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1. Introduction

En réponse à une volonté politique de refondation de l’école, un rapport du ministère de l’Éducation nationale (Dulot, 2012) exprime une volonté de changement dans l’organisation de l’Éducation en France. Parce qu’il est question de transformer les modalités de transmission et d’appropriation des savoirs, les pratiques des équipes éducatives sont questionnées, notamment par deux points énoncés dans le rapport, que nous proposons d’éclairer dans le présent article : la mobilisation d’une solidarité horizontale interpersonnelle entre les acteurs de l’école, et le renforcement des liens entre formation des enseignants et recherche.

Pour éclairer ces points, nous prenons comme sujet d’étude les lieux d’éducation associés, une initiative de l’Institut français de l’éducation dont la principale visée est de construire des associations explicites entre des lieux d’éducation et l’institut autour de recherches. Les acteurs du terrain, les chercheurs et le pilotage des lieux d’éducation sont impliqués pour prendre en compte la complexité locale – permettre la reconnaissance mutuelle, favoriser l’expression des besoins de chacun – et faire en sorte que les résultats des recherches profitent tant aux acteurs directement engagés dans ces recherches qu’à la formation professionnelle universitaire.

L’objectif des lieux d’éducation associés étant de soutenir et de généraliser une dynamique de changements en s’appuyant sur une collaboration resserrée entre acteurs de terrain et chercheurs autour de recherches, notre questionnement est donc le suivant : Dans quelle mesure les lieux d’éducation associés soutiennent-ils une dynamique de changements dans les pratiques collaboratives des acteurs du terrain et de la recherche ?

2. Contexte théorique

Nous nous appuyons sur des cadres théoriques des sciences de l’éducation, mais aussi, parce que les lieux d’éducation soutiennent une dynamique de changement, sur un éclairage psychosocial en questionnant trois thématiques : pratiques collaboratives, recherche-action et représentations. En premier lieu, nous traitons des pratiques collaboratives en montrant leur intérêt et les difficultés qu’elles engendrent. Pour pallier ces limites, nous montrons ensuite l’intérêt de la recherche-action, à la fois comme méthodologie permettant d’observer ce qui se joue sur le terrain et comme vecteur de changement. Enfin, nous développons les représentations professionnelles en tant que moteur des changements dans la sphère professionnelle, permettant au professionnel non seulement d’interpréter ce qui l’entoure, mais aussi d’agir.

2.1 Changements dans l’organisation du travail scolaire et pratiques collaboratives

Depuis le XIXe siècle, les formes de travail au sein des établissements éducatifs ont évolué. Dans ce contexte, Progin Romanato et Gather Thurler (2011) montrent l’interdépendance entre de nouvelles formes du travail scolaire et l’évolution des modes de coopération entre enseignants. Ces chercheuses montrent qu’encore aujourd’hui, la profession d’enseignant favorise l’isolement ; il est légitime de travailler seul entre les murs de sa salle de classe. Le cadre organisationnel du travail enseignant se caractérise par la division du travail par classe, et structure le travail de manière cellulaire (Tardif et Lessard, 1999). Ce cloisonnement, induit par la forme scolaire, amène chaque enseignant à développer son expertise isolément (Gather Thurler et Maulini, 2007).

Paradoxalement, même si les enseignants se considèrent et veulent être considérés comme des praticiens réflexifs (Gather Thurler et Maulini, 2007), la forme traditionnelle scolaire a tendance à persister, malgré les impulsions de décentralisation (Barthassat et Bonneton, 2010). Cela peut s’expliquer par le fait qu’une collaboration professionnelle implique une nouvelle organisation du travail, un soutien de l’établissement – jouant le rôle d’acteur collectif (Progin et de Rham, 2009) – ainsi que de nouvelles compétences collectives, faisant appel à des exigences de travail et des deuils (Gather Thurler et Maulini, 2007). Selon les travaux de Barrère (2002), la modification des pratiques des enseignants du secondaire est difficile, Alter (2000) parle plus précisément de réticences liées au fait que les changements bouleversent le quotidien des acteurs, perçu comme un cadre sécuritaire et rassurant. Aussi, le travail collectif apparaît comme un vecteur de changement, même s’il nécessite de bousculer les réticences des acteurs (Gather Thurler et Maulini, 2007).

Dans leurs travaux, Barrère (2002) ainsi que Tardif et Lessard (1999) montrent que même si la dimension collective du travail enseignant n’est pas inexistante, elle est minimale ; parce qu’elle n’est ni stable, ni régulière, elle ne remet pas en cause l’organisation cellulaire. Comme un processus durable de réflexion ne peut être engagé, et que des outils de suivi ne peuvent être produits, l’évolution des pratiques ne peut être soutenue (Progin et de Rham, 2009). C’est pourquoi nous proposons de discuter d’une méthodologie permettant d’accompagner cette dynamique de changement.

2.2 La recherche-action dans l’accompagnement d’une dynamique de changement

Une recherche dans laquelle il y a volonté, à la fois, de modifier la réalité et d’apporter des connaissances sur ces modifications (Hugon et Seibel, 1988), s’apparente à une recherche-action.

Comme nous l’avons énoncé en introduction, le contexte éducatif français est en cours de rénovation, et il semble nécessaire d’accompagner ce changement. Ainsi que l’écrit Blin (1997), dans un environnement en constante mutation, le développement professionnel doit intégrer les changements qui peuvent améliorer le système. La recherche-action, dans l’accompagnement des changements en contexte éducatif, vise à soutenir les enseignants en leur permettant de s’ouvrir à la dimension collective de leur travail. Avec les chercheurs, ils coconstruisent de nouveaux savoirs dans le but de transformer les manières d’apprendre et d’enseigner, mais aussi de produire de nouvelles connaissances sur ces transformations. En ce sens, la recherche-action, propice pour engager les acteurs de terrain à interroger leur réalité et adaptée pour l’accompagnement des changements (Dubost et Lévy, 2002), apparaît comme une recherche participative. Partant du postulat que le savoir se construit en relation avec la personne et en fonction de son expérience de la situation (Bourassa, Bélair et Chevalier, 2007), la recherche participative promeut un espace à plusieurs voix, où les acteurs interagissent et où les échanges eux-mêmes servent de supports réflexifs pour la construction de savoirs nouveaux.

