Abstracts
Résumé
Objectifs En droit suisse, les sanctions pénales comprennent les peines et les mesures. Parmi ces dernières, il faut distinguer les mesures thérapeutiques, destinées en principe au traitement de la personne condamnée, des mesures sécuritaires qui visent prioritairement à protéger la sécurité publique. Les objectifs de cet article sont de porter un regard critique sur l’évolution du prononcé des mesures d’enfermement « thérapeutique » en Suisse et sur le rôle ambigu que la justice pénale fait jouer à la psychiatrie légale dans ses prises de décision.
Méthode L’auteur procède d’abord à un bref rappel historique des mesures pénales de traitement en Suisse et de leur place dans le système des sanctions pénales. Puis, par une étude du cadre légal et des conditions du prononcé des mesures pénales, il mène une analyse critique des mesures thérapeutiques institutionnelles ordonnées à l’égard de délinquants considérés comme souffrant d’un « grave trouble mental », en se fondant sur des décisions judiciaires, leur appui sur les expertises psychiatriques, l’évolution des données statistiques et l’examen de la littérature.
Résultats L’évolution des mesures pénales en Suisse au cours des 20 dernières années se caractérise par 2 tendances fortes : une nette diminution du total des mesures pénales prononcées, mais une forte augmentation de la mesure d’enfermement « thérapeutique » de durée indéfinie (art. 59 CPS). Cette dernière a contribué à l’augmentation de la population des prisons dans la durée, en particulier des personnes détenues âgées de plus de 50 ans.
Conclusion Ces tendances s’inscrivent dans la continuité d’une politique pénale sécuritaire, toujours plus axée sur la gestion des risques et marquée par l’obsession de contrôle des « délinquants à risque ». Dans cette logique, le but de soin des mesures thérapeutiques est supplanté par le but de protection de la sécurité publique. Ceci est problématique puisque les mesures thérapeutiques institutionnelles sont prononcées pour une durée indéterminée et peuvent être régulièrement prolongées. Cet esprit sécuritaire affecte également les interactions entre le monde judiciaire et le monde psychiatrique, dont l’expertise est nécessaire pour le prononcé et pour la prolongation d’une mesure pénale. Ce système fait l’objet de critiques aussi bien d’un point de vue psychiatrique que d’un point de vue juridique, et certains de ses aspects ont été condamnés récemment par la Cour européenne des droits de l’homme.
Mots-clés :
- politique pénale,
- sanctions pénales,
- tendance sécuritaire,
- Suisse,
- mesures thérapeutiques,
- traitement des délinquants souffrant de troubles mentaux,
- expertise psychiatrique judiciaire
Abstract
Objectives This article aims at a critical study of the evolution of therapeutic measures in Swiss criminal law and of the ambiguous role that criminal justice let play to legal psychiatry in its decisions. Swiss law defines as criminal sanctions both sentences (punishment) and measures. Among the latter, a distinction must be drawn between therapeutic measures, aiming in principle at the treatment of the convicted person, and security measures, designed essentially to protect public security.
Method To this end, after a brief presentation of the history of penal treatment measures in Switzerland, the status of measures in the criminal sanctions system is examined, presenting the range of different criminal measures and their evolution in time. Then, the relationship between mental health and justice, in particular the question of institutional treatment of mental disordered delinquents is analyzed, including the criticisms that it raises.
Results The development of criminal measures over the last twenty years is characterized by two general trends: a strong decrease in the total number of criminal measures which have been ordered, and a sharp increase in the number of institutional therapeutic measures (Art. 59 CPS) to which offenders with serious mental disorders have been convicted. This latter increase is in line with a Swiss criminal security policy that is becoming more and more oriented towards risk management and marked by an obsession with the control of “high-risk offenders.” In this logic, the primary aim of treatment for these offenders is supplanted by the aim of the protection of public security. This assumption is particularly tangible since therapeutic measures are not subject to a specific time limit and can be — and in practice are — regularly extended. This obsession with security is also crystallized in the difficult interaction between the judicial and the psychiatric worlds, since expertise is required for the pronouncement and the extension of a criminal measure. The system is criticized as well under a psychiatric as under a juridical point of view, and certain aspects have been recently condemned by the European Court of Human Rights.
Conclusion We can observe that the use of the institutional therapeutic measure has increased, yet departing from its initial purpose, and obeying the movement towards more public security, even though the pronouncement of this measure is open to criticism. It rarely achieves its therapeutic objective, it is regularly submitted to prolongation, and it can lead to a measure of internment or a custodial sentence pronounced jointly, which run counter to the concrete needs of a person with mental health problems.
Keywords:
- criminal policy,
- criminal sanctions,
- security trend,
- Switzerland,
- therapeutic measures,
- treatment of mental disordered delinquents,
- judicial psychiatric expertise
Article body
Introduction
Cet article vise à une réflexion critique sur l’évolution des mesures pénales de soins – dites aujourd’hui « mesures thérapeutiques » – en droit pénal suisse. Elles occupent en effet une place particulière dans l’ensemble du système suisse des sanctions pénales et, depuis le début des années 2000, elles exercent un poids symbolique important dans la politique pénale et pénitentiaire. En matière de relations entre santé mentale et justice, nous approfondirons ensuite la question du traitement institutionnel des troubles mentaux, qui pose divers problèmes liés au rôle ambigu que la justice pénale fait jouer à la psychiatrie légale, ce qui suscite de nombreuses critiques, aussi bien dans les milieux juridiques que dans les milieux médicaux et psychiatriques.
