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Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) rapporte en 2015 que 50 % des maladies mentales apparaissent avant l’âge de 14 ans1. Les troubles neuropsychiatriques comptent parmi les principales causes d’incapacité chez les jeunes dans le monde2. Plus près de nous, la Commission de la santé mentale du Canada révèle en 2013 que de 14 % à 25 % des enfants et des adolescents, soit plus de 800 000 jeunes au Canada, souffrent de problèmes de santé mentale majeurs3.

Depuis une dizaine d’années, au Québec, l’évaluation et le traitement des troubles mentaux chez les enfants et les adolescents font partie des actions prioritaires mises de l’avant par le gouvernement. Pour atteindre cette cible, le ministère a privilégié, dans son Plan d’action en santé mentale (PASM) 2005-2010, le développement des services de première ligne et des soins axés sur la collaboration4.

La mise en place d’équipes d’intervenants de première ligne en santé mentale jeunesse dans les centres locaux de services communautaires (CLSC) permet de répondre aux besoins des enfants et des adolescents qui vivent des difficultés ne nécessitant pas d’intervention par des équipes plus spécialisées telles que les cliniques de pédopsychiatrie4. Ces dernières deviennent alors plus disponibles pour offrir des traitements aux jeunes âgés de 0 à 17 ans qui présentent des problèmes se situant dans le large spectre de la santé mentale et dont l’intensité est de modérée à grave. Si l’organisation des services diffère d’une clinique à l’autre (unité d’hospitalisation, clinique externe, etc.), ces équipes se distinguent de par leur caractère multidisciplinaire.

Les soins axés sur la collaboration entre les professionnels et entre les partenaires, pour leur part, consistent principalement à favoriser le travail de collaboration en facilitant l’échange de connaissances et de compétences entre les intervenants et les partenaires dans le but de renforcer la continuité des services et soutenir les partenaires internes et externes4. Les soins axés sur la collaboration sont introduits comme « un gage de succès » pour le traitement des troubles mentaux4. Les mesures proposées par le PASM 2015-2020 réitèrent également l’importance d’intervenir précocement auprès des jeunes, de favoriser le dépistage rapide des problématiques et de consolider les orientations prises dans le cadre du PASM 2005-2010 dont le renforcement des services offerts en première ligne et le soutien du partenariat et de la collaboration interprofessionnelle1.

Dans un tel contexte de changement social, la collaboration interprofessionnelle devient une pratique particulièrement intéressante à explorer. La pertinence de son étude en clinique de pédopsychiatrie se justifie notamment parce que les évaluations et les traitements qui y sont offerts engagent nécessairement plus d’un intervenant à la fois5. Il est également connu qu’un bon fonctionnement dans le processus de collaboration interprofessionnelle est essentiel pour offrir des soins de santé de qualité6. Enfin, l’impasse thérapeutique, en faisant obstacle à l’évolution positive du patient, représente des coûts sociaux, psychologiques et financiers considérables7.

Au moyen d’une revue de littérature, cet article examine les indicateurs de la collaboration interprofessionnelle comme modalités pour résoudre les impasses thérapeutiques en clinique de pédopsychiatrie. Il décrit d’abord en quoi consiste l’impasse thérapeutique en clinique de pédopsychiatrie et présente les effets de la collaboration interprofessionnelle sur la prestation des services en santé mentale. Le modèle de structuration du processus de la collaboration interprofessionnelle de D’Amour et coll.8 est ensuite brièvement présenté. Enfin, en extrayant les indicateurs de ce modèle, nous tentons d’explorer comment la construction d’une pratique de collaboration interprofessionnelle pourrait avoir une incidence sur la résolution des impasses thérapeutiques en clinique de pédopsychiatrie.