Afin de générer changements et connaissances, chercheurs et enseignants opèrent un processus d’apprentissage mutuel. Une telle démarche collaborative (Desgagné, Bednarz, Lebuis, Poirier et Couture, 2001) ne signifie pas confusion des rôles ni abandon des professions. L’enseignant s’engage avec le chercheur dans des actions de suivi et dans des productions qui soutiennent sa démarche réflexive, ce qui lui permet de construire un sens nouveau sur ses actions, voire de modifier ses pratiques (Hugon et Seibel, 1988). Tout en tenant un rôle d’accompagnateur, le chercheur développe des instruments pour une meilleure intelligibilité des pratiques qu’il explore, et anticipe les retombées de ses travaux sur les acteurs de terrain et sur son domaine d’études.

La rénovation scolaire genevoise offre un exemple d’introduction d’une dynamique de changement en impliquant des chercheurs aux côtés d’enseignants, dans le but de développer une culture de recherche et de modifier les pratiques (Barthassat et Bonneton, 2010). Ces auteurs constatent, tout comme Progin et de Rham (2009) dans leurs travaux sur la rénovation de l’enseignement primaire genevois, que les savoirs concernant la collaboration entre pairs et le travail en équipe sont construits en priorité. Les praticiens interrogés expriment l’idée que le rôle des chercheurs est de proposer des savoirs acceptables et opératoires pour leur profession d’enseignant (Barthassat et Bonneton, 2010).

La mise en oeuvre d’une recherche-action n’est pas chose facile, car elle demande du temps et l’entreprise d’actions inhabituelles. De plus, son objectif est de pérenniser de nouvelles pratiques. Or, puisque nous avons à faire à des acteurs singuliers et des situations spécifiques, la pérennisation des projets et la transformation de l’institution sont questionnées (Crézé et Liu, 2006). De plus, sans appui ni soutien d’un acteur collectif, ce type de recherche ne peut aboutir qu’à la construction d’un objet complexe sans cesse réinterrogé (Crézé et Liu, 2006). Une fois ces difficultés surmontées, l’enjeu est formateur, car la mise en oeuvre de cette recherche permet d’observer ce qui se joue sur le terrain, mais surtout de soutenir une dynamique de changement en amenant l’ensemble des acteurs à interroger leurs représentations professionnelles. Nous allons montrer le lien entre celles-ci et les pratiques collaboratives dans le milieu professionnel.

2.3 Changements de pratiques et représentations

Les changements dans la sphère professionnelle peuvent être abordés du point de vue des représentations. La théorie des représentations sociales part du postulat que tout individu cherche à maîtriser l’environnement qui l’entoure et à construire son identité en tentant de donner du sens. Ces connaissances se développent au sein de la société, par l’intermédiaire des groupes d’appartenances et des interactions qui s’y déroulent. Moscovici (1984, p. 9) propose une lecture ternaire des faits, du sujet et de l’objet : c’est le regard psychosocial (figure 1).

Figure 1

Le modèle ternaire de Moscovici (1984)

Le modèle ternaire de Moscovici (1984)

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Pour Moscovici (1961), il y a une certaine dynamique sociale du fait de la production constante de nouvelles conduites liées à l’évolution de l’environnement, notamment social. L’alter a un rôle important comme le montre le sens des flèches (figure 1) : le passage à l’alter permet de saisir l’objet. Les capacités cognitives étant limitées et l’individu devant faire face à la richesse et à la complexité des informations de l’environnement, l’individu fait appel à des processus de catégorisation. Au travers de ces connaissances socialement élaborées et partagées, se dégagent les représentations sociales (Moscovici, 1961). Toute interaction suppose en effet le partage de certaines représentations sociales permettant de nommer et de classifier la réalité sociale.

En ce qui concerne la sphère professionnelle, les représentations sont associées à la manière dont est perçue la situation professionnelle, et à la signification que les acteurs et les groupes lui attribuent (Blin, 1997). Ces représentations professionnelles, représentions sociales spécifiques en ce sens qu’elles s’en distinguent par la portée des savoirs et des savoir-faire nécessaires au sein de chaque sphère professionnelle, se construisent au sein des groupes appartenant à une même sphère professionnelle. Elles permettent aux acteurs de communiquer, d’agir et d’ajuster leurs conduites aux situations professionnelles.

Le professionnel est donc considéré comme un individu socialement inséré autour des systèmes d’explication individuels et sociaux : il développe des pratiques en prenant en compte des contraintes et des exigences et donne du sens à ses activités par le langage et la communication (Bataille, Blin, Jacquet-Mias et Piaser, 1997). C’est au travers de ces agissements que les professionnels construisent leur réalité et la maîtrisent : l’action a une influence sur les processus de représentations.

Les représentations professionnelles illustrent la manière dont les sujets se représentent leur profession et les activités associées à ce contexte d’exercice ; ainsi, dans un même contexte, on peut faire l’hypothèse de représentations différentes selon la sphère professionnelle des acteurs. Les représentations professionnelles ont alors une dimension contextuelle, prenant en compte le cadre dans lequel se déroulent les activités, et une dimension fonctionnelle, faisant référence à la pratique (Blin, 1997). Dans un contexte où des changements s’opèrent, on peut penser que les représentations professionnelles sont affectées, car ce contexte oblige à des transformations de pratiques, de représentations et d’identités professionnelles (Blin, 1997).

2.4 Contextualisation aux lieux d’éducation et hypothèse

Nos travaux se situent à un autre niveau que celui des recherches menées au sein de chaque lieu d’éducation. Il s’agit de conduire une recherche sur le projet des lieux d’éducation associés, afin de valider ou non l’hypothèse selon laquelle ce projet accompagne une dynamique de changement au sein même des lieux d’éducation – eux-mêmes considérés comme des espaces interactifs et réflexifs – dans le but de nourrir la réflexion sur des pratiques collaboratives, et les liens entre formation des enseignants et recherche.

