différent par rapport à ici. Je peux dire que j’étais en secondaire 3. […] J’étais une année au secteur jeune et je n’ai pas pu m’intégrer, parce que j’étais en retard dans mes études en Haïti puis, en arrivant ici, j’ai passé des tests et puis, peut-être ça n’allait pas dans mes tests et ils m’ont transférée ici. […] [À mon arrivée] J’étais en classe d’accueil, pendant une année. Pour moi, c’est une année perdue. Parce qu’en arrivant ici [aux adultes], ils m’ont encore évalué, ils m’ont encore reclassée. Tout ce que j’avais fait au secteur jeune, c’était rien. La direction a gardé mon bulletin et elle m’a dit « test de classement » […]. Ça fait trois ans que je suis là. Je suis en secondaire 4, mais juste en math […].

Au secteur des jeunes, plusieurs jeunes « en retard » disent avoir été orientés vers la formation générale des adultes par des intervenants scolaires. Deux jeunes de 18 ans récemment arrivés au Québec racontent comment les intervenants de leur école secondaire les ont incités à aller en formation générale des adultes :

Armando : Si tu travailles bien, que tu as 16 ans et que tu es en secondaire 3, là tu peux rester à l’école secondaire, mais si t’es en accueil ou en secondaire 1, tu n’as pas le droit de rester là-bas.

Lucien : Si tu es en secondaire 1 et tu as 16 ans, ils vont te mettre beaucoup de choses dans la tête pour que tu ailles à l’école des adultes. Ils m’ont dit : tu dois aller là-bas, tu as 16 ans […] C’est mieux pour vous, vous êtes trop vieux… c’est mieux que de rester dans une école secondaire, entourés de jeunes, des trucs comme ça. Ils parlent beaucoup pour qu’on vienne ici. […] moi on m’a fait croire que c’est pour mon bien « t’as 16 ans, t’es au secondaire 1, tu ne vas jamais finir ici ! ». J’étais tanné de faire secondaire 1. Ils m’ont dit : dans l’autre école, tu vas finir vite, parce que tu vas à ton rythme, et là je me suis dit, je vais faire deux livres en cinq jours, c’est fini (rires). Ça fait 2 ans que je suis là…

Plusieurs ont connu le cheminement particulier au secondaire. Delphine, arrivée au Québec d’Haïti à huit ans, a été mise en cheminement particulier au début du secondaire pour un retard scolaire. À 16 ans, elle décide d’aller en formation générale des adultes sans avoir décroché, mais doit refaire toute sa scolarité primaire et secondaire. Elle fait plusieurs centres d’éducation des adultes, où elle est classée d’abord en alphabétisation (lecteurs 1 à 4), puis en 1re secondaire. Elle ne comprend toujours pas pourquoi elle a été mise en cheminement particulier au primaire et estime qu’on lui a donné des problèmes d’apprentissage.

Delphine : J’ai été en maternelle en Haïti et après ça je n’ai pas pu parce que j’avais des problèmes de santé. Donc c’est en arrivant ici que je suis vraiment allée à l’école. Ils m’ont mis en cheminement, donc je n’ai pas pu avancer vraiment […]. Au plus loin que je me rappelle, je n’ai jamais fait de secondaire jusqu’à 16 ans. Toujours du primaire. On était dans une école secondaire, mais il y avait des personnes qui avaient des troubles, des problèmes mentaux […]. Pas moi, non, c’est juste qu’on m’a pas appris ce qu’il fallait. On était plusieurs comme ça, qui allaient avec le rythme qu’ils nous donnaient […] j’étais coincée à faire la même chose pendant des années. […] ils mélangent dans ces classes des personnes avec des problèmes d’apprentissage et des gens qui viennent d’ailleurs. […] j’ai demandé un test pour qu’on m’envoie en régulier, mais ils ne m’ont pas préparée pour le test. Ils m’ont juste donné le test pour le faire […] c’est normal que j’échoue le test, il y a quand même des pré-tests avant de faire un examen.

Un des facteurs les plus contraignants, rapporté par presque tous les étudiants, est l’autoformation assistée et l’approche individualisée en formation générale des adultes qui, selon eux, ne fonctionne pas dans des classes multi-niveaux, souvent surpeuplées et avec des élèves souvent peu francisés. Même si certains font valoir l’aspect positif « d’avancer à leur rythme », plusieurs se disent « ralentis » dans l’avancement de leurs cahiers ou modules, notamment lorsqu’ils veulent poser une question à l’enseignant et doivent s’inscrire au tableau sur une longue liste d’attente.

Farah : Des fois, il y a tellement d’élèves, tu ne passes pas. Il faut que tu attendes le lendemain… et si tu es en retard, tu es en retard pour deux groupes. Parce que là, il y a plein d’élèves qui attendent et tous veulent passer. […] moi, je veux avancer, je veux pas passer toute ma vie ici… Je voudrais avancer plus, parce que c’est vraiment difficile, la façon qu’ils le font. Tu travailles tout seul. Il y a des profs, mais ils t’aident pas vraiment parce qu’ils [n’ont] pas seulement toi.