Les impasses thérapeutiques en clinique de pédopsychiatrie

Les interventions en santé mentale génèrent inévitablement des situations où les cliniciens sont confrontés à des impasses thérapeutiques ; ces situations, souvent vécues comme n’offrant « aucune issue favorable », nécessitent une réflexion chez les cliniciens afin de permettre leur dénouement9. Blackall et Simms décrivent l’impasse thérapeutique comme la persistance des symptômes chez le patient, laquelle a des conséquences négatives sur la relation thérapeutique10. Pour sa part, Rober définit l’impasse thérapeutique en santé mentale comme une conversation rigide et statique dans laquelle le thérapeute ne sent plus la liberté de choisir parmi ses interventions habituelles – confronter, recadrer, poser des questions, donner des conseils, etc. –, celles qui pourraient ouvrir l’exploration de l’expérience du patient11. L’impasse thérapeutique telle que définie par Rober suscite notre intérêt du fait qu’elle décrit bien les expériences pouvant être vécues en clinique de pédopsychiatrie. La sévérité des problématiques et l’implication de plus d’un intervenant auprès de jeunes patients peuvent rendre difficile la résolution d’impasse thérapeutique lorsque des professionnels démontrent des difficultés à collaborer ensemble10. L’exploration de la collaboration interprofessionnelle comme modalité pour aider ces professionnels à résoudre les impasses thérapeutiques qu’ils rencontrent prend alors tout son sens.

Plusieurs facteurs sont des sources potentielles d’impasse thérapeutique au sein des équipes travaillant en clinique de pédopsychiatrie : l’obligation de collaborer avec les différents acteurs présents auprès des patients ; les transformations dans le réseau de la santé et des services sociaux québécois ; et les caractéristiques des patients. Le besoin de collaborer avec plusieurs acteurs du milieu de vie de l’enfant ou de l’adolescent amène un chevauchement dans les interventions qui oblige à tenir compte d’individus et de milieux aux cultures, aux règles et aux rythmes différents12. Ce chevauchement, en créant des situations où les interventions des uns empiètent sur celles des autres, suscite chez ces intervenants des réactions qui peuvent augmenter le risque d’impasse thérapeutique13. Les nombreuses transformations entreprises dans le réseau de la santé et des services sociaux québécois depuis les quinze dernières années ont aussi contribué à alourdir le travail des professionnels qui oeuvrent dans ces cliniques9-14. Enfin, Fleury et Grenier, dans leur rapport sur l’état de situation sur la santé mentale au Québec paru en 2012, résument les caractéristiques particulières des jeunes qui consultent en pédopsychiatrie : jeunes dont le développement n’est pas complété ; comorbidité psychiatrique ; taux élevé d’abandon du traitement ; et implication nécessaire des parents5.

La collaboration interprofessionnelle et la prestation des services en santé mentale

La collaboration interprofessionnelle est considérée par les chercheurs et les responsables de l’élaboration des politiques en santé comme un élément qui concourt à l’obtention de résultats positifs15. Elle est définie par D’Amour comme un processus par lequel des professionnels interdépendants structurent une action collective afin de répondre aux besoins des patients16. Fuller et coll. témoignent de résultats positifs obtenus dans des contextes de collaboration interprofessionnelle dans des services de première ligne auprès d’une clientèle en santé mentale17. Leur analyse de 119 études publiées entre 1998 et 2009 dans six régions du monde (Australie, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni, Europe, États-Unis et Canada) leur permet d’affirmer que la collaboration interprofessionnelle est souvent associée à une réduction significative des symptômes cliniques, à une plus grande efficacité des services et à une diminution des coûts. De leur côté, Van Orden et coll. ont réalisé aux Pays-Bas une étude comparative avec 165 patients mesurant les résultats obtenus selon que les services étaient offerts de manière traditionnelle ou à partir d’une approche de collaboration interprofessionnelle18. Ils concluent que les soins offerts en collaboration interprofessionnelle donnent lieu à une plus grande satisfaction des professionnels envers les services offerts, à un délai de référence plus court, à une réduction du temps de traitement, à un nombre plus restreint de rendez-vous et à des coûts de traitement inférieurs. S’étant intéressés au suivi des patients en psychiatrie au moment de leur congé de l’hôpital, Fernandes et Flak observent que la collaboration interprofessionnelle permet d’améliorer l’adhérence du client au traitement et de diminuer le risque de suicide19. Parmi les rares données recueillies auprès des services spécialisés multidisciplinaires s’adressant à une clientèle jeunesse, Scott et coll. constatent également, dans une étude comparative de 30 mois réalisée en Australie, que les services destinés aux adolescents et axés sur la collaboration interprofessionnelle fournissent un meilleur accès à des cliniciens de disciplines variées que ceux offerts de manière traditionnelle20.

