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Introduction

Cet article vise à dégager certaines structures essentielles de la rencontre et du dialogue avec autrui. Selon l’héritage d’Aristote, l’expérience est supérieure à la connaissance pour agir bien[1]. Il m’a semblé dès lors qu’un travail d’éthique fondamentale sur le dialogue gagnerait à prendre en compte le témoignage et les réflexions de deux personnes qui ont voué leur vie au dialogue avec l’autre. C’est pour cette raison que cet article fait appel à un corpus de textes encore méconnu par la philosophie, ceux de Pierre Claverie (1938-1996) et de Christian de Chergé (1937-1996) qui fut révélé au grand public à la suite du film Des hommes et des dieux. Tous les deux étaient prêtres en Algérie, l’un moine cistercien, l’autre dominicain devenu évêque d’Oran. Ils ont été assassinés durant les années noires, Christian de Chergé en mai 1996, Pierre Claverie le 1er août 1996. Ils ont été béatifiés le 8 décembre 2018[2], non pas à Rome, mais fait peu banal, à la basilique d’Oran avec une représentation significative de personnalités algériennes et de membres de communautés musulmanes. Ces deux auteurs appartiennent à la tradition spirituelle. Leurs réflexions s’inscrivent le plus souvent dans le cadre d’un dialogue entre catholiques et musulmans, même si Pierre Claverie évoque aussi la difficulté de la rencontre entre chrétiens d’origines culturelles diverses, un point souvent négligé par ceux qui ont une image monolithique ou occidentale du christianisme. En effet, l’expression de l’expérience religieuse peut grandement varier pour un chrétien d’Afrique sub-saharienne, du Maghreb, des Philippines, du Proche-Orient, de France ou d’Italie, même au sein d’une même dénomination chrétienne, le cas échéant une paroisse catholique.

Ces deux auteurs croyaient profondément en la nécessité d’un dialogue de vie malgré les tensions et les incitations à la violence que tous subissaient en Algérie. Mais ils ont aussi dû apprendre à quitter leur « bulle coloniale » pour reprendre l’expression de Pierre Claverie ou comme ils le soulignent tous les deux, à accepter de « se désarmer » intérieurement. Leurs textes n’étaient pas en premier lieu destinés à être des articles académiques. Par ailleurs, le travail d’édition est toujours en cours[3], mais il est désormais possible d’étudier sous forme de livre certaines de leurs conférences, homélies, retraites, lettres et chapitres — mot utilisé dans le monde monastique pour désigner ce qui a trait à la vie de la communauté. Certains textes étaient déjà parus de leur vivant dans des livres ou dans des revues ecclésiales, parfois peu accessibles et ils ont été republiés dans des recueils faisant maintenant l’objet de commentaires et d’études théologiques[4]. Ce présent article s’inspire principalement de plusieurs conférences de Pierre Claverie publiées dans Humanité plurielle et Petit traité de la rencontre et du dialogue[5]. En second lieu, il se nourrit du recueil d’articles de Christian de Chergé, publiés dans L’invincible espérance[6]. Ces écrits seront utilisés pour mettre en évidence des points qu’il importe d’approfondir en philosophie. C’est donc l’analyse du dialogue existentiel et le respect de la différence de l’autre, ainsi que leurs exemples concrets qui nourriront les thèses développées.

À ceux qui objecteraient qu’utiliser des sources spirituelles s’oppose à la méthode philosophique, il est bon de rappeler que très souvent la philosophie contemporaine, férue de rationalité analytique, se trouve beaucoup moins sourcilleuse lorsqu’il s’agit de faire appel à des expériences de pensée (thought experiment) imaginées à partir de la science-fiction[7]. Le présent article ne débattra pas de ce qui est rationnel ou non. Cependant, il ne retiendra des sources mentionnées qu’une approche d’éthique fondamentale. Même si certaines précisions d’ordre théologique seront brièvement mentionnées par souci d’intelligibilité, il ne cherchera pas à analyser leurs œuvres en tant que telles et il mettra volontairement entre parenthèses la question du rapport à Dieu, même si ce thème irrigue constamment leurs écrits et leurs finalités. Christian de Chergé est très clair sur le fait qu’il n’entend pas rencontrer l’autre musulman dans une humanité expurgée de toute relation à Dieu[8]. On pourra m’objecter que je fais dès lors violence à leurs écrits. Toutefois, il m’apparaît que si le dialogue de religieux avec des musulmans et des musulmanes en terre d’islam implique forcément un rapport à Dieu, il reste néanmoins possible d’extraire de leurs discours ce qui reste valable dans tout dialogue dans des contextes très différents, que l’interlocuteur soit croyant ou non. C’est pourquoi, je laisse à d’autres auteurs le soin de montrer la dimension théologique et la visée eschatologique du dialogue existentiel dans leurs écrits.