Bref historique des mesures pénales de traitement en Suisse
À la fin du 19e siècle, en pleins débats d’anthropologie criminelle, l’École positiviste italienne appelait à la création de manicomes criminels[1] (Garofalo, 1885 et Ferri, 1892) pour y accueillir les criminels fous et épileptiques, alors que l’École française du milieu social (Lacassagne, 1881) proposait d’enfermer les criminels aliénés dans les asiles psychiatriques existants.
En Suisse, le pénaliste Carl Stooss a publié en 1893 l’Avant-projet de code pénal unifié, dans lequel il a élaboré un système de sanctions pénales qui vise non seulement la punition, mais également des objectifs de prévention de la récidive, de soins et de protection de la population. Stooss a ainsi proposé l’introduction de « mesures de sûreté » prévoyant notamment le placement des personnes irresponsables et des personnes à responsabilité pénale restreinte dans un asile ou un hospice, en remplacement d’une peine (système dit « moniste »), ainsi que le placement des buveurs d’habitude dans une maison de cure, en plus d’une peine (système dit « dualiste »).
À ces propositions de mesures de traitement faites par Stooss, le Code pénal suisse unifié adopté en décembre 1937 a encore ajouté le placement des délinquants toxicomanes en établissement de soin approprié. En 1971, ces mesures de placement en institutions spécialisées ont été complétées par la possibilité donnée au juge pénal de prononcer un traitement ambulatoire des délinquants « anormaux », alcooliques ou toxicomanes, à condition qu’ils ne soient pas dangereux pour autrui. La révision totale de la partie générale du Code pénal suisse, entrée en vigueur en 2007, a consolidé ce système des mesures, en généralisant l’option dualiste, à savoir qu’une mesure thérapeutique doit être ordonnée chaque fois qu’une peine seule « ne suffit pas à écarter les risques de récidive » de la personne condamnée[2].
La place des mesures dans le système suisse des sanctions pénales
Le terme de « sanctions pénales » recoupe à la fois les « peines », les « mesures » et les « autres mesures ». Le tableau 1 ci-après présente l’ensemble des sanctions pénales actuellement établi par le Code pénal suisse[3] et le tableau 2 permet de constater que sur 100 personnes condamnées pénalement en Suisse, plus de 99 % se voient infliger une peine et moins de 1 % est sanctionné par une mesure.
Parmi les « mesures pénales », il faut distinguer :
les mesures « thérapeutiques », qui devraient viser principalement le soin ou le traitement de la personne condamnée, mais dont nous verrons ci-dessous qu’elles sont de plus en plus motivées par l’objectif sécuritaire de gestion des risques de récidive ;
et les mesures « sécuritaires », d’internement de la personne condamnée, pour protéger prioritairement la sécurité publique.
Les mesures thérapeutiques comprennent les types de traitement suivants, qui sont soit institutionnels ou stationnaires (placements en établissement spécialisé), soit ambulatoires et se déroulent en milieu ouvert (ou parallèlement à l’exécution d’une peine privative de liberté) :
Art. 59 CPS : traitement institutionnel des troubles mentaux ;
Art. 60 CPS : traitement institutionnel des addictions ;
Art. 61 CPS : placement des jeunes adultes, âgés de 18 à moins de 25 ans, souffrant de « graves troubles du développement de la personnalité » ;
Art. 63 CPS : traitement ambulatoire des troubles mentaux ou d’une addiction.
Les mesures sécuritaires sont les suivantes :
Art. 64 CPS : internement ordinaire, qui peut être ordonné en cas de crime grave contre l’intégrité physique, psychique ou sexuelle d’autrui et lorsqu’il « est sérieusement à craindre » que l’auteur commette « d’autres infractions du même genre » ;
Art. 123a Constitution fédérale[4] et 64 al. 1bis CPS : internement à vie, qui a été adopté à la suite de l’acceptation d’une initiative populaire fédérale[5] et qui peut être infligé à une personne qui a commis un crime grave avec l’intention de « porter une atteinte particulièrement grave à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle d’autrui », qui présente un risque de récidive « hautement probable » et qui, suite à l’expertise de deux experts psychiatres indépendants l’un de l’autre, a été qualifiée de « durablement non amendable » dans la mesure où une « thérapie semble, à longue échéance, vouée à l’échec »[6].
Conditions du prononcé des mesures pénales et principes d’exécution
Conditions
Pour qu’un juge ou tribunal puisse prononcer une mesure pénale, les conditions cumulatives suivantes doivent être réunies (art. 56 CPS) :
une peine seule ne suffit pas à écarter les risques de récidive ;
l’auteur a besoin d’un traitement (mesure thérapeutique) ou la sécurité publique exige son internement ;
-
les conditions légales spécifiques (des art. 59-61 ou 63-64 CPS) sont remplies ;
le principe de la proportionnalité doit être respecté, à savoir que la justice doit veiller à prononcer la mesure qui porte l’atteinte la moins grave aux droits de la personnalité du condamné et seulement si cette mesure est nécessaire pour prévenir la récidive ;
le prononcé judiciaire de la mesure pénale doit être fondé sur une expertise psychiatrique au moins ;
enfin, dans le cas des placements thérapeutiques institutionnels, un établissement approprié doit être disponible.