Ces recherches démontrent qu’il existe un lien positif entre la collaboration interprofessionnelle et la satisfaction des professionnels envers les services offerts, l’efficacité et la coordination des services, ainsi qu’une réduction des coûts dans les milieux des soins en santé mentale. Malgré ce constat, l’implantation d’une pratique de collaboration interprofessionnelle dans le milieu de la santé n’est pas acquise21.

Modèle de structuration de la collaboration interprofessionnelle de D’Amour et coll.

Plusieurs auteurs se sont intéressés au concept de la collaboration interprofessionnelle et aux modèles qui peuvent en décrire les composantes22. Le modèle de structuration de la collaboration interprofessionnelle élaborée par D’Amour et coll.8 offre ici un intérêt particulier pour diverses raisons : il s’agit d’un modèle qui a été testé dans différents contextes du milieu de la santé14-23 ; il s’intéresse au processus de la collaboration interprofessionnelle, c’est-à-dire à quelque chose qui est en mouvement, en opposition à une photo prise à un moment précis ; et ses dimensions tiennent compte des relations entre les individus et du cadre institutionnel pouvant influencer l’action collective8.

Ce modèle est constitué de quatre dimensions interreliées les unes aux autres et de dix indicateurs associés à ces dimensions. Les quatre dimensions sont : objectif et vision commune ; internalisation ; gouvernance ; formalisation. Les deux premières concernent les relations entre les individus, tandis que les deux dernières réfèrent au cadre institutionnel.

La dimension « objectif et vision commune » englobe deux indicateurs : l’indicateur « objectif commun » fait référence à la nature consensuelle et globale des objectifs ; l’« orientation centrée sur le patient versus autres allégeances » réfère pour sa part à l’existence dans une équipe de professionnels d’un ensemble d’intérêts impliquant des allégeances différentes soit celle à la clientèle, à la profession, à l’organisation, aux partenaires, etc.

La dimension « internalisation » réunit deux indicateurs, soit la « connaissance mutuelle » et la « confiance mutuelle ». Selon D’Amour et coll.8, les professionnels doivent se connaître personnellement et professionnellement s’ils veulent développer un sentiment d’appartenance à un groupe et réussir la mise en commun d’objectifs. Cette connaissance des autres professionnels passe par la connaissance des valeurs, de la compétence, du cadre de référence disciplinaire, des approches des soins et de la portée de la pratique de chaque membre de l’équipe. De plus, la collaboration n’est possible que lorsque les professionnels ont confiance dans les compétences des uns et des autres et dans leur capacité à assumer leurs responsabilités.

La dimension « gouvernance » inclut quatre indicateurs, soit la « centralité », le « leadership », le « support à l’innovation » et la « connectivité ». La « centralité » renvoie à l’existence d’une orientation claire et explicite des gestionnaires qui est destinée à guider l’action vers la collaboration. Le « leadership », exercé soit par des gestionnaires qui ont été mandatés pour le faire, soit par des professionnels au sein de l’équipe qui en prennent l’initiative, est aussi orienté vers la collaboration. La collaboration menant à de nouvelles activités et impliquant nécessairement des changements dans les pratiques cliniques et dans le partage de responsabilités entre les professionnels nécessite la présence de mesures de soutien aux apprentissages. Enfin, la « connectivité » réfère au fait que les professionnels sont reliés entre eux et qu’il doit exister des espaces pour la discussion et pour la construction des liens.

Finalement, la dimension « formalisation » regroupe deux indicateurs : les « outils de formalisation » et les « lieux d’échange d’information ». Les « outils de formalisation » permettent de clarifier efficacement les responsabilités des différents partenaires et de négocier le partage des responsabilités. Les « lieux d’échange d’information » font référence à l’existence et l’utilisation d’infrastructures d’information permettant les échanges rapides et en profondeur entre les professionnels.

Le modèle de structuration de la collaboration interprofessionnelle développé par D’Amour et coll.8 permet de comprendre théoriquement comment se construit une pratique de collaboration interprofessionnelle dans une équipe de travail et le contexte dans lequel peut se construire cette pratique. Il n’existe toutefois pas présentement d’études, à notre connaissance, s’étant intéressée à comment se déploie la collaboration interprofessionnelle en clinique de pédopsychiatrie ni à comment la collaboration interprofessionnelle, dans une telle équipe, pourrait aider à la résolution des impasses thérapeutiques.

