Dossier

Écriture de la fiction du mondeEntretien avec Noël Audet[Record]

  • Eva Le Grand

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  • Eva Le Grand
    Université du Québec à Montréal

Si j’ai attendu si longtemps avant de me livrer à la prose, c’est sans doute parce que j’ai poursuivi mes études, sans pause, jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans, puis j’ai appris à enseigner au collège Sainte-Marie… Et ensuite nous avons fait l’UQÀM, à partir de 1969. Occupation à plein temps tout le temps. Il convient de dire aussi que le climat marxisant de l’époque rendait la littérature plutôt suspecte. L’action concrète sur le terrain semblait préférable aux détours symboliques de la littérature, qui ne change pas le monde, croyait-on. Nous n’avions pas compris que le contenu révolutionnaire de la littérature n’obéit pas à la même temporalité et qu’il passe par d’autres voies. Il m’aura fallu un séjour en France, de 1976 à 1978, à titre de professeur invité à l’Université de Caen, pour retrouver, au bord de la Manche, à la fois mon enfance et le goût d’écrire. Surtout le goût de raconter des histoires. Quand j’ai rédigé Écrire de la fiction au Québec, c’était modestement pour aider les étudiants qui s’adonnent à la création littéraire. Et curieusement, douze ans après, l’essai se vend toujours, surtout dans les cégeps. Mais je n’ai pas pu résister, surtout dans des entrevues, à une petite polémique sur l’institution littéraire québécoise, en questionnant la place de notre littérature dans les librairies, les prix littéraires, la critique journalistique généralement pauvre, etc. Quelques esprits chagrins l’ont reçue comme critique personnelle. J’avais sans doute raison de le faire, puisque la situation ne s’est guère améliorée, même aujourd’hui. Et puis on n’aura pas apprécié que je rende hommage à la littérature qui se vend (que des collègues déclarent mauvaise par définition, puisqu’elle se vend) — cette littérature aura du moins ouvert la porte des librairies à d’autres auteurs, dont moi-même. Je regrettais à l’époque que l’institution littéraire (surtout la critique et les prix) n’ait pas aiguillé patiemment les écrivains vers la constitution d’une littérature nationale (et non pas une littérature périphérique par rapport à la France), rendant compte de notre culture particulière et de sa croissance en Amérique. Quant à l’écriture, elle peut, elle doit même s’adapter au contenu qu’elle prend en charge. Elle illustre parfaitement le rapport contenu/forme, que décrit Mikhaïl Bakhtine. S’engager dans une forme d’écriture, c’est déjà être dans le contenu. Et de son côté, le contenu, pour se manifester optimalement, exigeait cette écriture particulière. L’écriture constitue le lieu privilégié de l’organisation du contenu, depuis le choix des mots, le ton, le découpage du thème, des sous-thèmes, en passant par les personnages, jusqu’à la partition des chapitres et l’organisation des structures principales. La narration, pour sa part, serait à mes yeux la manière de raconter. Elle contient une bonne part de la séduction de l’oeuvre. Comme dans le conte populaire, elle veille à poser à leur place relative chacun des ingrédients du récit pour en tirer l’effet maximal. Il y a des écrivains conteurs, d’autres plus architectes, d’autres plus philosophes. Pour mon dernier roman, Les bonheurs d’un héros incertain, les choses se sont encore une fois présentées différemment. Puisque le thème principal (le suicide « euthanasique » comme acte de liberté) me paraissait un peu lourd à porter jusqu’au bout, je l’ai couplé au ton humoristique, et j’ai collé les personnages, peu nombreux, au plus près de moi, dans le but, je crois, d’expérimenter la possibilité du thème. De cette manière, j’ai pu me rendre jusqu’au bout du récit. Mais les historiens se contredisent, ce qui m’a sans doute conduit à écrire « mon histoire du Canada » sur le mode humoristique. Dans La terre promise…, j’ai en effet traité les aspects …

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