Corps de l’article

Introduction

Au cours des dernières décennies, les investissements directs étrangers (IDE) ont connu un véritable boum dans les pays africains riches en ressources extractives. Qualifié de new scramble for Africa (Rubbers, 2013), cet engouement est le résultat de réformes juridico-institutionnelles visant à libéraliser ce secteur dans l’espoir de bénéficier de retombées durables en termes de revenus et de création d’emplois locaux (Campbell, 2012 ; Campbell et Prémont, 2016). L’objectif affiché est en définitive de renverser le « paradoxe de l’abondance extractive » (Diallo, 2020 ; Himbé, 2020).

Pays de l’Afrique de l’Ouest aux nombreuses ressources minières, la Guinée est particulièrement concernée par ces investissements portés par des puissances émergentes (Chine, Inde, Brésil, etc.) soucieuses de sécuriser et d’optimiser leurs accès aux matières premières pour soutenir leur forte croissance (Diallo et al., 2011). Malgré cette frénésie, le pays demeure une illustration emblématique du « paradoxe de l’abondance extractive » que De Boissieu et Geoffon (2017) associent à un cas symptomatique aigu de la théorie de la malédiction des ressources. En effet, le pays continue de figurer parmi les plus pauvres au monde tout en étant qualifié communément de scandale géologique (Diallo et al., 2011). La Guinée dispose notamment de plus d’un tiers des ressources mondiales en bauxite de la meilleure teneur en alumine, soit un gisement estimé à plus de 40 milliards de tonnes, dont plus de la moitié sont localisées dans la région de Boké (MMG, 2018 ; ITIE, 2019).

Située à 300 km à la périphérie de la capitale Conakry, cette région constitue le poumon économique du pays. La zone accueille par conséquent plusieurs multinationales minières en exploitation et en exploration. Dans cette région, la Compagnie des Bauxites de Guinée (CBG), constituée à la suite d’un partenariat stratégique entre l’État (49 %) et le consortium Halco Mining Inc. (51 %), est le principal exploitant depuis 1973. Elle est le premier contributeur aux recettes du pays et une des plus grandes multinationales exportatrices de bauxite métallurgique à l’échelle mondiale. Pour ces raisons, elle constitue notre principale entreprise d’étude dans le cadre de cet article. La CBG est intégrée dans le concept de global production network (GPN) repris par Knierzinger (2018) et caractérisé par une production contrôlée par de puissants centres industriels multinationaux, de faibles coûts (une embauche locale limitée de travailleurs) et une orientation exclusive vers les marchés de consommation extérieurs. Malheureusement, les réformes tardent à apporter le changement espéré pour le bien-être des communautés de Boké, qui manifestent une grogne populaire par des soulèvements sociaux-politiques récurrents (Knierzinger, 2018 ; Diallo, 2020 ; Rey et Mazalto, 2020).

Pour tenter de mettre fin au paradoxe de l’abondance extractive, la Guinée, par l’entremise de son ministère des Mines et de la Géologie (MMG) et avec le soutien des institutions financières internationales, a entrepris en 2010 des réformes juridico-institutionnelles profondes devant favoriser un développement minier davantage participatif, équitable et durable (MMG, 2018). Effectivement, le nouveau Code minier de 2011, amendé en 2013, amène plusieurs mesures dont 1) l’instauration de l’Initiative internationale pour la transparence dans les Industries extractives (ITIE) (art. 122) visant à promouvoir la transparence dans la gestion des revenus en provenance du secteur extractif, 2) l’ouverture d’un Fonds de développement économique local (FODEL) (art. 130) (Knierzinger, 2016 : 3) et 3) une révision historique des conventions minières conformément au Code minier ainsi que leur publication officielle (Lado et al., 2017).

Cet ensemble de mesures vise ainsi l’augmentation du pouvoir étatique et la densification des retombées socioéconomiques locales durable à travers, notamment, les incitations aux investissements en assurant la transparence et l’équité dans l’exploitation et la redistribution des ressources. La Zone économique spéciale (ZES), elle, est encadrée plutôt par la loi portant sur les partenariats public-privé, promulguée par décret en 2017 et permettant d’établir son cadre de financement au moyen de contrats de délégation de services publics entre le gouvernement et le secteur privé (MIPME, 2017).

Dans cet article, nous focaliserons notre attention sur deux instruments de politiques publiques en Guinée pour leur portée et les effets attendus par les acteurs : la ZES de la région de Boké et le FODEL. La ZES vise à créer une zone délimitée au sein de laquelle un ensemble de politiques libérales et souples sont instaurées afin de promouvoir les investissements étrangers orientés vers l’exportation de la bauxite (CORE.CEO, 2017 : 4). Pour sa part, le FODEL est un outil de nature fiscale avec prélèvements spécifiques (Lado et Kim, 2019) en vue de ponctionner 0,5 % du chiffre d’affaires annuel de la compagnie minière exploitant la bauxite, pour financer le développement local des communes d’accueil. Ces deux instruments sont ainsi au coeur des réformes visant, d’une part, à accroître les investissements directs étrangers par l’entremise de la ZES et, d’autre part, à répondre au mécontentement social des communautés avec le FODEL.

On peut dès lors se poser deux questions. Dans quelle mesure les acteurs de la région périphérique de Boké ont-ils été impliqués dans le processus d’émergence, de formulation et de mise en oeuvre de ces deux instruments ? Dans quelle mesure le processus d’appropriation de ces deux instruments par les acteurs peut-il contribuer, d’une part, à offrir des occasions de générer des retombées socioéconomiques locales durables dans la région de Boké et, d’autre part, à susciter progressivement l’apparition locale d’un nouvel ordre négocié ?