Collaboration interprofessionnelle en pédopsychiatrie et résolution d’impasses thérapeutiques

Étant donné que le développement des jeunes qui reçoivent des soins en pédopsychiatrique n’est pas terminé et que les troubles dont ils souffrent s’accompagnent souvent de comorbidité psychiatrique, l’établissement d’un diagnostic et l’organisation du traitement requièrent la collaboration de plusieurs professionnels afin de tenir compte de l’ensemble des aspects biopsychosociaux de leur difficulté5. Cette organisation du travail implique inévitablement des empiétements dans les interventions avec lesquels tous les professionnels ne sont pas nécessairement à l’aise13. Dans un contexte de travail en collaboration interprofessionnelle, l’identification d’objectifs communs est un moyen d’éviter le travail en vase clos, qui risque de mener à une impasse thérapeutique24. Selon D’Amour et coll., l’identification et le partage des objectifs communs sont des points de départ essentiels pour une entreprise collaborative8. Le travail en vase clos, qui est à l’opposé du partage d’un objectif commun, est reconnu comme une barrière importante à l’implantation de la collaboration interprofessionnelle dans une équipe offrant des soins en santé25. Grumbach et Bodenheimer ajoutent, à partir de deux études de cas réalisées aux États-Unis, que le travail des équipes de première ligne dont la collaboration interprofessionnelle se distingue positivement des autres s’articule autour d’objectifs communs clairement définis visant des résultats mesurables26.

Plusieurs facteurs influencent le choix des objectifs d’intervention en clinique de pédopsychiatrie : besoins du patient ; obligations professionnelles ; attentes des parents et des différents partenaires ; mandat de la clinique ; règles de l’institution. Les professionnels qui y travaillent ont des sensibilités différentes face à chacun de ces facteurs. Ces sensibilités différentes amènent les professionnels à accorder une importance inégale à ces facteurs et rend difficiles une mise en commun de leurs intérêts et une négociation entre eux afin de faire consensus pour offrir des soins dont l’orientation est centrée sur le patient8. Reeves et Lewin insistent aussi sur la nécessité d’établir des tâches et des buts explicites pour une collaboration efficace dans les secteurs de la santé et des services sociaux27. Les échanges entre les professionnels d’une équipe permettent de développer une meilleure compréhension de leurs propres réactions et d’éviter de se laisser entraîner dans des interventions ne favorisant pas le mieux-être des patients24. La recherche suggère aussi que les soins centrés sur le patient peuvent conduire à une amélioration significative de leur santé et de leur performance fonctionnelle ainsi qu’à des coûts d’hospitalisation plus faibles28. La promotion des soins centrés sur le patient serait l’objectif le plus susceptible de rallier l’ensemble des professionnels29.

Les équipes de professionnels qui travaillent en clinique de pédopsychiatrie se composent d’individus ayant des formations et des expériences de travail différentes. Et règle générale, la formation des uns et des autres offre peu ou pas d’exposition aux programmes suivis par les autres professionnels30. Ils commencent donc leur carrière sans connaître la portée de la pratique des intervenants avec qui ils doivent collaborer professionnellement. De plus, chacun d’entre eux a ses propres expériences de travail, qui influencent son approche des soins, ses valeurs, son niveau de compétence et sa conception de la collaboration interprofessionnelle. Les désaccords à propos des rôles et des responsabilités de chacun sont des barrières à la collaboration interprofessionnelle31. Les occasions d’échanges et d’expériences conjointes de succès supportent le développement de la connaissance et de la confiance entre les professionnels d’une équipe. L’échange entre collègues serait un moyen pour les professionnels de prendre du recul et de réfléchir aux situations d’impasse qu’ils vivent avec les patients, dans le but de chercher des solutions11-32. Les professionnels tendent à utiliser les résultats de la collaboration pour s’évaluer les uns les autres et bâtir leur confiance et lorsqu’ils se connaissent peu, ils doivent constamment évaluer les risques d’être placés dans une position de vulnérabilité ; face à trop d’incertitude, les professionnels de la santé ont tendance à conserver la responsabilité de leurs patients plus longtemps en évitant la collaboration8. L’étude sur les soins offerts en santé mentale adulte menée par Simpson va dans le même sens : elle soutient que les différences de cultures professionnelles et d’approches thérapeutiques, les conflits et les questions d’imputabilité du personnel rendent la collaboration interprofessionnelle difficile33.