Les initiateurs du projet ont résolument fait le choix d’inscrire dans leurs attentes que les recherches menées au sein de ces lieux soient des recherches participatives. Parce que le dispositif véhicule une volonté de changement, et parce que notre recherche se veut vectrice du changement amené par la mise en place des lieux d’éducation associés et de leurs visées – continuité entre recherche et pratiques, transformation des relations entre acteurs pour une solidarité horizontale accrue – nous la considérons comme une recherche-action. Cette méthodologie nous permet de questionner les représentations professionnelles des acteurs et leurs pratiques collaboratives au sein des lieux d’éducation associés, support de recherches.

Le regard ternaire permet d’appréhender les lieux d’éducation associés (objet) par l’intermédiaire de la recherche-action (alter) que nous menons sur ceux-ci et qui accompagne les formes de collaboration mises en place au sein de ces lieux d’éducation (ego). Vecteur du changement engagé par la mise en place du projet, la recherche que nous menons offre un espace réflexif visant à contribuer à réguler ces changements et à accompagner les transformations attendues, notamment la mise en place de recherches collaboratives.

L’association d’un lieu d’exercice de la pratique et d’un lieu d’élaboration de savoirs soutient la mise en place d’un savoir professionnel. Les lieux d’éducation associés, en articulant aux recherches à l’intérieur de ces lieux une recherche-action sur l’ensemble de ceux-ci, permettent d’interroger les savoirs professionnels et la formation des enseignants, et contribuent à mettre l’accent sur la diffusion des données produites sur les terrains, l’un des objectifs du projet.

Par la dynamique sociale impulsée grâce aux lieux d’éducation associés, et représentée par un regard ternaire, tous les acteurs, enseignants et chercheurs, sont concernés. L’intérêt est de saisir la dynamique amorcée : actualisation des représentations et prise de recul sur les pratiques professionnelles pour analyser ce qui se joue et concevoir des réponses adaptées au contexte local.

3. Méthodologie

Nous cherchons à identifier les représentations des acteurs des lieux d’éducation associés pour appréhender les dynamiques de changement favorables au développement de la collaboration entre les acteurs du monde éducatif et de la recherche que ces lieux pourraient soutenir. La figure 2 situe la mise en place des lieux d’éducation et notre recherche sur un axe temporel.

Figure 2

Schéma temporel de la mise en place des lieux d’éducation associés-LéA et de la recherche

Schéma temporel de la mise en place des lieux d’éducation associés-LéA et de la recherche

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Notre démarche prend appui sur deux méthodes de collecte de données. Les premières données ont été recueillies sur un support écrit – le carnet de bord de référents de 12 lieux d’éducation associés – et les secondes, par des entretiens individuels menés auprès de six enseignants et cinq chercheurs – principaux acteurs contribuant au développement de ces lieux – de cinq lieux d’éducation associés de la région lyonnaise.

3.1 Sujets

Notre choix s’est porté sur deux types de répondants : les enseignants associés au projet oeuvrant dans un établissement, et les chercheurs attachés à l’Institut français de l’éducation. Ces répondants sont des référents en ce qu’ils rendent compte à l’institut du projet de recherche et de son insertion dans le lieu d’éducation. Treize lieux d’éducation associés sont concernés par le carnet de bord, soit 26 sujets, deux par lieu d’éducation. En ce qui concerne les entretiens et les associations, notre population est composée d’un échantillon de 11 sujets, six enseignants et cinq chercheurs, appartenant à cinq lieux d’éducation associés de la région lyonnaise. Cet échantillon est représentatif d’une diversité inhérente, tant par la variété de lieux d’éducation – école primaire, collège, lycée, dispositif Écoles, collèges et lycées pour l’ambition et la réussite (ÉCLAIR), centre d’éducation artistique – que par la variété des thématiques de recherche – littérature de jeunesse pour questionner les sciences, ressources pour les enseignants et formateurs de mathématiques sur l’enseignement de l’algèbre au collège, technologie pour l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques, lutte contre le décrochage scolaire, et des artistes à l’école maternelle. Nous savons que certaines de ces équipes étaient engagées dans des recherches avant la mise en place du projet, mais nous n’avions aucune information sur le fait qu’il s’agissait ou non de recherches participatives lorsque nous avons lancé notre propre recherche.

3.2 Instrumentation

Les carnets de bord

Le carnet de bord sert de support pour décrire les lieux d’éducation associés. Il comporte différents items concernant l’organisation de la recherche, les partenariats établis, et la communication sur le terrain. Il est documenté conjointement par un enseignant et un chercheur préalablement identifiés comme référents du lieu d’éducation. Cette production a au moins trois visées : 1) jouer un rôle de mémoire en permettant de conserver une trace de l’activité conduite au sein du lieu d’éducation associé ; 2) participer à la construction du lieu d’éducation associé en amenant les acteurs à formaliser la construction de ce lieu ; 3) engager les acteurs dans une écriture professionnelle et dans une production collective entre chercheurs et enseignants. Favorisant une posture réflexive, l’écriture produite dans les carnets de bord devrait être un vecteur du développement professionnel des acteurs. Les participants ont eu un mois pour remplir leur carnet, pendant le mois de février 2012, soit six mois après le lancement du projet.

Les entretiens

Dans le but d’approfondir les questions spécifiques de notre recherche, la collecte de données a été complétée par des entretiens individuels semi-directifs, d’environ une heure, auprès de différents acteurs des lieux d’éducation associés. Nous avons nous-mêmes mené ces entretiens au mois d’avril, en face à face, et sur le lieu de travail des acteurs interviewés. Ainsi, nous avons eu accès à une parole spontanée et subjective, car orchestrée par l’interviewé lui-même (Bardin, 1977).