Notre hypothèse est que les réformes actuelles, poussées par les pressions des acteurs locaux, nationaux (communautés, société civile) et internationaux (institutions financières, multinationales minières et organisations internationales non gouvernementales – OING), s’inscrivent dans un processus de construction d’une gouvernance partenariale allant dans le sens d’un nouvel ordre négocié. En d’autres termes, face à l’insatisfaction des divers acteurs qui réclament une nouvelle forme de gouvernance minière, l’État guinéen s’est engagé dans un processus davantage transparent, collaboratif et partenarial qui a donné naissance au Code minier en vigueur, dont les réformes découlent.

Considérant la gouvernance minière multiniveaux à Boké comme une question sociale (Spector et Kitsuse, 1987 ; Scanu, 2014), nous visons, dans cet article, à présenter et à analyser la stratégie des acteurs sociaux à l’aune des coalitions discursives des policy stories[1] construites autour de ces deux instruments de politique publique. (Hajer, 1995 : 44 ; Scanu, 2014 : 338). À partir du modèle de Mercier et al. (2016) sur la séquence du choix des politiques publiques nous discuterons du processus de choix, de formulation et d’implantation de ces instruments dans une perspective d’asymétrie de pouvoir (information et légitimité) entre les acteurs sociaux. Il faut souligner ici une complémentarité intéressante entre l’approche des policy stories et le modèle de Mercier et al. (2016) qui permet d’illustrer – à travers le discours et le jeu des acteurs et leur position asymétrique évolutive en matière de légitimité et d’information – le processus progressif de construction sociale de cette gouvernance minière multiniveaux.

Avec cet article, nous voulons contribuer à une réflexion sur les conditions d’efficacité et de viabilité des instruments de politique publique minière en Guinée, de manière à ce que ces instruments soient susceptibles de développer progressivement, entre les acteurs sociaux, des rapports d’équité et de réciprocité propices à améliorer durablement les conditions de vie des communautés de Boké.

Cadre analytique

Varone (2000 : 168) définit les instruments de politiques publiques « comme un moyen d’action par lequel un gouvernement conduit des acteurs individuels et collectifs à prendre des décisions et à mener des actions qui sont compatibles avec les objectifs de la politique publique qu’il poursuit ». Le processus de choix des instruments de politique publique nous renvoie ainsi à la littérature abondante sur leur classification et leur typologie, dont celle de Vedung (1998) qui distingue deux catégories structurant les relations entre gouvernants et gouvernés : une première catégorie qui prône une intervention directe, voire coercitive, et une seconde, basée plutôt sur une intervention indirecte sous forme davantage collaborative et partenariale.

Mercier et al. (2016) nous renseignent davantage à partir du modèle théorique de la séquence du choix des instruments de politique publique, qui conditionne le degré de coercition appliqué. Notre analyse est basée sur ce modèle représenté par un cadran à quatre cotés : supérieur droit (coercitif + instruments de gouvernance), supérieur gauche (coercitif ou instruments d’autorégulation), inférieur droit (coercitif ++ gouvernement proactif), inférieur gauche (coercitif- action limitée) (figure 1).

Selon le modèle théorique développé, deux variables se dégagent dans ce processus, à savoir l’asymétrie d’information, d’une part, et l’asymétrie de légitimité, d’autre part. Les deux sont distribuées disproportionnellement entre les acteurs gouvernementaux, privés et non gouvernementaux. Les cadrans de la matrice du modèle de Mercier et al. (2016) se lisent comme suit (figure 1). Dans le cadran en haut à gauche, 1) « Autorégulation », lorsque tant l’information que la légitimité sont au plus bas pour les pouvoirs publics, les acteurs gouvernementaux laisseront une grande partie des politiques être déterminées par les forces du marché. Dans le cadran en bas à gauche ; 2) « Actions informatives/limitées » (dans laquelle les actions limitées sont essentiellement de nature informative), les acteurs gouvernementaux sont conscients des enjeux que soulève la politique publique en question et cherchent à obtenir plus d’informations sur le problème qui la sous-tend. Les instruments utilisés ici peuvent comprendre la collecte d’informations sur le secteur, les choix de solutions de rechange, les consultations publiques à caractère informatif et, enfin, une plus large diffusion d’informations et de publicité. Dans le cadran en bas à droite correspondant à 3) « Gouvernement pro-actif », les acteurs gouvernementaux disposent de la position la plus dominante en utilisant tous les outils coercitifs de leur répertoire : établissement de règles institutionnelles et législatives (comme l’adoption descendante de lois, décrets), aménagement et usage du territoire (comme la ZES de Boké), etc. Bien entendu, dans cette catégorie d’instruments, nous nous situons au centre du mode de fonctionnement dit gouvernemental avec plein exercice de l’autorité de l’État. Enfin, dans le cadran en haut à droite correspondant à 4) « Gouvernance interactive », les acteurs gouvernementaux seraient doublement à l’aise, en termes de légitimité et d’information, de promouvoir des instruments flexibles, interactifs et participatifs à travers des discussions, tables rondes et consultations des diverses parties prenantes en rapport avec leur mise en oeuvre, comme ce pourrait être le cas avec le FODEL.