Delphine : Des fois, je suis tannée. Je ne comprends pas quelque chose, j’y vais et je reviens m’asseoir et je ne comprends toujours pas. […] On a une petite pression parce qu’il y a beaucoup de monde en classe, on n’est pas tous du même niveau. Tu vois que le prof, il prend deux minutes à t’expliquer puis la liste est longue. Parce que les gens écrivent leur nom sur le tableau, et tu vois que la liste est longue et qu’il ne reste plus beaucoup de temps. Tu essaies de comprendre le mieux que tu peux pour donner la chance aux autres aussi. Parfois la prof, elle met du temps à expliquer, puis tu ne comprends pas plus. L’école aux adultes, ça t’aide à finir, mais c’est pas comme si tu sortais avec tout ce qu’il fallait savoir.

Certains y voient leur principal facteur de démotivation et de décrochage de la formation générale des adultes. Ils trouvent que les enseignants n’ont pas assez de temps pour appliquer une approche individualisée efficace en raison du nombre d’élèves par classe. Les jeunes pensent qu’ils finiraient plus rapidement avec un enseignant titulaire, qui donne des cours magistraux, d’ailleurs dispensés dans certaines matières. En français, certains étudiants affirment qu’ils n’ont pas toujours de cours magistraux et d’interactions orales, alors que plusieurs éprouvent des difficultés dans cette matière. Ils sont majoritaires à préférer les cours magistraux, qui leur permettraient de se sentir au même rythme que les autres et en interaction avec l’enseignant. Pour Delphine : […] dans d’autres cours qu’on a, magistral, je trouve que j’avance plus vite. Quant à Nathalie, elle dit qu’elle ne s’adapte pas à l’absence de cours magistraux :

Ben le prof, c’est individuel, tu travailles toute seule, mais quand t’as des questions, tu demandes au prof. Pis moi, je suis plus une fille auditive... Avec l’individuel, c’est impossible, ça ne m’aide pas vraiment. C’était dur parce que, au secondaire, j’me suis habituée au magistral.

Les contraintes liées aux règles de l’assiduité et de la prise des présences

Les contraintes liées aux règles de l’assiduité et de la prise des présences sont aussi mentionnées par la majorité des étudiants, notamment par les mères monoparentales et par ceux qui travaillent. Il s’agit d’un effet lié à la formule de financement gouvernemental en formation générale des adultes, financement octroyé aux centres par nombre d’heures de présence des étudiants en classe. Les jeunes qui cumulent un certain nombre d’absences se voient désinscrits de leur programme de formation par le centre. De même, certains jeunes sur les programmes d’Emploi-Québec sont soumis à un contrôle serré des absences et des délais pour terminer leurs études. Ceux qui n’arrivent pas à respecter les exigences se voient exclus des programmes. Plusieurs jeunes bénéficiant de ces programmes estiment que le contrôle effectué par Emploi-Québec et par les établissements est contraignant et infantilisant. L’obligation de présence ajoute à la démotivation de plusieurs : venir en classe pour travailler seuls en silence dans son cahier, sans cours magistraux, ils trouvent ça long, selon Nathalie. Ils estiment ne pas avoir assez d’autonomie linguistique et de capacité à identifier leurs propres difficultés et à formuler leurs questions à l’enseignant dans un contexte d’autoformation assistée. L’approche individualisée repose sur les capacités d’autoévaluation des étudiants, qui doivent être proactifs dans leur contact avec les enseignants.

La faible prise en compte de leur parcours migratoire ou social par les intervenants scolaires ressort de plusieurs entretiens. De nombreux jeunes pensent que les intervenants scolaires les responsabilisent trop personnellement pour des problèmes générés par le système. Plusieurs acceptent mal les remarques de la part d’enseignants ou de conseillers qui considèrent leurs ambitions professionnelles « irréalistes » en raison de leurs retards scolaires. Certains se sentent mal jugés par des enseignants :

Alphonse : Ils ont une motivation à aider les gens qui savent déjà. Mais quelqu’un qui a vraiment de la misère, ils n’ont pas de motivation à l’encourager. De la façon qu’ils regardent les gens, la façon qu’ils les voient [c’est dénigrant] : « ils vont rester là, ils ne vont pas changer ».

D’autres attribuent certains préjugés des enseignants au manque de formation pour s’adapter à une nouvelle clientèle multiethnique et plus jeune dans les centres d’éducation des adultes. Quelques-uns y voient une sorte de paternalisme infantilisant et un manque de valorisation de leurs compétences et atouts, comme le fait de parler plusieurs langues, d’avoir voyagé et immigré, etc.

Enfin, les jeunes mentionnent l’absence d’activités scolaires ou parascolaires, et même de lieux de socialisation dans la plupart des centres. Certains jeunes disent avoir choisi leur centre d’éducation des adultes pour suivre leurs amis et pour la présence de cours magistraux, de services d’accompagnement et d’activités ludiques (animation, sports, sorties). Ils accordent une grande importance à la socialisation, au sentiment d’appartenance à une école comme milieu de vie et au réseau de soutien dans la poursuite de leurs études.

4.3.2.2 Synthèse du regard croisé des agents institutionnels sur les facteurs institutionnels

Les regards des jeunes sur les facteurs institutionnels sont largement corroborés par ceux des agents institutionnels, autant les directions de centres d’éducation des adultes que les conseillers pédagogiques, d’orientation, de formation et les enseignants, bien qu’il existe des nuances dans les opinions.

