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1. Introduction

La toponymie (partie de l'onomastique – science des noms propres) est la science des noms de lieux, domaine privilégié de la géographie. Plusieurs études de ce champ disciplinaire ont démontré comment le toponyme est au coeur du rapport entre la société et le territoire qu’elle occupe (Austin, 1963; Debarbieux et Poisat, 1999; Debarbieux et Vanier, 2002; Claval, 2003; Paul-Lévy et Segaud, 1983; Searle, 1969). Au-delà de sa fonction locative (désignation, localisation et orientation), le toponyme est porteur de valeurs patrimoniale et culturelle (Dorion, 2004; Landry et Bourhis, 1997) et constitue un référentiel identitaire incontestable (Jaillard, 2008).

D’autres études, davantage inscrites dans une perspective historique, se sont attachées à retracer l’évolution toponymique des lieux au gré des (re)conquêtes territoriales et de l’alternance des régimes politiques qui les refondent à leur image[1]. Riches d’enseignements, elles nous informent qu’hormis les phases de fondation – telles qu’assurées par les explorateurs ou les premiers peuples sédentarisés (Blais, 2001) – les moments de crises ou de bouleversements géopolitiques constituent des séquences décisives de promotion, ou d’oblitération, toponymiques (Bouvier et Guillon, 2001). En outre, notre époque ne fait pas exception. Marquée par de nombreuses révolutions culturelles, politiques et territoriales[2], elle connaît une multitude de refontes toponymiques de par le monde et à différentes échelles spatiales (Lima, 2008).

Ce nouveau mouvement toponymique bénéficie d’une attention particulière en géographie politique, qui l’aborde sous un angle postcolonial (Lussault, 2007; Boyer et Paveau, 2008; Monmonier, 2006; Boltanski et Thévenot, 1991; Ozouf-Marignier, 1989). On assiste ainsi à une production foisonnante de monographies qui analysent les productions toponymiques, à travers le discours des protagonistes et le jeu d’acteurs. Devant la diversité des situations toponymiques (différentes échelles, aires géographiques et contextes politiques), plusieurs auteurs ont vu la nécessité de synthétiser et de capitaliser les travaux réalisés pour proposer des grilles de lecture théoriques tels que Monmonier (2006), Boyer et Paveau (2008) ou encore Giraut, Houssay-Holzschulch et Guyot (2008). Il en ressort que les pratiques toponymiques contemporaines obéissent généralement à trois registres qui peuvent par moments se combiner, à savoir révolution / éradication, révélation / construction et restauration / reconnaissance.

La toponymie basée sur le mode révolution / éradication relève d’une logique de rupture et de substitution. Elle tente d’ériger un nouvel ordre territorial tout en éradiquant le précédent. La nouvelle qualification « évite [ainsi] toute référence aux pouvoirs antérieurs » (Giraut, Houssay-Holzschulch et Guyot, 2008, p. 101). C’est également dans ce registre que s’inscrit l’épuration toponymique (Guillorel, 2002; Rosière, 2006), traduisant une volonté de gommage ou d’occultation d’un pan sensible de l’histoire locale (colonialisme, régimes totalitaires ou ségrégatifs). Le cas de la capitale sud-africaine, Pretoria, rebaptisée du nom de Tshwane – pour marquer la fin de l’apartheid et la reconnaissance de la population d’origine africaine – incarne l’exemple idéal de ce processus toponymique. La toponymie de type révélation / construction s’applique aux nouveaux territoires émergeants (nouvelles municipalités, régions / territoires de projet; espaces dédiés aux activités marchandes et productives tels que les complexes touristiques et commerciaux). Elle se distingue de la première forme toponymique dans la mesure où elle ne vise pas à se substituer à un nom existant mais à désigner de nouvelles créations territoriales. Cette néotoponymie (Giraut et Houssay-Holzschulch, 2008) obéit souvent à une stratégie de marketing territorial à des fins touristiques ou économiques (attraction des investisseurs potentiels). Enfin, la toponymie de type restauration / reconnaissance s’inscrit, quant à elle, dans une volonté de rattrapage et de compensation, généralement envers les groupes victimes d’un préjudice historique ou longtemps privés d’une reconnaissance politique. On les retrouve dans les anciennes colonies qui cherchent aujourd’hui à restituer aux « groupes dominés » de l’époque, une partie de leurs droits et à reconnaître ainsi leur présence et leur culture. C’est le cas des régimes démocratiques confrontés aux revendications identitaires des premiers peuples ou des minorités nationales, et qui proposent des toponymies alternatives en guise de réparation ou de reconnaissance symbolique (ex : « toponymie autochtone »). La qualification des lieux basée sur les minorités ethniques procède aussi de la même démarche. Elle est très présente dans les contextes multiculturels comme les États-Unis, le Canada ou encore l’Australie, où le champ toponymique est saisi pour faire valoir et conférer une visibilité aux différentes communautés immigrées (Audebert, 2006; Hum, 2002; Sanjek, 1998; Monmonier, 2006, Garreau, 1981; Rivard, 2008; Melville, 2006). En effet, leurs villes regorgent de toponymes évoquant les pays d’origine des immigrés : Petite Italie, Petite Haïti, Chinatown (Audebert, 2008).

Ce processus, qui s’inscrit dans une longue tradition historique dans ces pays, peut émaner des pouvoirs locaux (toponymie d’en haut, dite de décision) mais également des revendications citoyennes (toponymie d’en bas). Le marquage spatial identitaire de ces quartiers ethniques peut, en effet, être au départ un marquage populaire et spontané (toponymie d’usage ou allonyme) avant d’être officialisé sur un mode de substitution ou de juxtaposition (toponymie parallèle). En somme, les pratiques toponymiques contemporaines peuvent servir une diversité d’objectifs, que ce soit pour éradiquer un ordre politique (révolution), légitimer des territoires émergents ou nouvellement construits (révélation) ou encore reconnaitre des groupes minoritaires au sein de sociétés plurielles (restauration) (Giraut, Houssay-Holzschulch et Guyot, 2008)

La nomination des lieux, de par sa dimension éminemment politique (Jenkinks, 2007), est souvent source de controverses, déchaînant passions et interpellations multiples. Elle devient souvent un véritable « champ de bataille » idéologique, spatial et identitaire (Dorion, 1994; Guyot et Seethal, 2007; Giraut, Houssay-Holzschulch et Guyot, 2008). Selon Giraut et Houssay-Holzschulch :

le nom de lieu est toujours un enjeu dans la mesure où son choix met en présence différents acteurs, divers projets, et des représentations identitaires ou fonctionnelles souvent conflictuelles dont certaines seront finalement promues.