Avoir un objectif commun, dont l’orientation est centrée sur le patient, avoir une connaissance des autres professionnels de la clinique et partager une confiance mutuelle apparaissent être des éléments qui peuvent contribuer à la construction d’une pratique de collaboration interprofessionnelle dans une clinique de pédopsychiatrie. Cette pratique semble aussi rendre possible la résolution d’impasses thérapeutiques.

Le contexte de pratique de la collaboration interprofessionnelle en clinique de pédopsychiatrie est par ailleurs peu connu5, 6, 13-14. Les actions mises de l’avant dans les PASM 2005-2010 et 2015-2020 pour améliorer l’accès aux traitements pour les jeunes présentant des troubles mentaux ciblent prioritairement l’organisation de services de première ligne plutôt que les soins offerts en milieu hospitalier1, 4-13. En ce qui concerne le traitement des troubles mentaux dans les services spécialisés de deuxième ligne, le ministère insiste d’abord sur l’amélioration des soins axés sur la collaboration (soins partagés) entre les équipes de première et de deuxième ligne ainsi que sur la mise en place de postes de pédopsychiatre répondant4. Si la collaboration interprofessionnelle nécessite la présence d’une série de conditions relationnelles entre les professionnels de l’équipe, elles ne sont toutefois pas suffisantes dans le système de soins de santé ; les déterminants organisationnels jouent un rôle crucial spécifiquement sur le plan de la capacité de gestion des ressources humaines et de la capacité d’assumer un leadership fort vers la collaboration interprofessionnelle24. Des politiques efficaces en matière de ressources humaines favorisent une structure de collaboration dans les équipes, donnent des lignes directrices claires quant aux attentes entourant la pratique, favorisent une meilleure résolution des conflits et atténuent les hiérarchies professionnelles et les différends34. Les contextes organisationnels qui encadrent les services influencent à la fois la façon dont les interventions sont mises en place et leurs résultats cliniques35. Les équipes qui fonctionnent à partir d’une structure hiérarchique rapportent des effets négatifs sur le travail de collaboration36. Lorsque le leadership vers la collaboration n’est pas pris en charge par les gestionnaires, il doit être partagé par les différents professionnels et faire l’objet d’un large consensus afin que chacun des membres de l’équipe puisse être entendu et participer au processus décisionnel8. Les changements vers une pratique de collaboration sont de véritables innovations qui doivent être développées et mises en oeuvre et ils ne peuvent prendre racine sans un processus complémentaire d’apprentissage ; les professionnels doivent développer une gamme de compétences pour travailler de manière efficace dans un environnement de soins de santé interprofessionnel21. Les compétences les plus souvent soulignées sont la compréhension des normes du groupe, l’habileté à résoudre les conflits, l’habileté à tolérer les différences et l’habileté à contribuer à l’établissement d’objectifs communs et à des plans de soins partagés ; puisque la collaboration interprofessionnelle est un processus complexe, volontaire et dynamique impliquant plusieurs compétences, la formation pour améliorer la préparation des professionnels à cette pratique est importante34. Des espaces sont aussi nécessaires pour résoudre rapidement les problèmes de coordination et rendre possible l’ajustement des pratiques8. Le manque de temps et de lieu pour la construction de liens peut miner les tentatives de travail de collaboration27.