En lien avec la problématique, nous avons construit notre guide d’entretien autour de deux axes. Le premier s’intéresse à la manière dont le lieu d’éducation associé se met en place : aspects organisationnels et attribution des rôles y sont interrogés. Le deuxième axe concerne plus particulièrement l’influence du projet des lieux d’éducation associés au sein de l’établissement ; nous interrogeons les moments décisifs dans le sentiment de faire partie d’un lieu d’éducation associé, les relations entre acteurs et les pratiques.

Les associations

Pendant l’entretien semi-directif, trois associations d’idées ont été proposées aux personnes interviewées. À trois inducteurs (les mots lieux d’éducation associés et recherche, et la question Quels sont les cinq mots qui, pour vous,définissent parfaitement le projet des lieux d’éducation associés ?), nous leur avons demandé d’associer spontanément des idées, afin de pouvoir accéder aux stéréotypes générés (Bardin, 1977). Nous commencions l’entretien avec les deux premiers mots inducteurs, puis nous posions la question en fin d’entretien. La figure 3 présente le déroulement des entretiens et des associations.

Figure 3

Schéma du déroulement des entretiens et des associations d’idées

Schéma du déroulement des entretiens et des associations d’idées

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3.3 Déroulement

Parce qu’il permet d’explorer les traces des activités conduites au sein des lieux d’éducation associés, nous avons créé l’outil Carnet de bord, puis nous en avons analysé les contenus pour chaque lieu d’éducation. Par souci de validation des résultats obtenus, nous avons fait le choix d’une triangulation méthodologique, avec associations et entretiens individuels. Après l’analyse des carnets de bord, nous avons rédigé le guide d’entretien. Une fois réalisés, les entretiens ont été transcrits et ont fait l’objet d’une analyse de contenu.

3.4 Méthode d’analyse des données

Analyse des carnets de bord

Pour analyser les 12 carnets de bord, nous avons réalisé une analyse de contenu classique (Bardin, 1977), en comptabilisant les répétitions et la fréquence des thématiques abordées sur l’ensemble des entretiens. À la suite de cette analyse de contenus par analyse thématique, et afin de recontextualiser les réponses, nous avons complété cette analyse par une lecture flottante, qui permet de faire venir à soi des impressions, lectures-relectures formant des liens entre les discours (Bardin, 1977). Nous avons ainsi pu définir les unités d’enregistrements et de contextes pertinents, afin de poursuivre cette analyse de contenu par analyse thématique. Les unités d’enregistrements sont des unités de significations ; dans le cas présent, ce sont donc les carnets de bord. Les unités de contexte correspondent à des éléments significatifs de chaque unité d’enregistrement (Bardin, 1977). Pour chaque unité d’enregistrement, les unités de contexte correspondent aux réponses données pour chaque thématique repérée.

Analyse des entretiens et des associations

Une fois les entretiens transcrits (transcription des verbatims), comme pour les carnets de bord, une analyse de contenu par analyse thématique a été réalisée. Pour chaque mot inducteur, les idées associées ont fait l’objet d’une analyse thématique : les idées similaires ou récurrentes ont été réunies en fonction des interviewés (enseignants ou chercheurs) pour pouvoir observer d’éventuelles différences selon les rôles.

3.5 Considérations éthiques

La confidentialité des données issues des carnets de bord et des entretiens nous a amenées à identifier chaque sujet par son rôle : enseignant ou chercheur, et par la structure dans laquelle il intervient (école, lycée, etc.), suivi d’une lettre de l’alphabet pour éviter des ambiguïtés entre les mêmes types d’établissements. Avant chaque entretien, des indications sur les objectifs du recueil étaient données, nous reprécisions au participant que son nom ne serait pas cité et nous lui redemandions son accord pour l’enregistrement audio. Les résultats ont été présentés à tous les acteurs des lieux d’éducation associés lors de la journée scientifique des lieux d’éducation associés-LéA le 30 mai 2012.

4. Résultats

4.1 Résultats relatifs à la mise en place des lieux d’éducation associés

Cette première étude est réalisée par l’analyse du contenu des carnets de bord. Sur les 13 lieux d’éducation associés, 12 l’ont renseigné. L’analyse de contenu par analyse thématique a permis de dégager six thématiques. Ces thématiques regroupent des informations sur la mise en place des lieux d’éducation associés et sur les recherches menées dans chacun de ces lieux. Aussi, dans les analyses qui vont suivre, lorsque nous parlons de recherche, il est question des recherches menées au sein de ces lieux d’éducation, et non de la recherche que nous menons sur la mise en place du projet.

La thématique Organisation regroupe l’organisation générale de la recherche (questionnements, observations, analyses), l’organisation de l’équipe dans son ensemble (participants, réunion et compte rendu), l’organisation de la communication par rapport aux lieux et à la recherche (à l’interne : convention signée, présentation de la recherche aux parents, aux collègues ; à l’externe : textes produits par l’équipe, séminaires, colloque). La thématique Rôle rassemble les informations concernant le(s) rôle(s) et fonctions des acteurs du lieu d’éducation. Dans la thématique Partenariat se trouvent les différents liens établis par la recherche ou le lieu d’éducation (universitaire, régional, national et international), ainsi que les interactions présentes ou non avec les lieux de formation ou d’autres lieux d’éducation. Au sein de la thématique Objectif, sont regroupés les objectifs visés par la recherche, par le lieu d’éducation, et les nouveaux partenariats. La thématique Apport / Production réunit toutes les réponses concernant les apports de la recherche tant sur le plan des acteurs que de leurs pratiques (apport d’éléments théoriques, prise du recul sur les pratiques quotidiennes), et les produits façonnés par ou pour la recherche (thèse, mémoire, site Web, formation). Enfin, la thématique Frein / Appui aborde les problèmes et réticences vis-à-vis de l’expérimentation de nouvelles pratiques (utilisation de la vidéo), ainsi que les appuis favorables au développement de la recherche : le travail collaboratif entre enseignants et chercheurs.

