Article body

Le rôle de parent[i] est exigeant, d’autant plus face à une maladie telle que les troubles des conduites alimentaires (TCA)1. Dans ce domaine, la plupart des enfants et des adolescents seront traités en clinique externe. L’hospitalisation est habituellement utilisée en dernier recours, lorsque la condition physique ou psychiatrique le nécessite ou que la prise en charge en clinique externe ne permet pas l’atteinte des objectifs médicaux, nutritionnels et psychologiques. Concrètement, cela implique que les parents occupent un rôle central dans la gestion des symptômes de leur adolescent au quotidien. Une approche familiale est d’ailleurs recommandée pour le traitement dans les principales lignes directrices2-5.

La plus connue et dont l’efficacité est démontrée est l’approche Maudsley, développée à Londres6. Cette approche met l’emphase sur le fait d’aider les parents à jouer un rôle actif dans le traitement de leur adolescent. Il s’agit d’un traitement « avec » la famille et non pas d’un traitement « de » la famille. L’objectif est d’aider les parents à cesser les réponses inefficaces aux symptômes. L’application pure de cette approche n’est toutefois pas réalisable dans tous les milieux cliniques. Il est néanmoins possible de s’inspirer des principes qui s’en dégagent dans les soins offerts aux adolescents7. Dans ce type d’approche, le parent joue un rôle central en étant en charge de la réalimentation de son enfant8.

Ce défi peut être de taille sans un support adéquat de la part de l’équipe soignante. Les parents sont à risque de vivre des niveaux élevés de détresse, d’anxiété et de dépression9. Ils peuvent se sentir laissés à eux-mêmes et dépassés par la situation1. De plus, la réponse des proches aux symptômes du TCA peut contribuer à entretenir les symptômes10. Blondin et Meilleur recommandent la mise en place de sessions de psychoéducation portant sur l’étiologie et les facteurs de maintien du trouble alimentaire et les répercussions du trouble sur les relations avec les proches1. Elles recommandent d’encourager le développement de stratégies pour les aidants qui favorisent une interaction positive avec la personne atteinte. Enfin, elles soulignent l’importance de préciser les rôles des professionnels et pour les proches de pouvoir verbaliser sur leur rôle d’aidant. D’autres auteurs soulignent la nécessité d’offrir de la psychoéducation aux parents9-12. Ce type d’intervention semble prometteur, acceptable et bénéfique pour les parents13-17.

Objectifs

L’objectif du présent article est de décrire l’implantation d’une intervention psychoéducative de groupe pour les parents d’adolescents suivis pour trouble des conduites alimentaires. Il vise aussi à décrire les résultats d’un sondage de satisfaction effectué à l’issue des séances de groupe.

Méthode

Élaboration et description de l’intervention

L’intervention a été offerte dans le cadre d’une clinique régionale spécialisée dans le traitement des TCA chez les 10-17 ans. Les services visent une clientèle externe et hospitalisée et desservent de 60 à 80 patients par année pour cette problématique. L’équipe est composée d’un pédiatre spécialiste en médecine de l’adolescence, d’un médecin généraliste, d’une infirmière clinicienne, d’une nutritionniste, de deux psychologues intervenants auprès des adolescents et d’une travailleuse sociale oeuvrant auprès des parents. L’idée de l’intervention est issue d’un besoin d’uniformiser l’enseignement offert aux parents sur la prise en charge du TCA, afin de s’assurer que chacun ait une base adéquate de formation sur la maladie et les principes d’une approche familiale. L’intervention a pour objectifs spécifiques : 1) d’informer sur les troubles alimentaires et leurs conséquences ; 2) de diminuer le sentiment de culpabilité fréquent chez les parents ; 3) d’aider les parents à comprendre leur adolescent et à préserver leur relation avec lui/elle ; 4) d’aider les parents à intervenir efficacement auprès de leur adolescent ; 5) d’aider les parents à faire équipe face au trouble alimentaire et à identifier les pièges fréquents pour la dyade parentale ; 6) d’impliquer les parents dans le traitement ; et 7) de leur permettre d’être en contact avec d’autres parents et des professionnels.