Cette source spirituelle sera dès lors utilisée pour développer le thème de la présence et de la rencontre existentielle dans le dialogue. Le point essentiel de cet article consistera à montrer que le dialogue ne se base pas d’abord sur la recherche du meilleur argument pour convaincre l’autre, mais il trouve son point de départ dans l’écoute de l’autre, la soif de le rencontrer. Une telle orientation se situe à l’encontre des visions du dialogue dont le but serait justement, soit de prouver à l’autre que nous avons raison, soit d’abdiquer de notre réalité propre si l’autre venait à gagner ce « jeu “des raisons” », mais parfois, ô combien déraisonnable. Il s’inscrit à l’aune d’un dialogue communicatif et non polémique, pour reprendre la distinction de P. Ricoeur[9]. Cette rencontre avec l’autre implique aussi la recherche de la vérité, mais une vérité existentielle et non abstraite, tournée vers la personne et la vie d’autrui et non seulement vers ses idées.

Il sera question du dialogue tel qu’il peut se produire entre des personnes qui acceptent de se faire confiance et de prendre un risque. Ce risque est celui de la rencontre avec quelqu’un qui est forcément différent de nous-mêmes, puisque nous sommes tous profondément différents, mais certaines différences, par exemple, de culture, de religion, peuvent aussi sembler plus « abyssales » que d’autres. Je commencerai donc par revisiter le thème de l’altérité et je me tournerai dans un deuxième temps vers « l’attitude de réceptivité ». Je chercherai ensuite à montrer que cette attitude de réceptivité ne conduit pas à renoncer à ses convictions profondes, mais à laisser une brèche s’ouvrir. Le thème des convictions non contraignantes constituera dès lors le troisième point de cet article. Comme cet accueil de l’autre implique aussi une attention à la corporéité, je parlerai quatrièmement de l’attention à la gestuelle. Ensuite, à la lumière de la thématique du semblable et de l’altérité, je reprendrai au niveau théorique la question épistémologique du jugement, de l’impératif, de l’imagination et de la connaissance. Ces développements me permettront de revenir alors sur le thème du dialogue de mots pour enfin préciser quelques conditions qui favorisent le dialogue. J’évoquerai enfin son soubassement politique.

I. L’altérité et l’humanité commune

Quel est le point de départ du dialogue ? Pierre Claverie commence son essai Petit traité de la rencontre par des réflexions sur la nécessité de l’ouverture, suivies immédiatement par un aveu que la rencontre avec autrui est difficile et qu’elle implique une reconnaissance de nos différences et de l’altérité d’autrui. Dans Humanité plurielle, il déclare : « Le premier pas du dialogue consiste donc à ouvrir les yeux pour voir l’autre dans son altérité et à concevoir qu’il peut y avoir des espaces humains différents qui sont cependant humains[10] ». Il invite dans le même sens à une cohabitation « dans » la différence et non seulement « au-delà » des différences[11]. Car, déplore-t-il, « nous cherchons sans cesse à réduire la différence et l’altérité en les ramenant, de gré ou de force, au semblable et au même, en les rendant conformes à ce que l’on est ou ce que l’on veut que les autres soient, en se les annexant ou en les asservissant[12] ».

L’autre reste toujours autre que moi, dans son altérité. Le mouvement essentiel du dialogue, selon Pierre Claverie, consiste précisément en cette reconnaissance de la différence, de « l’altérité ». Il ne saurait être question d’atteindre une humanité commune, immédiatement, en la dépouillant de « ses marques historiques, charnelles, concrètes[13] ». En ce sens, l’auteur médite sur les différences de perception à partir du sens de la vue, mais aussi sur les différences de perceptions géographiques, de lieux, d’intimité. Il insiste sur la façon dont les villes, les maisons peuvent être construites diversement dans telle ou telle culture, sur le rapport au groupe, sur la proximité physique qui varient beaucoup d’une culture à l’autre, etc.

L’acceptation des différences implique déjà un « travail » sur soi, puisqu’il s’agit de nous connaître nous-même, de repérer nos affects de défense tout en étant capables de sortir de nos ghettos. Il s’agit de reconnaître les différences d’autrui, sans les nier ni les juger, et encore moins les stigmatiser.

Je parle à partir de la situation qui est la mienne, de ma personnalité, avec mes richesses et mes pauvretés et je dois essayer d’être présente à la réalité de cet autre qui vient à ma rencontre et à la rencontre duquel je vais, et avec lequel je commence à dialoguer. Il s’agit de connaître quelles sont les habitudes ancrées que nous avons reçues à cause de notre milieu familial, de nos études, de notre culture, de notre façon d’organiser l’espace, voire de nos traditions religieuses, etc., qui, pour nous, vont de soi alors que cet héritage fondamental peut être très différent pour une autre personne. À cet égard, il n’est pas inutile d’ajouter que cette différence peut également être perturbante lorsque nous parlons la même langue, car nous pouvons trop facilement prendre pour acquis que nous sommes semblables. Il suffit de penser aux différentes connotations associées au tutoiement ou au vouvoiement dans la francophonie, qui varient selon les pays, les régions, les milieux et les coutumes.

