Article body

PROBLÉMATIQUE ET OBJECTIF DE RECHERCHE

Le droit psychiatrique est le fruit de deux réformes datant des années 1990 : la réforme du Code civil du Québec et de la Loi de protection du malade mental par l’Assemblée nationale du Québec (1994 et 1998) et la création de la partie XX.1 du Code criminel du Canada sur les troubles mentaux à la Chambre des communes à Ottawa (1992)[1].

Le consentement aux soins en droit québécois

Le droit québécois est clair en matière de consentement aux soins : il doit être libre (sans pression) et éclairé (informé) et, mises à part de rares exceptions telles que les situations d’urgence, son obtention est systématiquement requise à chaque acte de soin[2]. Ainsi, le fait d’avoir consenti à un soin n’engage pas le consentement sur le long terme et il est possible de modifier ou de retirer le consentement à tout moment. Le refus de soins, même fatal, doit être respecté. Aucune condition médicale ou statut juridique n’ont de conséquences sur l’obligation d’obtenir le consentement. Il n’existe en outre aucune exception concernant la santé mentale, mises à part les évaluations psychiatriques ordonnées par le tribunal civil en matière de garde provisoire et de garde en établissement[3] et l’ordonnance de traitement d’au plus 60 jours ordonnée par un tribunal criminel en vue de rendre un accusé apte à subir son procès[4].

Le fait qu’une personne soit incapable de donner son consentement ne dispense pas de l’obligation de l’obtenir et il faut alors recourir au consentement substitué donné par un représentant légal ou un proche[5]. Lorsque la personne inapte à consentir aux soins les refuse catégoriquement ou que son représentant les refuse de façon injustifiée, il est possible pour son médecin traitant d’obtenir l’autorisation judiciaire de la traiter contre son gré, si ces traitements sont « requis par l’état de santé » (Code civil du Québec : art 16, 23). Ainsi, l’aptitude à consentir aux soins est présumée et aucun état de santé ou statut juridique (régime de protection, mandat en prévision de l’inaptitude, garde en établissement, non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, inaptitude à subir son procès) n’ont d’effet sur l’aptitude à consentir aux soins[6].

L’objectif double de la partie XX.1 du Code criminel : sécurité et traitement

Le sort des accusés inaptes à subir leur procès ou criminellement non responsables pour cause de troubles mentaux dépend du risque qu’ils représentent pour la sécurité du public, qui doit être « important » (Code criminel : art. 672.54 et 672.5401), de même que leur état mental, leur réinsertion sociale et leurs autres besoins. Les premiers peuvent ainsi être détenus ou libérés sous condition et les seconds détenus ou libérés avec ou sans condition. Il revient aux commissions provinciales d’examen[7] de statuer et de réévaluer périodiquement la situation des accusés. Les commissions siègent dans les hôpitaux et le banc des juges est composé d’un psychiatre, d’un psychologue ou travailleur social et d’un juriste qui préside les audiences[8]. Les psychiatres traitants des accusés doivent comparaître à titre de témoin et présenter une évaluation de l’état mental de l’accusé « afin d’aider à la détermination de la décision à prendre » à son égard (Code criminel : art 672.2).

Les accusés, qui conservent l’exercice de leurs droits constitutionnels et civils dans la limite des conditions imposées par les commissions, doivent pouvoir consentir à leurs soins. L’article 672.55 du Code criminel prévoit à cet effet que les décisions des commissions d’examen « ne peu[ven]t prescrire de traitement, notamment un traitement psychiatrique, pour l’accusé ou ordonner que celui-ci s’y soumette ». Elles peuvent cependant, avec le consentement des accusés, « comporter une condition relative à un traitement ».