Durée
Une caractéristique majeure des mesures pénales est qu’elles sont ordonnées pour une durée indéterminée, contrairement aux peines dont la quotité doit être clairement précisée. La justification en est la suivante : les mesures ayant pour but le soin et/ou la sécurité, il n’est pas possible, au moment du jugement, de prévoir quand elles développeront leurs effets thérapeutiques et/ou de réduction des risques de récidive. Une fois la mesure prononcée, l’évaluation de son impact sur la personne condamnée doit avoir lieu au moins une fois par an. Les mesures de traitement des troubles mentaux ne devraient pas excéder 5 ans, mais, à l’expiration de ce délai, s’il est à « prévoir que le maintien de la mesure détournera l’auteur de nouveaux crimes ou… délits en relation avec son trouble mental », le juge qui a prononcé le jugement de condamnation pourra ordonner la prolongation de la mesure de 1 à 5 ans « à chaque fois »[7], ce qui signifie que le Code pénal ne fixe pas de limite temporelle au maintien d’une mesure thérapeutique des troubles mentaux[8].
Exécution
Pour l’exécution des mesures privatives de liberté (placements thérapeutiques institutionnels et internements), la Constitution fédérale et le Code pénal exigent que soient respectés les principes fondamentaux de la dignité humaine et de la proportionnalité de toute restriction complémentaire aux droits des personnes détenues.
La séparation des lieux d’exécution des peines et des mesures privatives de liberté est exigée (art. 58 CPS). Toutefois, ce principe de séparation n’est pas (ou peu) réalisé en pratique, faute d’établissements de traitement adéquats et parce que l’art. 59 al. 3 CPS permet que le traitement institutionnel des troubles mentaux puisse avoir lieu dans un établissement pénitentiaire ordinaire, ce qui est préjudiciable à tout le système d’exécution des sanctions pénales[9].
Pour des raisons de primauté des soins, l’exécution des mesures thérapeutiques institutionnelles (art. 59 à 61 CPS) précède celle de la peine privative de liberté prononcée conjointement (art. 57 al. 2 CPS). Un plan d’exécution de la mesure et du traitement doit être établi dès le début du placement (art. 90 CPS). S’il s’avère que la mesure thérapeutique institutionnelle a été couronnée de succès, la peine privative de liberté suspendue ne doit alors plus être exécutée.
En principe, l’exécution d’un traitement ambulatoire a lieu simultanément à celle d’une peine privative de liberté prononcée conjointement, sauf si cette dernière n’est pas compatible avec le traitement : dans ce cas, le juge peut suspendre l’exécution de la peine privative de liberté au profit du traitement ambulatoire (art. 63 al. 2 CPS)[10].
Relevons que la notion de « traitement » est entendue de façon très large. Pour le Tribunal fédéral, même « la simple prise en charge de l’auteur dans un milieu structuré et surveillé accompagnée d’un suivi psychothérapeutique relativement lointain constitue un traitement, si elle a pour effet prévisible d’améliorer l’état de l’intéressé de manière à permettre, à terme, sa réinsertion dans la société »[11].
En revanche, pour des raisons sécuritaires, l’exécution de la peine privative de liberté prime celle des 2 types d’internement (« ordinaire » et « à vie »), qui n’ont aucune visée thérapeutique. Cette procédure d’exécution, introduite en 2007 (révision totale de la partie générale du Code pénal suisse) et qui poursuit un but de pure neutralisation d’un « délinquant dangereux » a entraîné une rupture avec le concept de capacité pénale hérité de Carl Stooss et qui marquait une continuité du régime des sanctions dans le Code pénal suisse (Meylan, 2019, 378). En effet, avant 2007, une peine ne pouvait être imposée qu’à un condamné « capable à la peine », c’est-à-dire apte à en comprendre le sens et, si possible, à en tirer parti par son amendement. Désormais, en offrant aux juges la possibilité de prononcer une peine privative de liberté, dont l’exécution va primer, ce qui laisse supposer que la personne condamnée est « apte » à la peine, conjointement avec une mesure sécuritaire d’internement (dont l’exécution suivra) – ce qui signifie que cette même personne est à haut risque de récidive et par conséquent « incapable » de s’amender – le Code pénal a cassé la logique de la capacité pénale.
Évolution des mesures pénales : décroissance statistique contre accroissement symbolique
Comme le montre le tableau 2, il y a eu en Suisse, au cours des 20 années 1995 à 2015, une nette diminution des mesures pénales ordonnées par les tribunaux. En chiffres absolus, on constate une baisse de plus de la moitié du total des mesures prononcées (- 53 % entre 1995 et 2015). Compte tenu de la forte augmentation du nombre total d’adultes condamnés (+ 74 % au cours de cette période de 20 ans), la part des mesures pénales ordonnées s’est réduite en proportion inverse (-73 % en passant de 2,13 % d’adultes condamnés à une mesure en 1995 à seulement 0,57 % en 2015).
En revanche, il y a eu une forte augmentation du prononcé des mesures thérapeutiques institutionnelles à l’égard des délinquants considérés comme souffrant d’un « grave trouble mental » (art. 59 CPS) : ce type de mesure a plus que triplé en 20 ans (+ 244 % d’augmentation) et son importance, aussi bien factuelle que symbolique a beaucoup augmenté. Toutes les autres mesures, qu’elles soient de traitement ou d’internement, ont nettement diminué. La mesure de traitement ambulatoire, d’un trouble mental ou d’une addiction, restait toutefois la mesure pénale la plus souvent prononcée en 2015 comme ce fut constamment le cas depuis 1995. Cette mesure thérapeutique ambulatoire est beaucoup moins incisive sur la liberté de la personne condamnée, ainsi qu’économiquement bien moins coûteuse. Les mesures institutionnelles, privatives de liberté (des art. 59, 60, 61 et 64 CPS, qui ont tout de même concerné 48,7 % des adultes condamnés à une mesure en 2015) impliquent de longs séjours en milieu pénitentiaire.