Le contenu de l’intervention a été élaboré à partir d’un manuel destiné aux parents d’adolescents avec trouble des conduites alimentaires11. Ce choix a été fait en fonction des principes contenus dans le manuel, qui sont teintés de l’approche Maudsley, et du fait que l’intervention prônée y était adaptée à notre clientèle et était dans l’esprit des recommandations déjà utilisées par les intervenants de notre clinique. Ce livre insiste sur l’importance de l’implication des parents dans le traitement. Il contient une partie psychoéducative, où les auteurs décrivent ce que sont les troubles alimentaires, abordent l’étiologie, les aspects psychologiques et physiologiques de la maladie et les principales options de traitement offertes. Ils invitent les parents à collaborer avec l’équipe de soins, à préserver l’unité familiale et la communication. Ils outillent les parents pour l’alimentation, en passant de l’encadrement complet des repas vers un retour progressif à une plus grande autonomie alimentaire de l’adolescent. Des informations complémentaires ont été ajoutées, soit sur l’activité physique dans les TCA18 et sur le cycle de maintien de la maladie selon une approche cognitivo-comportementale19-20. Les principes ont été ponctués d’exemples cliniques pour une meilleure compréhension.

L’intervention est constituée de deux rencontres de deux heures, offertes à deux semaines d’intervalle. Les parents d’adolescents étant suivis pour TCA à notre clinique ont été invités à participer, jusqu’à concurrence de 12 participants (aucun groupe n’a atteint le maximum de participants). Il est fortement recommandé que les deux parents soient présents (et conjoints le cas échant). Le groupe est animé par une psychologue et une travailleuse sociale oeuvrant à la clinique et ayant acquis une expérience auprès de cette clientèle. Celles-ci se sont approprié les principes décrits dans le manuel par la lecture et les échanges avec l’équipe de soins. Les participants sont invités à poser des questions et à commenter de façon brève. Ils sont aussi invités à se référer à leurs intervenants respectifs s’ils ont des questions plus spécifiques à la situation de leur adolescent.

La première séance vise à améliorer la compréhension des TCA. La rencontre débute avec la présentation des intervenants et des règles liées à la confidentialité. Les parents sont invités à compléter un quiz élaboré par les animatrices sur leurs connaissances, celui-ci abordant les mythes fréquents liés à la maladie. Ensuite, les intervenants abordent les conséquences physiques, psychologiques et sociales des TCA, les comportements pouvant indiquer leur présence (signaux d’alertes), l’étiologie, les diagnostics, les pensées présentes dans la maladie11 et l’exercice compulsif21. La rencontre est complétée par la révision des questions du quiz.

La seconde séance se veut plus pratique et axée sur les stratégies à utiliser au quotidien décrites par Lock et Le Grange11. Les principales approches de traitement des TCA sont abordées ainsi que les grands principes de traitement décrits par ces auteurs. Parmi ces principes, nommons le fait de travailler avec les professionnels, de faire équipe comme famille, ou de blâmer la maladie plutôt que l’adolescent. L’évolution est abordée de même que l’importance de prendre soin de soi en tant qu’aidant. C’est dans cette rencontre que sont discutés les thèmes comme les grands principes de la réalimentation, la gestion des repas, les applications et sites internet problématiques, ou les attitudes à adopter face aux comportements symptomatiques de la maladie. Un exercice en dyade est aussi réalisé afin de permettre aux parents de rechercher un consensus sur des thèmes possiblement conflictuels dans la prise en charge.

Participants

L’intervention a été offerte à 36 parents, répartis en cinq cohortes, réalisées entre 2014 et 2016. Ceux-ci étaient principalement des parents d’adolescents consultant pour TCA. Quelques-uns étaient des conjoints de parents biologiques ou grands-parents, impliqués dans le quotidien de l’adolescent.

Instruments

Un questionnaire a été élaboré afin d’évaluer la satisfaction des participants. Il est composé de 12 questions portant sur le format du groupe ainsi que sur les objectifs visés. Les items étaient sur une échelle de type Likert de 1 (entièrement faux) à 7 (entièrement vrai). Les participants étaient aussi invités à noter leurs commentaires. Les questionnaires ont été complétés à la fin des ateliers, de façon anonyme.