La Cour suprême du Canada oppose explicitement punition et traitement, affirmant qu’en matière de troubles mentaux, « fournir [aux accusés] la possibilité de recevoir un traitement, et non le[s] punir, constitue l’intervention juste qui s’impose » (Winko, 1999 : parag. 41). Elle établit ainsi une forme de responsabilité sociale d’offrir aux accusés les traitements « appropriés en fonction de [leur] situation » (Winko, 1999), mais également un lien entre risque et traitement. Des soins sont ainsi nécessaires tant pour « stabiliser l’état mental » des accusés que pour « diminuer le risque qu’[ils] représente[nt] pour la sécurité du public en raison de [leur] état » (Winko, 1999), la sécurité étant mieux assurée par un traitement qu’une détention en établissement correctionnel (Yuen, 2013). La Cour affirme ainsi que l’objectif de la partie XX.1 du Code criminel est « double » (Penetanguishene, 2004) : « la sécurité du public et le traitement de l’intéressé » (Pinet, 2004 ; Conway, 2010).

Ce lien entre sécurité publique et traitement est fondé sur le flou introduit par les dispositions du Code criminel en matière de troubles mentaux. Ainsi, le Code ne définit pas la notion de « traitement psychiatrique », le concept de « traitement » n’apparaissant ni dans les définitions générales ni dans les définitions spécifiques à la partie sur les troubles mentaux (Barrett et Schandler, 2006). De même, le Code interdit aux Commissions d’examen de prescrire ou d’ordonner des traitements, mais permet d’intégrer une condition relative aux traitements avec le consentement des accusés. L’impossibilité pour les commissions d’examen d’imposer des traitements a été confirmée à plusieurs reprises par la Cour suprême (Mazzei, 2006 ; Conway, 2010), notamment pour éviter d’empiéter sur les pouvoirs législatifs provinciaux (Mazzei, 2006). Mais la Cour considère néanmoins que les commissions possèdent un pouvoir de supervision à l’égard du traitement (Mazzei, 2006).

Or la distinction que fait la Cour suprême entre la fixation de modalités contraignantes, la supervision et la prescription d’un traitement s’avère difficile, voire impossible, à mettre en pratique (Zuckerberg, 2011 ; Luther et Mela, 2006), et ouvre la porte à une possible transgression des dispositions provinciales, notamment le consentement aux soins et les exigences spécifiques en matière d’autorisations de soins (Luther et Mela, 2006). L’objectif de cette recherche vise à documenter les discours et les pratiques de la Commission québécoise d’examen en matière de droit au consentement aux soins des accusés sous son autorité.

MÉTHODE

Cette recherche a été menée dans le cadre des activités du chantier 21 – Santé mentale et justice du partenariat de recherche Accès aux droits et à la justice (ADAJ)[9] financé par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada. Elle a fait l’objet d’une collaboration avec le Centre communautaire juridique de Montréal et la Commission des services juridiques et a été approuvée par le Comité institutionnel d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l’Université du Québec à Montréal (CIEREH).

La recherche a été menée par un terrain de recherche ethnographique réalisé entre 2017 et 2019 dans le district judiciaire de Montréal. L’ethnographie est une approche inductive qui mobilise une pluralité de techniques de collecte des données (Hammersley et Atkinson, 2007). Elle est régulièrement employée dans le domaine des études sociojuridiques (Coutin et Fortin, 2015), notamment pour documenter les pratiques judiciaires (Scheffer, Hannken-Illjes et Kozin, 2010). Elle s’avère particulièrement pertinente pour l’étude d’une problématique complexe et controversée (Bernheim, 2020) telle que le droit au consentement aux soins des accusés souffrant de troubles mentaux (Carver et Langlois-Klassen, 2006 ; Luther et Mela, 2006).

Collecte des données

La collecte des données s’est déroulée entre 2017 et 2019 dans le district judiciaire de Montréal.

Observations d’audiences (n = 70)

Les commissions d’examen siègent directement dans les hôpitaux désignés pour l’évaluation ou la prise en charge des accusés déclarés non criminellement responsables ou inaptes à subir leur procès, qu’ils soient généraux, spécialisés ou de psychiatrie légale. Au Québec, une cinquantaine d’hôpitaux dispersés dans toute la province sont ainsi désignés. Avec plus de 2 000 dossiers par année traités par la Commission québécoise d’examen, il n’est pas rare que plus d’un banc de juges siège en même temps dans des hôpitaux différents.