Par ailleurs, il n’est pas inutile d’ajouter que même dans notre région de naissance, il peut être plus facile d’accepter des différences dites « exotiques », et de parler une langue étrangère, mais de ne pas voir que nous pouvons aussi rejeter l’autre qui nous ressemble (moins exotique), car nous n’acceptons pas ses différences. Par exemple, dans certains milieux sociaux, une différence vestimentaire sera mieux acceptée si elle reflète une autre nationalité, ou culture, mais dans la mesure où elle provient d’un milieu social déprécié, elle sera malheureusement tout à fait honnie.

C’est donc ce travail sur soi d’ouverture et de reconnaissance des différences qui importe, car le risque demeure grand de ne pas s’ouvrir à autrui et de ne pas oser regarder les différences qui peuvent nous séparer, en les relativisant, en les gommant trop facilement. Un autre risque, non moins délétère, serait d’être incapable de ne pas reconnaître l’humanité essentielle d’autrui, de ne pas voir sa capacité d’aimer, sa recherche du vrai et du juste. Ces auteurs insistent également sur l’ouverture à la transcendance.

Il s’agit d’accueillir l’autre, différent de moi, mais aussi humain comme moi. Pierre Claverie souligne en effet le danger de déshumaniser l’autre qui n’est pas comme nous. Il préconise également de ne pas oublier les questions communes qui nous habitent et qui sont une clé indéniable du dialogue afin de ne pas rester dans des monologues. Dans le même ordre d’idées, Christian de Chergé observe que le dialogue est le fruit d’un long vivre-ensemble, « et de soucis partagés, parfois très concrets[14] ». Cette reconnaissance d’humanité commune me paraît fondamentale et la section sur le jugement d’humanité l’approfondira. Mais cette humanité, plurielle, implique toujours une reconnaissance que cette similitude, ancrée dans une humanité commune, n’équivaut pas à une mêmeté.

Par ailleurs, il est intéressant de remarquer que Christian de Chergé souligne la nécessité d’aller vers une parole commune. Pierre Claverie rappelle, quant à lui, avant toutes choses, l’importance de reconnaître nos différences de perception. Ces deux points de vue ne sont pas antinomiques. Il faut à la fois ne pas attendre de l’autre qu’il soit nous, et arriver à se laisser interpeller par ses différences, mais aussi essayer, autant que faire se peut, de rejoindre l’autre, de se rendre présents, de se mettre à son service et ultimement de tendre vers une communion[15]. Pierre Claverie semble davantage insister sur le point de départ du dialogue existentiel, les difficultés de celui-ci et l’acquiescement à la différence d’autrui. Christian de Chergé, quant à lui, regarde davantage la rencontre avec l’autre à partir du point d’arrivée théologique. Le but ultime eschatologique est pour lui la communion avec le prochain dans la vision béatifique du Dieu Amour. Cette espérance est liée à son expérience propre, car lorsqu’il était séminariste en service militaire en Algérie, Mohamed, un ami garde-champêtre, a pris sa défense verbalement lors d’une altercation avec des combattants pour l’indépendance de l’Algérie. Cette prise de position a coûté la vie à son ami musulman, père de famille nombreuse, retrouvé égorgé le lendemain[16]. Christian de Chergé reviendra plusieurs fois sur cette expérience, non seulement parce que son amitié avec Mohamed avait déjà eu un impact sur sa vie de prière avant l’assassinat, mais aussi parce qu’il fera de cet événement un élément-phare de la compréhension de l’amour du prochain donné par un musulman à un chrétien, de la communion dans la différence[17]. Christian de Chergé intitulera d’ailleurs un de ses articles de la manière suivante : « Chrétiens et musulmans, nos différences ont-elles le sens d’une communion[18] ? »

II. Une attitude de réceptivité

Ces réflexions sur l’ouverture et les différences sont les premières assises d’« une attitude de réceptivité ». Pierre Claverie rappelle l’image grecque de la perfection donnée par Parménide et il l’applique pour illustrer le dialogue a contrario. Je le cite : « Or c’est comme deux boules de billard : elles arrivent, elles se rencontrent, se choquent et s’écartent. S’il n’y a pas un minimum de vulnérabilité, une brèche quelque part, une brèche assumée, alors nous pouvons être parfaits, nous ne communiquons rien[19] ». De fait, si nous nous positionnons face à l’autre dans une attitude d’autosatisfaction, voire même de supériorité, nous ne pouvons pas réellement entrer en dialogue avec lui.