Bien qu’elle concerne, en chiffres absolus, toujours moins de personnes (en moyenne : 1 070 mesures prononcées par an en Suisse de 1995 à 2000, mais 552 par an de 2010 à 2015 alors que le nombre total d’adultes condamnés a nettement augmenté), la question des mesures pénales revêt une grande importance en raison de ses diverses facettes complexes – juridiques, médicales, sociales – tout particulièrement dans un environnement de politique pénale sécuritaire et de gestion des risques face aux délinquants étiquetés comme « anormaux » et/ou comme « dangereux ». Dans un tel cadre de représentations, la problématique des mesures pénales, quantitativement décroissante, mais qualitativement ou symboliquement toujours plus prégnante, marque fortement les relations de la justice pénale avec les experts psychiatres[16], psychologues, criminologues, puis avec les médecins, le personnel soignant et les agent-e-s de surveillance et d’accompagnement des personnes condamnées[17].
Cette charge que constituent les procédures pénales par lesquelles des mesures sont ordonnées peut être complémentairement illustrée par les éléments qui suivent.
Aspects quantitatifs
D’un point de vue quantitatif, en 2015, la justice pénale suisse a prononcé 112 466 jugements de condamnation (qui ont concerné 102 392 adultes). Sur ce nombre total de jugements, 90 % ont été rendus par des procureurs, qui ont non seulement la maîtrise de toute la phase d’instruction du procès pénal, mais qui disposent en sus de la compétence – critiquable – d’infliger des peines (au maximum, une peine privative de liberté de 6 mois au plus)[18]. Les procureurs n’ont cependant pas la compétence d’ordonner une mesure pénale. En 2015, ce sont donc 10 % seulement des condamnations d’adultes qui ont été prononcées par des tribunaux. Et dans les 11 247 jugements rendus par les tribunaux, 603 mesures pénales ont été prononcées, soit dans 5,4 % de ces jugements. Ces 2 voies de jugement et ces chiffres permettent de constater que ce sont surtout les infractions de gravité moyenne à élevée qui sont jugées par des tribunaux (qui ont seuls la compétence d’infliger des mesures pénales) et que la proportion de jugements qu’ils rendent avec le prononcé d’une mesure (5,4 % soit un pourcentage près de 10 fois supérieur à celui qui ressort du tableau 2[19]) correspond à une image plus réaliste à la fois des degrés de gravité des infractions jugées et de l’importance effective des mesures pénales ordonnées en Suisse.
Aspects qualitatifs
Sur le plan qualitatif maintenant, les procès pénaux dans lesquels des mesures (thérapeutiques ou sécuritaires) sont prononcées sont beaucoup plus chronophages et coûteux. Chaque phase du procès est plus longue et requiert plus de démarches diverses : en phase d’instruction, les magistrats doivent mandater des expertises (forensiques, psychiatriques, criminologiques), qui doivent être communiquées aux parties, qui peuvent exiger des compléments et qui peuvent les contester et en requérir de nouvelles. La phase de jugement donnera souvent lieu à des échanges nourris entre la défense et l’accusation, en particulier quant aux explications et aux propositions faites par les experts ; la rédaction du dispositif et des motivations du jugement sera un exercice plus complexe, qui aboutira quasi systématiquement à des recours. Enfin, pendant la longue période d’exécution de la sanction (où il y a généralement cumul de peine et de mesure), de nombreuses décisions devront être prises, en particulier concernant la libération conditionnelle, la prolongation ou le changement de la mesure. Ces décisions aussi font souvent l’objet de recours, surtout sur des questions d’appréciation des risques de récidive, du degré de dangerosité de la personne détenue ou de l’évaluation du succès ou de l’échec de la mesure prise. À ces diverses étapes, des recours sont souvent déposés jusqu’au Tribunal fédéral (Cour suprême de cassation)[20].
Du point de vue de la gravité des infractions commises par les personnes condamnées à des mesures pénales, nous relèverons :
que les dispositions du Code pénal suisse relatives aux mesures « thérapeutiques » (stationnaires et ambulatoires) ne requièrent pas un degré particulier de gravité, mais parlent d’actes commis en relation avec un grave trouble mental (art. 59 CPS), une addiction (art. 60 CPS) ou un grave trouble de développement de la personnalité (art. 61 CPS) ; en revanche, les 2 normes relatives aux mesures d’« internement » (ordinaire et à vie) énumèrent chacune une liste de crimes liés à des atteintes graves à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle d’autrui ;
en ce qui concerne les dossiers pénaux dans lesquels le Tribunal fédéral a confirmé une condamnation à la mesure thérapeutique institutionnelle de l’art. 59 CPS, nous avons relevé dans un échantillon d’affaires traitées entre 2008 et 2019 : qu’un dossier sur 10 ne concernait qu’une seule infraction (le meurtre de son mari par la condamnée), alors que dans 90 % des cas, les auteur-e-s (dont un tiers de femmes) avaient commis une série de diverses infractions ; que dans 40 % des cas, apparaissaient des atteintes à l’intégrité sexuelle (actes d’ordre sexuel avec des enfants, contrainte sexuelle, viol) ; dans 30 % des cas, des atteintes à la vie (meurtre, assassinat), des atteintes à l’intégrité physique (lésions corporelles), des incendies intentionnels et des infractions contre le patrimoine (vols et dommages à la propriété).