2008, p. 97

L’analyse de ces débats s’avère, pour le géographe, une entrée propice pour saisir les enjeux territoriaux locaux (Boltanski et Thévenot, 1991; Ozouf-Marignier, 1989; Guillorel, 1999). Les contextes multiculturels ou multilingues, où les tensions identitaires sont souvent exacerbées, se présentent à cet égard comme des terrains d’observation privilégiés (Azaryahu, 1996; Myers, 1996; Parkhurst Ferguson, 1988; Tarkhov, 1992; Yeoh, 1996). C’est le cas du Canada, où le champ toponymique est fortement marqué par la concurrence et la rivalité entre plusieurs communautés linguistiques, à savoir entre celles dites eurogènes (anglaise et française), d’une part, et entre celles-ci et celles des autochtones, d’autre part :

Le Canada présente le cas le plus achevé, mais aussi le plus complexe, dans la mesure où l’instauration de régions autonomes inuit s’effectue dans un contexte national de multilinguisme et de multiculturalisme (…) Les équilibres entre communautés y passent par une attention particulière aux questions linguistiques et de dénomination. La succession chronologique des peuplements et leur diversité interne a conduit à une complexe stratification : peuples premiers (Amérindiens et Inuit), colonisateurs (Français et Anglais), migrations internationales actuelles des pays du Sud, diasporas asiatiques, composent une marqueterie territoriale. Du quartier urbain aux régions autonomes, la toponymie marque ces territoires dans un environnement où dominent les références anglaises ou françaises et où toute redistribution menace l’équilibre politique entre communautés dominantes.

Giraut, Houssay-Holzschulch et Guyot, 2008, p. 102

Si au Canada, ces conflits toponymiques inter-communautaires ont largement été investis par la recherche (entre autres, Dorion et Morissonneau, 1972; Rayburn, 1994; Collignon, 1996), on compte, en revanche, très peu d’études sur les tensions intra-communautaires. Il nous est donc apparu opportun d’étudier ce type de conflit toponymique inhabituel (endogroupe) à travers la controverse qu’a suscitée le projet de désignation officielle d’un « quartier francophone » à Ottawa. Lancée en 2012, l’idée de labéliser officiellement Vanier – ancien et dernier bastion francophone au coeur d’Ottawa – comme « le quartier francophone de la capitale », a en effet déclenché une vive polémique qui a largement polarisé la minorité linguistique. Nous nous sommes interrogés, en premier lieu, sur la raison pour laquelle Ottawa faisait figure de contre-exemple. Comment expliquer, en effet, cette absence de consensus alors que dans plusieurs villes canadiennes – comportant une minorité francophone notable – on a formalisé, sans conflits apparents (voire, au contraire, avec enthousiasme) les « quartiers francophones », tels qu’à Edmonton (quartier Boonie Doon), Winnipeg (Saint-Boniface), Sudbury (Rayside-Balfour), Moncton (Dieppe) ou encore Coquitlam (Maillardville)? Pourquoi ce projet toponymique à Ottawa, émanant pourtant d’une revendication locale (essentiellement les acteurs économiques du quartier Vanier), s’est-il heurté à l’opposition et la résistance d’une bonne partie de la communauté francophone? En quoi la formalisation d’un toponyme d’usage (Vanier étant déjà reconnu socialement comme le secteur francophone d’Ottawa) a-t-elle provoqué un clivage atypique?

En appréhendant « le conflit non pas comme un problème, mais plutôt comme l’expression d’un problème » (Dziedzicki, 2003, p. 41), nous nous sommes attachés ainsi à saisir la nature de la controverse et à en identifier les enjeux, tant apparents que sous-jacents. Pour analyser les différents discours, nous avons fait appel à la presse écrite, reconnue comme source particulièrement adaptée à l’analyse des conflits urbains et des représentations socio-spatiales (Delaporte, 1999; Gilbert, 1986; Gilbert et Brosseau, 2002). La cueillette des données a été effectuée grâce aux fichiers informatisés de la presse, disponibles à la bibliothèque de l’Université d’Ottawa. Le repérage systématique, établi au moyen de mots-clés (quartier Vanier, quartier francophone, désignation officielle, etc.) a permis de dégager une quarantaine d’articles de divers quotidiens de la région de la capitale nationale[3] (Le Devoir, L’Express d’Ottawa, The Ottawa Citizen, etc.). Nous avons retenu les éditoriaux et chroniques des journalistes, ainsi que le courrier des lecteurs et chroniques d’opinion et ce, depuis le lancement du projet (décembre 2012) jusqu’à sa concrétisation (décembre 2014).

Cet article se décline en trois sections. La première consiste en une mise en contexte, qui nous parait essentielle pour la compréhension du débat qui a agité la communauté francophone d’Ottawa et dans laquelle nous dressons un bref aperçu du milieu franco-ottavien et du quartier en question (données tirées des littératures grise et scientifique). La deuxième partie, plus analytique, aborde le débat autour du projet toponymique. Enfin, dans la conclusion, nous revenons sur la particularité du cas ottavien.

2. Contexte

2.1. Ottawa, un milieu francophone vulnérable

On serait enclin à croire que les communautés francophones canadiennes hors Québec présentent un même visage, de par le partage de la langue, la religion, les origines ainsi que les conditions de minorisation. Cependant, plusieurs études sont venues remettre en cause cette vision de cohérence, en révélant la pluralité de la francophonie minoritaire (entre autres, Allaire et Gilbert, 1998; Thériault, 1999; Langlois et Létourneau, 2004). Cette dernière serait plutôt «marqué(e) du sceau de la fragmentation, de la pluralité (et) de l’hybridité » (Lefebvre, 2010, p. 109). Quel que soit l’arsenal de concepts que ces études emploient pour cerner cette nouvelle réalité (diversification, hétérogénéité, éclatement, fragmentation), elles partagent toutes le même « point de vue (…), [à savoir] celui d’une communauté qui n’a plus l’unité qui a longtemps fait sa force » (Gilbert, 1999a, p. 11). On remarque également que, si elles restent tout de même unies par la langue, ces populations évoluent différemment en fonction de « leur environnement, de leur poids démographique, de la vitalité de leurs institutions et de leur interactivité avec les autres communautés francophones » (Gilbert, 2010, p. 9). En s’appuyant sur la typologie avancée par la Fédération des jeunes Canadiens-français, Gilbert (1999a, p. 50) distingue trois catégories de milieux de vie française hors Québec et qui offrent, selon elle, « des conditions très différentes à l’affirmation du fait français » en fonction du poids relatif des francophones et de leurs institutions :

  • Les communautés de vie française sont les localités à forte concentration francophone (plus de 60% de la population totale), telles Russell, Prescott ou encore Hearst. Dans ces milieux, où le poids des francophones permet de soutenir une quantité et une gamme variée d’institutions (notamment en éducation et en santé), la langue française domine tant dans la sphère publique que dans l’espace privé.

  • Les milieux de vie mixte sont les espaces à forte dominance anglaise mais qui renferment néanmoins une minorité francophone notable (entre 20 % à 40 %). Ils constituent des environnements « bilingues » où les membres de la communauté bénéficient d’une double participation, à un milieu ambiant anglais en même temps qu’à la vie française à travers un certain nombre d’institutions.

  • Les cellules de vie française forment en quelque sorte des isolats francophones qui offrent très peu d’occasion de contact entre les membres et où la vie française se limite à quelques évènements ponctuels. Dans ce type de contexte où le quotidien se déroule essentiellement en anglais, la question du maintien de l’usage du français se pose avec grande acuité.