Dans le dialogue, il ne s’agit pas seulement d’apporter le meilleur argument, voire même d’offrir le meilleur de soi, au niveau existentiel. Le dialogue demande de reconnaître nos limites, nos fragilités, pour être à l’écoute de l’autre, de sa réalité. La sphère ne peut pas rencontrer une autre sphère. Il n’y aura pas de point de rencontre. Il faut une certaine soif pour aller vers l’autre, l’écouter, se faire présent et donc nécessairement une certaine pauvreté, une disposition intérieure, aux antipodes de la suffisance, qui reconnaît ses manques et ses faiblesses. Pierre Claverie remarque encore : « La pauvreté nous met en état de désirer, de désirer apprendre, de désirer connaître, de désirer découvrir quelque chose des autres. C’est le contraire de la suffisance, l’attitude de ceux qui n’attendent rien de personne […][20] ». Nous voyons donc que la démarche ne saurait aucunement consister en un désir de dialoguer avec l’autre pour renverser son point de vue. Le dialogue est animé par la réalité de l’autre qui nous interpelle.

Il importe néanmoins d’insister sur le mot « pauvreté », car l’attitude à développer est celle d’une ouverture à ce que l’autre porte en lui. Trop souvent les caricatures de la bienveillance ont conduit à la penser comme un « faire le bien » à autrui, or c’est aussi pouvoir recevoir d’autrui, l’accueillir, être saisi par sa réalité propre. En ce sens, l’Éthique à Nicomaque offre une image très éclairante de la bienveillance (εὔνοια), à savoir celle du spectateur se prenant d’affection pour l’athlète et lui souhaitant à tout prix de gagner[21]. Il suffit d’imaginer l’admirateur enthousiaste, assis dans l’arène, se levant pour stimuler la victoire. Cette image illustre le fait que la bienveillance conduit à se laisser saisir par la réalité de l’autre, elle nous soulève, elle nous pousse à encourager autrui à donner le meilleur de lui-même dans sa réalité propre. Le modèle reste celui d’un dialogue où chaque personne est considérée comme un partenaire responsable. Or ce mouvement n’est possible que s’il y a chez nous de la place pour l’autre. Encore une fois, cette vision de se laisser attirer par autrui est aux antipodes d’une sphère parfaite ou d’une charité condescendante. Loin de tout prosélytisme, préoccupé de changer l’autre, l’attitude est celle d’une bienveillance, à l’affût de découvrir autrui et de nouer une amitié avec lui. Pierre Claverie mentionne la nécessité d’avancer vers l’autre à visage découvert, en jetant bas nos masques et en ne tenant plus compte des masques des autres. Abandonner peu à peu nos jugements et « nos prétentions sur les autres quels qu’ils soient[22] ». Refuser l’attitude du duel[23]. Chez Christian de Chergé et Pierre Claverie, l’accent est également mis sur la reconnaissance d’être à la fois pécheurs et complices du mal[24], mais aussi dignes d’être sauvés par l’Amour. Il ne s’agit donc pas de vouloir convertir l’autre à sa propre religion, puisque la première personne qui a besoin de conversion c’est soi-même. Une telle attitude, selon Christian de Chergé exorcise « les relents de prosélytisme[25] ».

III. Des convictions non contraignantes

L’ouverture à la différence d’autrui qui recèle une certaine pauvreté de notre part, n’implique cependant pas de renoncer à notre identité ni à nos convictions les plus personnelles. Je défendrai en ce sens l’idée que le dialogue conduit à s’enrichir des différences mutuelles, mais aussi à approfondir nos convictions les plus profondes, même si nous pouvons progresser et remettre en question telle ou telle de nos façons de voir les choses. Autrement dit, un dialogue nécessite pour chacun des deux protagonistes des convictions intimes et celles-ci devront être partagées mais de façon à ne pas chercher à contraindre l’autre, ni à l’influencer ou à vouloir le persuader. A contrario, le modèle de l’argument le meilleur conduit parfois à penser qu’un dialogue sera réussi si l’un parvient à convaincre l’autre et que par conséquent un changement de vie devra s’opérer puisque le perdant, obligé de reconnaître son tort, devra renoncer à son point de vue. Or loin de ce modèle binaire, ou noir ou blanc, le dialogue est réussi — comme j’aime à l’appeler un dialogue « existentiel » — lorsque les convictions peuvent être, suite au dialogue, plus épurées et enrichies par la découverte de l’autre.

