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La stratégie, en tant que champ de recherche, s’est construite autour de problématiques ayant trait à la grande entreprise, et particulièrement autour du thème de la planification stratégique. Dans ce contexte, la PME n’attirait que peu l’attention, perçue comme le lieu d’une stratégie appliquée chemin faisant par un a cteur unique : le dirigeant-propriétaire. Si certains affirmaient que l’absence de planification révélait une absence de besoin (Rice, 1983), d’autres montraient la singularité de l’activité stratégique en PME. La planification stratégique s’avérait d’abord non structurée, plutôt adaptative que proactive, irrégulière et peu formalisée (Robinson et Pearce, 1984). Ensuite, elle s’exerçait en général sur courte période (Robinson et Littlejohn, 1981). Ces quelques caractéristiques semblaient alors relever de la pathologie ou de dysfonctionnements dans le processus stratégique au regard d’un modèle dominant.

La PME est devenue un objet d’étude intéressant lorsque s’est développée la critique d’une approche rationnelle et balistique de la stratégie. Les critiques mettent au jour l’inadaptation des conduites stratégiques planifiées en environnement incertain, l’absence ou les difficultés de traduction organisationnelle de ces conduites et vont jusqu’à questionner leur efficacité lorsqu’elles sont convenablement menées (Baumard et Starbuck, 2002). Les termes de l’alternative allant de formes molles de planification jusqu’à une stratégie se définissant par son « absence » (Inkpen et Choudhury, 1995). Dès lors, chacun constate un retour nécessaire à l’examen des pratiques. Ce curieux mouvement de balancier ramène donc en quelque sorte la stratégie à des constats effectués dès les premières recherches en PME. La stratégie est une activité discrète qui laisse peu de place à l’action prédéterminée, au leader héroïque et à l’intention délibérée (Chia et Holt, 2009).

Deux ensembles de travaux peuvent ainsi être distingués autour de l’objet « PME » en stratégie. Le premier interroge les spécificités de la conduite stratégique des PME. Certains travaux suggèrent ainsi une réécriture des stratégies génériques en raison d’un « désavantage » en termes de ressources des PME (Lee, Lim et Tan, 1999), insistent sur la singularité des « chemins de diversification » des PME (Lynn et Reinsch Jr., 1990) ou examinent la mise en place de stratégie de rupture en PME (Le Roy et Yami, 2007). D’autres traitent par exemple des alliances stratégiques entre PME (Gundolf et Jaouen, 2008) ou du portage commercial comme modalité appropriée d’internationalisation des PME (Bueno Merino, 2003). Enfin, un courant révèle des conduites intrapreneuriales particulières au sein de petites entreprises (Carrier, 1996).

Le second ensemble utilise la PME comme un objet réducteur de complexité qui rend possible l’opérationnalisation ou la discussion d’approches théoriques (Torrès, 1998). La PME sert alors « toutes choses égales d’ailleurs » de miniature. On y trouve par exemple des travaux examinant les liens entre les mécanismes de gouvernance et la propension au changement stratégique (Brunninge, Nordqvist et Wiklund, 2007) ou bien les stratégies mises en oeuvre en situation de dépendance des ressources (Bretherton et Chaston, 2005). Autre exemple, Doving et Gooderham (2008) utilisent un échantillon de petites entreprises de consultance pour examiner l’influence des capacités dynamiques sur l’étendue de la diversification liée.

Des recherches interviennent à l’articulation de ces deux ensembles pour affirmer que, si la PME est un laboratoire plus propice à la révélation de mécanismes sous-jacents aux pratiques stratégiques, elle est avant tout le véritable lieu de mise en oeuvre de certaines stratégies. On peut par exemple s’interroger sur la pertinence des approches par les ressources et compétences dans la compréhension des stratégies des grandes entreprises dans la mesure d’abord où le processus d’élaboration des compétences y est complexe et disséminé. « Il est évident que l’identification des ressources-clés est plus aisée dans une TPE que chez Danone, où chaque DAS, voire chaque centre d’activité, sécrète et nécessite des ressources et des compétences spécifiques. Mais, qui plus est, les TPE et PE sont plus propices à l’émergence de stratégies de distinction, les hyperfirmes manifestant une forte propension aux stratégies d’imitation » (Marchesnay, 2002, p. 26). Il en est de même du processus de construction sociale et de légitimation de la stratégie des PME comme le documente la thèse de Brandao Bernardes (2008) autour de l’analyse fouillée de quatre cas de diversification.

De fait, les articles présents dans ce numéro s’inscrivent dans ces ensembles : tout en dégageant des apports thématiques autour des questions de la compétence et de la gouvernance et des jeux d’acteurs, ils permettent de dégager des singularités stratégiques propres aux petites et moyennes organisations.