Gilbert place Ottawa dans la catégorie des milieux de vie mixte où « l’anglais occup[e] la place publique [mais] fai[t] directement compétition avec le français comme langue des échanges » (1999a, p. 51). Si le milieu ambiant ne demeure pas moins anglophone, Ottawa offre, cependant, une variété de lieux de vie et d’institutions de langue française qui permettent ainsi aux locuteurs francophones de vivre une partie de leur vie quotidienne dans leur langue maternelle. La communauté francophone d’Ottawa, qui s’élève à 115 220 personnes, soit 16 % de la population totale (en 2001), semble la plus favorisée des villes franco-canadiennes. Elle bénéficie d’une vitalité linguistique des plus remarquables. Cette vitalité est liée au capital social (institutions et services en français) dont le maintien a été farouchement défendu par la communauté francophone locale, la présence du gouvernement fédéral, une géographie favorable (proximité du Québec) et le poids démographique largement alimenté par celui de sa zone d’influence[4] :

(…) la vitalité du français (…) à Ottawa (…) s’expliquerait par l’appui supplémentaire au statut du français apporté dans la capitale par la loi des langues officielles du Canada et la présence quotidienne à Ottawa de dizaines de milliers de Gatinois francophones venus travailler, étudier, acheter ou se distraire. Une autre raison serait l’apport de migrants québécois dont la vitalité linguistique est quelque peu supérieure à celle des francophones nés en Ontario : de 1971 à 2001, les natifs du Québec sont passés de 25 à 27 % de la population francophone d’Ottawa, conurbation en forte croissance économique et démographique.

Castonguay, 2005a, p. 479

À la migration québécoise, s’ajoute l’immigration récente, qui forme, en 2006, près de 16 % de la communauté francophone d’Ottawa. Ces deux types de populations ont été, pour un bon moment, perçus comme les garants de la stabilité de la communauté franco-ottavienne. En témoigne le rapport effectué par le Conseil de planification sociale d’Ottawa en 2010, qui présente cette dernière comme une communauté « [certes] touchée par l’assimilation, mais [qui reste] consolidée par l’arrivée de francophones du Québec et de l’étranger » (p. 5). On estime même qu’elle « augmente[rait] plus rapidement que la population générale » grâce à cet afflux de migrants. Cependant, les statistiques de 2011[5] viennent quelque peu remettre en cause cette perception (tableau 1). Si de 1981 à 2011, la population francophone a, en effet, augmenté en valeur absolue (passant de 104 120 à 131 299), elle connait cependant, un recul significatif en poids relatif. Elle aurait, en fait, chuté de 19,2 % à 15 % en l’espace de 30 ans, au profit de la population allophone (qui en proportion a presque triplé pour constituer en 2011, 21 % de la population ottavienne). Des statistiques qui viennent faire réaliser que « le français n’est plus la seconde langue maternelle parlée à Ottawa »[6] et que la minorité francophone se « minorise » de plus en plus.

Tableau 1

Population ottavienne selon la langue maternelle, 2011

Population ottavienne selon la langue maternelle, 2011
Source : Commissariat aux langues officielles (2015)

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2.2. La crise du territoire : effritement des foyers traditionnels et dispersion géographique

Au niveau de la répartition géographique, la présence des francophones est remarquée sur l’ensemble du territoire d’Ottawa, mais de manière assez inégale (tableau 2 et figure 1). Ils se retrouvent aujourd’hui en proportion non négligeable dans cinq quartiers (essentiellement implantés à l’est d’Ottawa) alors que dans les années 1980, ils étaient essentiellement concentrés et majoritaires à Vanier (64 %) et à Orléans (33 %) (Gilbert, 1999a). Il faut cependant rappeler que la fusion municipale de 2001, instaurée par le gouvernement Harris et réunissant onze municipalités[7], a changé le statut de certains territoires francophones traditionnels (Andrew, 2006; Rosenfeld et Reese, 2003). Ainsi, la municipalité de Vanier, un des plus anciens secteurs francophones au coeur de la capitale, s’est retrouvée incorporée à la nouvelle ville, pour n’en constituer qu’un quartier parmi d’autres. De même, Orléans, autre secteur francophone historique situé en périphérie et englobant autrefois les territoires de Gloucester et Cumberland, fut détaché de ceux-là pour former un district à part entière. Dans cette nouvelle organisation territoriale, trois types de quartiers francophones se profilent comme le notent Cardinal et Mévellec (2012) :

  • Les quartiers à forte concentration francophone (30 % et plus) : Cumberland (36,8 %), Innes (31,7 %) Rideau-Vanier (30,8 %), Orléans (30,5 %), Rideau-Rockliffe (30,1 %).

  • Les quartiers à tendance francophone (10 % à 27 %) : Beacon Hill-Cyrville (26,3 %), Alta Vista (15,6 %), Somerset (12,8 %), Gloucester-Southgate (11,7 %) et Capitale (11,2 %).

  • Les quartiers à tendance minoritaire francophone (moins de 10 %) : quartiers restants.

Tableau 2

Pourcentage de la population francophone (selon la langue maternelle) par quartiers, 2011

Pourcentage de la population francophone (selon la langue maternelle) par quartiers, 2011
Source : Commissariat aux langues officielles (2015)

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Figure 1

Répartition des francophones sur le territoire de la région métropolitaine de recensement d'Ottawa, 2006

Répartition des francophones sur le territoire de la région métropolitaine de recensement d'Ottawa, 2006
Source : Corbeil et Lafrenière (2010)

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Les raisons de cette dispersion territoriale relèvent de plusieurs facteurs, dont le phénomène de banlieurisation des années d’après-guerre, qui a touché la plupart des villes nord-américaines[8]. Ce mouvement centrifuge, inauguré durant la période moderne grâce à la motorisation de masse, se retrouvera encore davantage accentué avec les conditions de postmodernité (mobilité et virtualité, grâce aux moyens de transport et de communication, permettant notamment le télétravail). L’ordre migratoire des francophones ne se limitera pas ainsi aux espaces suburbains (couronnes proches de la ville-centre) mais aussi périurbains (à l’extérieur de la ceinture de verdure).

Si ces mobilités résidentielles obéissent à des phénomènes globaux[9], elles ne sont pas étrangères non plus à un évènement local qui s’est produit durant les années 1960, à savoir la rénovation urbaine qui a causé l’effritement des foyers centraux francophones traditionnels, tels que les Plaines Lebreton et la Basse-Ville (Benali, 2017). La politique de la table-rase à Ottawa, inspirée par le Plan Gréber[10], a eu un effet dévastateur sur les noyaux historiques francophones (Benali et Ramirez, 2012). En 1962, la Commission de la Capitale Nationale expropriait 2800 personnes des Plaines Lebreton et fit disparaitre, en trois ans, toute trace du passé ouvrier francophone sur ce terrain de 65 hectares (Benali, 2013a). La Basse-Ville d’Ottawa, formant le véritable coeur francophone de la capitale jusqu’à la moitié du XXe siècle, subira elle-aussi, avec les nombreuses opérations de rénovation urbaine et d’infrastructures (entre autres, le pont interprovincial et le réaménagement de l’avenue King Edward), une désintégration du tissu urbain et une hémorragie démographique sans précédent (Ramirez et Benali, 2012). Quoi qu’il en soit, l’Ottawa actuel ne comprend plus de quartiers emblématiques, comme le remarquent Cardinal et Mévellec :

En 2006, les francophones n’ont donc pas de quartiers à eux, alors que dans les années 1980 ils étaient très nombreux à Vanier. Or cette ville ne faisait pas partie d’Ottawa à l’époque. Orléans représente un autre quartier historique. Depuis la fusion des différentes municipalités, les francophones sont minoritaires partout, malgré des secteurs où ils ont un poids démographique plus important, comme à Orléans. Dans ces quartiers, un habitant sur trois est francophone.