Il est possible d’être en profond désaccord, car le dialogue ne consiste pas à ce que l’un des deux en vienne à renoncer à ses vérités ou à ses croyances. Le dialogue n’a pas non plus pour but ultime que les deux interlocuteurs modifient profondément leurs certitudes pour arriver à un compromis. Le dialogue sera réussi si l’un et l’autre peuvent comprendre le point de vue de l’autre, si tous deux arrivent à se laisser toucher par l’autre. Les deux personnes peuvent ainsi non seulement découvrir une autre réalité mais aussi approfondir davantage le sens des convictions qui leur sont propres, tout en reconnaissant la richesse d’un autre point de vue. Une telle attitude oblige à se livrer soi-même et donc à oser révéler une part de ses convictions intimes. Comme l’exprime Pierre Claverie, « la force de la conviction se partage par le témoignage et elle inclut le respect de la conviction des autres. Plus encore, elle s’enrichit de la part de vérité que peuvent apporter les autres[26] ». C’est en ce sens également que l’adjectif « existentiel » importe, car le dialogue existentiel devrait permettre de se livrer à l’autre et non seulement de communiquer des idées. Nous pourrions ajouter que l’ouverture à autrui implique d’être mesurée par la sagesse pratique, prudentielle, car il est très douloureux de se donner à quelqu’un qui ne nous accueille pas. Mais il y a toujours un saut à faire, d’où l’image, utilisée par ces auteurs, de se désarmer devant autrui[27]. Le symbole de l’absence d’armes ou d’armures renvoie à la possibilité de la blessure. Loin de toute naïveté, il s’agit d’assumer que le don implique nécessairement le risque d’une perte. Ce risque est pourtant pleinement assumé par Christian de Chergé et Pierre Claverie. Le dialogue, chez eux, s’inscrit directement dans le don de leur vie. Le choix du don sera présent jusque dans le testament spirituel de Christian de Chergé, un des textes les plus connus de celui-ci. Il y évoque la possibilité d’être assassiné, mais rappelle à ses proches que sa vie est donnée pour les personnes en Algérie et par fidélité à sa vocation[28].

Cependant, une tension se fait jour. D’une part, j’ai souligné la non-suffisance à soi et la reconnaissance d’une certaine pauvreté face à l’autre. D’autre part, il me semble important de ne pas en conclure qu’il faille dès lors renoncer à son identité propre. Il est possible au contraire d’avoir des « convictions profondes » mais « non contraignantes ». Ces convictions ne sont pas comme des citadelles inébranlables mais le fruit d’une maturation qui ne se dit jamais qu’elle a atteint définitivement son but. En ce sens, une phrase que Pierre Claverie cite en l’attribuant à saint Augustin est particulièrement frappante : « Si tu dis c’est assez, tu es mort[29] ». Or cette assertion qui le guide pour parler de la pauvreté du coeur me semble également valable pour l’identité du soi et pour la rencontre avec autrui. Je peux avoir une assise forte, mais ouverte, sans pour autant m’auto-suffire. Pierre Claverie rappelle l’importance de se laisser bousculer et désinstaller de nos positions acquises, mais il ne manque pas de puiser dans ses propres convictions, que sont pour lui la parole de l’Évangile. Il y voit une invitation qui « nous pousse en avant à sortir encore de nous-mêmes, de nos préjugés, de nos certitudes acquises à bon marché, de nos positions tranchées et exclusivistes, de notre sourde et profonde volonté de puissance[30] ».

Lorsque quelqu’un est apaisé dans son identité, sans complexes ni narcissisme, il n’a pas besoin de se replier sur elle, d’exclure l’autre ou de chercher à lui imposer qui il est. Comme le souligne Pierre Claverie en commentant un extrait de Martin Buber[31] sur le souci véritable des autres dans le dialogue véritable : « […] je dois convenir que l’autre est un sujet et non un objet à posséder, à annexer, à écarter, ainsi la domination de l’autre, son exploitation ou son exclusion empêchent évidemment toute relation[32] ».

Un repli identitaire pourrait conduire a contrario à des convictions « contraignantes » et au non-respect d’autrui. Pierre Claverie est bien conscient que ce danger touche plus particulièrement « les hommes de conviction, de religion et de parti » et qu’il se manifeste de façon criante lorsque ceux-ci prennent le pouvoir[33]. Sans doute les philosophes ne sont-ils pas exempts de ce travers. Dans un autre contexte, Pierre Claverie ne manquera pas de souligner les manquements de l’Église catholique à travers l’histoire par rapport à la liberté de conscience. Il déplore ses trop nombreuses injustices, notamment ses fréquentes confusions entre le religieux et le politique, entre mission et volonté d’expansion[34], ainsi que « ses manques de respect de la dignité des personnes, des cultures et des autres religions[35] ». Cependant, tout en dénonçant ses travers, il ne la limite pas à ceux-ci et il mentionne qu’il y a toujours eu des personnes pour rappeler l’essentiel du message évangélique[36] du pardon et de la réconciliation et qui ont voué leur vie à la promotion humaine selon toutes ses dimensions. Il ne cesse de chercher dans son allégeance des « points d’appui » du respect des droits humains et du dialogue avec l’autre. Il ne rejette aucunement sa sphère d’appartenance, même s’il en reconnaît les failles et en déplore les fautes. Il souligne les difficultés et la beauté de l’Église en Algérie après l’indépendance, une Église de la réconciliation, sans prétention et pauvre[37]. Christian de Chergé procède de la même façon. Il ne cesse de puiser dans le coeur de sa foi chrétienne une raison pour accueillir l’autre dans un respect entier de sa différence à laquelle il voue une attention sans répit par l’amitié, le service, et l’étude.