L’homogénéité des résultats est le premier élément qui ressort de l’analyse des carnets de bord : l’organisation et la diffusion de la recherche menée au sein de chaque établissement est au centre des thématiques. En revanche, la dimension Partenariat autour des lieux d’éducation associés est peu présente, ce qui justifie la nécessité d’engager des entretiens individuels.

4.2 Résultats relatifs à la continuité entre recherche et pratiques collaboratives

Cette partie de l’étude a été réalisée à partir de l’analyse des entretiens et des associations d’idées. Nous avons commencé avec l’analyse des trois associations d’idées. Au début de l’entretien, il était demandé aux interviewés d’associer librement des expressions aux mots recherche et lieu d’éducation associé. En fin d’entretien, nous leur demandions de répondre à la question suivante : quels sont les cinq mots qui, pour vous, définissent parfaitement le projet des lieux d’éducation associés ?

Le mot inducteur Recherche mobilise trois idées. La première concerne le travail de recherche dans sa dimension scientifique et son déroulement (questionnement, observations, recueils de données et traitement). Ensuite, émerge l’idée selon laquelle la recherche interroge les pratiques professionnelles par la prise de recul des enseignants sur leur pratique : Implication professionnelle, réflexion, aide à prendre du recul par rapport à son travail […] c’est vrai que ça implique plein de choses [Enseignant ÉCLAIR G]. Enfin, il est question de la relation recherche / pratique, autrement dit, de l’ancrage de la recherche sur le terrain, et du partage des connaissances entre chercheurs et praticiens : Recherche, pour moi, c’est associé à équipe de recherche, […] c’est établir un lien entre le terrain et des sujets de recherche [Chercheur ÉCLAIR G].

Le mot recherche est associé à ce qui englobe le travail de recherche par tous les chercheurs, et l’idée selon laquelle la recherche interroge les pratiques professionnelles est associée au mot recherche par les enseignants. L’idée d’une relation recherche / pratique est plus rarement mentionnée, et l’est autant par les uns que par les autres.

Pour le mot inducteur Lieux d’éducation associés, cinq idées ont été associées par les répondants, dont certaines avaient déjà été identifiées lors de la première association d’idées. Tout d’abord, il a été question du cadre des lieux d’éducation associés, tel qu’il a été développé par les porteurs de ce projet : contractualiser une forme de travail, institutionnaliser, rendre visible. L’idée d’une diffusion au-delà de la recherche a aussi été abordée, car les lieux d’éducation associés apparaissent comme une courroie de transmission permettant une mise en réseau d’actions de recherches : Moi, j’ai compris comme ça, un réseau d’enseignants-chercheurs travaillant avec des établissements scolaires […] [et] la possibilité finalement d’échanger des informations entre les différents lieux d’éducation associés [Chercheur École F]. Aussi, le lieu d’éducation est un lieu où sont associés enseignants et chercheurs et, contrairement à la première association d’idées, la relation recherche / pratique est davantage mentionnée par les répondants. Néanmoins, ces derniers ont l’impression que les recherches auxquelles ils participaient avant l’implantation du projet étaient déjà de type participative, d’où l’idée d’une recherche déjà présente. Enfin, pour les référents de l’établissement A où le lieu d’éducation associé n’a pas pu se mettre en place, et la chercheuse du collège H qui déplore une perte de contact avec l’Institut français de l’éducation, les mots lieux d’éducation associés renvoient à l’idée d’absence.

Au sujet des mots lieux d’éducation associés, aucune association d’idées ne se détache pour chaque catégorie de répondants. Les associations d’idées ont un poids équivalent, si ce n’est que l’idée d’une relation recherche / pratique est plus souvent associée par les chercheurs que par les enseignants.

Enfin, à la question Quels sont les cinq mots qui, pour vous,définissent parfaitement les lieux d’éducation associés ?, tout comme dans la première association d’idées, les lieux d’éducation sont associés au travail de recherche, au fait qu’ils interrogent les pratiques professionnelles, et à la mise en relation recherche / pratique. Faire partie des lieux d’éducation associés apporte de la visibilité et une assise. Enfin, les idées des chercheurs mettent en évidence l’importance d’une relation recherche / pratique au travers des mots lien ou relation présents dans les discours, mais aussi, de cette idée exprimée par le chercheur du Lycée I : [c’est la] notion d’équipe de recherche où il y a des gens différents qui apportent des choses, qui apportent leurs visions des choses et qui construisent en commun quelque chose. En revanche, aucune idée dominante ne peut être dégagée dans les idées associées par les enseignants.

En ce qui concerne les entretiens, le tableau 1 présente les principales thématiques abordées par les participants pouvant éclairer le questionnement du présent article. Nous avons calculé la fréquence d’apparition de chaque thème et le nombre de thématiques abordées pour chacun des interviewés.

Nous commençons par traiter des thématiques les plus représentées : Organisation et Perception des lieux d’éducation associés. La thématique Organisation, déjà relevée dans les carnets de bord, aborde la perception ou non de changements dans l’organisation interne du lieu d’éducation : organisation de la communication, de la diffusion, de l’administratif (signature de convention), mais aussi organisation de la collaboration autour de la recherche. La deuxième thématique se caractérise par la difficulté, pour les acteurs, de percevoir ces lieux. Pour certains, les lieux d’éducation associés sont principalement la continuité de ce qui se fait déjà au sein d’une équipe d’enseignants associés.