Travail d’adaptation des pratiques et des services en cours

Les agents institutionnels ont fait part, en général, d’un travail d’adaptation des pratiques et des services en cours en formation générale des adultes, mais qui se vit dans des conditions précaires, un manque de ressources professionnelles et des logiques systémiques mouvantes. Ils portent un regard lucide sur les défis à relever. Parmi les pratiques institutionnelles qui reviennent avec récurrence, ils soulignent la segmentation de l’information relative à l’évaluation et au classement des élèves, et le traitement bureaucratique des dossiers, qui semblent poser des problèmes de monitoring et de passerelles entre les secteurs des jeunes et des adultes, alors que l’accroissement des élèves sous-scolarisés en classe d’accueil dans les écoles secondaires, et la difficulté de les classer dans les filières lorsqu’ils sortent de l’accueil, incitent les écoles secondaires, selon l’âge et les acquis des jeunes, à les orienter vers la formation générale des adultes. Les agents institutionnels croient qu’il faut revoir la pratique courante des écoles secondaires qui consiste à transférer aux adultes, dès 16 ans, des élèves peu francisés et/ou en situation de grand retard scolaire, ou avec des difficultés d’apprentissage, alors qu’il n’existe pas d’équivalence aux « classes d’accueil » dans les centres d’éducation des adultes, ni de services complémentaires et spécialisés bien implantés, comme au secteur des jeunes (psychologues, orthopédagogues, loisirs/sports/parascolaire).

Absence de prise en compte systématique des réalités migratoires ou culturelles des élèves

Les agents notent, par ailleurs, l’absence de prise en compte systématique des réalités migratoires ou culturelles des élèves par les Services d’accueil, de référence, de conseil et d’accompagnement et les centres d’éducation des adultes lors de leur inscription (ou transition) en formation générale des adultes ou de leur entrée en formation, de même que de leurs antécédents scolaires, linguistiques et des évaluations antérieures. Ce problème se double 1) d’une non-harmonisation des pratiques en matière d’accueil en formation générale des adultes, d’évaluation des acquis et de passation de tests de classement, 2) d’une insuffisance des mesures de soutien à la démarche de formation pour les 16-24 ans et 3) de lacunes sur le plan de l’information / accompagnement des jeunes par les Services d’accueil, de référence, de conseil et d’accompagnement (notamment à propos du Québec et le système scolaire). La faible prise en compte des acquis hors scolaires, les longs processus de reconnaissance des diplômes par le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (MICC) et le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport ainsi que la faible reconnaissance des sanctions du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, et parfois du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, par les centres d’éducation des adultes génèrent des frustrations chez les jeunes qui passent des tests de classement.

Défis de différencier les difficultés des élèves

Les enseignants et les conseillers pédagogiques et de formation parlent abondamment des défis de distinguer, chez ces élèves, les difficultés d’ordre linguistique des difficultés d’apprentissage ou liées à des retards scolaires, de même que d’effectuer des classements en fonction de ces difficultés et d’ajuster les mesures de soutiens en conséquence. Ils soulignent la faible présence de personnel spécialisé pour les aider à faire ces évaluations, ou pour assurer des suivis des jeunes ayant des difficultés. L’utilisation de certains tests de classement en français langue maternelle et en mathématique (lorsqu’il y a des consignes en français) pour évaluer ces jeunes, dont le français est une langue seconde ou tierce, est très critiquée par les enseignants ou les conseillers de formation. Une absence d’évaluation en langue maternelle et de recours aux interprètes, de même que le passage de tests sans préparation, sans évaluer la compréhension des élèves et sans informations précises données aux élèves sur les buts, les attentes, leurs erreurs et leurs résultats à ces tests, sont fréquemment soulignés.

Défis de différencier les pratiques

Les enseignants disent devoir ajuster constamment leurs pratiques pédagogiques car l’enseignement modulaire et « assisté » est jugé peu adapté aux élèves qui maîtrisent peu le français, qui ont été formés dans d’autres systèmes et par d’autres approches. Malgré une approche andragogique, plusieurs souhaiteraient introduire davantage de pratiques différenciées, interactives et participatives. Les enseignants estiment manquer de ressources, de formation ou de soutien pour adapter les outils d’évaluation et les pratiques pédagogiques aux réalités de ces jeunes, agir en contexte de diversité (compétences interculturelles), voire défaire certains préjugés et éviter certains biais.

La majorité des directeurs, des directeurs adjoints, des agents d’Emploi-Québec et des conseillers d’orientation reconnaissent que les règles pour accéder aux programmes d’Emploi-Québec (par exemple, être inscrit à temps plein, avoir des acquis de secondaire 3, finir dans les délais prescrits, gérer les absences), sont contraignantes et ont pour effet d’exclure certains jeunes issus de l’immigration qui maîtrisent peu la langue d’enseignement au Québec ou qui doivent refaire en partie leur scolarité pendant plus de 18 mois.