Les arrêts du Tribunal fédéral analysés contiennent peu d’informations liées aux troubles mentaux retenus (associés aux types d’infractions commises, cf. Pondé et coll., 2014) ou aux antécédents judiciaires des personnes condamnées à la mesure de l’art. 59 CPS, ces deux questions ne faisant généralement pas l’objet du recours auprès de la Haute cour[21]. En ce qui concerne les troubles mentaux, sur 10 dossiers traités par le Tribunal fédéral, leur spécificité n’était mentionnée que dans 4 cas : 2 fois pour le diagnostic de schizophrénie (dans un dossier d’atteintes répétées à l’intégrité sexuelle ; et de schizophrénie paranoïde associée à une dépendance à des substances psychoactives multiples dans un cas d’agressions, de lésions corporelles et d’incendies intentionnels), 1 fois celui de sadisme sexuel et de trouble de la personnalité antisociale (dans un dossier de contraintes sexuelles et de viols suivis d’un assassinat) et 1 fois celui de trouble de la personnalité antisociale (chez un jeune homme de 18 ans condamné pour de nombreuses atteintes à l’intégrité sexuelle). Quant aux antécédents judiciaires, ils n’étaient relevés que dans 3 dossiers sur 10 traités par la Haute cour.
Discussion : le traitement institutionnel des troubles mentaux et les critiques qu’il suscite
La Suisse pratique depuis une vingtaine d’années une politique pénale sécuritaire toujours plus marquée par la « gestion des risques », qui s’illustre par un fort accroissement de la punitivité. Ce basculement vers une politique pénale sécuritaire a été soutenu et même renforcé en Suisse par diverses initiatives populaires au niveau fédéral[22]. Dans un tel cadre de représentations politiques et sociales, le rôle des mesures pénales, aussi bien thérapeutiques que sécuritaires, a pris un poids plus important, la demande pressante des milieux conservateurs étant que les peines seules ne suffisent pas à réduire les risques de récidive et que, en présence de délinquants « sexuels ou violents », « dangereux », voire « étrangers », il faut cumuler les peines avec des mesures de surveillance stricte de durée indéterminée.
Impact des mesures institutionnelles
Le tableau 3 montre que malgré la diminution du nombre total d’entrées en prison en Suisse sur une période de 30 ans (de 1985 à 2014 : - 11 %), l’effectif moyen (ou le « stock ») de la population carcérale a été, pendant cette même période, multiplié par 1,5 et que l’impact des mesures pénales privatives de liberté[23] a pesé considérablement dans cette évolution, générant en cascade un fort vieillissement de la population carcérale (Bérard et Queloz, 2015), l’effectif moyen des personnes âgées de plus de 50 ans et exécutant une mesure institutionnelle ayant été multiplié par 6,5. Rappelons qu’entre 1995 et 2015, le prononcé de la mesure de traitement institutionnel des troubles mentaux (art. 59 CPS) a plus que triplé (cf. tableau 2).
De 1985 à 2014, la durée moyenne d’exécution de l’ensemble des mesures institutionnelles a passé de 21 à 51 mois, soit une augmentation de 143 %. En ce qui concerne spécifiquement la mesure de l’art. 59 CPS, une étude (Weber, 2018) s’est centrée sur la population de personnes qui exécutait cette mesure dans un établissement pénitentiaire ordinaire devant disposer de personnel qualifié[24] : en Suisse, en septembre 2014, 288 personnes étaient dans cette situation. L’analyse des dossiers pénitentiaires de 75 d’entre elles a montré qu’en moyenne, elles avaient déjà passé 15 mois en détention avant jugement, puis 5 ans et 7 mois en prison pour l’exécution de la mesure thérapeutique, ce qui fait un séjour moyen total de près de 7 ans en détention (6 ans et 10 mois). Les conditions de leur détention ont été très strictes, avec très peu de sorties accompagnées et pour un certain nombre de ces personnes, la mesure subie a bien plus ressemblé à un internement de sécurité qu’à une mesure de traitement stationnaire. Une autre étude (Freytag et Zermatten, 2019) a permis de constater qu’entre 2008 et 2017, le taux moyen d’octroi de la libération conditionnelle de la mesure thérapeutique institutionnelle de l’art. 59 CPS[25] a été de 8,9 % seulement dans 14 cantons représentatifs des 3 régions linguistiques de la Suisse.
Ces diverses données convergent vers un constat flagrant : la politique pénale est imprégnée en Suisse par l’obsession de ne pas perdre le contrôle des « délinquants à risque ». Cette hypothétique perte de contrôle ou cette crainte, selon l’expression consacrée, qu’un délinquant à risque puisse « sortir des radars », est devenue la hantise des autorités d’exécution des sanctions pénales, sous la pression de groupes politiques et médiatiques conservateurs et populistes.