FIGURE 1

Liste d’instruments présentés aux participants, classifiés selon les catégories de notre modèle de choix d’instrument

Liste d’instruments présentés aux participants, classifiés selon les catégories de notre modèle de choix d’instrument
Source : Mercier et al., 2016

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Le modèle stipule ainsi que, si les acteurs gouvernementaux ont un avantage d’information sur les autres, l’action publique pourra être plus coercitive, et s’ils ont à l’inverse un désavantage de l’information au profit des acteurs non gouvernementaux, l’action publique sera sans doute moins coercitive. Si les acteurs gouvernementaux ont un avantage de légitimé, le niveau de coercition pourra être plus élevé et, inversement, s’ils ont un désavantage de légitimité, le niveau de coercition sera sans doute plus faible.

Si le modèle de Mercier et al. (2016) a été développé et appliqué à la thématique de la mobilité durable en Amérique, il possède une portée générique qui nous semble également intéressante pour lire les processus de construction sociale d’une gouvernance minière multiniveaux en Afrique, et particulièrement en Guinée. En effet, à l’instar des mobilités durables, la gouvernance minière peut être problématisée en tant que question sociale qui polarise les acteurs, tant locaux et nationaux qu’internationaux, dans la définition du problème et l’élaboration de solutions de leurs choix pour conduire l’action publique à travers un processus de coordination, négociation et persuasion.

Ces acteurs, de par leur coalition discursive, expriment leurs idées et positions par rapport à cette question sociale à travers une narration se rapportant à une politique publique. L’approche de coalition discursive est ainsi combinée à l’analyse du modèle de Mercier et al. (2016) dans la mesure où elle nous permet d’appréhender les contradictions et dissonances dans le discours et le jeu des catégories d’acteurs. Cela est vrai notamment en raison des différents membres d’une même coalition discursive qui, bien qu’ayant une définition commune du problème, peuvent diverger dans leurs intérêts, moyens, conditions socioéconomiques et même actions (Hajer, 2006 ; Scanu, 2014). Autrement dit, ce cadre d’analyse basé sur les asymétries d’information et de légitimité (Mercier et al., 2016) nous semble approprié pour analyser le processus de choix et de mise oeuvre par le gouvernement de la ZES et du FODEL.

Cadre méthodologique et empirique

Méthode

L’article repose sur une étude de nature qualitative, selon un mode d’inférence inductif et une approche par étude de cas dont l’objet est la préfecture de Boké. La collecte des données s’est faite à partir d’une recherche documentaire continue, d’une pré-enquête en janvier 2018 en vue d’explorer la zone d’étude et d’une enquête terrain à proprement parler en trois séquences entre 2019 et 2020, soit janvier-février 2019, avril-juin 2019 et janvier-mars 2020. Les outils privilégiés pour recueillir l’information ont été des entrevues individuelles (n=20) et des groupes de discussions (n=15) pour un total de 167 personnes rencontrées. Celles-ci ont été choisies au moyen d’un échantillonnage non probabiliste typique de départ, complété par la technique en boule de neige (snowball sampling). La répartition par catégorie d’acteurs sur les 167 participants rencontrés est la suivante: État central (25), État local (32), entreprise (8), communauté (92) et organismes internationaux (10).

Une grille mère d’entrevue a été élaborée, comprenant quatre sections, à savoir les gouvernances institutionnelle, économique, sociale et environnementale, puis légèrement ajustée selon la catégorie d’acteurs. Dans cet article, c’est principalement la section sur la gouvernance économique, incluant les instruments de politiques publiques que sont la ZES et le FODEL, que nous avons exploitée par des questions se rapportant au choix (information) et à la participation (légitimité) des acteurs aux instruments. Les éléments d’information de ces synthèses ont été élaborés à partir de deux critères : la fréquence (quantité) et la pertinence (qualité). Nous avons néanmoins complété par une analyse documentaire les synthèses narratives issues principalement des entretiens. Le traitement des données a été effectué sur une base thématique et, pour la triangulation, nous avons eu recours à différentes méthodes combinées, à savoir entretiens individuels, groupes de discussion et analyse documentaire (documents juridiques, officiels, journalistiques, témoignages, etc.). Dans la section qui suit, nous présentons les deux instruments et les enjeux qu’ils posent.

Deux études de cas : la Zone économique spéciale et le Fonds de développement économique local

Zone économique spéciale de Boké : un instrument géoéconomique de gouvernance minière

La ZES fait partie des catégories d’instruments qui visent, en Guinée comme sur l’ensemble du continent africain, à promouvoir divers régimes normatifs et de régulation qui encadrent l’exploitation et l’exportation des ressources extractives vers la Chine (Renwick et al., 2018). On trouve ainsi en Afrique différentes ZES, soit la Zone industrielle d’exportation, la Zone portuaire de libre-échange et la ZES (CORE.CEO, 2017: 6). En Guinée, la ZES a cette particularité qu’elle prend en compte un plus grand nombre d’opérations (fabrication, transformation, opérations portuaires et maritimes, commerce et logistique, ainsi que droit d’importation gratuit).

Fonds de développement économique local : un instrument juridico-institutionnel de gouvernance minière

Pour contribuer aux budgets des communes minières du pays et financer le développement local, le gouvernement, en 2019, a créé le FODEL qui émane d’un des instruments fiscaux au niveau local appelé « Contribution au développement local » (CDL). La compagnie minière devra auparavant avoir contracté une « convention de développement local » avec cette même communauté et accompagner cette convention de dispositions relatives au développement de projets socioéconomiques émanant de ses plans de développement locaux.