4.3.3 Facteurs dispositionnels

Les facteurs institutionnels et situationnels semblent engendrer des obstacles dispositionnels qui diffèrent selon l’appartenance à la première ou à la deuxième génération : pertes de motivation et d’estime de soi, confusion, abandons des études et retours fréquents en formation générale des adultes. Les causes les plus souvent évoquées chez les jeunes de première génération sont liés au fait d’avoir immigré à l’adolescence, de ne pas maîtriser suffisamment le français, d’avoir stoppé une scolarité normale dans le pays d’origine, d’avoir perdu leurs amis et les liens avec certains membres significatifs de la famille, d’avoir souvent vécu des années séparés des parents venus au Canada avant eux, d’être considérés en situation de retard scolaire (passage en classe d’accueil, tests de classement en formation générale des adultes), de ne pas comprendre le système scolaire québécois, d’avoir appris à l’aide de méthodes pédagogiques qui avaient peu recours à l’écrit dans le pays d’origine. Ces facteurs reviennent chez plus de la moitié des jeunes de première génération rencontrés. Pour ces raisons, ils sont nombreux à percevoir leur expérience scolaire au Québec comme négative, à être démotivés pour apprendre le français, à avoir une perception dévalorisée de soi comme apprenant, à avoir peu d’espoir quant aux retombées positives de la formation pour s’intégrer et à vouloir retourner vite dans leur pays d’origine. Plusieurs résistent à vouloir apprendre le français (qui les retarde, selon eux). Parmi les principaux motifs évoqués par les jeunes de première génération pour justifier l’interruption fréquente de leur scolarité en formation générale des adultes, le mode de fonctionnement en formation générale des adultes (dont l’autoformation assistée) arrive en premier. Viennent ensuite les facteurs migratoires : difficulté d’adaptation de la famille, démotivation ou découragement en raison des « déclassements », de la langue ou du retard scolaire (dont redoublements, troubles d’apprentissages, classe d’accueil, cheminement particulier).

Chez les jeunes de deuxième et de troisième générations (mais pas tous), les facteurs les plus fréquents sont plus souvent liés à des situations familiales de crise, de chaos, de violence, de négligence, de conflits, ainsi qu’au manque d’intérêt, à des expériences scolaires négatives (incluant l’intimidation, l’échec, l’adaptation scolaire), à une perception négative de soi comme apprenant, à un sentiment de rejet et de distance culturelle avec l’école, aux dépendances (toxicomanie, criminalité, mauvaises fréquentations), à une détresse psychologique et aux longues années d’interruption des études. La plupart n’aimaient pas l’école ou le centre fréquenté (parfois leurs enseignants) et sont passés par plusieurs centres d’éducation des adultes, avec des périodes d’interruption.

Dès lors, les jeunes ne portent pas le même regard sur la formation générale des adultes selon leurs parcours : ceux qui sont arrivés au secondaire au Québec entre 14 et 17 ans (nouveaux arrivants), qui sont restés un an ou deux en classe d’accueil et qui avaient atteint un niveau avancé au secondaire dans leur pays d’origine se sentent injustement traités, mis en retard et frustrés par les déclassements. C’est le cas particulièrement lorsqu’ils se retrouvent classés en alphabétisation ou au présecondaire. L’enseignement individualisé et modulaire a pour effet d’en démotiver plusieurs, car ils maîtrisent peu les approches pédagogiques et manquent de repères. Inversement, les réfugiés, les jeunes provenant du cheminement particulier (de deuxième ou troisième génération ou ceux arrivés très jeunes) et qui avaient interrompu leurs études ont tendance à apprécier davantage la formation générale des adultes et à accepter les rattrapages, perçus comme nécessaires. Ils s’attribuent généralement une plus grande part de responsabilité quant à leur parcours scolaire, alors que les jeunes de première génération arrivés au cours du secondaire se sentent davantage impuissants face à ce qui leur arrive.

5. Discussion

Les regards croisés des agents institutionnels et des jeunes révèlent des préoccupations communes et montrent que si la formation générale des adultes est un secteur où de nombreux jeunes issus de l’immigration persévèrent et obtiennent des diplômes, ce secteur comble partiellement les besoins psychopédagogiques, linguistiques et socioscolaires des jeunes immigrants en difficulté, arrivés au cours de leur scolarité secondaire, en situation de grand retard scolaire, en processus d’adaptation et/ou peu francisés. Selon les agents institutionnels, la formation générale des adultes sert de plus en plus de déversoirs à des jeunes en difficulté des écoles secondaires − comme le constatent aussi Doray et Bélanger (dans ce numéro) − sans assurer des services adaptés ou suffisants. Plusieurs jeunes, issus de l’immigration de notre première étude exploratoire et du second terrain, n’ont jamais interrompu leurs études, mais ont été orientés dès 15 ou 16 ans vers la formation générale des adultes, ou fortement incités à y aller par un intervenant de leur école secondaire. Les données statistiques corroborent ce phénomène chez les moins de 20 ans (voir Doray et Bélanger, 2014), et vont à l’encontre de l’image de décrocheurs souvent attribuée par les médias aux jeunes en formation générale des adultes. Les jeunes rencontrés ont un profil d’apprenants en difficulté ou à risque mais sont persévérants, au regard des obstacles rencontrés. En fait, les trajectoires des jeunes de première génération sont généralement caractérisées par le passage en continuité du secteur des jeunes à celui des adultes, ainsi que par les déclassements et les retards scolaires en lien avec le processus migratoire et l’adaptation linguistique. Toutefois, ces facteurs ne sont pas uniquement situationnels ou dispositionnels, liés à des facteurs culturels, linguistiques ou personnels ; ils sont bien souvent institutionnels, liés aux pratiques administratives, aux classements reçus, aux tests qu’ils ont passés, à leur méconnaissance des règles et des programmes, etc. C’est le cas des soutiens linguistiques trop courts ou peu adaptés à leurs besoins de formation, de l’orientation de ces jeunes dès 16 ans vers la formation générale des adultes par leur école secondaire, des tests de classement qui les placent dans des services de formation parfois inadéquats et de l’autoformation assistée en formation générale aux adultes. Souvent arrivés au Québec entre 14 et 16 ans, certains bifurquent vers le secteur anglais.