Critiques juridiques
L’affaire Kadusic est une illustration emblématique de l’utilisation de l’art. 59 CPS comme obsession de ne pas perdre le contrôle d’un « délinquant à risque », puisque cette mesure de prolongation de l’enfermement de M. Kadusic avait été décidée peu de temps avant la fin de l’exécution de la peine privative de liberté de 8 ans à laquelle il avait été condamné[26]. Or, les modalités de cette mesure « thérapeutique » n’ont jamais été mises en oeuvre, M. Kadusic étant resté enfermé dans le même établissement de détention. Les autorités cantonales, puis le Tribunal fédéral ont toutefois rejeté les recours de M. Kadusic, qui se plaignait notamment du caractère illégal de son maintien en détention. En janvier 2018, la Cour européenne des droits de l’homme, considérant qu’il y avait eu violation de l’art. 5 § 1 lit. c CEDH (détention arbitraire), a condamné la Suisse pour les motifs suivants[27] :
le maintien de la privation de liberté de M. Kadusic ne pouvait plus être couvert par le jugement initial, car il n’y avait plus de lien de causalité suffisant entre la peine infligée en mai 2005 et la mesure thérapeutique institutionnelle prononcée en août 2012 ;
l’expertise psychiatrique (de septembre 2008) et le rapport psychiatrique complémentaire (de juin 2010) étaient trop éloignés de la décision d’août 2012 pour légitimer le prononcé de la mesure thérapeutique stationnaire de « troubles mentaux » ;
enfin, M. Kadusic avait été maintenu dans le même établissement de détention et n’avait pas été « soigné dans un milieu adéquat compte tenu de son trouble mental ».
Cette affaire démontre que, contrairement à son intitulé de « traitement des troubles mentaux », le but prioritaire de la mesure de l’art. 59 CPS est de prévenir la récidive du condamné (ce que précise d’ailleurs la norme pénale) afin de protéger la sécurité publique, comme préoccupation devenue omniprésente.
Preuve en est que le Parlement fédéral, contrairement au principe selon lequel la mesure de traitement des troubles mentaux doit être exécutée « dans un établissement psychiatrique approprié » (alinéa 2 de l’art. 59 CPS), a néanmoins admis la possibilité de faire exécuter cette mesure dans un « établissement pénitentiaire ordinaire fermé » (alinéa 3 de l’art. 59 CPS). Cette option légale motivée surtout par des raisons économiques et qui aurait dû rester une exception, est toutefois devenue la règle dans la pratique de l’exécution des sanctions pénales, où elle pose d’innombrables problèmes concrets.
Enfin, une critique constante de la doctrine pénale (Heer et coll., 2018) concerne le fait que la prolongation de la mesure institutionnelle de traitement des troubles mentaux est beaucoup trop fréquente et confine à sa perpétuation, au point que cette mesure est souvent qualifiée de « petit internement ». Comme nous l’avions déjà précisé plus haut, le Code pénal ne fixe pas de limite maximale à la durée de la mesure puisque, au bout de 5 ans, l’art. 59 al. 4 CPS permet de la prolonger de 5 ans en 5 ans tant que cela apparaît nécessaire, adéquat et proportionné. Sur ce point, le Tribunal fédéral se montre trop laxiste et n’exerce pas suffisamment son rôle de surveillance puisqu’il se limite à rappeler de manière très large qu’un « traitement institutionnel dure en principe jusqu’à ce que son but soit atteint, si sa poursuite ne paraît pas vouée à l’échec... »[28]. Une autre pratique de la Suisse a d’ailleurs été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, consistant à prononcer la « mise en détention pour des motifs de sûreté » d’une personne dont la mesure institutionnelle arrivait à son terme sans que l’autorité compétente ait déjà pu statuer sur la demande de prolongation de cette mesure. La Cour a considéré que cette décision transitoire constituait une mise en détention illégale, en violation de l’art. 5 § 1 CEDH[29].
Critiques psychiatriques
Dans cet esprit sécuritaire et de gestion à tout prix des risques de récidive, la justice pénale doit fonder ses décisions de prononcé d’une mesure pénale sur une expertise psychiatrique. Nous avons rappelé ci-dessus que c’est le Code pénal suisse qui exige que le juge ou le tribunal ordonne une mesure pénale (qu’elle soit stationnaire ou ambulatoire) sur la base d’une « expertise » (art. 56 al. 3 CPS) et le Tribunal fédéral a précisé que cette expertise doit avoir été établie par un « médecin spécialisé en psychiatrie forensique »[30]. L’interaction entre le judiciaire et le psychiatrique est donc incontournable, l’esprit de la loi étant que le second doit permettre de garantir la qualité médico-légale de la décision de justice : s’il est clair que le prononcé d’une mesure relève de la seule compétence du juge ou tribunal, diverses voies critiques parlent, pour le moins, du « poids des injonctions judiciaires sur les experts psychiatres » (Gravier et Eytan, 2011 ; Queloz et Delacrausaz, 2017), voire d’une instrumentalisation de ces experts par les professionnels du droit pénal (procureurs, juges, avocats) (Vuille, Parein et Jendly, 2019).