Tableau 1

Fréquence des thématiques relevées lors des entretiens

Fréquence des thématiques relevées lors des entretiens

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La thématique Relation concerne les représentations sur les relations réellement engagées. Nous trouvons ici une distinction entre les répondants : tous les chercheurs ne perçoivent pas en quoi le lieu où ils conduisent leur recherche est un lieu d’éducation associé ; cela peut s’expliquer par leur extériorité au lieu. En revanche, les enseignants perçoivent davantage les lieux d’éducation associés, grâce à l’engagement de la diffusion au sein de leur établissement : Moi, j’pense que c’est plutôt la diffusion qui a été faite qu’on s’est senti obligé de faire alors qu’avant, on se sentait pas obligé de le faire [Enseignant Collège H]. Il est aussi question des partenariats : les lieux d’éducation sont inscrits dans des partenariats avec d’autres établissements scolaires, mais malgré des attentes exprimées, nous notons l’absence de lien établi avec les institutions de formation et avec d’autres lieux d’éducation associés. Ces carences sont expliquées par un manque de temps pour construire ces partenariats. Dans la thématique Rôle, nous avons classé les implications de chacun dans le lieu. Dans la majorité des cas, les rôles n’ont pas été clairement discutés, car les répondants avaient déjà travaillé ensemble avant la mise en place des lieux d’éducation associés. Néanmoins, certains interviewés parlent de rôles partagés : les enseignants-référents ont principalement un rôle de coordination : ils s’occupent de mettre en relation enseignants et chercheurs et d’obtenir les documents nécessaires à la poursuite de la recherche. Quant aux chercheurs, ils organisent la recherche sur le terrain et contribuent à la visibilité de la recherche par des interventions à l’extérieur du lieu d’éducation. Une autre thématique assez fournie est celle des Attentes vis-à-vis du projet des lieux d’éducation associés. Les chercheurs ont plus d’attentes que les enseignants : ils souhaitent que le projet soit un facilitateur de la recherche engagée sur le terrain en restant simple, accessible et transparent. Parallèlement, les enseignants souhaitent surtout que la mise en place du projet se poursuive et que le nombre de lieux d’éducation associés et de personnes impliquées au sein de l’établissement s’élargisse. Ils semblent avoir mieux perçu les enjeux et la politique menée par l’Institut. Dans la thématique Carnet de bord, il est principalement question de son utilité. Si les répondants affirment que celui-ci n’en a aucune lorsqu’ils sont directement interrogés sur ce point, au fil des échanges, certains discours révèlent que le carnet de bord permet une formalisation des activités : de mettre sur papier, par écrit ce qu’on pense, ça permet de formaliser, de structurer, c’est toujours intéressant parce qu’on est obligé de passer par autre chose qu’une pensée qui s’en va [Enseignant ÉCLAIR G]. Quant aux thématiques Pratique et Représentation, elles peuvent être traitées ensemble, car nous avons pu constater, durant les entretiens, qu’elles étaient liées. Nous illustrons ce lien par un extrait de l’entretien avec le chercheur du lycée I :

Il me semble que le dispositif LéA (lieux d’éducation associés) se surajoute au dispositif très fort d’enseignants associés, et cet aspect des enseignants associés, c’est-à-dire des gens qui travaillent dans des classes, qui sont enseignants mais qui participent à la recherche en étant dans des équipes de recherche avec des chercheurs et puis des professeurs, ce dispositif-là, il modifie très sensiblement le rapport qu’ont les collègues à leur métier. Moi, j’en avais discuté avec [l’enseignant associé] et je veux dire qu’il m’a dit des choses très très fortes par rapport au fait d’avoir des observations dans sa classe et d’avoir des retours d’observations, d’analyses, qui étaient faites ;[ça] a modifié très sensiblement la façon dont il enseignait donc et a modifié la perception qu’il avait de son métier.

Cet extrait est représentatif d’un noyau commun à chacun des entretiens menés. Il permet d’identifier les lieux d’éducation associés, et de décrire leur impact (ou non) sur les représentations ainsi que les pratiques professionnelles.

Nous avons ensuite demandé aux interviewés si la mise en place des lieux d’éducation associés apportait du changement dans leurs pratiques collaboratives. Si la majorité des répondants prétend qu’il est trop tôt pour percevoir un changement tangible, tous conviennent que l’engagement dans le lieu d’éducation permet d’étayer une dynamique de changement dans les pratiques collaboratives. Pour certains, celle-ci avait été amorcée par des recherches participatives entreprises précédemment dans leur établissement devenu lieu d’éducation associé : Il n’y a rien de nouveau dans la pratique, […] c’est l’idée d’établissement et de diffusion qui sont nouveaux [Chercheur Collège H] ; que ce soit un dispositif qui facilite ces aspects [relations professeur-chercheur], ça, c’est tout à fait sûr [Chercheur Lycée I].

Au fil des échanges, il apparaît que ce mouvement est favorable au développement des lieux d’éducation associés. Les répondants qui se sont effectivement engagés dans la construction de ces lieux se reconnaissent dans les objectifs du projet et désirent poursuivre dans cette voie. Sans qu’ils ne relèvent un changement vraiment radical, l’entrée de leur lieu d’éducation dans ce projet a permis à certains d’engager des actions de communication ou encore de diffusion sur le travail réalisé et ainsi, d’apporter un certain éclairage sur les pratiques développées dans le contexte de la recherche au sein de leur établissement. Une dynamique de changement s’est amorcée au sein de chaque lieu d’éducation associé, et est soutenue par le projet.

L’engagement dans la construction des lieux d’éducation associés et le développement des pratiques s’observent aussi dans la rédaction et l’appropriation des carnets de bord par les référents : seuls ceux qui les ont effectivement remplis d’informations en ont perçu l’utilité, leurs discours sont révélateurs des apports de cette activité. Remplir le carnet de bord a eu un effet positif sur la mise en place du lieu d’éducation associé ; on le voit d’autant que les enseignants référents qui ne se sont pas réellement engagés dans cette tâche se sont moins bien approprié les visées du projet. En effet, le carnet de bord soutient la construction des lieux d’éducation associés parce qu’il est un outil réflexif et collaboratif et parce qu’il nourrit les pratiques et les recherches (celles menées sur le terrain et celle que nous menons) : Ça apporte quelque chose, c’est indiscutable, ça permet aussi avec les différents partenaires de se dire, « Tiens, au jour d’aujourd’hui, on en est où, qu’est-ce qu’on a fait ? » [Enseignant Lycée I].