Les profils et parcours scolaires des jeunes de 16-24 ans que nous avons rencontrés − plus souvent de première génération, d’origine haïtienne ou latino-américaine (sauf en région), arrivés en cours de scolarité secondaire et passant en continuité du secteur des jeunes au secteur des adultes − rejoignent ceux identifiés par l’analyse de cohorte, menée par des chercheurs du Groupe de recherche Immigration, Équité et Scolarisation (Ledent et al., 2012 ; Ledent, McAndrew et Potvin, 2012 ; McAndrew et al., 2011). Cette analyse portait sur le cheminement et la performance scolaires d’une cohorte d’élèves québécois qui avaient commencé leur secondaire en 1998 et en 1999 au secteur francophone et qui persévéraient en formation générale des adultes. Cette analyse a été effectuée à partir d’une banque de données administratives antérieurement créée par la Direction de la recherche et de la statistique du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, et rendue accessible aux chercheurs du groupe de recherche Immigration, équité et scolarisation. Cette banque incluait un indicateur annuel de présence à la formation générale des adultes jusqu’à 8 ou 9 ans après l’entrée au secondaire. Cette analyse de cohortes a permis d’identifié que 9 élèves issus de l’immigration sur 10, qui ont commencé leur secondaire entre 1998 et 2000, obtiennent leurs diplômes au secteur des jeunes, tandis que près de 6 % de l’ensemble des élèves issus de l’immigration et près de 10 % au sein des groupes originaires des Antilles, de l’Afrique subsaharienne et de l’Amérique Centrale et du Sud persévèrent ou reçoivent leurs diplômes en formation générale des adultes neuf ans après l’entrée au secondaire. Ces groupes sont donc davantage présents dans ce dernier secteur. Mentionnons que ces élèves présentaient au moins trois caractéristiques ou facteurs de risque : 1) avoir accumulé un retard supplémentaire deux ans après l’entrée au secondaire, 2) avoir été identifié comme élève handicapé ou élève en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage et, enfin, 3) être arrivé tardivement en secondaire 1, surtout lorsqu’il s’agit d’un retard de deux ans ou plus (Ledent et al., 2012). Dans une moindre mesure, le fait d’être entré dans le système scolaire québécois au secondaire est aussi un facteur qui favorisait leur passage vers la formation générale des adultes.

Pour leur part, les jeunes de deuxième génération, rencontrés dans notre étude qualitative, qui connaissent des parcours semblables à ceux de la troisième génération ou plus, ont davantage connu la voie du cheminement particulier et des soutiens en adaptation scolaire − de même que des interruptions de la scolarité et des problèmes psychosociaux. Ils arrivent dans un secteur où les services complémentaires sont peu implantés pour répondre à certains de leurs besoins, ainsi qu’à ceux des jeunes réfugiés (dont les chocs post-traumatiques liés à la guerre).

Par ailleurs, les jeunes qui arrivent en formation générale des adultes directement d’une classe d’accueil (francisation) ou d’une classe régulière du secteur des jeunes ne se heurtent pas aux mêmes obstacles et n’auront pas les mêmes besoins que ceux qui sont nés au Québec et qui ont cessé d’aller à l’école pendant plusieurs années pour diverses raisons, souvent d’ordre personnel ou psychosocial. Pour les jeunes immigrants en continuité de formation, leurs besoins en francisation nécessitent souvent un approfondissement des compétences académiques de la langue sur le long terme, en raison de la poursuite de leur scolarité de base en français (Cummins, 1981). Leurs motifs sont souvent d’effectuer le rattrapage rapidement, après avoir subi ce qu’ils vivent comme un déclassement scolaire en arrivant dans le système québécois.

Les facteurs institutionnels, particulièrement ciblés dans ce texte, et qui sont récurrents dans le discours des participants sont liés à l’absence de prise en compte des réalités et des besoins de ces élèves dans l’évaluation, l’administration de tests de classement, l’adaptation des services de formation, d’information, d’accueil ou de références, ou dans les services complémentaires ou les approches pédagogiques. Plusieurs de ces facteurs, ou obstacles institutionnels, identifiés par nos données, ont été documentés par les écrits de recherche internationaux sur les jeunes issus de l’immigration, notamment l’évaluation et le classement (tracking) d’un ordre d’enseignement à l’autre ou d’un établissement à l’autre, définis comme des étapes pivots affectant le parcours scolaire des élèves issus de l’immigration (Cochran-Smith, 2004 ; Kushnick, 1999). Certains tests et pratiques institutionnelles mènent parfois à une surévaluation ou sous-évaluation de leurs difficultés scolaires, ou à une absence de prise en compte de leur caractère conjoncturel (processus d’adaptation postmigratoire, acquisition d’une langue seconde), en raison de biais culturels ou linguistiques dans les instruments d’évaluation ou lors des jugements professionnels (Oller et al., 2000 ; Roseberry-McKibbin, Brice, et O’Hanlon 2005). Ils affectent particulièrement les parcours des nouveaux arrivants allophones venant de l’accueil (Armand et De Koninck, 2012), surtout lorsqu’ils arrivent au secondaire vers 14-15 ans, les élèves de l’adaptation scolaire, en difficulté ou identifiés comme ayant des troubles de langage durant leur scolarité (Borri-Anadon, 2013), et les élèves de certaines minorités visibles, dont les jeunes Noirs (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2011), surreprésentés en formation générale des adultes dans certaines commissions scolaires montréalaises (Ledent et al, 2012).