2012, p. 91

Si la plupart des francophones d’Ottawa s’accommodent de ce fait, certains, plus nostalgiques, ont été en quête d’un territoire d’appartenance bien défini. Leur besoin d’attache, de stabilité et d’identification se cristallise alors sur Vanier, à savoir le dernier bastion francophone au coeur de la capitale.

2.3. Vanier, dernier îlot francophone aux ambitions identitaires[11]

Situé à l’est de la rivière Rideau d’Ottawa, Vanier est un des plus anciens établissements de la région de la capitale nationale. Le secteur ne prend son véritable essor qu’au milieu du XIXe siècle, alors que la capitale connaît un formidable développement économique lié au commerce du bois. Cette ère de prospérité vit affluer une main-d’oeuvre ouvrière et insuffla au secteur un important dynamisme économique. Entre le XIXe et le XXe siècle, le secteur, devenu le lieu de résidence d’une importante classe ouvrière canadienne-française, formera un important foyer francophone au sein de la capitale nationale. En 1908, ses trois communautés d’origine (villages de Janeville, Clandeboye et Clarkstown) fusionnent pour former le village d’Eastview qui sera élevé, en 1913, au rang de municipalité. C’est durant cette période que le secteur acquiert les caractéristiques typiques du quartier canadien-français, marquées par la prédominance de la vie religieuse. Mais au-delà de son organisation urbaine, le secteur va devenir le théâtre de plusieurs événements significatifs pour l’histoire des Franco-Ontariens, voire des Canadiens-français, tels que la fondation de la société secrète des Commandeurs de l’Ordre de Jacques-Cartier en 1926, vouée à la promotion des intérêts des Canadiens-français partout au pays. Des événements suivront, confirmant la position d’Eastview comme haut-lieu du militantisme franco-ontarien, à l’instar de la lutte menée contre les autorités provinciales lors du Règlement XVII (1912-1927), qui visait l’obtention du droit à une éducation en français.

Après la Seconde Guerre mondiale, Eastview sera très peu touché par la politique de rénovation urbaine, contrairement aux autres quartiers francophones de la ville d’Ottawa. Après la mutilation urbaine de la Basse-Ville et des Plaines Lebreton durant les années 1960, ce territoire rebaptisé Vanier en 1969, deviendra – avec Orléans – un important point de chute pour plusieurs « expropriés » francophones[12], comme le rappelle Brunet :

Il fut une époque où il n’était pas nécessaire de chercher bien loin pour trouver le coeur francophone de la capitale nationale. Tout comme Sudbury, Welland et Windsor, Ottawa avait son quartier francophone : la Basse-Ville. Et plus que tout autre ailleurs dans la province, ce quartier était riche d’institutions autour desquelles, s’articulait la vie communautaire et culturelle. L’école Guigues, l’Académie De La Salle, le couvent du Bon Pasteur et celui de la rue Rideau, la Cathédrale, étaient autant de lieux où les francophones se réunissaient, organisaient des soirées, montaient des pièces de théâtre ou présentaient des concerts. Quand la Basse-Ville est tombée sous le pic de la rénovation urbaine, ses résidents se sont réfugiés plus à l’est, à Vanier d’abord, et ensuite plus loin, à Orléans, deux communautés où ils pouvaient espérer rebâtir la vie de village qu’ils avaient connue dans leur quartier d’Ottawa.

1993, p. 24

Si Vanier a survécu à la vague de rénovation urbaine, en raison de son autonomie politique à l’époque, le secteur n’échappera pas, en revanche, au mouvement de déclin des quartiers centraux occasionné par le développement périphérique des années d’après-guerre. Le mouvement de banlieurisation soutenu par les instances gouvernementales, aura en effet des répercussions dramatiques sur le quartier : paupérisation sociale, affaiblissement des activités commerciales et économiques, détérioration majeure du cadre bâti. Dès les années 1970, Vanier accusera une importante crise socio-économique qui en fera l’un des secteurs les plus défavorisés d’Ottawa. Il concentrera un fort taux de ménages à faibles revenus et plusieurs groupes marginalisés (Brunet, 1993; Gilbert, 1999a). Désavantagé économiquement, il gagnera, cependant, une notoriété remarquable sur le plan culturel et s’imposera comme un haut lieu de la culture franco-ontarienne. Il sera non seulement la localité qui concentre le plus de francophones de la région d’Ottawa (67 % en 1971 et 64 % en 1981) mais constituera également un des principaux lieux dédiés à la promotion et à la défense de la francophonie (siège de plusieurs organismes franco-ontariens)[13], comme le souligne Brunet :

Sa réputation de défenseur des droits des Franco-Ontariens n’est plus à faire. On lui doit la création d’un regroupement des municipalités de langue française et plusieurs initiatives pour promouvoir le bilinguisme municipal.

1993, p. 24

Après l’incorporation de Vanier à la Ville d’Ottawa en 2001, plusieurs efforts furent fournis par la municipalité et les acteurs locaux pour relancer le développement urbain[14] et redorer l’image de ce quartier stigmatisé comme « la capitale du bien-être social » et lieu criminogène d’Ottawa[15]. Il connaitra ainsi une politique d’amélioration et d’embellissement[16], via notamment l’Association des marchands du quartier Vanier (désignée aussi sous le nom de Zone d'amélioration commerciale du Quartier Vanier) et une série de projets immobiliers de densification urbaine, entrainant un phénomène de gentrification largement perçu comme un signe de renouveau urbain (Benali, 2013b). Ceci dit, l’ambition de Vanier ne se limitera pas à cette revitalisation urbaine, mais nourrira l’espoir d’incarner le coeur même de la francophonie locale, régionale et provinciale. Une ambition déjà présente dès les années 1990 :

Vanier a toujours rêvé d’être le foyer de la francophonie régionale, affirmait à l’époque Daniel Ouimet, ancien directeur de la municipalité. Nous avons fait et nous continuons de faire beaucoup d’efforts pour attirer ici les groupes francophones.

Brunet, 1993, p.24

Cette motivation fut à la base de nombreuses initiatives comme la proposition de la mairesse Gisèle Lalonde de rebaptiser un tronçon du chemin Montréal « quartier français »[17] afin d'inciter les commerçants, les professionnels et organismes francophones à s’y établir :

En misant sur la commodité que représente sa proximité avec le centre-ville d’Ottawa, ses édiles ont d’ailleurs tenté d’y rassembler les forces vives de la communauté francophone. L’ACFO provinciale a pignon sur rue à Vanier et depuis un an, le nouvel édifice de la Place Dupuis accueille plusieurs intervenants de la scène franco-ontarienne : Théâtre Action, Les Éditions L’Interligne, l’Association des professionnels de la chanson et de la musique, le Bureau des regroupements des artistes visuels de l’Ontario, la Fédération des élèves du secondaire franco-ontarien, l’Association des auteurs de l’Ontario et, non le moindre, le Centre franco-ontarien de ressources pédagogiques.

