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Sous la direction de Jean-François Caron, Les conditions de l’unité politique et de la sécession dans les sociétés multinationales : Catalogne, Écosse, Flandre, Québec rassemble douze auteurs qui s’intéressent aux différentes formes de diversité qui caractérisent maints États contemporains. Se concentrant sur la diversité nationale comme sujet d’étude, dans l’introduction Jean-François Caron expose deux thèses fondamentales qui recouperont l’ensemble des contributions. Premièrement, il souligne que la diversité nationale est une réalité sociologique que l’on devrait reconnaître par le prisme de la justice sociale. Deuxièmement, il indique qu’en accordant le degré de reconnaissance approprié à cette forme de diversité, il nous sera possible de penser l’idée d’une société multinationale. À une époque où les mouvements sécessionnistes menacent l’intégrité des États, tel que le démontre présentement l’exemple catalan, le débat sur les facteurs de l’unité étatique ou de son implosion est loin d’être résolu. Cet ouvrage collectif acquiert en ce sens une pertinence considérable, puisqu’il propose une analyse des facteurs politiques susceptibles de réduire la potentialité du phénomène de la fragmentation étatique. C’est donc à travers la reconnaissance, comme norme de justice, que les minorités nationales doivent être respectées dans leur intégrité culturelle et politique.

Le livre est divisé en sept chapitres, chacun portant sur une analyse des possibles déterminants de l’unité et de la désintégration de l’Espagne, du Royaume-Uni, de la Belgique et du Canada. Tout d’abord, en raison de la thèse portant sur l’endiguement du gouvernement espagnol au sujet d’un nouveau statut d’autonomie qui reconnaîtrait la spécificité de la Catalogne, Ferran Requejo et Marc Sanjaume (chap. 1) proposent une opérationnalisation des théories de la sécession – de la cause juste et du droit élémentaire – qui vient soutenir l’argumentaire de l’option indépendantiste pour le mouvement nationaliste catalan.

Ensuite, Ailsa Henderson (chap. 2) propose la thèse selon laquelle l’autonomie gouvernementale, qui s’exprime par le moyen d’une reconnaissance et d’une différenciation institutionnelles, contribue à renforcer de manière importante le sentiment nationaliste de l’Écosse, au point de faire naître le désir de faire l’indépendance. L’auteure constate qu’avant les années 1990 il n’y avait pas de confrontation directe entre les identités nationales écossaise et britannique. La dévolution, pratiquée au Royaume-Uni depuis une vingtaine d’années, représente alors l’élément déclencheur d’un long processus qui mènera à l’indépendance de l’Écosse. En contrepartie, au chapitre suivant Murray Pittock avance l’idée que cette importante reconnaissance de l’identité écossaise ne puisse que venir renforcer l’identité britannique. En empruntant une approche historique, l’auteur parvient à montrer que depuis l’époque coloniale, l’Empire britannique a réussi à se consolider en tant qu’État de différentes unions et non comme État-nation. Toutefois, après 1945, les politiques centralisatrices qui émanaient de Westminster ont eu pour conséquence la montée du mouvement nationaliste-indépendantiste en Écosse. Ce mouvement, qui a pris de l’ampleur dans les dernières décennies, aurait en fait pour objectif réel de raviver une « britannité » fondée sur les arrangements de 1707. Cela implique de repenser l’identité britannique d’une manière essentiellement multinationale.

Marc Verdussen (chap. 4) souligne pour sa part que le mouvement nationaliste-indépendantiste flamand est le principal moteur du processus de transformation politique, observable depuis 1830, et qui a permis à la Belgique de passer d’État unitaire à État fédératif en 1993. À travers des revendications linguistico-culturelles – pour ensuite prendre des allures principalement politiques et économiques –, les nationalistes flamands proposent ainsi les premières bases d’une Belgique marquée par une attribution toujours plus croissante de pouvoirs aux régions et aux communautés linguistiques. Cela permet à l’auteur de conclure par une réflexion autour de la crédibilité et des possibilités de partition de la Belgique, option qu’il croit envisageable, mais qui soulève aussi plus de questionnements que de réponses. Au cinquième chapitre, la contribution de Min Reuchamps, Conrad Meulewaeter, Pierre Beaudewyns et Lieven De Winter traite, au contraire, des principaux éléments pouvant contribuer à l’unité de la Belgique. Ceux-ci sont essentiellement d’ordre historique, identitaire, socioéconomique, politique, international et symbolique. Après une analyse de chacun de ces facteurs, les auteurs concluent que ceux-ci ne déterminent pas que la Belgique doive absolument se maintenir en tant qu’union. De ce fait, bien qu’ils constatent une forte présence de tous ces éléments dans l’imaginaire collectif et dans le fonctionnement institutionnel de la Belgique, il n’est pas sûr, disent-ils, que cela permettra d’assurer l’unité à long terme.