Cette expertise est généralement réalisée pendant la phase d’instruction pénale et ordonnée par le ministère public. Les difficultés qui se posent alors sont notamment les suivantes :
le « grave trouble mental », qui est une condition du prononcé d’une mesure thérapeutique (institutionnelle de l’art. 59 CPS ou ambulatoire de l’art. 63 CPS), est une notion juridique indéterminée, par laquelle les juristes renvoient la balle aux psychiatres dont le diagnostic est rendu plus difficile par le contexte pénal et le poids des actes transgressifs reprochés ;
l’évaluation des risques de récidive pose non seulement des questions de méthode et de dominance des techniques actuarielles[31], mais surtout tend à occuper une place excessive, voire obsessionnelle dans les attentes de la justice pénale ;
en outre, l’expertise psychiatrique ayant habituellement lieu en cours d’instruction pénale, au cours de laquelle prévaut le principe essentiel de la présomption d’innocence, l’évaluation des risques de récidive implique plutôt, au contraire, une sorte de « présomption de culpabilité » quant aux faits reprochés à la personne prévenue ;
une difficulté complémentaire consiste pour l’expert à évaluer ensuite dans quelle mesure un traitement – et quel type de traitement – est susceptible d’avoir un impact positif sur la probabilité d’apparition du risque ainsi évalué. « La nécessaire prudence que dicte ici la rigueur méthodologique se heurte en pratique toutefois aux injonctions judiciaires envers le spécialiste, qui est prié d’être ferme, voire certain dans ses réponses à ces questions » (Queloz et Delacrausaz, 2017). L’exercice atteint en outre ses limites quand le diagnostic psychiatrique est celui de « trouble de la personnalité antisociale », pour lequel il n’existe aucun traitement médical, bien qu’il soit recensé par les manuels diagnostiques des maladies mentales[32] et concerne des auteurs à haut risque de récidive ;
le fait que la majorité des mesures thérapeutiques stationnaires soit exécutée en milieu pénitentiaire ordinaire est aussi vivement critiqué par les psychiatres, qui regrettent cette pénalisation de la maladie (Gravier et Eytan, 2011). « La prison n’est pas un milieu adapté pour prendre en charge la maladie psychique (…) La prison est un lieu pathogène en soi qui peut aggraver des troubles existants » (Gravier, 2019) ;
enfin, une « mesure de traitement institutionnel est vécue par tout condamné comme plus pénible qu’une peine, en raison de son caractère reconductible (…) Dans ce type de situation, l’indétermination du cadre temporel de la mesure thérapeutique est à risque de représenter en soi un frein majeur à une évolution structurante et concourir ainsi au risque de son propre échec… » (Queloz et Delacrausaz, 2017).
Conclusion
La situation et les critiques présentées ci-dessus démontrent que le recours à la mesure thérapeutique institutionnelle de l’art. 59 CPS s’est fortement accru en Suisse, que son poids symbolique est devenu emblématique du tournant sécuritaire de la politique pénale, mais que son efficacité curative et réhabilitative est extrêmement faible.
En réalité, le prononcé de cette mesure pénale mène à une impasse : elle est très rarement couronnée de succès ; elle est régulièrement prolongée plusieurs fois ; si son échec est constaté, elle peut éventuellement être commuée en mesure d’internement[33], sinon elle fera place à l’exécution de la peine privative de liberté prononcée conjointement et « la justice pénale risque ainsi de devenir une instance qui sanctionne l’échec de la thérapie… » (Ferreira et Maugué, 2017). Ceci ne va assurément pas améliorer la situation des personnes incarcérées (et toujours plus âgées) connaissant des problèmes de santé mentale. Demeurent encore les cas où, après le constat d’échec de la mesure thérapeutique déjà prolongée, il ne reste plus de peine de privation de liberté à exécuter, car la durée pour laquelle cette dernière a été prononcée est largement dépassée par la longueur vécue de la mesure… C’est là que (re)surgit l’angoisse de perdre le contrôle de délinquants dangereux.
Comme les autres pays occidentaux, la Suisse a renforcé sa politique pénale dans un sens sécuritaire dès le début des années 2000. Si la justice pénale suisse, en moyenne annuelle, prononce assez peu de peines privatives de liberté (entre 12 et 14 % de toutes les peines par rapport à 86 % de peines pécuniaires), dont 55 % sans sursis et pour des durées peu élevées en comparaison internationale (puisque 6,5 % seulement des peines fermes de privation de liberté sont d’une durée supérieure à 3 ans), notre étude montre toutefois que c’est par un biais a priori inattendu, celui du prononcé de la mesure thérapeutique institutionnelle (art. 59 CPS) que s’inscrivent le plus fortement la pratique et l’obsession sécuritaires en Helvétie. Et cette mesure pénale d’enfermement de durée indéfinie implique malheureusement le système de santé mentale de façon complexe et pernicieuse[34].
Appendices
Notes
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[1]
En italien, le manicomio désigne un hospice pour malades mentaux.
-
[2]
Sauf dans le cas d’une personne déclarée pénalement irresponsable suite à une expertise psychiatrique : en l’occurrence, seule une mesure de traitement peut être prononcée par la justice pénale.
-
[3]
Code pénal suisse ou CPS, dont les dispositions peuvent être consultées sous : http://www.admin.ch/ch/f/rs/c311_0.html.
-
[4]
Le texte de cette disposition constitutionnelle est disponible sous : http://www.admin.ch/ch/f/rs/101/a123a.html.
-
[5]
Initiative sur « l’internement à vie des délinquants sexuels ou violents jugés très dangereux et non amendables », acceptée en votation populaire le 8 février 2004.
-
[6]
En 2013, le Tribunal fédéral (qui a son siège à Lausanne et qui est la plus haute cour pénale, dernière instance de recours en Suisse) a précisé que ce terme de « longue échéance » de la non-amendabilité de l’auteur signifiait « sa vie durant » : ATF 140 IV 1 (du 22 novembre 2013), qui peut être consulté sous : https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/fr/php/clir/http/index_atf.php?lang=fr.
-
[7]
Art. 59 al. 4 et 63 al. 4 CPS, la prolongation de la mesure constituant une « décision judiciaire ultérieure indépendante » (au sens de l’art. 363 al. 1 du code de procédure pénale suisse).
-
[8]
Ce qui est compatible avec la Constitution fédérale et avec la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) tant que l’évaluation du maintien et du bien-fondé de la mesure est faite régulièrement.
-
[9]
Comme le montrent le tableau 3 (statistiques de l’évolution des populations privées de liberté en Suisse) et la Discussion ci-dessous avec les diverses critiques relatives à l’art. 59 CPS.