IV. La gestuelle[38]

Un autre point qu’il importe d’examiner concerne l’attention à l’autre au niveau corporel, non verbal, même si certains dialogues peuvent se produire au téléphone, sur internet, sans qu’il n’y ait une présence physique. Je peux entrer en contact avec autrui, l’agresser ou l’accueillir par un simple regard, par un froncement de sourcils, mais même aussi par la façon dont j’ouvre la porte. Le dialogue avec autrui ne s’établit pas seulement avec des mots. Pierre Claverie relève l’importance des actes : « […] se réjouir avec ceux qui sont dans la joie, être affligé avec ceux qui sont affligés[39]. Très souvent il arrive qu’il n’y ait pas de place pour les mots, mais les “actes” parlent souvent mieux que les mots[40] ». Il préconise d’écouter plus et de parler moins[41]. Il rappelle de ne pas oublier de communiquer par le regard, par les gestes, par une attitude accueillante et attentive, même muette.

Prendre le temps d’être présent à l’autre avant d’échanger avec lui semble nécessaire : le regarder, lui sourire, être attentif à ce qu’il vit, à ses signes de fuite, de repli ou d’accueil, mais aussi me rendre attentive à mes propres réactions, défensives, et émotions. À ce niveau-là aussi, nous aurions tort de croire que nos perceptions sont les mêmes. Et il nous arrive fréquemment de faire de faux pas sans nécessairement comprendre où le bât a blessé.

Cet apprentissage des signes, corporels, non verbaux, est difficile. Vous revoyez des personnes connues. Faut-il leur donner la main, les embrasser, leur donner l’accolade (le fameux hug américain) ? Certaines hésitations nous font sourire ou rire, lorsque nous sommes dans un climat fraternel. Mais d’autres refus de gestes, dans d’autres contextes, peuvent nous agacer. Cette dame, de culture « autre », que vous avez accueillie et qui refuse de donner la main à votre père ou à votre conjoint, car ils sont des hommes, est-ce que son attitude ne vous irrite pas ? Allez-vous parvenir à dépasser votre crispation ? Allez-vous entamer un dialogue ou feindre l’indifférence, car c’est un terrain sur lequel vous ne voulez tout simplement pas vous aventurer ?

V. Le jugement d’humanité et l’impératif éthique

J’ai mis en avant les points de départ du dialogue, le rapport à l’autre comme mon semblable et l’acceptation de ses différences. J’ai montré l’importance de développer une attitude de réceptivité, sans pour autant nier nos convictions intimes, dans la mesure où nous pouvons maintenir nos convictions sans les imposer à autrui. L’importance de la corporéité à travers la gestuelle a été rappelée. J’aimerais dès lors me tourner vers la question théorique du rôle du jugement dans le dialogue. Le terme « jugement » est à entendre, non pas dans le sens d’un préjugé, mais dans le sens épistémologique d’une assertion forte qui porte sur l’existence d’autrui, affirmant que l’autre est, mais aussi qu’il est un être humain. Je peux en effet affirmer qu’il est, mais cette feuille aussi est, existe. Or ce n’est pas de cette forme de jugement dont il s’agit dans le dialogue. Le jugement d’existence affirme l’existence d’autrui, mais il s’agit en outre de reconnaître son humanité et sa dignité. Or c’est justement ce jugement d’humanité qui me semble fondamental. L’autre est mon semblable, malgré les différences palpables. La question de la similitude et de la différence a été traitée au début de cet article. Mais il paraît tout aussi crucial de faire de ce jugement « affirmant l’existence d’autrui comme être humain » un impératif éthique, qui implique une responsabilité pour autrui, un respect et un souci d’autrui. Face aux différences criantes, il importe de maintenir le jugement éthique qui implique de respecter tout être humain parce qu’il est humain. Ce respect de l’humain constitue donc bien le socle de l’éthique et reste la condition de possibilité de tout dialogue.

Sans ce fondement, le but de la discussion peut facilement devenir de maîtriser l’autre, de l’écraser, ou de l’assimiler à soi par une forme d’emprise, de lui faire accepter ce qui nous semble meilleur sans aucun égard pour son mode propre ou sa vie propre. Une telle attitude est à la source de différentes déviations possibles, de formes d’emprise psychologique, intellectuelle, voire spirituelle. Les récents scandales ont montré que l’emprise sur une autre personne risque même de conduire à des abus sexuels ou à d’autres formes de violence, car l’abuseur se sert de son ascendant spirituel sur autrui pour assouvir ses passions les plus viles.

VI. Le travail d’imagination, le contact avec la réalité et la connaissance d’autrui

Cette insistance sur le jugement d’humanité et sur l’impératif éthique qui l’accompagne est nécessaire afin de mieux situer le thème de l’imagination bienveillante qui consiste à se projeter en imagination à la place d’autrui. Une imagination bienveillante essaye de percevoir ce que vit autrui, afin de ne pas lui faire violence[42]. Selon la règle d’or, la personne se transpose en imagination pour ne pas faire à autrui ce qu’elle ne voudrait pas qu’il lui soit fait. Il importe de nous transposer en imagination à la place d’autrui pour le respecter davantage. Toutefois, comme le rappelle P. Ricoeur, il ne s’agit jamais de prétendre occuper sa place[43], mais de veiller à lui laisser la place pour être ce qu’il est.