Résultats

Le niveau de satisfaction global face aux rencontres psychoéducatives était élevé. Les résultats à chacune des questions, mentionnées ci-dessous, sont décrits à la figure 1. Les questions sont les suivantes : 1) Les rencontres m’ont permis de mieux connaître les troubles alimentaires et leurs impacts sur la santé ; 2) Les rencontres me permettent de mieux comprendre mon adolescent(e) ; 3) Les rencontres m’ont donné des informations utiles et pratiques pour composer avec la maladie ; 4) Je crois que les rencontres m’aideront à mieux gérer la période des repas avec mon adolescent(e) ; 5) Les rencontres m’aident à me sentir impliqué(e) et utile dans le traitement ; 6) Les rencontres m’ont permis de communiquer avec l’autre parent sur les soins à donner à notre adolescent(e) ; 7) Globalement, je juge que les rencontres sont utiles et aidantes pour les parents ; 8) Si un(e) ami(e) avait les mêmes problèmes, je lui recommanderais ces rencontres ; 9) L’animation des rencontres était adéquate ; 10) J’ai apprécié le fait de rencontrer d’autres parents vivant une situation semblable lors des rencontres ; 11) Les exercices en groupe étaient utiles et pertinents ; 12) Je compte appliquer certaines des recommandations suggérées pendant les rencontres.

Figure 1

Niveau de satisfaction moyen à chacune des questions

Niveau de satisfaction moyen à chacune des questions

-> See the list of figures

Concernant la durée des rencontres, la cohorte initiale avait eu des rencontres d’une heure trente. Parmi les neuf participants, trois avaient trouvé les rencontres trop courtes. Il a alors été décidé d’augmenter la durée à deux heures. Par la suite, 95 % des participants ont trouvé cette durée satisfaisante. En ce qui a trait au format de deux rencontres, 82 % des participants ont trouvé que le nombre de rencontres était suffisant.

Dix participants ont exprimé, comme commentaires, leur appréciation de la formule. Cinq personnes ont exprimé le besoin d’avoir plus d’échange entre les participants, dont trois étant issus de la première cohorte où la durée des rencontres était plus courte. Deux participants ont indiqué qu’ils auraient aimé avoir ces ateliers en début de la maladie de leur adolescent, ceux-ci n’étant pas disponibles auparavant. Une personne a affirmé que les rencontres étaient particulièrement intéressantes en début de la maladie. À la question : « Y a-t-il d’autres aspects de la maladie pour lesquels vous aimeriez avoir de l’information ? », il a été question des organismes communautaires, de la rechute, des stades de la maladie et de la nutrition.

Discussion

L’expérience d’une intervention psychoéducative pour les parents d’adolescent avec TCA s’est avérée réalisable en région. L’accueil des parents face à cette intervention s’est avéré globalement positif. Ceux-ci se sont montrés très satisfaits quant aux objectifs visés, à l’animation et au format retenu pour les rencontres, comme ce fut le cas dans une étude antérieure21. Pour les animateurs, ce qui a été manifeste lors des groupes est le désir des parents de pouvoir échanger sur leur vécu et poser des questions. Les animatrices ont aussi remarqué que les parents se sont montrés supportant les uns envers les autres. Certains ont échangé leurs coordonnées suite au groupe afin de rester en contact. Une difficulté rencontrée a été d’obtenir la présence des deux parents lors des rencontres, même si celle-ci était fortement encouragée. Les intervenants de l’équipe de soins (infirmière, travailleuse sociale, médecin) ont noté que les parents se référaient à ce qu’ils ont appris lors de l’intervention de groupe pendant les rencontres. L’intervention a semblé particulièrement aidante pour les parents d’adolescents hospitalisés suite à une admission à l’urgence, et pour qui le diagnostic est nouveau. Selon les commentaires recueillis auprès des parents et intervenants, l’ajout d’une troisième séance animée par un médecin et une nutritionniste et portant sur les aspects physiologiques et l’application des concepts nutritionnels au quotidien pourrait être bénéfique. Selon Goodier22, ce type d’intervention de groupe présente un bon rapport coûts-bénéfices, et peut augmenter le sentiment d’efficacité des parents, réduire la détresse psychologique et le fardeau vécu par ceux-ci.

Limites et conclusion

Il ne s’agit pas ici d’une étude contrôlée permettant d’établir l’efficacité de l’intervention. Il n’est donc pas possible de dire si celle-ci a eu un impact sur l’évolution de la maladie de l’adolescent, la détresse parentale ou le sentiment d’efficacité des parents comme cothérapeute, par exemple. Une autre limite est que l’auteur principal a participé à l’élaboration et à l’animation des groupes.

Néanmoins, il nous apparaît que ce type d’intervention de groupe destiné aux parents d’adolescents avec TCA est réalisable, acceptable et hautement apprécié de ceux-ci.