Brunet, 1993, p. 24

Figure 2

La section « quartier français » sur le chemin Montréal

La section « quartier français » sur le chemin Montréal
Source : Gilbert, 1999a

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Il reste qu’en dépit des nombreux efforts consentis, Vanier ne réussira pas, du moins à cette époque, à « créer un véritable ferment communautaire », en raison notamment de l’absence de certains « gros joueurs comme, par exemple, le Conseil scolaire de langue française ou le journal Le Droit, deux organismes que Vanier a tenté sans succès d'attirer » (Brunet, 1993, p. 24). Il faudra attendre plus de vingt ans pour que les promoteurs de Vanier reviennent à la charge afin de relancer « le mouvement d'entraînement [souhaité qui] ne s'est pas produit »[18]. Portés par le succès récent que connait le secteur et profitant de sa rente de situation (concentration et densité institutionnelle), certains acteurs économiques, regroupés sous l'Association des marchands du quartier Vanier et le Réseau National de Développement économique francophone Ontario proposèrent, en décembre 2012, à la Ville d’Ottawa et à Patrimoine Canada, de désigner officiellement Vanier comme « le quartier francophone d’Ottawa ». Une signature « socioculturelle » qu’on a cherché à obtenir au même titre que les quartiers italien et chinois de la capitale : « On a un quartier italien, chinois, et on n’[a] pas encore désigné formellement un quartier francophone »[19], rappelait ainsi la directrice exécutive de l'Association des marchands du quartier Vanier, Suzanne Valiquette. Cependant, cette toponymie parallèle proposée semble davantage s’inscrire dans le registre de révélation (dans le but de dynamiser l’économie locale) que celui de restauration. En effet, le socle identitaire du quartier est récupéré ici comme moyen de promotion, de marketing territorial pour rehausser l’attractivité du secteur et, surtout, réhabiliter son image de « ghetto »[20], facteur répulsif à l’investissement symbolique et financier :

Ce n’est plus le même quartier, assure Suzanne Valiquette au journal Le Droit. C’est comme un village à l’intérieur d’une grande ville. La communauté a retrouvé son énergie. Il y a beaucoup à célébrer.[21]

Présentée comme une spécificité locale, la francophonie est alors pensée comme une image de marque censée se substituer à celle du « quartier sensible » et de démarquer le secteur des autres territoires concurrents et d’engranger des retombées économiques :

the organization’s goal, soulignait ainsi Guillaume Lamb, porte-parole du Réseau National de Développement économique francophone Ontario, is to celebrate and promote that unique cultural flavor. (…) We want to build on this history and differentiate the area as the French Quarter. We want to attract new business into the area and create something different.[22]

Dans cette mise en exergue du « parfum francophone » ou de la « couleur locale » de Vanier, on retrouve ce procédé d’auto-exotisation ou d’« exotisme souverain » défini par le géographe Gauthier (2008), à savoir cette démarche qu’empruntent, de leur propre gré, des populations locales et qui consiste à exploiter leur côté exotique pour en tirer profit économiquement. Le Vanier « exotisé » évoque quelque peu le French Quarter de la Nouvelle-Orléans, ancien secteur francophone de la ville américaine devenue un haut lieu touristique.

Si l’idée charma, à ce moment-là, la ministre déléguée aux Affaires francophones, Madeleine Meilleur, ainsi que le conseiller du quartier Rideau-Vanier, Mathieu Fleury, qui y vit « un super-bon projet »[23], voire un « fun twist for the area »[24], ces derniers ne tardèrent pas à changer leur fusil d’épaule face au tollé inattendu qu’elle suscita au sein de la communauté francophone. À la surprise, ce projet toponymique ne fit pas l’unanimité et a même subi le feu de nombreuses critiques. La polémique fut si retentissante que le projet fut abandonné un an après son annonce. Il reste que ce dernier connut, après une éclipse de quelques mois, un nouveau rebondissement[25]. En effet, à la fin janvier 2014, la Zone d'amélioration commerciale (ZAC) du Quartier Vanier revint à la charge avec une nouvelle version. Cette fois-ci, il ne s’agissait plus de coller la désignation francophone à l’ensemble du quartier mais uniquement au chemin de Montréal (ici dans son intégralité). Parallèlement au « Quartier français », on proposa la nomination de deux autres secteurs de Vanier : la partie nord du quartier comme le « Beechwood Village » et l’avenue McArthur comme « L’avenue internationale ». Moins conflictuelle (quoique pas moins critiquée[26]), cette nouvelle version du « quartier français » fut finalement entérinée par la Ville d’Ottawa en décembre 2014. Dans la section suivante, nous revenons uniquement sur le débat relatif à la première version. Le clivage d’opinions a porté essentiellement sur la définition de l’identité territoriale des franco-ottaviens et des enjeux qu’elle soulève.

3. Débat autour du premier projet toponymique

3.1. Le discours sympathisant

3.1.1. La désignation, moyen de consolidation identitaire et d’ancrage pour une communauté dispersée

Dès son annonce, le projet de désignation de Vanier comme « le quartier francophone » d’Ottawa vint faire renaître, chez certains, le mythe de la « petite patrie francophone ». Ceux qui ont appuyé ce projet toponymique seraient, pour paraphraser Cardinal (1997, p. 11), comme des « orphelin(s) à la recherche d’un pays ou d’un territoire qu’il(s) aurai(en)t perdu ». Une perte territoriale qu’on attribue à l’assimilation culturelle et à l’éparpillement « forcé » des francophones :

Il fut un temps où l’on comptait des francophones en nombre dans des quartiers comme Saint-François d’Assise, incluant Hintonburg et Mechanicsville, les plaines LeBreton, certaines rues de la paroisse Saint-Jean-Baptiste, la Basse-Ville et la ville de Vanier, maintenant quartier d’Ottawa. Petit à petit, ils se sont déplacés vers la grande banlieue et vers le Québec. Ils ont été expropriés. Ils se sont dilués dans une majorité anglophone et allophone de plus en plus importante. Ils n’ont pas su concentrer leur présence pour créer des majorités locales plus facilement identifiables. Même à Vanier, ils ont perdu de leur importance démographique. Cela ne signifie pas qu’il y a moins de francophones, mais ils sont davantage éparpillés sur une mer anglophone.[27]

Si on reconnait volontiers que dans Vanier « les francophones ne composent plus aujourd’hui que 40 % de sa population … [contre] 65 % en 1980 », on mise plutôt sur son « vieux fond franco populaire »[28] subsistant. Cette désignation est vue, du coup, comme une opportunité de consolidation identitaire territoriale :

There has been a general sense for a long time to designate the area, précise Guillaume Lamb. Ever since the fusion of the city of Ottawa and the old city of Vanier it was thought it would be nice to give a sense of belonging for francophones in the city.[29]

Même discours tenu par Mathieu Fleury, comme le rapporte le journaliste de l’Express, Sébastien Pierroz :