Nous avons assisté à 70 audiences dans 15 hôpitaux montréalais. Ces audiences ont duré d’une heure à une heure et demie chacune. Bien qu’elles soient publiques, nous avons systématiquement obtenu le consentement de l’accusé avant d’y assister. Nous avons mené les observations le plus souvent en binôme. Les audiences se tenant dans des salles à configuration très variable, allant de la spacieuse salle de réunion à un local de rangement réaménagé, nous avons généralement pu nous asseoir en retrait, sur un côté de la salle, mais avons dû, dans certains cas, nous asseoir à la table avec les protagonistes, parfois à côté des accusés. Nous avons pris les notes manuscrites les plus exhaustives possible, le plus souvent durant les audiences, mais parfois de mémoire immédiatement après lorsque le contexte n’était pas propice à la prise de notes au cours de l’audience. Ces notes ont ensuite été transcrites. Nous nous sommes intéressés aux interactions entre les protagonistes, aux discours sur les droits des accusés, sur le risque et sur le traitement.

Selon ce que nous avons observé, seules les personnes impliquées dans le processus judiciaire sont présentes aux audiences de la Commission québécoise d’examen. Sont systématiquement présents les 3 juges, le psychiatre traitant, l’accusé et son avocat s’il est représenté, ce qui est le cas dans la majorité des cas. Un procureur représentant l’hôpital et d’autres professionnels de la santé ou de l’intervention sociale sont régulièrement présents. Un procureur de la Direction des poursuites criminelles et pénales (DPCP) est exceptionnellement présent.

Fiches d’information sur les dossiers judiciaires (n = 191)

Nous avons élaboré, en collaboration avec des avocats de la défense pratiquant régulièrement devant la commission, une fiche d’information sur les dossiers judiciaires (tableau 1). Cette fiche permet de repérer rapidement des informations sommaires sur l’accusé, sur le contenu du rapport psychiatrique et la nature de la décision judiciaire.

Cent quatre-vingt-onze (191) fiches ont été remplies en format papier par les avocats durant l’année 2018, à partir des dossiers en cours. Elles ont ensuite été remises à l’équipe de recherche et les informations ont été saisies dans un classeur Excel afin de produire un portrait descriptif des informations recueillies.

Tableau 1

Fiche d’information sur les dossiers judiciaires

Fiche d’information sur les dossiers judiciaires

-> See the list of tables

Entrevues (n = 14)

Nous avons procédé à 7 entrevues avec des psychiatres et 7 entrevues avec des avocats de la défense régulièrement présents devant la Commission québécoise d’examen. Dans les 2 cas, nous avons procédé au recrutement sur place, lorsque nous faisions les observations. Nous les avons ensuite rencontrés à leur bureau, le plus souvent en binôme. Les entrevues ont duré entre 1 et 3 heures, ont été enregistrées et ont été ensuite transcrites. Les canevas d’entrevue ont été confectionnés suivant les constats faits durant les observations. Les entrevues ont porté sur des considérations de nature générale, sur la Commission québécoise d’examen, le carrefour entre clinique et juridique et l’évaluation du risque. Nous avons également interrogé les avocats sur les caractéristiques de leurs clients.

Tableau 2

Canevas d’entrevue – psychiatres

Canevas d’entrevue – psychiatres

-> See the list of tables

Tableau 3

Canevas d’entrevue – avocats de la défense

Canevas d’entrevue – avocats de la défense

Jurisprudence (n = 100)

-> See the list of tables

Nous avons sélectionné au hasard sur la base de données CanLII 100 décisions de la Commission québécoise d’examen rendues en 2018.

Analyse

Les données qualitatives (observations, entrevues et jurisprudence) ont fait l’objet d’une première analyse inductive visant à faire émerger des catégories permettant une analyse systématique de contenu (Paillé, 1994). L’analyse thématique, menée sur NVivo, a porté sur les thèmes suivants : le consentement aux soins, le risque, le travail relationnel, les attentes vis-à-vis des accusés, les droits des accusés, le mandat et l’utilité de la commission d’examen. Seuls les résultats concernant le premier de ces thèmes seront présentés ici.