Or c’est précisément ce contact avec le réel de base, c’est-à-dire l’humanité d’autrui, qu’il me semble crucial de ne jamais perdre. Pierre Claverie exhorte à se « libérer mutuellement des slogans creux, du piège des mots qui prennent la place de la réalité ». Il invite dès lors chacun à « revenir sans cesse à l’homme tel qu’il est, tel que nous le connaissons parce qu’il est notre voisin, notre collègue ou notre ami, y revenir sans masque avec la passion de le comprendre, de mieux le connaître pour mieux le servir et l’aimer[44] ».

Le rôle éthique de l’imagination doit nécessairement être relié au jugement existentiel d’humanité et à l’impératif éthique qui m’obligent à respecter autrui, car il est un être humain. L’imagination ne peut pas, à elle seule, suffire pour développer une réelle empathie, car le risque est grand de se méprendre sur autrui.

L’imagination bienveillante doit toujours être ajustée à une connaissance vraie d’autrui et à un contact avec la réalité. Pierre Claverie y insiste : « Le point de départ de toute cœxistence ne peut être que dans l’ouverture assortie d’une connaissance vraie et exigeante[45] ». Or la compréhension de certaines différences implique un véritable labeur. Il peut impliquer l’apprentissage de la langue d’autrui, de sa culture, de sa religion. Christian de Chergé et Pierre Claverie ont voué une grande partie de leur vie à apprendre l’arabe, à étudier le Coran et à connaître les différentes facettes de l’islam pour se faire plus proches de leurs voisins.

VII. Le dialogue de mots

Suite à la question théorique du jugement d’humanité, je voudrais regarder le dialogue de mots en tant que tel. Il me semble qu’il faut maintenir une ligne de crête, c’est-à-dire un dialogue basé sur la raison, orientée vers la découverte du vrai, mais qui ne renonce pas à explorer son ancrage dans des récits et des histoires de vie respectifs. En ce sens, la façon d’argumenter est propre à chacun, et tout le monde n’a pas le même accès à la parole et à l’art d’argumenter.

Il importe, comme je l’ai indiqué précédemment, de garder une réceptivité par rapport à autrui qui entre en dialogue avec nous, mais aussi d’avoir fait un travail sur nous-même pour apprendre à vivre avec nos manques, nos imperfections, nos inadéquations et tout simplement nos limites. Pour le dire de façon plus prosaïque, ne faut-il pas combattre le besoin d’avoir raison, d’écraser l’autre, d’être à tout prix reconnu ? Si l’usage d’arguments rationnels ne doit évidemment pas être rejeté et demeure incontestablement un des socles de tout dialogue, Christian de Chergé me semble avoir une expression juste lorsqu’il invite, dans le contexte qui est le sien, chrétiens et musulmans, à tendre non seulement vers un projet commun de société, mais aussi vers une parole commune. Outre l’aspect proprement théologique d’une telle déclaration sur la parole, le but de tout dialogue, quelles que soient les allégeances, pourrait être de tendre vers une raison qui se dit, où les deux interlocuteurs s’écoutent et essaient de se rejoindre. En ce sens, l’expérience vive joue un rôle crucial, car j’entends toujours telle ou telle argumentation à partir de ma propre histoire et il en est de même pour l’autre. Tel mot aura telle résonance, telle connotation. Or nous savons tous par expérience que de nombreux obstacles peuvent grever le dialogue.

Les différences de personnalité ne sont pas négligeables. Les introvertis et les extravertis ne dialoguent pas de la même façon, n’ont pas la même aisance. Les peurs diverses, telles que les complexes ou la peur du conflit, la colère, la tristesse, l’agressivité, viennent bien souvent court-circuiter le dialogue ainsi que le partage des convictions. Enfin, le fait de ne pas avoir le même usage de la langue que son interlocuteur est aussi une différence fondamentale. Des jeux de pouvoir existent au sein des dialogues. Ceux et celles qui dialoguent s’expriment-ils à partir de la même maîtrise de la parole ? Mais surtout, à partir de quel statut parlent-ils ? Sont-ils sur le même plan d’égalité ou l’un est-il en position de force, l’autre, d’infériorité ? Professeurs, psychologues, guides spirituels devraient tous être extrêmement conscients des risques d’abus liés à leur position d’autorité. La manipulation d’autrui dans le dialogue peut être criante dès lors que l’emprise sur autrui peut être très facile, voire envoûtante. Il convient dès lors de toujours se demander comment rétablir la symétrie dans une situation d’inégalité et contrebalancer les jeux de pouvoir, de séduction, de manipulation, même dans l’écoute d’autrui. Il s’agit également d’arriver à « désamorcer nos peurs » pour, « désarmés », rencontrer l’autre en vérité.