5. Discussion des résultats

5.1 Discussion sur la mise en place des lieux d’éducation associés

Les données recueillies dans les carnets de bord mettent en évidence une centration des répondants sur la recherche, et non sur le projet des lieux d’éducation associés en lui-même. Cela peut s’expliquer en partie par le fait que certains répondants avaient une expérience de la recherche avant la mise en place de ce projet. Ces réponses remettent en question la visibilité des lieux d’éducation associés par certains de leurs propres acteurs. Les propos de certains répondants laissent à penser que les recherches dans lesquelles ils étaient engagés s’apparentaient déjà à des recherches participatives, ce que nous ne savions pas avant notre recherche. Cependant, l’analyse thématique des carnets de bord met en évidence qu’une dynamique propre au projet se dessine. Les données montrent que ces carnets sont le support d’une collaboration effective entre enseignants et chercheurs. En plus d’offrir une certaine richesse dans les productions, cet investissement à plusieurs voix va dans le sens d’une prise de pouvoir partagée (Desgagné et al., 2001) entre chercheurs et enseignants dans les recherches menées au sein des lieux d’éducation associés. Cette collaboration, la présence, dans les réponses, d’éléments relatifs aux rôles de chacun, aux objectifs visés, et aux partenariats qui se construisent, montre l’existence de dialogues sur le terrain. Ceux-ci nourrissent les enjeux de la recherche, car ils apportent questionnements et réflexibilité d’une part et, d’autre part, ils soutiennent la production d’outils de diffusion au sein et en dehors des lieux d’éducation. Cette collaboration professionnelle implique donc une nouvelle organisation du travail ainsi que de nouvelles compétences collectives, éléments sur lesquels Gather Thurler et Maulini (2007) insistent. Si cette collaboration soulève des problèmes liés au coût temporel des échanges et des mises en commun, elle n’en est pas entravée ; c’est grâce à elle que les lieux d’éducation et les enseignants ont pu développer des partenariats spécifiques. Un cadre commun de travail est présent, et nous retrouvons dans les productions certains points qui caractérisent les lieux d’éducation associés. Les enseignants ont dépassé le cadre sécurisant et rassurant du travail cellulaire (Tardif et Lessard, 1999), grâce à une activité collective stable et régulière, et un processus durable de réflexion, soutenus par la production du carnet de bord, outil de suivi.

Nous avions posé comme hypothèse que les lieux d’éducation associés accompagnent une dynamique de changement au sein de chaque lieu, et que cette dynamique est favorable au développement des pratiques collaboratives. Des collaborations existent, comme le montre la mobilisation des acteurs lors de la saisie du carnet de bord. Cependant l’analyse du contenu de ces carnets ne permet pas de montrer que les collaborations émergent par la mise en place du projet, car les répondants n’attribuent pas cette dynamique à leur entrée dans les lieux d’éducation associés. De ce fait, notre hypothèse reste à confirmer.

En résumé, l’analyse des carnets de bord met bien en évidence l’organisation de la collaboration, c’est-à-dire la solidarité horizontale interpersonnelle, mais peu le soutien apporté par les lieux d’éducation associés à une dynamique de changement dans les pratiques collaboratives. À ce niveau de la discussion, nous ne pouvons conclure sur un lien entre les collaborations exprimées lors des entretiens et les lieux d’éducation associés.

5.2 Discussion sur la continuité entre recherche et pratiques collaboratives

L’association d’idées est la stratégie de collecte des données qui rend le mieux compte des lieux d’éducation associés comme lieux en construction, et qui permet d’observer le renforcement des liens entre recherche et pratiques.

Les idées associées aux mots inducteurs LéA (lieux d’éducation associés) et recherche diffèrent : les représentations sur le lieu d’éducation se distinguent de celles sur la recherche ; il n’y a pas recouvrement total entre recherche et lieu d’éducation. Si la recherche est bien partie intégrante du lieu d’éducation associé, le lieu la dépasse, car il est aussi un cadre, un soutien à la diffusion. Nous retiendrons à ce propos de fortes attentes, chez les répondants, vis-à-vis du projet : mettre en place le dispositif de manière lisible et durable en soutenant la collaboration chercheur-acteurs de terrain ; ne pas perdre de vue les connaissances produites et leur diffusion ; faire évoluer le rôle des référents ; mettre en place un animateur du réseau pour plus de visibilité ; rencontrer d’autres lieux d’éducation associés. Ces attentes sont le signe du regard positif que les répondants posent sur la collaboration, et rejoignent une autre idée très forte exprimée par Gather Thurler et Maulini (2007) ainsi que Crézé et Liu (2006) : le rôle essentiel des établissements impliqués dans la recherche – ici, l’Institut français de l’éducation et les établissements scolaires ou éducatifs – dans le soutien et la pérennisation de ce type de projet. Ces attentes peuvent être interprétées comme le signe d’une dynamique de changement.

L’association d’idées réalisée à la fin des entretiens permet d’aller plus loin et de mettre en avant que la perception des lieux d’éducation associés et la continuité entre recherche et pratiques dépendent du statut des répondants. Selon qu’ils sont chercheurs ou acteurs du terrain, les idées associées aux mots inducteurs diffèrent très distinctement. Alors que l’analyse des entretiens laisse à penser que les chercheurs de l’institut ne perçoivent pas le lieu d’éducation, c’est en l’associant à la recherche menée sur le terrain qu’ils arrivent à parler du lieu d’éducation associé comme soutenant des relations entre recherche et pratique. Quant aux enseignants, ils perçoivent davantage ces lieux au travers de leurs pratiques professionnelles et de la diffusion des produits de la recherche. Cela répond à une hypothèse que nous avions formulée à la suite des éléments discutés par Blin (1997) ainsi que Bataille et ses collaborateurs (1997) concernant les représentations professionnelles : dans un même contexte se trouvent des représentations différentes selon la sphère professionnelle des acteurs. De plus, nous constatons que l’action a une influence sur ces processus de représentation. En plus de soutenir une dimension contextuelle, les représentations professionnelles soutiennent aussi une dimension fonctionnelle (Blin, 1997).