Les fiches d’information sur les dossiers judiciaires ont fait l’objet d’un traitement statistique à l’aide du logiciel Excel. Les entrées ont été extraites de manière à établir un portrait sommaire de l’ensemble des informations recueillies par les avocats.

Forces et limites de la recherche

Aucune étude ethnographique n’a été menée à la Commission québécoise d’examen. Les audiences, notamment, n’ont jamais été documentées de manière aussi systématique que dans le cadre de cette étude, en mobilisant une pluralité de techniques de collecte des données. Les données obtenues permettent ainsi d’apporter de nouvelles connaissances sur les pratiques en matière de consentement aux soins.

Des entrevues avec des juges siégeant à la Commission québécoise d’examen auraient permis de compléter avantageusement l’échantillon, notamment en documentant les nuances entre prescription et surveillance des traitements.

Des entrevues avec les accusés nous auraient quant à elles permis d’enrichir nos analyses d’une réflexion sur leur propre perception de la Commission et des contraintes qu’elle représente.

RÉSULTATS

Le traitement au coeur du processus judiciaire

L’analyse de la jurisprudence de la Commission québécoise d’examen montre que la question du traitement y est presque systématiquement discutée. La condition de « se conformer au plan de traitement établi par l’équipe traitante », voire par le « médecin traitant », ou celle de « se conformer aux recommandations de l’équipe traitante », figurent ainsi régulièrement dans le dispositif des décisions[10]. Citant la Cour suprême du Canada dans Winko, Mazzei et Conway, la Commission d’examen conclut par exemple qu’« il est clair que l’étendue du pouvoir de la Commission d’examen de surveiller continuellement le traitement englobe “tout” sauf le fait même de prescrire le traitement à l’accusé » et que « la condition peut concerner le traitement, ou exister en relation avec le plan de traitement déjà établi par l’équipe traitante d’un accusé » (NG, 2018)[11]. Dans 68 % des fiches d’information sur les dossiers judiciaires remplies par les avocats, assurer la prise de la médication est une des raisons du maintien sous l’autorité de la commission, ce que confirme une étude des décisions des Commissions d’examen du Québec, de l’Ontario et de la Colombie-Britannique (Wilson et coll., 2016).

Les observations des audiences de la Commission québécoise d’examen vont dans le même sens : la question du traitement, et plus particulièrement du refus de traitement ou de l’absence de collaboration au traitement, est le thème le plus récurrent des débats judiciaires. Elle a été discutée dans la totalité des audiences auxquelles nous avons assisté. Le président d’une commission explique ainsi à un accusé que « même si [la commission d’examen] ne s’occupe jamais du traitement [elle] s’en préoccupe pour [la] réhabilitation sociale [des accusés] ». Pour un avocat rencontré en entrevue, « la Commission voit son rôle comme étant celui de […] mettre la personne dans une situation telle qu’elle n’a pas de choix réel que de suivre un traitement ». Ainsi, même si la Commission d’examen n’a pas le pouvoir d’ordonner des traitements, elle peut, toujours selon le même avocat, « placer une personne dans une situation où, si elle ne se soumet pas au traitement, elle est ramenée en détention parce qu’elle présente une dangerosité du fait qu’elle ne se soumet pas au traitement ».

Les refus de traitements sont par conséquent associés à une imprévisibilité et à un manque d’« autocritique » qui justifient à eux seuls le maintien sous l’autorité de la Commission. C’est le cas de monsieur Hamel[12], trouvé non responsable criminellement suite à un bris de conditions et sous l’autorité de la Commission d’examen depuis cinq ans. Il est en emploi, dispose d’un appartement et aucun incident n’est rapporté, mais il refuse la médication. Le président de la Commission justifie ainsi la décision des juges d’imposer une libération conditionnelle : « Monsieur, c’est sûr que vous voulez une libération inconditionnelle et, comme vous l’avez dit, il faut que ça s’arrête un jour, mais la question des médicaments inquiète la commission. »