Dans tout dialogue, la question se pose donc : que pouvons-nous faire pour nous ajuster à l’autre et quitter notre position de maîtrise et de force ? Est-ce que nos mots viseront une fécondation mutuelle ? Seront-ils animés par une curiosité saine de ce que pense notre interlocuteur ? Ou viseront-ils simplement à nous camper dans une position de défense ?

VIII. Les conditions du dialogue

Je voudrais enfin me tourner vers les conditions de vie favorisant le dialogue. Nous savons tous que le dialogue le plus commun n’est pas celui du débat politique ou philosophique. Très souvent, les dialogues les plus fructueux se nouent dans une relation amicale, fraternelle, au sein des activités les plus communes, telles que le travail, la rencontre entre voisins ou les mouvements associatifs. Le fait de partager une cause commune aide souvent à surmonter les différences plus difficiles à accepter et à découvrir les richesses des autres. Si la coopération n’est pas toujours aisée, le fait de s’entendre sur la fin à poursuivre permet de mettre en commun les différences et les qualités des uns et des autres. Le dialogue peut ainsi être nourri d’une entraide mutuelle. En temps de crise dans les communautés de travail ou de vie, le fait d’arriver à faire le point ensemble sur les causes des échecs, mais aussi sur les espoirs et les motifs qui motivent les différents membres peut énormément aider à enrichir le dialogue.

Outre le but commun, les conditions qui favorisent le dialogue et un climat fraternel sont à prendre en considération. Nous savons tous que lors des décisions les plus graves, les chefs d’État ne manquent cependant pas de manger ensemble. Il est aussi très courant qu’une entrevue d’embauche comprenne un moment de repas partagé, car il importe de voir comment la personne interagit avec ses pairs et allie la dimension sociale aux qualifications professionnelles. Le conditionnement humain ne doit pas être négligé. Les moments de détente favorisent le dialogue.

IX. Le soubassement politique du dialogue interpersonnel

J’ai noté précédemment qu’il importe de regarder avec lucidité les situations d’asymétrie dans les relations interpersonnelles qui peuvent biaiser ou du moins complexifier le dialogue. En outre, il ne faut pas oublier non plus les conditions politiques et sociales sur lesquelles vient se greffer tout dialogue. Les rencontres ont toujours lieu dans des conditions historiques précises. Il n’y a pas de relation pure sans inscription dans des appartenances communautaires, familiales, sociales, politiques ou nationales. Les situations de conflit ou de guerre en sont un exemple frappant. De plus, sans verser dans les situations extrêmes, combien de relations fortes n’ont-elles pas avorté à cause du rejet familial ou communautaire de l’un des membres de la relation ?

Dès lors, si le dialogue interpersonnel a sa raison d’être, il n’implique pas que les négociations politiques et démocratiques pour faire respecter les droits humains n’aient pas leur rôle spécifique. Là aussi une ligne de crête doit être maintenue, puisqu’il s’agit de ne jamais réduire l’autre à son appartenance politique, tout en ne niant pas les difficultés politiques qui peuvent biaiser une telle rencontre et qui peuvent aussi être améliorées. L’éthique ne supprime ni le politique ni le juridique. Le dialogue existentiel ne remplace pas les négociations démocratiques ni les lois qui peuvent favoriser le respect d’autrui et des minorités. Plusieurs articles de Pierre Claverie dans Humanité plurielle analysent en ce sens la question politique des droits humains.

Conclusion

J’espère avoir montré que le dialogue existentiel, loin d’être seulement basé sur l’échange rationnel de propos raisonnés et argumentés, se nourrit de diverses dimensions. Il présuppose l’ouverture à autrui, le respect fondamental de l’altérité et des différences, ainsi que la reconnaissance d’une humanité commune. Il nécessite une attitude de réceptivité et une certaine pauvreté face à autrui. Toutefois, les convictions profondes ne sont pas un obstacle au dialogue, dans la mesure où celles-ci restent non contraignantes. Le dialogue implique une attention à autrui, mais aussi une présence et dès lors une attention à la gestuelle, au regard, au sourire. Il présuppose un jugement reconnaissant l’humanité de tout être humain quelles que soient les différences, un impératif éthique de respect d’autrui, un travail d’imagination et de connaissance pour se mettre à la place d’autrui, sans prétendre occuper sa place. Le dialogue peut se nourrir autant d’actes que de paroles. S’agissant du dialogue de mots en tant que tel, il est basé sur la raison, il implique la découverte du vrai, relié à une personne concrète, ancré dans des récits et des histoires de vie respectifs. Enfin, une finalité commune peut donner un élan au dialogue, mais elle implique néanmoins une attention aux différents conditionnements humains. C’est pourquoi le dialogue existentiel ne nie pas non plus les conditions politiques et sociales qui sous-tendent toute rencontre avec autrui.