"Revenir aux racines de notre quartier", c’est aussi le leitmotiv de Mathieu Fleury. Le conseiller municipal prône pour cela une hausse des manifestations culturelles dans les différentes rues. Par exemple le défilé « C’est Chill » prévu ce samedi. L’équivalent d’une grande représentation sur scène où se mêleront une foire alimentaire, une exposition d’arts et d’artisanat, de la peinture faciale ainsi que des vidéoprojections en temps réel.[30]

Une initiative qui aurait même, pour certains, tardé à venir :

On ne peut que se réjouir de la désignation d’un quartier francophone, celui de Vanier. Cette initiative est une excellente nouvelle, pourtant mitigée par les ravages du temps. Qu’on en soit rendu là après cinq décennies d’amenuisement et d’assimilation porte jugement sur ce qui aurait pu être fait depuis les années 1960 pour consolider la présence des francophones dans certains quartiers d’Ottawa.[31]

Il reste que, pour les sympathisants de la désignation, le caractère francophone du quartier n’est pas à être appréhendé à travers sa fonction résidentielle (comme le voudrait la définition traditionnelle du quartier) mais à travers sa fonction commerciale et institutionnelle. Conscients de la baisse des francophones dans le quartier au profit des banlieues ottaviennes ou gatinoises, ils voient dans Vanier un berceau historique pouvant constituer un point de repère, de reconnaissance et d’ancrage culturels pour la communauté francophone aujourd’hui dispersée. Un lieu qui offrirait une visibilité plus marquée de la francophonie locale et permettrait à ses membres, notamment aux nouveaux immigrants de langue française, de retrouver au coeur de la ville des lieux, des services et des ressources sociales plus facilement identifiables :

(…) nous croyons en l’importance des institutions pour que se développent des majorités autour de pôles reconnus et reconnaissables dans les domaines de l’éducation, de la santé et de la culture, et pourquoi pas des affaires. Le quartier francophone de Vanier est une heureuse initiative qui va dans ce sens car il crée des centres d’animation et d’intérêt à teneur culturelle francophone. Par la suite, on pourra lui donner des caractères encore plus spécifiques comme un marché de Noël, par exemple.[32]

Le quartier est également envisagé comme un territoire propice pour incarner un lieu de retrouvailles, de convivialité et de sociabilité jugée nécessaire pour une communauté aujourd’hui spatialement dispersée. Vanier pourrait devenir aux francophones ce que la « Petite Italie » est aujourd’hui pour la communauté ottavienne d’origine italienne, à savoir un port d’attache communautaire :

Même si moins de 10 % de la communauté italienne y habite, le secteur de la « Petite Italie » à Ottawa est le port d’attache des Canadiens d’origine italienne. Ils y reviennent pour acheter un bocconcini bien frais et de la mortadella San Daniel chez Nicastro, des pastas maison chez Luciano, prendre un espresso bien tassé au Caffe Italia ou suivre le Mundial au Cosenza Billard Hall dans une salle enfumée, en buvant de la grappa. Ils y reviennent aussi pour les mariages, les baptêmes, les premières communions et les enterrements mais aussi pour des événements plus heureux, comme les fêtes. Lors de la Semaine italienne, qui se déroule en juin, c’est plus de 100 000 personnes qui se retrouvent comme une grande famille dans la Petite Italie.[33]

3.2. Le discours critique

3.2.1. La désignation, quête périmée et projet décalé par rapport à la réalité sociale de Vanier

Pour les détracteurs du projet, la toponymie qu’on envisage pour Vanier est totalement en décalage par rapport à la réalité. D’une part, on avance que le quartier que l’on connait de nos jours n’est plus représentatif de la francophonie ottavienne. On estime que les conditions postmodernes évoquées plus haut (dispersion géographique) ont rendu caduque l’idée même d’un territoire unique d’appartenance. Dans un article paru dans le Droit, M. Fleury et Mme Meilleur rappellent que la francophonie à Ottawa a largement dépassé les limites du quartier : « La francophonie, c’est plus grand que Vanier. [Elle] ne grandit pas à Vanier, elle grandit ailleurs » souligne ainsi la ministre[34]. Dans un article du Droit, le journaliste Denis Gratton, originaire de Vanier, rappelle, lui aussi, cette nouvelle réalité des francophones, dont l’appartenance territoriale se déploie désormais sur l’ensemble de la ville :

Gilles s’est établi avec les siens à Barrhaven, dans l’ouest d'Ottawa. Marc habite aujourd’hui le Glebe. Et moi, bien, comme vous le savez peut-être, j’ai mené une vie de nomade. De Vanier à Aylmer, en passant par St-Pierre-de-Wakefield et Hull, puis de retour à Vanier. C'est un peu ça, les francophones d’Ottawa. Peu importe où on s’établit dans cette grande ville, on choisit de le faire en français. Sans gêne, sans honte et sans remords. Qu’on vive dans l’est ou dans l’ouest, au nord ou au sud, on peut compter sur des écoles élémentaires et secondaires de langue française pour nos enfants. On peut compter sur des institutions qui nous serviront dans notre langue. Et on peut surtout compter sur nos valeurs et sur la fierté de notre langue et de notre culture que nos parents nous ont inculquées. On n’a pas besoin d'un quartier pour nous définir. Nous sommes chez nous ici, peu importe le quartier que nous avons choisi pour y faire nos vies.[35]

Partant de l’argument que les franco-ottaviens ne sont plus circonscrits à un endroit précis comme ce fut le cas auparavant, on voit dans ce « retour » incarné dans le projet toponymique, un repli réactionnel face aux changements, une apologie larmoyante du passé, une pure nostalgie « du temps où Vanier occupait une place de premier plan dans l'Est ontarien » et que le nombre des francophones « était important »[36]. Ce discours opposant s’inscrit ainsi dans l’un des registres argumentaires classiques du discours réactionnaire identifiés par Hirschman (1991), à savoir celui qui invoque l’inanité et l’inopérance du projet (« futility »). Pour eux, ce projet toponymique est doublement futile : il tente de revivifier un passé révolu qui, de surcroît, peut s’abstenir de toute pratique commémorative (toponymie, monuments, parcs, etc.) en raison de sa proximité temporelle et de sa vivacité dans la mémoire collective :

Selon Mme Meilleur, il est déjà reconnu que l’histoire de Vanier est intimement liée à celle des francophones. Une désignation officielle avec affiches et oriflammes ne changerait en somme pas grand-chose. « Vanier va toujours être identifié comme étant l’endroit des francophones à cause de son histoire, souligne-t-elle. Qu’on soit à Queen’s Park, ou à Ottawa, tout le monde est de cet avis. C’est un fait, et ce n’est pas prêt à être effacé ».[37]

L’autre déphasage évoqué est l’oblitération de la pluriculturalité du quartier. On savait déjà que, depuis les années 2000, Vanier devenait de plus en plus « multi-ethnic and less and less a francophone bastion »[38]. Cette proposition de nomination paraît, du coup, inusitée au moment où le secteur perd de plus en plus son caractère francophone (30 % en 2011 contre 67 % en 1971) au profit d’une internationalisation croissante[39] et l’arrivée de nombreux autochtones ayant quitté leurs réserves. Dans ce contexte multiculturel, célébrer l’identité d’un endogroupe (en l’occurrence les francophones) est jugé comme une pratique excluante déplorable (rejet de l’exogroupe) :

