Les Cahiers de la Société québécoise de recherche en musique
Volume 21, Number 2, Fall 2020 La relève : hors des sentiers battus
Table of contents (9 articles)
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Éditorial. « La relève : hors des sentiers battus »
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Les ressources pédagogiques pour l’enseignement des musiques traditionnelles d’ici et d’ailleurs dans les écoles primaires du Québec
Rita Bélisle
pp. 9–26
AbstractFR:
Les outils pédagogiques pour l’enseignement de la musique dans les écoles primaires du Québec ont suivi les transformations des réalités scolaires, elles-mêmes accentuées par les mouvements migratoires internationaux. Ceux-ci ont amené les pédagogues à développer l’éducation interculturelle qui promeut l’ouverture culturelle et favorise l’égalité des chances pour les élèves de tous les horizons. Cette approche s’est étendue à l’enseignement de la musique, qui se sert des musiques traditionnelles comme moyen d’intégration pour faire découvrir aux élèves des cultures variées et les aider à construire leur identité. Cependant, il semble que les ressources pédagogiques pour ce répertoire soient peu nombreuses ou mal connues des enseignants. Cet article a donc pour objectif de brosser le portrait du matériel pédagogique disponible en français au Québec pour enseigner les musiques traditionnelles d’ici et d’ailleurs. L’analyse du contenu de 850 ressources (manuels, livres, partitions, enregistrements sur CD et vidéos, sites internet et autres ressources électroniques) s’est appuyée sur les critères admis en éducation musicale interculturelle : présence de musiques traditionnelles et région d’origine ; principes de justice sociale, réduction des clichés ethnocentriques ; mise en contexte ; authenticité, arrangements ou métissages ; modes de transmission (partition, oreille ou imitation) ; choix des instruments pour l’interprétation et l’appréciation ; éléments pour guider l’enseignant. Cette analyse a permis de constater que 28,7 pour cent du corpus de départ présente des musiques traditionnelles ou des airs qui en sont inspirés, mais que seulement un dixième remplit tous les critères. Autre constat, plus préoccupant : les musiques d’ici sont sous-représentées, par conséquent les enseignants sont mal outillés pour transmettre ce patrimoine musical.
EN:
Pedagogical materials for teaching music in Quebec’s elementary schools have been influenced by the changes in school realities that have been accentuated by international migration. These changes have led educators to develop intercultural educational practices that promote cultural openness and equal opportunities for students from all backgrounds. This approach has been extended to the teaching of music, using traditional music as a means of integration to introduce students to a variety of cultures and help them construct their identity. However, it seems that teaching resources for this repertoire are scarce, and not well known by teachers. The purpose of this article is to describe the teaching materials, available in French in the province of Quebec, for teaching traditional musics and world musics. The content analysis of 850 resources (textbooks, books, scores, CD and video recordings, websites, and other electronic resources) was based on intercultural music education accepted criteria: presence of traditional musics and region of origin ; principles of social justice, reduction of ethnocentric clichés ; contextualization ; authenticity, arrangements or hybridization ; modes of transmission (score, learning by ear or imitation) ; choice of instruments for interpretation and appreciation ; and elements to guide the teacher. This analysis demonstrated that 28.7 per cent of the starting corpus presents traditional music or tunes inspired by it, but only 1/10 of the corpus meets all the criteria for intercultural music education. More worrisome is the fact that local music (First Nations, Quebec, Canada) is under-represented and, as a result, teachers are poorly equipped to transmit this musical heritage.
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Circonstances de jeu et usages rythmiques d’une pratique et d’un répertoire éclatés : le cas du tambour malbar à la Réunion
Stéphanie Folio-Paravéman
pp. 27–40
AbstractFR:
Le tambour malbar est un instrument qui, à La Réunion, est généralement considéré comme sacré de par son usage principalement réservé au sein des cérémonies religieuses hindoues. Mais depuis une trentaine d’années, cette tradition musicale indo-réunionnaise connaît une certaine expansion de sa pratique et de son répertoire. En effet, l’instrument peut tout aussi bien être utilisé au cours de rituels hindous que dans des circonstances qui s’émancipent du contexte initial strictement religieux.
Dans le cadre de cet article, trois espaces caractéristiques seront abordés en vue d’appréhender les différents ressorts d’une telle pluralité situationnelle : d’une part, le contexte hindou, c’est-à-dire l’espace religieux, sera abordé, pour ensuite investiguer d’autre part le contexte créole, plus précisément l’espace du spectacle avec l’exemple de la troupe « Les Tambours Sacrés de La Réunion » et celui du concert de maloya.