La mise en place de la ZES à Boké signifie potentiellement, selon notre analyse, un accroissement exceptionnel des investissements directs étrangers par les compagnies minières, accroissement qui induit en principe une augmentation sans précédent (Lado et Kim, 2019) de la CDL alimentant le FODEL en faveur des communautés locales bénéficiaires. C’est à ce niveau, considérons-nous, que réside l’interaction ZES-FODEL, dont l’effet cumulatif potentiel sur les communautés de Boké nous intéresse dans le cadre de cet article.

Il est intéressant de rappeler ici le processus qui a marqué l’orientation du Code minier de 2011-2013 en faveur d’une visée de développement durable à travers deux événements décisifs : le forum international du secteur minier de Bélair et le séminaire national des mines et du développement durable à Conakry, tenus respectivement en octobre 2004 et 2005. Poussées par les institutions financières internationales dont la Banque mondiale et les OING telles que l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE) et la coalition Publiez ce que vous payez (PCQVP), ces rencontres se sont tenues sous le sceau de la construction d’un partenariat transparent entre l’État, les compagnies minières, les communautés et la société civile, dans le cadre d’intérêts partagés entre les acteurs. Les réformes visaient à rechercher un équilibre entre les droits, obligations et rôles de chacun des acteurs sociaux pour entretenir un environnement favorable au développement des régions minières (Diallo et al., 2011).

Policy story gouvernementale

Choix et participation à la Zone économique spéciale : faire de Boké, la capitale mondiale de la bauxite

Le gouvernement, à travers l’aménagement de la ZES de Boké comme moyen stratégique de sa politique minière, vise à promouvoir Boké en tant que centre minier d’envergure mondiale à l’horizon 2025 (PAGSEM, 2019b). L’implantation d’une ZES en Guinée s’explique, selon le gouvernement, par l’étendue des ressources minières de la région de Boké, mais aussi de ses ressources agricoles, halieutiques, forestières, etc. (PAGSEM, 2019a), sans oublier son accès portuaire. De plus, il faut tenir compte de sa forte attractivité pour les investisseurs internationaux et des relations privilégiées avec la Chine (premier acheteur de bauxite guinéenne) dont la participation financière et technique au projet est fortement pressentie.

Une telle implantation se justifie également par le constat qu’il y a un besoin de mieux s’approprier le cadastre minier dans la région de Boké afin de mesurer le potentiel bauxitique exploitable (à ce jour largement sous-évalué selon le gouvernement) et les revenus potentiels qui en découleraient. La décision par décret présidentiel de choisir la ZES de concert avec les nouveaux acteurs privés (nouvelles compagnies minières dont les entreprises chinoises) semble au gouvernement la plus indiquée pour stimuler les investissements directs étrangers dans la région de Boké et ainsi densifier durablement les retombées socioéconomiques locales :

La ZES nous permettra une meilleure maîtrise du cadastre minier à Boké et de connaître notre réel potentiel bauxitique de par son exploitation. Le pays demeure dépendant de l’expertise externe pour géolocaliser ses ressources minières, ce qui le rend vulnérable par rapport aux compagnies minières qui en ont la maîtrise

Haut représentant du MMG

Choix et participation au Fonds de développement économique local : apaiser le climat social

Pour le gouvernement, le FODEL constitue la solution face au besoin d’impulsion des retombées locales. Il faut rappeler que, sur la dégradation des conditions de vie des communautés de Boké, le discours de l’État est le suivant :

Seules les contributions des entreprises au développement communautaire local, mises en oeuvre de concert avec les autres parties prenantes, ainsi que les ristournes sur les taxes et impôts faites par l’État en faveur des collectivités locales peuvent être en mesure de prévenir et d’atténuer de tels impacts

MMG, 2017 : 19

La justification du choix du FODEL est basée, selon les pouvoirs publics, sur le besoin d’accompagner le développement local dans les communes urbaines et rurales affectées par l’exploitation minière. Ancré dans le Code minier en vigueur depuis 2011 et reconnu comme étant avant-gardiste, le FODEL émane également de pressions nationales et internationales en faveur de régimes miniers davantage orientés vers le développement durable (Lado et al., 2017). Il s’inscrit aussi dans le courant de l’ITIE visant à assurer une plus grande transparence, redevabilité et équité dans la gestion des bénéfices miniers en y incluant la société civile et les communautés :

Le FODEL constitue une des innovations majeures du nouveau Code minier, à la différence des anciens codes. Il vise une gestion plus collaborative avec les communautés et la société civile dans la redistribution des revenus miniers, mais aussi pour répondre aux exigences internationales d’une gouvernance minière davantage transparente et axée sur le développement durable

Haut représentant du MMG

Par contre, les pouvoirs publics sont conscients du fait que les communes minières, incluant celles de la région de Boké, nécessitent un cadre solide de renforcement de capacités afin de maitriser les conditions d’allocation et de gestion des ressources du FODEL :

Le FODEL est extrêmement important pour les communautés minières qui ont besoin d’être préalablement informées, formées et accompagnées pour recevoir dans la transparence de ce fonds en respect des procédures d’identification, de planification et de réalisation d’investissements priorisés à financer par le FODEL