Le projet a été mis de côté parce qu’il n’a pas fait l’unanimité ni chez les commerçants, ni chez les résidents, explique la députée libérale du secteur, Madeleine Meilleur. « Les gens disaient que Vanier, maintenant, ce n’est pas à majorité francophone », souligne la ministre déléguée aux Affaires francophones. « Les marchands disaient qu’ils ne voulaient pas que les gens pensent qu’il y a juste des commerçants francophones à Vanier».[40]

Même son de cloche chez le président de l'Association des résidents de Vanier, Mike Bulthuis, qui suggère de considérer ce statut toponymique avec tact et de prendre en compte les autres groupes ethnoculturels présents dans le quartier :

Il n'y a aucun doute qu'on doit célébrer la francophonie, à la fois pour sa grande histoire et pour sa vitalité actuelle, affirme-t-il. Il faut toutefois faire attention, car on veut s'assurer que le quartier soit à l'image de sa population, qui elle est très diversifiée (…) On a des restaurants italiens, du Djibouti, d'ailleurs. C'est très divers. Vanier, c'est plus qu'un quartier français.[41]

3.2.2. La désignation, mesure de « ghettoïsation » et affront pour la minorité nationale

Pour certains détracteurs du projet, cette désignation se présente comme une tentative de « ghettoïsation » spatiale et symbolique des francophones. Un confinement géographique, à l’image des enclaves des minorités ethniques ou sexuelles (quoique la concentration territoriale soit dans ces cas-ci voulue et non subie), jugé offensant :

Les Italiens ont leur quartier à Ottawa depuis toujours. Les Chinois ont leur quartier. Les gais et lesbiennes ont aussi leur quartier. Et ce sera peut-être maintenant à notre tour, nous francophones, d’avoir notre quartier à nous. Youppi[42]. Ces gens qui aimeraient voir la création d'un ‘quartier francophone’ à Vanier devront d’abord me passer sur le corps avant de ghettoïser les miens de la sorte.[43]

Si cette question soulève autant d’indignation c’est qu’elle est perçue comme une atteinte au statut de minorité nationale. En calquant sur la structure spatiale des autres types de minorités, la Ville effectuerait, par association sociale, une « minimisation » des francophones et un déni de leur statut d’égalité comme communauté de langue officielle. Une subordination socioculturelle qu’on dénonce sans ambages :

Les élus d’Ottawa peuvent bien parler de "secteur francophone" ou coller le nom qui leur plaît à Vanier, précise Gratton. Mais un "Quartier français officiel" nous minimiserait. Nous marginaliserait. Nous insulterait.[44]

C’est ce que laisse entendre aussi l’ancienne mairesse de Vanier, Gisèle Lalonde, lorsqu’elle rappelle que la population francophone « n’est pas une population immigrante, mais bien une population fondatrice »[45] ou encore Mathieu Fleury quand il qualifie le projet toponymique de mesure dévalorisante pour les francophones d’Ottawa :

Ça serait sous-estimer notre puissance […]. On est partout en ville. On est 20 % de la population. […] On se voit comme peuple fondateur. Choisir un quartier, ou une rue, ça viendrait minimiser notre importance. On veut s’épanouir à l’échelle de la ville.[46]

Mais au-delà de l’« abaissement » du statut des francophones, ce qui inquiète ce sont les implications éventuelles d’un tel confinement spatial : « Les francophones se retrouvent partout en ville, réitère Mathieu Fleury. Alors si on met l’accent uniquement sur un quartier, on perd une chance d’étendre l’identité à la grandeur d’Ottawa »[47]. Il faut préciser que l’étendue géographique évoquée par le conseiller municipal ne soulève pas uniquement un enjeu identitaire mais aussi – et surtout – politique. C’est que le degré d’occupation territoriale des francophones – en plus de leur poids numérique – s’avère être crucial pour justifier la dernière revendication francophone, à savoir l’officialisation du bilinguisme au niveau municipal. Toute limitation géographique des francophones viendrait ainsi compromettre les chances de concrétiser ce projet linguistique relancé depuis peu et vu par le journaliste Gratton comme le véritable traitement digne du statut des francophones :

(…), je n'en veux pas de "Quartier français". Ce que je veux, tout comme la majorité des francophones d’Ottawa j’ose présumer, c’est un bilinguisme officiel à la Ville d’Ottawa. D’égal à égal. Deux peuples fondateurs, deux langues officielles. Point à la ligne.[48]

3.2.3. La désignation, une entrave au projet de bilinguisme municipal

Pour la plupart des acteurs francophones qui se sont exprimés à travers la presse, cette désignation n’est rien d’autre qu’un subterfuge politique pour saper le dernier combat linguistique en cours. En désignant un « quartier francophone », la Ville chercherait, selon eux, à restreindre l’offre des services en français au strict territoire désigné, et par là même, rendre caduque une revendication linguistique locale et nationale, à savoir l’officialisation du bilinguisme à l’échelle municipale (à l’image des gouvernements fédéral et provincial). Un statut linguistique qu’on presse de plus en plus la Ville à proclamer à l’approche du 150e anniversaire de la Confédération canadienne et qu’elle refuse toujours d’adopter pour des raisons économiques et pratiques. Il faut rappeler que l’idée du bilinguisme officiel, qui secoue en ce moment la capitale[49], n’est pas nouvelle. Elle est évoquée pour la première fois en 1970 par la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme. Cependant, la priorité fut donnée, à cette époque, à l’officialisation du bilinguisme fédéral. L’idée sera relancée vainement à de nombreuses occasions, telle qu’au moment de la fusion municipale en Ontario en 1999. Le 150e anniversaire de la Confédération canadienne est alors envisagé par la minorité francophone locale comme un rendez-vous historique, une occasion de rattrapage à ne pas manquer pour concrétiser ce projet d’aménagement linguistique. Une requête qui se trouve être, de surcroit, d’une grande pertinence à l’heure où le français accuse un recul inédit à Ottawa[50]. Cependant, le projet se heurte cette fois-ci à la résistance du maire Jim Watson qui voit dans la politique des services en français établi en 2001, une mesure largement suffisante. Tout un groupe de pression national[51] se mobilise dès lors pour « demander à la Ville d’Ottawa, aux gouvernements ontarien et fédéral de proclamer Ottawa officiellement bilingue avant la date du 150e anniversaire de la Confédération canadienne en 2017 »[52]. Dans ce climat tendu, il n’est pas étonnant que la désignation de Vanier comme « le quartier francophone de la capitale » retentisse comme du « sabotage politique » :