Les données ont mis en évidence l’importance de prendre en compte les facteurs qui affectent le parcours de ces jeunes afin d’assurer un meilleur ciblage des interventions. Les besoins scolaires, pédagogiques, linguistiques, psychosociaux des jeunes nouvellement arrivés sont souvent particuliers, mais plusieurs recoupent ceux des jeunes issus de l’immigration nés au Québec (deuxième génération) ou de troisième génération et plus.

Les regards des agents institutionnels révèlent des préoccupations quant aux transitions entre la formation générale des jeunes et la formation générale des adultes, au manque de ressources et de soutien et à l’amélioration des tests de diagnostic et de classement pour mieux cibler les difficultés des jeunes issus de l’immigration. Une partie des obstacles institutionnels est liée à l’absence de prise en compte des réalités et besoins particuliers de ces jeunes, dans l’administration de tests de classement, l’adaptation des services de formation, d’information, d’accueil ou de références, ou dans les services complémentaires ou encore les approches pédagogiques. Il n’existe pas d’évaluation ni de prise en compte des écarts entre systèmes scolaires, d’accompagnement dans la transition des jeunes à leur arrivée au Québec, ou entre les deux secteurs, pour favoriser la construction de nouveaux repères (davantage d’informations et de suivi) pour contrer les écueils lors de l’entrée en formation. Le placement dans des services de formation est souvent peu adapté à leurs besoins (alphabétisation, francisation…) et l’administration de tests de classement à l’arrivée en formation générale des adultes se ferait encore, dans certains centres, auprès de jeunes en continuité de formation qui n’arrivent ni des classes d’accueil, ni du cheminement particulier. Il existe encore peu d’adaptation de l’approche andragogique selon les ratios par classe, ou d’outils diagnostiques ou de classement adaptés aux profils de difficultés de ces jeunes. Ces obstacles, sont aussi très souvent liés à des facteurs situationnels (conditions pré et postmigratoires, langue, absence de repères socioculturels des jeunes, difficultés d’adaptation familiale et socioéconomiques dues à la migration) et dispositionnels (estime de soi, stress d’acculturation).

Les regards croisés de tous les acteurs ont aussi mis en évidence que dans la majorité des centres d’éducation des adultes, les espaces de socialisation (cafétéria ou autres), les services d’animation communautaire et les activités scolaires et parascolaires sont souvent réduits ou inexistants, et ce, malgré l’accroissement des apprenants de 16-24 ans dans les centres ciblés par notre étude. Enfin, le faible nombre de cours magistraux et l’autoformation assistée et individualisée (du moins, telle qu’appliquée), qui exige une autonomie personnelle des jeunes immigrants en processus d’adaptation, la prise des présences et l’obligation d’être présent qui visent, paradoxalement, à favoriser l’autonomie des étudiants, apparaissent comme des mesures paternalistes et infantilisantes aux yeux des participants. D’autres études récentes ont aussi porté un regard critique sur ces processus et pratiques, et leur impact négatif sur les parcours de formation des jeunes de 16-24 ans en général (Conseil supérieur de l’éducation, 2008 ; Commission des droits de la personne, 2011 ; Marcotte, Cloutier et Fortin, 2010 ; Potvin et Leclercq, 2010).

Les résultats de ces travaux, et leur présentation succincte dans cet article, ne sont pas sans limites. En effet, la présentation transversale ne permet pas ici de relever toutes les nuances des comparaisons effectuées entre les discours des différents types d’acteurs, centres d’éducation des adultes ou commissions scolaires. De plus, l’échantillon de jeunes issus de l’immigration a été constitué à l’aveuglette et la représentativité n’était pas recherchée. Le hasard a fait en sorte de constituer un échantillon assez équilibré entre hommes et femmes et entre générations. Par contre, par les commissions scolaires ciblées, l’échantillon couvre Montréal et Sherbrooke et ne comporte pas de jeunes des régions éloignées. Les résultats ne s’appliquent sans doute pas aux jeunes de 16-24 ans en formation générale des adultes partout au Québec. Par ailleurs, il peut toujours exister des biais ou écarts entre les pratiques réelles et les discours des répondants. Il n’est pas non plus facile de chiffrer des perceptions, qui sont relatives au degré d’information d’une personne sur une question. Pour les mêmes raisons, il est également difficile de croiser tous les regards des participants. Malgré un échantillon important pour une recherche qualitative, il importerait de retracer rétroactivement les parcours des jeunes actuellement inscrits en formation générale des adultes (dont les codes et services reçus), à partir des bases de données administratives du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, et ce, depuis leur première inscription dans le système scolaire québécois. À cet égard, les analyses statistiques du groupe de recherche Immigration, équité et scolarisation sur les cohortes ayant commencé leur secondaire entre 1998 et 2000 (Ledent et al., 2012 ; Ledent, 2014) ont leurs limites, car les jeunes qui ont interrompu leurs études secondaires pendant plus de deux ans n’apparaissent plus dans les données sur 8 et 9 ans. Enfin, l’adoption d’un cadre de références ministériel sur les services complémentaires en formation générale des adultes, et l’implantation graduelle des services complémentaires et des Services d’accueil, de référence, de conseil et d’accompagnement depuis 2009, sont autant d’éléments contextuels à considérer dans la lecture de nos données, recueillies en 2010-2011.