Représentant du MMG

Enfin, les pouvoirs publics restent aussi conscients des défis qu’ils ont à s’assurer que l’ensemble des compagnies minières souscrivent progressivement au FODEL, incluant celles qui étaient en exploitation avant le Code minier de 2011-2013. Malheureusement, l’administration locale, elle, ne semble pas avoir été pleinement informée de ces deux instruments et encore moins avoir participé à leur formulation. Les représentants du cabinet préfectoral de Boké et sous-préfectoraux de Kamsar, Sangarédi et Koulaboui, interrogés tant sur la ZES que sur le FODEL en 2019, ne semblent avoir reçu que des informations évasives sur ces deux décisions. Pourtant, préoccupés par la préservation du climat social local, ils clament vivre au quotidien avec les enjeux de soulèvements sociaux à Boké, face à une communauté aux frustrations grandissantes, mais constatent être absents des décisions prises à Conakry :

Nous, l’administration locale, ne sommes pas impliqués dans les décisions prises par le gouvernement à Conakry, mais sommes les premiers à gérer les conflits locaux ici entre les populations et les compagnies minières en jouant le rôle de médiateur devant toute la grogne sociale à Boké qu’il faut calmer

Représentant d’un cabinet sous-préfectoral de Boké

Policy story communautaire

Choix et participation à la Zone économique spéciale : accorder une attention particulière aux Bokékas

Les membres de la communauté de Boké, dans toutes leurs composantes, restent unanimes sur le fait que leurs préoccupations de base ne sont pas prises en compte dans les décisions de Conakry et qu’il était temps de les ramener au coeur de la nouvelle politique minière. Qu’il s’agisse de personnes interrogées parmi le sous-groupe « élus locaux et groupes de citoyens », à Sangarédi, Kamsar, Koulaboui ou Boké ville, elles sont unanimes sur le fait qu’elles n’ont pas (ou ont peu) été informées ou associées aux prises de décisions concernant la ZES, non plus qu’à sa planification ou à son implantation. Les membres de la communauté sont sceptiques, voire méfiants. Ils estiment que le gouvernement a pris cette décision unilatéralement sur une base plus « politicienne » qu’économique, dans le seul but de calmer la grogne populaire latente à Boké et de préserver l’acceptabilité sociale[2] des projets miniers de la zone. Ce constat est renforcé par le moment de l’annonce par décret de la ZES, survenu au lendemain des soulèvements sociaux de Boké, le 25 avril 2017. En effet, ce décret était perçu par les Bokékas comme une manoeuvre du gouvernement pour étouffer leurs revendications.

Les populations de Boké estiment que le seul moyen pour se faire entendre est de passer par un arrêt des activités minières. En 2017, à la suite des turbulences occasionnées en avril par les jeunes de la région, le gouvernement et les compagnies minières n’ont eu d’autre choix que de s’asseoir avec les communautés afin de s’entendre sur la signature d’un mémorandum – le 27 avril 2017 – qui a permis la reprise des opérations minières. Cette négociation tripartite des acteurs constituait une première dans le processus de gouvernance minière dans la région de Boké, dans la mesure où l’État et les compagnies minières ont dû, afin de limiter les pertes financières encourues par la paralysie des activités, convier les communautés à un espace commun de dialogue et de recherche de solutions:

La signature d’un mémorandum est une sorte de victoire pour Boké, car c’était une nouveauté même si nous sommes conscients que le chemin à parcourir reste encore long. Comme nous avions bloqué le train minéralier pour éviter que la bauxite ne sorte du pays, l’État et les compagnies minières ont perdu beaucoup d’argent. Ils ont compris qu’ils doivent négocier avec les communautés, que nos voix doivent désormais compter et que nos conditions de vie doivent être améliorées pour le bien de tout le monde

Représentant des jeunes de Koulaboui

Mais il faut constater que, deux ans après notre passage sur le terrain en 2019, aucune action dans ce sens ne semble avoir été posée depuis le décret de 2017. Ce sentiment d’exclusion, exprimé par des violences sociales récurrentes, émerge du manque d’information, d’appropriation et d’une méfiance au sujet de ces deux instruments dans un contexte de pauvreté endémique.

La lecture du sous-groupe ONG et médias locaux et des ressortissants de Boké[3] mérite aussi qu’on s’y attarde, dans la mesure où ceux qui en font partie semblent mieux maîtriser que les élus locaux et groupes de citoyens les enjeux techniques se rapportant au choix de la ZES. L’explication tient à leur niveau de français (langue officielle) relativement plus élevé, mais aussi à leur proximité physique de la capitale – où ils sont souvent basés – et à leurs relations dans les réseaux de contacts avec les décideurs à Conakry.

Cependant, les membres de ce sous-groupe considèrent aussi que la décision d’implanter la ZES relève principalement de raisons politiques et politisées car, selon eux, elle n’a fait l’objet ni d’une planification préalable ni d’une consultation inclusive :

Nous, société civile, savons ce qu’est une ZES, mais la vision derrière cette ZES n’a pas du tout été expliquée, partagée avec la population locale, qui n’a pas été consultée et qui ignore c’est quoi une ZES. Une vision sans planification est tout simplement une impulsion du moment comme pour satisfaire des intérêts chinois

Représentant des ressortissants de Boké

Choix et participation au Fonds de développement économique local : améliorer les conditions de vies de Bokékas

Espérant que ce dispositif améliorera leurs conditions de vie, les élus et citoyens accueillent favorablement l’annonce de la création d’un FODEL. Mais ils restent méfiants car, n’ayant reçu que des informations évasives, ils craignent que les ressources du FODEL ne soient détournées à leur détriment. Dans la mesure où le FODEL implique un apport financier inédit dans le budget des communes, le sous-groupe s’interroge sur les modalités de répartition et de gestion des ressources entre les différentes localités de la préfecture de Boké.

