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Alors que la régionalisation du pouvoir politique en Europe touche aussi bien les pays historiquement centralisés que les pays fédéraux, ce phénomène encore mal connu reste surtout étudié à travers le prisme des mouvements régionalistes. L’ouvrage de Claire Dupuy apporte un éclairage original sur cette question en se penchant sur l’étude des politiques publiques conduites par les gouvernements régionaux (en l’occurrence, les politiques d’éducation), sous l’angle de leurs effets sur les inégalités territoriales.

L’argument avancé d’entrée de jeu est le suivant : contrairement à une idée répandue, les politiques éducatives régionales n’ont pas accru les inégalités territoriales, elles les ont même réduites. Les gouvernements régionaux cherchent à assurer leur capacité à produire des politiques publiques, ce qui peut les amener à mettre en oeuvre des politiques similaires aux effets convergents.

L’auteure s’appuie sur une comparaison des politiques régionales (enseignement secondaire) dans deux pays sur une trentaine d’années. L’enquête empirique, documentée de façon très précise, a été conduite dans sept régions françaises et trois Lands allemands, permettant la collecte de matériaux variés (près de 60 entretiens, archives, documents institutionnels, données statistiques), restitués de façon convaincante et synthétique.

Chaque chapitre fait dialoguer les deux cas de façon fructueuse. Le premier chapitre de l’ouvrage montre les limites de la capacité de l’État à assurer l’égalité territoriale et à orienter les politiques régionales. Le second s’arrête sur la politisation de l’action publique régionale en matière éducative, qui ne va pas nécessairement de pair avec la production de divergences. Le troisième chapitre examine alors les similarités dans ce qui est entrepris par les régions (politique patrimoniale en France, standards nationaux en Allemagne), similarités recherchées de façon délibérée qui peuvent avoir comme résultat de réduire les inégalités. Le quatrième chapitre aborde la question de la compétition interrégionale qui prend la forme d’une course vers le milieu. En conclusion, l’auteure revient sur les implications de ses résultats pour l’étude de l’action publique. Les conseils régionaux et les Lands réalisent largement les préférences des citoyens pour l’uniformité territoriale en matière d’éducation, un constat qui invite à s’interroger sur la réallocation de la légitimité que les citoyens reconnaissent aux différents niveaux de gouvernements.

Les questions que pose l’ouvrage dépassent en fait largement le cas des politiques d’éducation, pour interroger le processus de régionalisation de l’action publique en Europe. Dès lors, le propos n’est pas d’apporter une réflexion sur les effets de la régionalisation sur les inégalités scolaires. En effet, les inégalités sont ici appréhendées à travers les conditions matérielles et institutionnelles de scolarisation (bâtiments, investissements, taux d’encadrement, structure des filières, dotation des établissements, etc.), laissant de côté la question des inégalités territoriales de réussite des élèves, en termes notamment d’acquis et compétences scolaires, d’orientation, d’accès aux diplômes, questions qui nécessiteraient certainement d’être explorées.