La fonction religieuse à laquelle le tambour malbar est ordinairement rattaché conditionne en grande partie le caractère sacré de cet instrument ; d’après certains informateurs interrogés à ce sujet lors d’enquêtes de terrain menées à La Réunion depuis 2014, ce tambour est en effet non seulement sacré en lui-même, mais également par le rôle qu’il joue au sein du contexte musical rituel : celui de marquer la présence des divinités qui réagissent à son appel.
Dans le recueil des discours, il s’avère que les dires relatifs au sacré de l’objet s’élèvent à plusieurs niveaux. En effet, bien que les rythmes produits dans les divers contextes de jeu soient plus ou moins éloignés de ceux qui sont en usage dans la sphère religieuse, les modes de sécularisation du tambour malbar divise les Réunionnais. Quel(s) sens et quelle(s) valeur(s) revêt le tambour malbar lorsqu’il est utilisé dans l’une ou l’autre des situations observées ? Comment s’en trouve alors affecté le répertoire musical de cet instrument ? L’usage rythmique est-il réellement susceptible de caractériser une certaine circonstance de jeu ? Une fois analysées les spécificités propres aux trois espaces de jeu ci-dessus mentionnés, sera proposée une approche de ces situations musicales par l’étude d’une pratique et d’un répertoire éclatés susceptible de révéler les enjeux identitaires que suscite chacun des usages dont le tambour malbar fait aujourd’hui l’objet à La Réunion.
EN:
The malbar drum is an instrument which, in Reunion Island, is generally considered sacred due to its use mainly in Hindu religious ceremonies. However, over the last thirty years, this Indo-Reunion musical tradition has seen its practice and repertoire expanded. Indeed, the instrument can be used as much during Hindu rituals as in circumstances free from the initial strictly religious context.
Within this article’s framework and with the aim of understanding the various dynamics of this kind of situational plurality, its three characteristic spaces of use will be discussed: first, the Hindu context, meaning the religious space; next, the Creole context, specifically the performance space, using the example of the group “Les Tambours Sacrés de La Réunion”; and finally, the context of the Maloya concert.
The religious function typically ascribed to the malbar drum is largely responsible for this instrument’s sacred nature. According to some sources interviewed on the topic during fieldwork carried out since 2014 in Reunion, not only is the drum itself sacred, it has also become so through the role it plays within the ritual musical context: that of denoting the presence of the deities who respond to its call.
In compiling the narratives, it turns out that statements about the object’s sacredness are made on several levels. While the rhythms produced in various playing contexts are somewhat distanced from those in use in the religious space, the way the malbar drum has been secularized divides the Réunionese. What meaning(s) and value(s) can be attributed to the malbar drum when it is used in one or another of the situations observed? How is its musical repertoire then affected? Is the use of rhythm truly likely to be a trait of a specific playing context? Once the specificities of the three aforementioned playing spaces have been analyzed, an approach to these musical situations will be proposed by examining this fragmented practice and repertoire, which is likely to reveal the identity issues raised by each of the current uses of the malbar drum in Reunion Island.
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L’angklung américain : spectre d’une rencontre coloniale oubliée
Laurent Bellemare
pp. 41–49
AbstractFR:
En 1900, la compagnie américaine J.C. Deagan Company spécialisée en xylophones a breveté l’invention du deagan organ chimes, un carillon d’idiophones en métal plaqué de nickel. Composé d’une série d’instruments détachables et correspondant chacun à une note, l’instrument se joue en faisant trembler chaque unité. Le son cristallin qui en résulte est produit par la vibration de l’air dans de petits tubes d’orgue accordés sur une fréquence et ses octaves supérieures. Aujourd’hui, cet instrument a survécu à la dissolution de sa compagnie-mère comme une curiosité de l’histoire de la facture instrumentale américaine. Toutefois, la conception de l’organ chimes suggère une origine antérieure en raison de sa ressemblance frappante avec l’angklung d’Indonésie, un type de percussion en bambou omniprésent à travers l’archipel sud-est asiatique. Jamais explicitement référencée par la compagnie, la clé de cette rencontre se situe vraisemblablement dans la dissémination des cultures d’ailleurs en Amérique à l’époque coloniale. Cet article tente de rapprocher l’invention de cet instrument avec l’événement majeur qu’a été l’Exposition universelle de 1893 à Chicago. Étant donné le grand impact exercé par le village javanais sur l’imaginaire américain, il est peu probable que la création sept ans plus tard de l’organ chime soit issue d’une simple coïncidence. Paradoxalement, cette invention est rapidement tombée en désuétude au xxe siècle, alors que l’angklung a connu une renaissance en Asie. Appropriation culturelle tombée dans l’oubli, le cas de l’organ chimes permet de repenser le discours historique sur la facture instrumentale et les inventions musicales.