Pour la Commission québécoise d’examen, il n’est pas seulement question de savoir si les accusés prennent effectivement leurs médicaments, mais s’ils les prennent de leur plein gré et s’ils acceptent qu’ils doivent continuer de les prendre lorsqu’ils ne seront plus sous l’autorité de la Commission. Ce qui préoccupe la Commission est donc de savoir s’ils continueront de prendre leur médication sans la contrainte judiciaire et le moindre doute à cet effet est suffisant pour justifier le maintien des accusés sous son autorité. Des négociations sur le type de médicament, la posologie ou le moyen d’administration (per os ou injectable), une autorisation de soins à venir, en cours ou terminée, constituent généralement, pour la Commission, la preuve que l’accusé ne se soumettrait pas au traitement de son plein gré.

Il faut dire que les psychiatres traitants des accusés, témoins principaux devant la Commission, discutent abondamment des besoins et de l’adhésion aux traitements dans leurs rapports. Une étude des rapports psychiatriques soumis en preuve à la Commission confirme que le traitement est parmi les éléments qui y sont les plus développés (Wilson et coll., 2016), les fiches d’information remplies par les avocats sur les dossiers de leurs clients révélant en outre que le quart des rapports mentionne une autorisation de soins à venir, en cours ou terminée. Selon un psychiatre rencontré lors d’une séance d’observation, « il est bon » pour les accusés d’entendre les mêmes recommandations par plusieurs tribunaux, et la multiplication des décisions judiciaires constitue un levier pour les équipes traitantes.

Plusieurs des avocats que nous avons rencontrés expliquent cependant que leurs clients ne comprennent pas bien la différence entre la Commission d’examen et l’autorisation de soins et remettent en question cette surjudiciarisation. Bien que la présence d’un « cadre » semble nécessaire pour certains accusés, l’utilité du recours simultané à plusieurs instances judiciaires n’est pas évidente dans un contexte où les procédures judiciaires s’avèrent stressantes et anxiogènes. Interrogés sur l’utilité clinique de la Commission d’examen, les psychiatres affirment unanimement qu’elle permet en premier lieu de faire une évaluation et d’initier un suivi pour des patients autrement récalcitrants. C’est ce que confirment certains avocats, expliquant que la Commission peut « perm[ettre à certains clients] de rentrer dans le système de santé […] d’avoir les traitements et de prendre conscience [de leur maladie] ».

L’utilité thérapeutique de la Commission québécoise d’examen

Pour plusieurs psychiatres rencontrés en entretien, la Commission constitue un « outil de négociation » à l’égard du traitement : « Il y a un tribunal qui a décidé que vous étiez non criminellement responsable parce que lui, il a estimé que vous aviez une maladie. Puis là on est pris avec cette logique-là. Maladie égale traitement, pas de traitement, pas de prise en compte de la maladie, bien vous allez rester ici ». Ainsi, bien qu’ils cherchent à se mettre à distance d’une posture d’« agents de probation », plusieurs psychiatres expliquent avoir créé des liens avec les postes de police des quartiers des hôpitaux où ils travaillent. Sans recourir aux arrestations, le simple avertissement des policiers permet de « montrer qu’on surveille » et de faire respecter les conditions. Les psychiatres rapportent ainsi que certains de leurs patients « se conforment au traitement » du seul fait de la présence de la Commission, n’ayant donc pas besoin d’aller chercher une autorisation de soins pour eux. Les avocats corroborent ces constats. L’un d’entre eux estime ainsi que nombreux de ses clients « ne sont clairement pas d’accord pour prendre la médication, mais qu’ils le font quand même par crainte d’être ramenés en détention ». Ils évoquent ainsi les pressions exercées sur le consentement aux soins de leurs clients.