-
[10]
La pratique récente montre que cette suspension d’une peine privative de liberté au profit du traitement ambulatoire devient toujours plus rare.
-
[11]
La source de la citation est l’arrêt ATF 137 IV 201 (du 5 mai 2011), considérant 1.3, qui peut être consulté sous: https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/fr/php/clir/http/index_atf.php?lang=fr
-
[12]
Les chiffres quinquennaux de 1995 à 2015 sont stables et fiables. Les données de l’année 2020 n’étaient pas encore définitives lors de la rédaction de cet article.
-
[13]
En 2015, 585 adultes ont été condamnés à une mesure pénale ; mais ce sont en tout 602 mesures pénales qui ont été infligées en 2015 (addition des chiffres relatifs à chaque mesure), car le Code pénal n’exclut pas le « prononcé cumulatif » de 2 mesures (comme p. ex. le placement d’un jeune adulte en établissement éducatif et une mesure de traitement médical ambulatoire).
-
[14]
Avant 2007, la mesure de l’art. 59 CPS avait un équivalent, à l’ancien art. 43 CPS, qui permettait le placement institutionnel des « délinquants anormaux ».
-
[15]
La mesure d’internement à vie n’a été infligée qu’une seule fois, par un jugement de 2011 entré en force.
-
[16]
Sur la question des tensions entre juges et psychiatres en Suisse, cf. notamment : Fonjallaz/Gasser, 2017 ; Loup, 2018 ; Vuille/Parein/Jendly, 2019.
-
[17]
Sur la question de la (difficile) collaboration dans l’exécution des sanctions pénales en Suisse, cf. notamment : Heer et al., 2018 ; Queloz et al., 2018.
-
[18]
Il s’agit de la « procédure de l’ordonnance pénale », art. 352-356 du code de procédure pénale suisse (disponible sous : https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/20052319/index.html), contre laquelle le justiciable visé peut faire opposition (ce qui peut entraîner la saisine d’un tribunal). Mais moins de 10 % des ordonnances pénales font l’objet d’une opposition.
-
[19]
Dans le tableau 2, pour l’année 2015, le nombre d’adultes condamnés à des mesures pénales a été de 585, soit 0,57 % des 102 392 adultes condamnés.
-
[20]
En 2015, sur un total de 727 arrêts rendus en matière pénale par le Tribunal fédéral, 42 (soit 5,8 %) ont concerné des mesures pénales. Ce pourcentage est plus élevé que celui que nous avons relevé au sujet de la proportion de mesures pénales (5,3 %) dans l’ensemble des jugements de condamnation prononcés par les tribunaux en Suisse. C’est un signe que la question des mesures pénales occupe toute la chaîne et la hiérarchie judiciaire.
-
[21]
Des données plus complètes figurent dans les décisions cantonales antérieures, mais faute de temps, il ne nous a pas été possible de les rechercher et de les analyser. Quant au site de l’Office fédéral de la statistique, il ne contient pas de données plus détaillées relatives aux personnes condamnées à la mesure de l’art. 59 CPS.
-
[22]
Février 2004 : acceptation de l’initiative populaire sur « l’internement à vie des délinquants sexuels ou violents jugés très dangereux et non amendables » ; novembre 2008 : acceptation de l’initiative populaire pour « l’imprescriptibilité de l’action pénale et de la peine pour les auteurs d’actes d’ordre sexuel ou pornographique sur des enfants impubères » ; novembre 2010 : acceptation de l’initiative populaire « Pour le renvoi des étrangers criminels » ; mai 2014 : acceptation de l’initiative populaire « Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants ». L’acceptation de ces divers textes constitutionnels s’est ensuite traduite par des durcissements punitifs successifs du Code pénal suisse.
-
[23]
Il s’agit surtout de la mesure institutionnelle de traitement des troubles mentaux (art. 59 CPS) et de traitement des addictions (art. 60 CPS) et, dans une moindre mesure, de l’internement ordinaire (art. 64 CPS).
-
[24]
Ce que permet le Code pénal à l’art. 59 al. 3 CPS : cf. les critiques ci-dessous.
-
[25]
La libération conditionnelle de la mesure de l’art. 59 CPS est possible, mais à des conditions strictes. L’une de ces conditions est la présence effective d’un pronostic d’avenir favorable quant à la récidive (art. 62 al. 1 CPS).
-
[26]
En principe, une mesure doit être prononcée conjointement à une peine dans le jugement de condamnation. Mais depuis 2007, l’art. 65 CPS permet le « prononcé ultérieur d’une mesure thérapeutique » tant que la personne condamnée est encore en phase d’exécution de la peine privative de liberté (ordonnée seule lors du jugement).
-
[27]
Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Kadusic contre Suisse du 9 janvier 2018, Requête n° 43977/13.
-
[28]
ATF 137 IV 201 (du 5 mai 2011), considérant 3.2.
-
[29]
Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Affaire I.L. contre Suisse du 3 décembre 2019, Requête n° 72939/16.
-
[30]
ATF 140 IV 49 (du 13 février 2014).
-
[31]
« L’expert doit être conscient des enjeux de son évaluation, des limites du savoir sur cette question et des limites des outils actuels, malgré leur apparence de scientificité » (Moulin et Gasser, 2012).
-
[32]
Notamment CIM-10 F60.2, Personnalité dyssociale ou antisociale.
-
[33]
Ce que permet l’art. 62c al. 4 CPS.
-
[34]
Lehalle (2016) parle d’une « économie morale de l’enfermement », qu’elle a étudiée au Canada et qui s’est globalisée.
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