Le sous-groupe ONG, médias locaux et ressortissants, lui, estime que si les communautés et la société civile ont contribué à l’instauration de la convention de développement local dans le Code minier, elles n’ont par contre pas participé ou ont faiblement participé à sa mise en oeuvre. Le sous-groupe estime que les pouvoirs publics ont décidé unilatéralement du moment de la mise en oeuvre du FODEL et l’ont fait percevoir comme étant une promesse de récompense pour les Bokékas, en plein contexte électoral, en décembre 2019. Le sous-groupe rappelle que le FODEL, au contraire, « n’est surtout pas à considérer comme une récompense pour les collectivités locales, mais simplement comme un juste retour des choses si l’on prend en compte le déséquilibre de pouvoirs entre les collectivités locales en faveur de l’État et des compagnies minières » (Représentant des médias locaux).

Ce sous-groupe rappelle aussi que le FODEL constitue une sorte de victoire pour les communautés, l’aboutissement d’un long processus de négociation poussé par la société civile et qui a donné naissance au Code minier de 2011-2013, axé davantage sur la transparence et l’équité dans une perspective de développement durable :

L’opérationnalisation [sic] du FODEL en 2019 est la consécration d’une lutte de plus d’une décennie en faveur de la divulgation de la répartition des revenus et bénéfices miniers, afin que ce fonds soit inscrit dans le Code minier et que les pouvoirs publics et les compagnies minières l’appliquent conformément aux textes en faveur des communautés

Représentant local de la coalition PCQVP, Antenne de Boké

Policy story corporative selon la Compagnie des Bauxites de Guinée

Choix et participation à la Zone économique spéciale : favoriser la concertation et la coordination dans un contexte concurrentiel grandissant

En théorie, la ZES est bien accueillie par la CBG dans la mesure où elle permettrait d’harmoniser sur le terrain les pratiques des différentes entreprises minières.

[Mais] nous restons sceptiques sur l’opérationnalisation [sic] de cette ZES. Comment l’État va-t-il y jouer son rôle dans la fourniture de services de base (eau, électricité, infrastructures, etc.) ? […] Il y a déjà beaucoup d’investissements à Boké, mais ce n’est pas visible car il y a un besoin de concertation et de coordination entre les intervenants si l’on veut voir un impact réel

Représentant de la CBG

La CBG, tout comme les membres de la communauté, reste sceptique, voire inquiète, à propos de la mise en oeuvre de la ZES. Bien qu’ayant participé à l’élaboration de la stratégie de développement durable de Boké en 2018[4], elle attend de voir les résultats concrets de sa création.

Choix et participation au Fonds de développement économique local : préserver ses droits acquis de par sa convention-cadre

Le FODEL est en principe un soulagement pour la CBG, car il est sensé réduire de façon importante la pression sociale à laquelle elle fait face dans la région. En effet, l’arrivée de nouvelles compagnies minières évoluant à Boké devrait contribuer à l’accroissement du financement des communes d’accueil qu’elles se partagent.

En revanche, s’estimant exemptée de la CDL dans le cadre du FODEL, de par sa convention-cadre bien antérieure à l’actuel Code minier, la CBG n’envisage pas de s’acquitter de cette CDL, dans la mesure où elle l’assurait déjà, selon elle, par une enveloppe budgétaire annuelle de 500 000$ US, de 1987 à 2015. Cette enveloppe est par la suite passée à 2,5 millions $US. L’entreprise estime qu’en plus de la CDL, elle apporte une contribution significative aux communautés de la préfecture de Boké à travers des paiements sociaux obligatoires et volontaires (l’hôpital de Kamsar, par exemple). En définitive, selon elle, ces paiements sociaux se chiffrent bien au-delà de la contribution annuelle qu’elle aurait eu à faire au FODEL :

Le FODEL ne nous concerne pas vraiment, car notre convention-cadre est bien antérieure au Code minier actuel et, de toute façon, nous versons depuis toujours notre CDL aux communautés. Mais encore faut-il s’assurer que le gouvernement ait les moyens de contrôler le processus de redistribution décentralisé du FODEL et de gérer les dérives possibles

Représentant de la CBG

La CBG reste préoccupée par les conditions de succès du FODEL et par l’efficacité des divers acteurs à le rendre opérationnel, car s’il s’avérait que le FODEL ne donne pas les résultats attendus, les conséquences seraient désastreuses pour l’entreprise, dans la mesure où les communautés s’en prendraient à toutes les compagnies minières, incluant elle-même.

Au-delà du discours de la CBG, la région de Boké abrite, rappelons-le, plusieurs nouvelles multinationales minières en exploration et exploitation. Les principales sont Global Alumina Corporation (GAC) (Émirats arabes unis), Compagnie de bauxite et d’alumine de Dian Dian (COBAD) (Russie) et la Société minière de Boké (SMB), un consortium sino-guinéen. Il faut d’ailleurs souligner que la SMB aura été la première compagnie à souscrire au FODEL dans la région en procédant aux versements initiaux, en décembre 2019. En effet, il faut également noter que la mise en vigueur de l’article 130 du Code minier, qui impose aux compagnies minières de verser la CDL au sein du FODEL, n’a été effective qu’à ce moment-là. Il aura ainsi fallu près d’une décennie (2011-2019) pour sa mise en oeuvre dans un contexte de réticence de la part des compagnies minières et de négligence à l’égard des préoccupations des communautés locales.