[…] lorsque quelqu’un soulèvera la question sur le bilinguisme officiel pour la capitale d’un pays officiellement bilingue, Jim Watson pourra dire quelque chose comme : "Que voulez-vous de plus, chers amis Franco-Ontariens? On n’a pas besoin de bilinguisme officiel à Ottawa. Tout va très bien sans cette désignation. Je suis francophile, j’ai le drapeau franco-ontarien dans mon bureau, je bois du Pepsi et vous avez maintenant votre 'Quartier francophone'. Que voulez-vous de plus!?". Ce n’est pas un quartier qu’on demande, MM. Fleury et Watson. On l’a déjà ce quartier! Et il n’est pas nécessaire de le nommer "officiellement". Ce qu’on demande depuis toujours, Messieurs – et vous le savez – c’est le bilinguisme officiel à Ottawa. On ne veut pas un quartier francophone, on veut une ville. Notre ville! La ville où ont grandi les francophones de Vanier, certes, mais aussi ceux de Mechanicsville, de St-François d’Assise, d’Orléans, de la Basse-Ville, des plaines LeBreton... […] ce qui se trame avec cette idée d'un "Quartier francophone" à Vanier. "Cessez de nous casser les oreilles avec votre bilinguisme officiel pour la Ville, nous diront-ils, et contentez-vous de votre quartier, les Francos". Inacceptable. Totalement inacceptable. Et désolé d’être rabat-joie ce matin, chers concitoyens vaniérois. Je sais que plusieurs d’entre vous sont réjouis aujourd’hui par cette possible désignation pour notre quartier. Et c’est bien correct. Mais prenons-le comme un début, d’accord? Mais un début, non pas pour la création d’un "Quartier francophone", mais bien vers une ville officiellement bilingue, une fois pour toutes.[53]

Cet âpre réquisitoire de Denis Gratton sera constamment répété lors de retours de polémique. En outre, celui de l’été 2013[54] fera couler beaucoup d’encre. Si la majorité des lecteurs se positionnent directement aux côtés du journaliste, voyant dans « ce fameux 'Quartier français' prôné par le maire Watson » une autre de ses nombreuses « diversions [offertes] aux francophones afin de les faire abandonner »[55], d’autres voix contradictoires se sont tout de même fait entendre :

Insulte aux Francos? La ville d’Ottawa songerait à faire quelque chose pour les Francos en créant un quartier français pour les commerçants du secteur Vanier et Denis Gratton trouve le moyen de chialer. Et pourquoi dit-il que ça NOUS insulterait? Parle pour toi-même mon cher Gratton mais n’inclus pas tout le monde. Puis le chroniqueur Gratton veut un bilinguisme officiel à la ville d’Ottawa. Je présume donc qu’il souhaite la même chose pour Gatineau. Sinon ça serait deux rives deux mesures n’est-ce pas?[56]

4. Conclusion

Si la désignation « francophone » de Vanier est apparue aux acteurs économiques locaux comme un outil de marketing territorial propice pour assurer l’attractivité d’un quartier en mal d’investissement symbolique, elle s’est avérée être un objet de conflictualité au sein de la communauté francophone de la capitale. Dans d’autres contextes, cette pratique toponymique aurait, probablement, été assimilée positivement à une mesure de reconnaissance politique du groupe minoritaire (toponymie de type restauration / reconnaissance), mais à Ottawa, elle a une toute autre résonance. Le débat s’est inscrit dans un questionnement sur l’identité territoriale des franco-ottaviens. Le projet de désignation a été perçu comme une volonté, tantôt applaudie tantôt décriée, d’assigner l’identité francophone à un seul territoire. Une idée qui a largement divisé les francophones de la capitale, partagés entre nostalgiques du quartier-communautaire et ceux qui prônent une appartenance à l’ensemble de la ville. Il faut préciser que ce type de débat est présent dans de nombreux contextes occidentaux (Authier, 1999, 2001; Authier, Bacque et Guérin-Pace, 2007; Ascher, 1998; Coste et Roncayolo, 1993; Estèbe, 2004; Genestier, 1999; Rémy, 1996; Knafou, 1998) où, « survalorisée dans certains cas, niée dans d’autres, l’identité territoriale peut apparaître aussi bien comme un concept périmé que comme un recours pour une ’convivialité’ retrouvée » (Guermond, 2006, p. 292). À l’aune des évolutions récentes, il semble qu’on ne puisse plus appréhender l’espace de l’appartenance en termes de territoire (au sens traditionnel, quasi-étiologique, à savoir un espace restreint, bien délimité et approprié) mais plutôt en termes de territorialité, comme l’avaient suggéré Raffestin (1977, 1980, 1986) et Di Méo (1998, 1999, 2000), à savoir un rapport à l’espace géographique pris entre ancrage et mobilité. Ainsi, les francophones, comme le fait remarquer Gilbert (1999b), ne font pas exception puisque cet état territorial s’impose à toutes les sociétés postmodernes. Si cette nouvelle configuration territoriale, marquée par la fluidité, ne bénéficie pas d’une grande attention dans le cénacle intellectuel et scientifique franco-ontarien (Gilbert, 1995, 1999a) – éclipsée par d’autres sujets jugés plus prioritaires (telle que la question de la survivance de la langue et de la culture francophone face à l’assimilation) –, elle semble en revanche constituer une préoccupation pour la population concernée. Ce conflit autour du statut de Vanier vient, en effet, révéler les défis que pose cette nouvelle territorialité francophone qu’on tente de définir et dont on cherche à cerner les contours.

Si ce projet toponymique a touché une « corde sensible »[57] chez les francophones d’Ottawa, c’est parce que derrière la question territoriale locale, se posent des enjeux identitaires et politiques à plus grande portée. Pour les détracteurs de la désignation, le projet toponymique est potentiellement délétère pour la communauté francophone : il minimiserait son statut de minorité nationale et autoriserait, par ce fait, une délégitimation de ses revendications politiques. Nous retrouvons bien ici les autres registres argumentaires du discours réactionnaire, identifiés par Hirschman (1991). En plus de l’inanité et l’inopérance du projet (décalage par rapport à la réalité socioculturelle du quartier), on dénonce ses effets pervers (« perversity ») potentiels (réduction du statut des francophones) et la mise en péril (« jeopardy ») de leur poids politique (ici refus de leur revendication linguistique). Enfin, il faut préciser que ce flou autour du statut des francophones, sur lequel peuvent jouer habilement les politiques, relève de la situation géographique particulière d’Ottawa. En effet, Ottawa accumule plusieurs statuts territoriaux, ce qui peut prêter à l’ambiguïté (et à la manipulation politique) : tout en étant une municipalité, elle se trouve être aussi la capitale du Canada français qui attire chaque année des centaines de francophones venus des « quatre coins de l’Ontario, mais aussi du Québec, de l’Acadie et de l’ouest du pays, sans compter l’immigration internationale francophone dont Ottawa est devenu un foyer important » (Cardinal, Gilbert et Hotte, 2012, p. 14). Dans ce contexte spatial multi-scalaire (local, provincial, national, international), tout acte ou évènement politique peut prendre une dimension plus globale qu’ailleurs. « L’effet du milieu » (Gilbert, 2010) expliquerait ainsi en grande partie la différence entre Ottawa et les autres villes canadiennes qui ont formalisé leurs « quartiers francophones ». La minorité francophone ici ne s’auto-identifie pas à une simple communauté locale (rôle dans lequel la municipalité voudrait la confiner), mais aussi, et surtout, comme l’incarnation de toute la francophonie canadienne dont elle se place comme l’ardent défenseur. Investie de cette responsabilité, ses actions, mais aussi sa réactivité, ne peuvent avoir la même amplitude.