Réjean Pelletier soutient (chap. 6) que la non-reconnaissance formelle du Québec dans la Constitution canadienne est le principal facteur qui alimente la possibilité d’une fragmentation étatique. En analysant les principales raisons historiques qui permettent de donner sens au désir d’indépendance, il estime que le Québec a été, depuis 1763, dans une incessante lutte pour sa reconnaissance politique et constitutionnelle. À cela s’ajoute le fait qu’aujourd’hui aucun politicien canadien ou québécois ne veuille déclencher une réforme constitutionnelle, sous prétexte que cela ouvrirait une « boîte de Pandore ». Pelletier termine en remarquant que le paysage politique canadien est aujourd’hui marqué par un choc entre deux visions du pays : l’une, inspirée par une vision uniforme ; l’autre, plutôt pluraliste. A contrario, André Lecours considère, dans le septième et dernier chapitre, qu’il est nécessaire de nuancer la thèse suggérant que le Canada est une fédération peu soucieuse de sa diversité nationale. Il soutient ainsi que le Canada est plutôt accommodant à l’égard du Québec et qu’il propose une vision bien particulière pour penser le multinationalisme. En mettant en lumière la thèse d’un fédéralisme canadien propice à la reconnaissance du Québec – notamment par le biais d’éléments historiques et institutionnels – et en établissant une comparaison avec les cas de l’Espagne, de la Belgique et du Royaume-Uni, Lecours conclut que le modèle multinational canadien est plutôt un succès.

Au final, perceptible à travers ces propositions, l’ouvrage parvient à bien identifier différentes façons de réfléchir à l’unité ou à la sécession d’États marqués par la pluralité nationale. D’abord, Ferran Requejo, Marc Sanjaume, Ailsa Henderson, Marc Verdussen et Réjean Pelletier montrent que, en présence de certaines conditions bien particulières, la sécession est une option viable. En contrepartie, Murray Pittock, Min Reuchamps, Conrad Meulewaeter, Pierre Beaudewyns, Lieven De Winter et André Lecours avancent que certains éléments historiques, politiques ou économiques permettent de contempler le choix de l’unité. Cela dit, bien que ces contributions se situent généralement en concordance avec la thèse suggérant que la diversité nationale joue un rôle prépondérant dans la configuration des États contemporains, cet ouvrage comporte trois lacunes méthodologiques, lesquelles en influencent l’interprétation. Premièrement, ni dans l’introduction ni au long des chapitres, les auteurs ne signalent comment, en présence d’une reconnaissance insuffisante ou inexistante de la diversité nationale, il est possible de surpasser cet endiguement qui caractérise bien souvent les gouvernements centraux. À cet égard, une dimension normative, qui dresserait un meilleur portrait de la manière dont il est possible de consolider l’unité politique dans les sociétés multinationales, aurait été un apport pertinent. Deuxièmement, Caron ne propose pas de réflexion approfondie sur les facteurs d’unité entre l’Espagne et la Catalogne. En fait, comparativement aux autres pays observés, cela a seulement été effleuré pour le cas de l’Espagne, sans qu’un chapitre spécifique n’y soit consacré. Troisièmement, bien que cet ouvrage affirme, dès les premières pages, qu’il examinera les multiples éléments contribuant à l’unité ou à la sécession, ce genre d’analyse n’est abordé qu’au cinquième chapitre de Min Reuchamps et ses collègues, intitulé « Les facteurs d’unité en Belgique : Diables rouges, attitudes politiques et sentiments identitaires ». Tous les autres chapitres se démarquent plutôt par une analyse de la « reconnaissance » comme condition à la fois d’unité et de fragmentation, sans non plus explorer les raisons pouvant expliquer pourquoi celle-ci, dans certains cas, mène à la sécession et, dans d’autres, favorise l’unité. Cette difficulté aurait pu être évitée si un examen de la notion de « multinationalisme » mettant l’accent sur la distinction conceptuelle entre la « diversité », en tant que constat sociologique, et le « pluralisme », en tant que proposition normative, avait été fait. Cela aurait finalement pu être l’objet d’une conclusion en bonne et due forme.

En dépit de ces critiques, il importe de mentionner que la principale contribution de cet ouvrage repose sur la mise en valeur qui est faite de l’unité au sein de sociétés multinationales telles que l’Espagne, le Royaume-Uni, la Belgique et le Canada, phénomène qui est grandement négligé par la littérature scientifique au détriment d’études sur la sécession. De cette façon, il est juste de dire que Les conditions de l’unité et de la sécession dans les sociétés multinationales, sous la direction de Jean-François Caron, est un intéressant point de départ pour ceux et celles qui désirent entreprendre des recherches sur les possibles du dépassement de l’État-nation moderne par les prismes de la sécession et de l’unité multinationale.