De plus, cet article 130 du Code minier exigeant une contractualisation entre exploitants et communautés (Convention de développement local), semble totalement ignoré par l’ensemble des compagnies minières de la préfecture de Boké. Celles-ci estiment qu’une fois que l’exploitant a contracté sa convention avec les autorités centrales, la nécessité de s’engager formellement avec le niveau local ne constitue pas une priorité, et ce, malgré les dispositions légales à ce sujet, dont le suivi de l’application fait défaut. En d’autres termes, dans la préfecture de Boké, le premier chèque versé par la SMB pour le FODEL est tombé sans qu’aucune convention de développement local ne soit signée.

Discussion

En nous basant sur le modèle de Mercier et al. (2016) transposé sur la gouvernance minière en Guinée et à la lumière de la dynamique des acteurs révélée par les coalitions discursives, nous présentons l’analyse suivante. Les narrations, autant du côté communautaire que corporatif, expriment un scepticisme quant au pouvoir du gouvernement de mettre en oeuvre la ZES et le FODEL. Les deux parties défient en quelque sorte le gouvernement en menaçant de répondre par des troubles sociaux (communauté) ou en ne se conformant pas à la nouvelle législation minière locale basée sur des exigences standardisées de versement des bénéfices miniers à la communauté (CBG).

Disposant d’une légitimité relativement fragile pour asseoir une intervention viable, l’administration centrale détient a contrario une asymétrie d’information en sa faveur par rapport à l’administration locale qui ne semble maîtriser le processus de conception et de déploiement ni de la ZES ni du FODEL. Même constat vis-à-vis de la communauté (élus locaux et groupes de citoyens) qui est restée relativement à l’écart du processus. Néanmoins, il faut noter une exception pour les sous-groupes ONG, médias et ressortissants au sein de la communauté. Ceux-là, au contraire, bénéficient d’une asymétrie d’information en leur faveur, de par leurs réseaux avec la sphère décisionnelle à Conakry (la capitale) leur permettant une meilleure maîtrise des enjeux politiques et socioéconomiques liés aux deux instruments de politique publique minière (par exemple, implication active dans l’ITIE depuis 2005 en faveur d’une plus grande transparence dans la gestion des revenus miniers à travers la coalition nationale PCQVP[5].Pourtant, bien que l’optimum en termes de légitimité et d’information soit loin d’être acquis pour les acteurs gouvernementaux, paradoxalement, il n’en demeure pas moins que les pouvoirs publics ont, en 2010, entrepris de manière audacieuse des réformes inédites et reconnues de leur régime minier (Laforce et al., 2012). Ces réformes ont notamment donné naissance au FODEL (Knierzinger, 2016) et, plus tard, à la ZES.

Pour comprendre cette audace, il faut faire une analyse plus évolutive de la dynamique des rapports de légitimité et d’information entre les acteurs. Si nous recoupons l’historique du régime minier guinéen selon le modèle de Mercier et al. (2016), on peut constater l’évolution suivante des instruments de politiques publiques en fonction de l’action gouvernementale.

1) Autorégulation à action limitée : par exemple, le Code minier de 1995, qui a précédé celui en vigueur actuellement, pouvait être considéré comme un instrument d’autorégulation dans la mesure où l’industrie minière était davantage régulée par les forces du marché, profitant notamment aux compagnies minières (Diallo, 2014).

2) Action limitée à gouvernement proactif : face aux limites du Code minier de 1995, l’État, poussé par les pressions nationales et internationales, en a entrepris la réforme à travers des consultations, notamment avec les acteurs non gouvernementaux; il a reçu une assistance technique, juridique et financière des institutions internationales pour la révision des textes afin d’élaborer le nouveau Code de 2011-2013. Dans sa finalité première, ce nouveau code vise notamment à accroître sa légitimité, jusque-là minée, et à assurer une augmentation du pouvoir étatique dans la réglementation. Enfin cet instrument, représentatif de la quatrième génération des codes miniers africains axés sur le développement durable, a fait l’objet d’une large diffusion, tant nationale qu’internationale.

3) Gouvernement proactif à gouvernance interactive : la ZES, décrétée par le président Alpha Condé en 2017, répond à cette volonté de mener en toute autorité une politique minière proactive en imposant des instruments coercitifs, notamment par le projet d’aménagement géoéconomique du territoire de Boké. La ZES entre ainsi dans cette même perspective d’asseoir une meilleure maîtrise économique, financière et informationnelle des investissements miniers concentrés dans la région stratégique de Boké. Parallèlement, cette ZES créée dans un contexte de crise sociale entre les acteurs visait aussi à asseoir une meilleure légitimité des pouvoirs publics et des compagnies minières, crise qui s’est finalement dénouée avec la signature du mémorandum de Boké du 27 avril 2017. Par ailleurs, la mise en oeuvre du FODEL en 2019 émanant du Code minier en vigueur, rejoindrait la catégorie d’instruments davantage participatifs à travers des discussions et des consultations entre les acteurs, en rapport avec leur application sur le terrain. Le FODEL répondrait à la seconde finalité du Code, soit la « densification des retombées socioéconomiques locales durables » notamment par suite des pressions internationales, mais aussi des turbulences sociales que la région de Boké a connues au cours des dernières décennies, fragilisant la légitimité des pouvoirs publics en place, ainsi que celle des compagnies minières.