Pour l’ensemble des psychiatres rencontrés en entretien, les démarches à entreprendre pour obtenir une autorisation de soins sont longues et ont un effet délétère sur leur travail : « [Au] [m]inimum, c’est une journée : une demi-journée pour présenter le dossier, le constituer, puis une demi-journée de Cour si tout va bien. Tout ce temps-là, je ne suis pas à l’hôpital ». Dans ce contexte, la Commission d’examen est utilisée par certains d’entre eux à des fins de traitement, évitant ainsi non seulement l’ampleur du travail en amont, mais également le cadre procédural plus strict associé à l’autorisation de soins :

« Si on arrive bien à jouer avec le système, on peut s’éviter la lourdeur de la démarche d’une [autorisation de soins] en utilisant le cadre légal de la Commission d’examen des troubles mentaux pour réussir à avoir un plan de traitement dans lequel on a un levier un peu plus important sur le patient. Donc, c’est en ce sens-là que je trouve que la Commission d’examen peut être utile. »

Les psychiatres rencontrés confirment ainsi ce qu’évoque une certaine littérature. D’une part, les démarches judiciaires pour obtenir une autorisation de soins constitueraient un « fardeau » pour les professionnels (Kouri et Philips-Nootens, 2003), contribuant à en décourager plus d’un. D’autre part, certains considéreraient plus facile et plus simple de traiter « les patients sous le coup de la législation fédérale » (Couture-Trudel et Morin, 2007). La Commission québécoise d’examen permettrait ainsi, directement ou indirectement, via l’ambiguïté des conditions ou des pressions exercées par certaines équipes traitantes, de passer outre des refus de soins et d’imposer des traitements psychiatriques. Ce constat soulève la pertinence de mieux comprendre la complexité légale et morale du travail des équipes traitantes en psychiatrie, qui sont souvent partagées entre la responsabilité d’appliquer les mesures coercitives et de construire une alliance thérapeutique avec les patients (Stensrud et coll., 2016). La littérature scientifique récente souligne que les professionnels oeuvrant au sein de ces équipes, démontrant parfois un manque de connaissances des lois locales autorisant l’application de mesures coercitives (Holder et coll., 2018), peuvent outrepasser ce qui est permis par ces lois (Aasland et coll., 2018) et sous-estimer l’importance de la coercition informelle dans leur pratique malgré sa prévalence estimée entre 29 et 59 % (Elmer et coll., 2018 ; Jaeger et coll., 2014). Les résultats de l’ethnographie réalisée à la Commission québécoise d’examen s’inscrivent dans la lignée de ces études et suggèrent l’intérêt de recherches supplémentaires s’intéressant aux usages cliniques de la coercition en psychiatrie légale, et notamment les pressions exercées sur le consentement aux soins. Ils suggèrent également d’étudier plus attentivement la configuration des compétences juridiques requises, développées ou mises en oeuvre par les équipes traitantes oeuvrant auprès de personnes ciblées par la coercition en psychiatrie, dont celles sous l’autorité de la Commission québécoise d’examen.

CONCLUSION

Ces constats sur le consentement aux soins des accusés sous l’autorité de la Commission québécoise d’examen doivent être mis en perspective avec l’un de ses principaux mandats, soit de gérer le risque pour la sécurité du public. Nos observations montrent que les débats devant la Commission, intimement associés à l’adhésion au traitement, conduisent régulièrement à des discussions sur le style de vie d’accusés qui vivent le plus souvent dans la pauvreté ou l’extrême pauvreté (PNT, ntp-ptn.org). État du logement et de l’emploi, fréquentations, habitudes alimentaires et de consommation de drogue ou d’alcool, etc. : les audiences sont des procès des conditions d’existence des accusés plus que de comportements présentant un risque pour la sécurité du public (Sallée et coll., 2022). En l’absence de passage à l’acte ou de faits le laissant présager, il faut se demander quel risque le traitement psychiatrique est censé ainsi contenir (Rose, 1996). Pour le philosophe de la culture Byung-Chul Han (2017), alors que le discours officiel affirme favoriser l’octroi de services plus adaptés pour des accusés aux prises avec une maladie mentale, ces mécanismes juridiques n’auraient dans les faits comme seul objectif que le contrôle, permettant une surveillance de chaque instant.