6. Conclusion : des pistes d’action pour les décideurs, praticiens et chercheurs

La présente recherche a mis en évidence l’importance de prendre en compte les facteurs de risque, surtout institutionnels, qui ont des impacts sur les parcours de ces jeunes afin d’assurer un meilleur ciblage des interventions, autant en ce qui concerne les services de formation (notamment les soutiens en francisation) que le développement de passerelles entre les formation générale des jeunes et la formation générale des adultes, les services complémentaires, d’accueil et de classement, et les interventions pédagogiques. Les trajectoires de jeunes de 16-24 ans issus de l’immigration mettent en évidence les pratiques ou processus du système qui engendrent des obstacles. Ces trajectoires montrent que leur scolarisation en formation générale des adultes (secteur non obligatoire) ne semble pas s’effectuer dans les mêmes conditions d’équité que celle des élèves qui fréquentent le secteur des jeunes au secondaire, car en raison de leurs besoins spécifiques liés à l’âge, à la langue ou aux difficultés d’apprentissage, ils n’obtiennent pas les mêmes services auxquels ils auraient eu droit au secteur des jeunes.

Les besoins des jeunes et les barrières situationnelles, institutionnelles et dispositionnelles qu’ils rencontrent interpellent les décideurs quant à l’équité scolaire envers ces jeunes, qui se pose en termes de soutien, de reconnaissance des acquis, de dotation en ressources, d’accessibilité des services, d’acceptabilité sociale des contenus et apprentissages (qui désigne la pertinence sociale des savoirs, savoir-faire et savoir-être nécessaires pour participer pleinement à la société) et d’adaptabilité des contenus, des services et des pratiques de différents ordres (Tomaševski, 2002 ; Potter et Ferguson, 2003). Les différents participants à cette recherche ont d’ailleurs proposé des pistes pour des changements à cet égard.

Des choix ministériels sont donc directement concernés, Afin que les jeunes arrivés au milieu du secondaire, en situation de retard scolaire, désignés élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (HDAA) ou peu francisés puissent bénéficier d’une continuité de services et d’accompagnement et de passerelles facilitant la transition entre les deux secteurs, des choix ministériels s’imposent. En effet, ou bien ces jeunes pourront demeurer dans des établissements relevant du secteur des jeunes avec des services adaptés à leurs besoins de jeunes adultes, ou bien des ressources supplémentaires seront injectées dans les services complémentaires, les Services d’accueil, de référence, de conseil et d’accompagnement avec l’adaptation des pratiques en formation générale des adultes. L’accès des jeunes en difficulté, sous-scolarisés ou peu francisés à des soutiens financiers et à des crédits d’impôts pour poursuivre leur formation secondaire, devrait être envisagé, car ils ne répondent pas toujours aux conditions d’admissibilité donnant accès à un soutien financier pour études offert par Emploi-Québec. Par ailleurs, la continuité et l’arrimage entre la formation générale des jeunes et la formation générale des adultes devraient être au coeur d’une réflexion sur l’école publique.

De plus, les commissions scolaires et les centres d’éducation des adultes sont interpellés sur la prise en compte des réalités migratoires, familiales, scolaires, identitaires et sociales des jeunes adultes réfugiés ou issus de l’immigration dans l’évaluation des dossiers et des acquis, notamment de ceux arrivés tard au secondaire, passant en continuité de la formation générale des jeunes à la formation générale des adultes, difficiles à évaluer et à placer en raison d’une faible littératie ou d’instruments de classement peu adaptés. Afin de mieux répondre aux besoins de ceux qui ont un profil de risque, la mise en place des mécanismes d’accueil visant à repérer ces apprenants dès leur inscription pourrait s’avérer pertinente. De même, certaines pratiques (par exemple, prise de présence), programmes de formation ou soutiens financiers mériteraient d’être plus flexibles et accessibles, et liées aux réalités de ces apprenants plutôt qu’aux règles de financement. Par ailleurs, les données montrent qu’une meilleure articulation des programmes et des services entre la formation générale des jeunes et la formation générale des adultes serait souhaitable. Les centres d’éducation des adultes devraient désormais travailler de concert, ou en collaboration avec les écoles secondaires du même territoire administratif ; et cela, dans le but de construire des passerelles facilitant la transition et l’accompagnement des jeunes de la formation générale des jeunes à la formation générale des adultes, ainsi que l’adaptation des services de formation, notamment en francisation sur le modèle du Français de transition, mis en place à la Commission scolaire de Montréal. Ce programme a été conçu afin d’offrir aux jeunes en francisation de 16-18 ans un enseignement explicite et organisé du système de la langue, en fonction des disciplines du programme du secondaire, en les préparant à réussir dans toutes les matières obligatoires (Potvin, Lavoie, Larochelle-Audet et Hamel, 2014). Les connaissances sur le monde, sur la société et sur le système scolaire québécois ont servi de contexte d’apprentissage et de pratique des habiletés langagières (lire, écrire et communiquer à l’oral), pour que ces élèves puissent poursuivre leur formation en formation générale des adultes et d’obtenir un diplôme d’études secondaires ou un diplôme d’études professionnelles.