Enfin, il faut préciser ici que le cadran 4 de la figure 1 (« gouvernance interactive ») indique que, tout au long des trois autres cadrans, les gouvernants ont comblé en partie, progressivement, leur déficit en matière de légitimité et d’information par rapport aux autres acteurs. Ils sont plus à l’aise qu’auparavant d’instaurer des instruments davantage flexibles et participatifs, en collaboration avec les acteurs non gouvernementaux et le secteur privé. Cependant, cela ne veut pas dire que ces derniers acteurs n’ont pas de légitimité, ou moins de légitimité, ou qu’ils ont vu cette légitimité décroître en termes absolus. Cela suggère plutôt que les acteurs gouvernementaux, en termes relatifs par rapport aux autres acteurs, se sentent maintenant assez forts en termes de pouvoir d’information et de légitimité pour commencer à mettre en place des processus conduisant à un nouvel ordre négocié. Par ailleurs, à terme, cela nécessite aussi que les acteurs non gouvernementaux et privés aient accru leurs pouvoirs d’information et de légitimité, pour être aptes à une gouvernance interactive. Soulignons le fait que l’évolution de l’État guinéen en matière de gouvernance minière peut apparaître rapide dans les circonstances, mais cette rapidité relative s’expliquerait, comme nous l’avons déjà indiqué, par les pressions externes (institutions financières internationales, OING et multinationales minières) et internes (société civile et communautés locales) subies au cours des dernières décennies.

En définitive, le FODEL et la ZES semblent, dans leur finalité respective, constituer des instruments de gouvernance minière qui tendraient à réunir les conditions pour générer des retombées socioéconomiques locales durables. Par leur processus de mise en oeuvre, ils semblent annoncer l’avènement d’un nouvel ordre négocié entre les catégories d’acteurs, où les communautés seront en quête de meilleurs rapports de réciprocité et d’équité.

Pour terminer, la ZES et le FODEL offrent ainsi des occasions pour jeter les bases d’un cadre de négociation en vue d’un apprentissage à la collaboration, au partenariat basé sur le tissage d’une relation de confiance entre les acteurs en vue d’initiatives économiques visant un développement local durable. Ce développement reposerait certes sur une fourniture viable de services sociocommunautaires maîtrisée par les élus des communes locales dans le cadre de la politique de décentralisation des ressources offertes par le FODEL et la ZES. Mais aussi, et surtout, ce développement local s’appuierait sur le renforcement de la base économique locale, à laquelle participeraient des entreprises des communautés concernées à travers des dispositifs d’instauration d’une sous-traitance industrielle en mesure de répondre au marché local, mais aussi progressivement habilitée à la conquête de marchés extérieurs.

Conclusion

Dans notre article, nous avons cherché à retracer le débat d’actualité minière en Guinée autour de la ZES de Boké et du FODEL en adoptant une perspective sociologique des acteurs. Pour ce faire, nous avons eu recours à l’outil d’analyse des policy stories (Hager 1995 et 1996 ; Scanu, 2014), de manière à saisir leur appréhension des enjeux liés à ces deux principaux instruments de politiques publiques.

Les narrations par catégorie d’acteurs selon le modèle de Mercier et al. (2016) nous indiquent aujourd’hui la situation suivante : 1) asymétrie de légitimité faiblement en défaveur des acteurs gouvernementaux, des communautés de Boké ainsi que de la société civile, et moyennement en faveur des compagnies minières ; 2) asymétrie de l’information faiblement en faveur des acteurs gouvernementaux, largement en faveu r des compagnies minières, moyennement en faveur des acteurs de la société civile regroupés en associations (ressortissants de Boké, médias et ONG) et largement en défaveur de l’administration locale et des communautés de Boké (élus locaux et citoyens).

En mettant en place ces outils innovants, le gouvernement veut s’assurer que la ZES et le FODEL seront adoptés par toutes les parties prenantes. Or, selon le modèle de Mercier et al. (2016), une coordination harmonieuse entre les acteurs est nécessaire dans l’implantation d’instruments de gouvernance. Ces instruments exigeraient un triple contexte. D’une part, l’État acquerrait une asymétrie confortable à la fois de légitimité et d’information vis-à-vis des acteurs non étatiques pour rendre la ZES et le FODEL durablement opérationnels, et avec les moyens requis. D’autre part, la compagnie minière se soumettrait aux exigences légales et institutionnelles imposées par l’État. En plus, elle faciliterait des mécanismes de partage de l’information avec l’État, mais aussi à travers un partenariat, notamment en sous-traitance industrielle avec les entrepreneurs de la communauté locale. Et enfin, la communauté, soutenue par la compagnie minière et l’État, s’engagerait dans un processus d’apprentissage continu et de développement de compétences locales, de manière à se constituer en partenaire à part entière avec ses deux interlocuteurs et donc de façon à rehausser sa légitimité.

Toujours selon le modèle de Mercier et al. (2016), la ZES et le FODEL pourraient ainsi contribuer à rééquilibrer les asymétries d’information des acteurs et progressivement accroître la légitimité de chacun vis-à-vis des autres. En définitive, ces deux instruments pourraient susciter localement l’émergence de nouveaux ordres négociés favorables au développement de meilleurs rapports d’équité et de réciprocité entre les acteurs miniers. Ils pourraient contribuer à établir progressivement un meilleur équilibre des pouvoirs entre l’État, l’industrie minière et les communautés périphériques de Boké.