La focalisation sur les PME permet aux deux articles de François Pantin et de Martine Séville et Peter Wirtz de dégager des résultats sur le rôle des compétences et de s’inscrire dans un débat sur les équipes dirigeantes (Top Management Teams, TMT), voire de l’ouvrir. François Pantin, dans une intéressante étude longitudinale sur trois cas de PME souligne combien le processus d’internationalisation est fortement dépendant des compétences de l’équipe dirigeante et de leur dynamique. L’internationalisation peut alors s’insérer dans une logique proactive de la PME, tout en étant fortement liée aux compétences stratégiques et opérationnelles de la TMT. Le débat est alors approfondi par l’article de Martine Séville et Peter Wirtz. Les auteurs, à travers une étude de cas unique particulièrement fouillée, s’interrogent sur l’influence des caractéristiques de la TMT sur le déclenchement et le maintien de l’hypercroissance. À la différence des études classiques qui évoqueraient une relation causale, ils soulignent l’interaction entre ces dimensions et, plus largement, le fait que l’hypercroissance pousse à des apprentissages et à des modifications de l’équipe dirigeante. Ce faisant, le sens de causalité des études classiques est renversé.

Les perspectives ouvertes par les trois autres articles permettent, quant à elles, une interrogation sur les dimensions de gouvernance et les jeux d’acteur, tout en s’intéressant à la spécification des stratégies suivies par les PME. L’article conceptuel de Fabrice Le Vigoureux et Pascal Aurégan s’inscrit dans l’approche cognitive de la gouvernance. Il permet d’enrichir le débat sur la performance des entreprises familiales, alors que celles-ci ont fait l’objet de travaux montrant comment ces entreprises surperforment par rapport aux entreprises non familiales, Fabrice Le Vigoureux et Pascal Aurégan élargissent la vision délivrée des entreprises familiales, en soulignant les bénéfices que celles-ci peuvent retirer de l’entrée de partenaires extérieurs dans leur capital. L’ouverture du capital des ME familiales permet à la fois de limiter les effets négatifs de la seule possession familiale (logique de contre-pouvoirs « disciplinants ») et surtout de stimuler la capacité de l’EF à développer son projet, saisir des opportunités et déployer sa stratégie. Au-delà, l’image de la stratégie des PME est complétée par l’analyse de deux aspects complémentaires, tenant aux dimensions relationnelles de la stratégie. L’article empirique d’Étienne St-Jean et de Luc Lebel, portant sur un échantillon de 265 PME forestières sous-traitantes, examine l’impact de la dépendance commerciale et de l’autonomie décisionnelle sur la performance et les choix stratégiques. Leur étude montre une relation négative de la dépendance commerciale à la performance en matière de satisfaction du client, mais non significative sur les variables financières, tandis que l’autonomie managériale influence favorablement la croissance, tandis que l’autonomie RH influence la diversification. Ce faisant, ils soulignent l’intérêt de distinguer dans les travaux les deux niveaux/dimensions que sont la dépendance commerciale et l’autonomie. Cette exploration des relations entre acteurs se termine par l’article de Sandrine Berger-Douce qui s’interroge sur la « fabrique » de la stratégie collective en matière d’environnement. L’observation participante qu’elle a réalisée auprès d’un club de dirigeants d’entreprises du numérique souligne la difficulté à construire et à soutenir dans la durée une telle stratégie collective.

Ces travaux, pris dans leur ensemble, permettent de saisir la dynamique des recherches menées à l’articulation du champ de la stratégie et de l’objet « PME ». Au-delà de la seule exploration des spécificités de la stratégie des PME, ils révèlent combien cet objet permet de conduire des études à même de renouveler – ou d’étendre – les travaux effectués en matière de stratégie des grandes entreprises. N’en doutons pas, il s’agit bien là de souligner combien la PME est intéressante pour étudier la stratégie.

Quatre articles hors thème complètent ce numéro. C’est ainsi que Manal El Abboubi de l’École supérieure de commerce du Groupe Sup de Co La Rochelle et Annie Cornet de HEC-École de gestion de l’Université de Liège nous présentent une étude de cas qui leur permet d’analyser le processus de mobilisation des parties prenantes dans une entreprise familiale, et ce, à l’encontre de la théorie des parties prenantes. Au travers d’une recherche-action effectuée dans trois PME du secteur hôtelier, José Luis Pech-Varguez de l’Université de Quintana Roo, Luis Cisneros de HEC Montréal, Émilie Genin de l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal ainsi qu’Hugo Cordova de HEC Paris étudient la mise en place d’un système formel de gestion et son impact sur la cohérence et la cohésion de l’équipe de direction. À leur tour, Olivier Giacomin et Frank Janssen de l’Université catholique de Louvain, Jean-Luc Guyot de l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique ainsi qu’Olivier Lohest de la Banque Nationale de Belgique mettent en évidence l’influence des motivations de contrainte et volontaires sur le choix sectoriel de l’entrepreneur, utilisant pour ce faire un échantillon de 538 créateurs d’entreprises. Enfin, Gregory Reyes de l’IAE de Poitiers nous présente les résultats d’une recherche sur les réseaux de PME, visant à déterminer l’intérêt pour un pharmacien de se joindre à un groupement officinal, et ce, au moyen d’une étude exploratoire de huit groupements.