L’extrait de l’entretien mené auprès du chercheur du Lycée I met en évidence que la collaboration au sein des lieux d’éducation associés influence les représentations professionnelles, la façon d’enseigner, et soutient la réflexivité sur les pratiques. Cela va dans le sens de notre hypothèse. Les changements auxquels nous avons accès par les représentations professionnelles recueillies lors des entretiens ont été soutenus par les recherches menées au sein des lieux d’éducation qui mobilisent une solidarité horizontale interpersonnelle et renforcent les liens entre formation des enseignants et recherche. Ces changements sont favorables au développement des pratiques des acteurs (surtout des enseignants) ainsi qu’au développement des lieux d’éducation associés. En se surajoutant aux recherches sur le terrain, ceux-ci permettent de soutenir ces changements et de les accompagner parce qu’ils identifient et encadrent ces nouvelles représentations et pratiques professionnelles.

Pour conclure cette discussion, nous ferons la même observation que Dubost et Lévy (2002) : la recherche participative, et plus particulièrement la recherche-action, est adaptée pour l’accompagnement des changements, et permet aux acteurs de terrain d’interroger leur réalité. Nous pouvons avancer l’idée que les lieux d’éducation associés sont perçus par la majorité des répondants comme soutenant le travail de recherche et interrogeant les pratiques professionnelles, mais qu’ils permettent surtout la mise en lien de la recherche avec la pratique des enseignants, et en favorisent la diffusion. Nous n’opposerons pas les représentations des chercheurs et des enseignants sur les lieux d’éducation associés, parce qu’en tant que représentations professionnelles, elles ne sont aucunement divergentes mais complémentaires, et permettent également de mettre en exergue les changements de pratiques amorcés.

6. Conclusion

La présente recherche nous a permis d’interroger le projet de lieux d’éducation associés en tant que soutien à une dynamique de changements dans les pratiques collaboratives des acteurs du terrain et de la recherche.

L’hypothèse était que ce projet accompagnerait une dynamique de changement au sein des lieux d’éducation, et que cette dynamique serait favorable, d’une part, au développement des pratiques collaboratives et de la solidarité horizontale interpersonnelle, et d’autre part, à une meilleure continuité entre recherche et pratiques, formation des enseignants et recherche. Afin de répondre à cette interrogation, nous avons entrepris d’étudier les représentations d’acteurs engagés dans le projet des lieux d’éducation associés en nous appuyant sur l’analyse de carnets de bord, une production réalisée dans chaque lieu d’éducation associé qui implique la collaboration de plusieurs acteurs, et sur l’analyse d’entretiens et d’associations d’idées collectés individuellement. Ces derniers ont été menés auprès d’une population ciblée : des enseignants et des chercheurs-référents de chacun des lieux d’éducation associés de la région lyonnaise, population représentative de la diversité des lieux d’éducation associés.

Malgré quelques limites liées au fait que des recherches de type collaboratif préexistaient dans certains lieux d’éducation, ces analyses nous ont permis d’appréhender une dynamique et des changements qui proviennent directement des recherches auxquelles les lieux d’éducation associés s’additionnent ; l’écriture collaborative dans les carnets de bord y contribue. L’analyse des représentations professionnelles nous a aussi permis de considérer ces pratiques comme conformes à l’esprit du projet des lieux d’éducation associés.

Ce projet semble avoir les qualités requises pour répondre à la volonté politique de refondation de l’école en France, car il soutient de nouvelles pratiques éducatives dans le but d’améliorer les modalités de transmission et d’appropriation des savoirs par une solidarité horizontale interpersonnelle entre les acteurs éducatifs, ainsi que par le renforcement des liens entre formation et recherche. Une vraie collaboration est présente sur le terrain, une problématique commune permet aux acteurs impliqués de proposer une autre manière d’être enseignants en collaborant davantage, et d’envisager la profession en donnant plus de visibilité aux pratiques. Un renforcement des liens entre formation et recherche se manifeste au travers du discours des répondants sur une prise de pouvoir partagée entre chercheurs et enseignants dans les recherches conduites au sein des lieux d’éducation associés. De plus, nos résultats montrent que les recherches participatives permettent aux enseignants de développer de nouvelles pratiques (réflexibilité, diffusion, création/partage de ressources, collaboration) et, par là-même, de se perfectionner.

Il nous faut toutefois être vigilantes avec ces observations : comme les résultats ne sont représentatifs que de la population étudiée, nous ne pouvons donc pas les généraliser à tous les lieux d’éducation associés. De plus, il n’est pas possible de valider ces résultats en les comparant avec ceux d’un groupe contrôle.

Malgré ces limites, les résultats de notre recherche ont une portée plus vaste. Ils donnent un exemple de recherche-action qui peut soutenir des attentes propres à tout système éducatif en termes de solidarité horizontale entre chercheurs en éducation et enseignants ; de liens entre recherches et pratiques afin d’assurer une continuité propice à leur influence mutuelle ; et, pour finir, de liens entre formation et recherche.

Il serait nécessaire de reprendre cette étude en ciblant une nouvelle population appartenant à des lieux d’éducation dont les recherches se seraient mises en place au moment de leur intégration dans le projet. Cela permettrait de répondre avec plus de certitude à notre questionnement sur le rôle que jouent les lieux d’éducation associés dans la dynamique de changement dans les pratiques collaboratives.

La mise en place des lieux d’éducation associés a pour double visée de renforcer les liens entre formation des enseignants et recherche, et d’accompagner la mobilisation d’une solidarité horizontale interpersonnelle entre les acteurs de l’éducation. Pour atteindre ces visées, le dispositif de soutien à la construction des lieux d’éducation mis en place par l’Institut français de l’éducation se dote, progressivement et en interaction avec les acteurs, de moyens matériels (physiques comme un site collaboratif dédié, et symboliques comme divers supports d’écriture collaborative) ainsi que de moyens humains (comité de pilotage, comité scientifique, rôles identifiés au sein des lieux d’éducation…). Nos futures recherches se donneront comme objectif de rendre intelligible la contribution de ces instruments à la construction des lieux d’éducation associés.