Les outils de formalisation peuvent avoir une incidence sur les résultats cliniques. En effet, les résultats d’une recherche, obtenus à partir de questionnaires complétés par 750 patients et leurs intervenants, sur les soins en santé mentale offerts dans huit cliniques différentes situées en Suède, indiquent que le taux d’abandon par les patients est quatre fois plus élevé dans les cliniques qui offrent des soins instables et peu structurés37. Le travail en vase clos, la divergence d’opinions quant aux services nécessaires à l’usager et le désaccord concernant le diagnostic compromettent la continuité et l’intégration des services de manière marquée pour l’ensemble de la jeune clientèle14. La communication est la compétence la plus souvent soulignée en recherche pour travailler de manière efficace dans un environnement de soins de santé en collaboration interprofessionnelle21-34. Les communications sont utilisées pour réduire l’incertitude dans les relations entre collègues qui se connaissent peu, évaluer la qualité des échanges et donner une rétroaction, contribuant ainsi à l’établissement de relations de confiance8. L’évaluation réalisée en 2010 à la suite de la mise en place des mesures du PASM 2005-2010 souligne la persistance de certains aspects pouvant nuire à la continuité des services : le recours aux plans de services individualisé (PSI) est peu systématique et la communication, autant entre les intervenants des centres de santé et de services sociaux qu’entre ces derniers et leurs partenaires, demeure difficile14. Malgré les efforts mis, ces données suggèrent que les résultats ne sont pas au rendez-vous et rappellent que l’action sur le terrain obéit à des déterminants psychosociaux complexes38. En 2015, un nouveau PASM a vu le jour1. Les mesures mises en place par ce nouveau plan d’action n’ont toutefois pas encore fait l’objet d’évaluation. Il ne nous est donc pas possible présentement d’en estimer les résultats.

Conclusion

Les statistiques démontrent qu’un grand nombre de jeunes souffrent de problèmes de santé mentale majeurs1, 2-3. Des mesures ont été prises au Québec afin d’améliorer l’accès et la continuité des services pour ces jeunes4. Cependant, les transformations entreprises dans le réseau de la santé et des services sociaux québécois ont aussi eu pour conséquence que les jeunes qui recourent maintenant à des services en clinique de pédopsychiatrie présentent des troubles plus sévères5. Cette réalité s’ajoute à la nécessité déjà existante pour les professionnels qui y travaillent de collaborer avec l’ensemble des acteurs du milieu de vie de ces jeunes12. Ces conditions contribuent au fait que les professionnels des cliniques de pédopsychiatrie sont plus à risque de vivre des impasses thérapeutiques6-13.

Des recherches attestent qu’il existe un lien entre la collaboration interprofessionnelle et l’obtention de résultats positifs en santé mentale17-20. C’est dans cette perspective qu’est utilisé le modèle de structuration de la collaboration interprofessionnelle développé par D’Amour et coll.8, afin de cibler des pistes de solution aux impasses thérapeutiques rencontrées en clinique de pédopsychiatrie. L’exploration des indicateurs du modèle met en évidence des pistes de réflexion qui pourraient favoriser la résolution des impasses thérapeutiques en clinique de pédopsychiatrie.

Cette exploration soulève aussi des questionnements sur la façon dont se vit réellement la collaboration interprofessionnelle en clinique de pédopsychiatrie. Les professionnels arrivent-ils à travailler ensemble sur des objectifs communs centrés sur le patient ? Parviennent-ils à développer une connaissance des autres intervenants avec qui ils travaillent et à développer une confiance réciproque les uns envers les autres ? Les gestionnaires responsables de ces cliniques mettent-ils en place les conditions nécessaires à la construction de liens et à l’engagement des professionnels face à la tâche à réaliser ?

À notre connaissance, il n’existe encore aucune donnée objective permettant de comprendre comment se développe et se vit la collaboration interprofessionnelle au sein des cliniques de pédopsychiatrie et comment celle-ci contribue à la résolution d’impasses thérapeutiques. Il serait intéressant d’explorer sur le terrain comment se construit la collaboration interprofessionnelle dans une équipe travaillant en clinique de pédopsychiatrie, le contexte dans lequel se construit cette pratique, et d’examiner comment elle peut faciliter la résolution d’impasses thérapeutiques. La recherche-action participative est une approche où le chercheur et les participants s’engagent ensemble afin d’examiner les situations problématiques vécues par les participants, d’y réfléchir dans des cycles d’action pour mieux comprendre les processus à l’oeuvre et d’apporter les changements nécessaires à l’amélioration des pratiques38. La recherche-action participative pourrait être une approche intéressante dans le cadre d’une recherche future pour approfondir la compréhension de l’effet de la collaboration interprofessionnelle sur la résolution des impasses thérapeutiques en clinique de pédopsychiatrie.