De plus, les critères et pratiques en matière de reconnaissance des acquis des jeunes immigrants (et le peu d’articulation entre les processus au ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, au ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport et dans les commissions scolaires), de même que les instruments de classement standardisés devraient être revus en profondeur dans certaines commissions scolaires et centres d’éducation des adultes, afin de s’assurer de leur validité en fonction des parcours, profils linguistiques et besoins d’élèves sous-scolarisés, non francisés, jeunes et ne connaissant pas le Québec. Certains de ces processus pénalisent une partie des jeunes issus de l’immigration. Les nouveaux arrivants, réfugiés ou en difficulté, ont besoin de certains soutiens, accompagnements et services (surtout complémentaires) au cours de leur formation. Enfin, davantage d’approches pédagogiques interactives, participatives et coopératives, de tutorat et co-coaching entre pairs, ainsi que des activités formatives visant l’acquisition de connaissances sur le Québec et de méthodes d’apprentissage pour les jeunes en processus d’adaptation seraient pertinentes. La formation des enseignants (et du personnel spécialisé) apparaît centrale, puisque l’intervention éducative doit être adaptée aux réalités sociales et culturelles des apprenants, tenant compte de l’expérience individuelle de l’adulte, qui interfère dans le processus d’apprentissage. Certains jeunes issus de l’immigration doivent être particulièrement informés sur les processus et pratiques du système scolaire, encouragés et soutenus à travers des attentes élevées et des défis, et par des attitudes positives du personnel scolaire à leur égard. Lorsqu’ils maîtrisent peu la langue ou lorsqu’ils ont peu de repères sur la société québécoise, ils nécessitent plus de rétroactions positives et fréquentes, des évaluations et des classements justes et bien expliqués, des savoirs significatifs et pertinents, en tenant compte de leurs acquis, connaissances ou repères. Plusieurs doivent aussi désapprendre certaines méthodes d’apprentissage ou de travail, et acquérir de nouvelles compétences transférables, pour devenir autonome et capable d’agir (empowerment) dans un nouveau contexte. Les retombées de cette recherche touchent donc le renouvellement des pratiques et des instruments, l’élaboration de politiques ou programmes, et la constitution d’une base de données et d’une typologie utiles pour la formation initiale ou continue. L’étude a révélé l’importance d’améliorer : 1) la qualité et l’accessibilité des données administratives, quantitatives et qualitatives en formation générale des adultes, pour assurer un suivi (monitoring) plus précis des parcours et besoins des apprenants, de même que des services reçus et des améliorations des pratiques au fil du temps ; 2) la préparation des milieux pour améliorer ou adapter les services de formation, complémentaires, d’accueil et d’accompagnement, et les outils d’évaluation afin de répondre aux besoins différenciés des apprenants (psychopédagogiques, sociaux, cognitifs, etc.) ; 3) le partage des pratiques innovantes et pertinentes et de projets d’accompagnement.

Bref, l’attention des décideurs et du public ne doit plus être uniquement sur le décrochage, l’employabilité ou la performance scolaire de l’apprenant, mais sur les moyens mis en oeuvre par les institutions pour agir sur les zones de vulnérabilité (Conseil supérieur de l’éducation, 2010), l’accompagnement vers l’atteinte de la réussite ainsi que le sentiment de compétence des élèves et des acteurs institutionnels, au secteur des jeunes ou des adultes. L’objectif est de faciliter les transitions, d’adapter les pratiques et les indicateurs d’évaluation, de suivi et de résultats dans les deux secteurs, afin d’assurer une meilleure prise en compte des réalités, styles cognitifs et rythmes d’apprentissage des apprenants, notamment au regard du mandat de l’éducation des adultes au Québec.

Des données sur les tests de classement et services réellement reçus en formation générale des jeunes et en formation générale des adultes devraient aussi être consignées, à des fins d’imputabilité et de recherche. Pour juger de la pertinence ou non de l’usage de certains tests diagnostiques ou de classement (standard, maison, etc.), une évaluation de ces différents instruments − notamment en français (langue maternelle, langue seconde) − devrait être menée, qui permettrait une observation plus fine des profils des personnes à qui ils sont administrés. Enfin, Il importerait de multiplier les recherches-actions et projets d’accompagnement praticiens-chercheurs pour travailler, notamment, sur les transitions du secteur des jeunes au secteur des adultes, ou sur des outils de formation ou d’évaluation des difficultés liés, entre autres, à l’acquisition du français.