EN:
In 1900, J.C. Deagan Company, an American company specialized in xylophones, patented the Deagan Organ Chimes, a series of nickel-plated metal idiophones. Composed of an array of detachable units, each corresponding to a note, the instrument is played by shaking each unit. The resulting crystalline sound is produced by air vibrating in small organ pipes that are tuned to a frequency and its upper octaves. Today, this instrument has survived the dissolution of its parent company as a curiosity in the history of American instrument making. However, the design of the organ chimes suggests an earlier origin because of its striking resemblance to the Indonesian angklung, a type of bamboo percussion instrument ubiquitous throughout the Southeast Asian archipelago. Never explicitly referenced by the company, the key to this encounter likely lies in the dissemination of cultures from elsewhere in America during the colonial era. This article attempts to link the invention of the Deagan instrument with the major event that was the 1893 World’s Fair in Chicago. Given the great impact of the Javanese village on the American imagination, it is unlikely that the creation of the organ chimes seven years later was mere coincidence. Paradoxically, this invention quickly fell into disuse in the 20th century, while the angklung experienced a renaissance in Asia. As a cultural appropriation that has faded from memory, the case of the organ chimes allows us to rethink the historical discourse on instrument making and musical inventions.
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Discerner les trois types de voix saturées du genre musical métal : les implications sur la recherche
Corinne Cardinal
pp. 51–60
AbstractFR:
Les travaux sur les techniques vocales de chant guttural pratiquées dans la musique métal ne font que depuis peu l’objet de publications. À ce retard s’ajoute un manque de cohésion évident dans la littérature secondaire. En l’absence d’une terminologie efficace, les études tendent à se contredire l’une l’autre. Cet imbroglio obscurcit la connaissance, nécessaire afin de baliser la pratique et d’assurer une maîtrise adéquate de ces techniques vocales. Sans quoi, les apprenti·e·s chanteur·se·s encourent des risques de blessures.
Cet article pose les fondements des trois principales techniques de la voix saturée situées au coeur de la musique métal, soit le growl, le fry scream et le harsh vocal. La compréhension de leurs dissemblances invite à une classification rigoureuse et à une meilleure compréhension de l’instrument vocal.
EN:
Works on metal music’s growl vocal techniques have only recently begun to be published. This delay has been compounded by a clear lack of cohesion in the secondary literature. In the absence of effective terminology, studies tend to contradict each other. This imbroglio obscures the knowledge needed to guide practice and ensure adequate mastery of these vocal techniques. Without this, novice singers risk injury.
This article sets out the basics of the three main saturated vocal techniques at the heart of metal music: growl, fry scream, and harsh vocal. An understanding their dissimilarities motivates rigorous classification and deeper comprehension of the vocal instrument.
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Développement numérique de la communauté rap québécoise : articulation d’un réseau alternatif en réponse à une marginalisation de l’industrie musicale
Héloïse Rouleau
pp. 61–68
AbstractFR:
Dans la dernière décennie, la profonde mutation de l’industrie musicale impose aux artistes le renouvellement de l’offre à travers de nouveaux lieux virtuels désormais fréquentés par les auditeur·rice·s. La communauté rap québécoise, longtemps tenue à l’écart de la culture de masse dans la province, développe depuis déjà plusieurs années des stratégies maximisant ces nouvelles possibilités offertes par le Web. Le présent article met en lumière le rôle structurant joué par le numérique dans le développement du rap québécois francophone au cours des années 2000, alors que ses artistes n’ont eu d’autres choix que d’optimiser les outils de promotion et de diffusion alternatifs.
EN:
In the past decade, the profound mutation of the music industry has forced artists to renew their offer through new virtual spaces henceforth frequented by audiences. Quebec’s rap community, long kept away from the province’s mass culture, has already for several years been developing strategies to maximize the new possibilities offered by the Web. This article highlights the structuring role played by digital technology in the development of francophone rap in Quebec during the 2000s, when its artists had no choice but to optimize alternative promotion and distribution tools.
Comptes rendus
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Ariane Couture, La création musicale à Montréal de 1966 à 2006 vue par ses institutions, Québec, Presses de l’Université Laval, 2019, 257 p. ISBN 9 782 763 746 562
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Kimberly White, Female Singers on the French Stage, 1830–1848, Cambridge, Cambridge University Press, collection « Cambridge Studies in Opera », 2018, 239 p. ISBN 978-1-107-10123-4
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Marie-Hélène Benoit-Otis et Cécile Quesney, Mozart 1941 : La Semaine Mozart du Reich allemand et ses invités français, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2019, 254 p. ISBN 978-2-7535-7598