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Thomas Sieverts propose, dans Entre-ville: une lecture de la Zwischenstadt, une réflexion sur la ville du XXIe siècle. Cette réflexion, portant sur la mondialisation et ses effets sur l’urbanisation, aborde l’effritement de la ville historique européenne compacte. Aujourd’hui universel, ce phénomène menant à l’urbanisation des périphéries de la ville traditionnelle constitue sa principale préoccupation. Selon le terme allemand Zwischenstadt, ces lieux, situés à mi-chemin entre la ville et la campagne, à cheval entre les réseaux de communication locaux et mondiaux, caractérisent l’urbanisation contemporaine. Sieverts traite dans ce livre du phénomène comme tel, mais aussi de la recherche d’avenues à cette problématique posée par la ville nouvelle: l’absence d’inscription de ses lieux dans des dynamiques de proximité.
Un développement urbain sans ville, c’est ce à quoi correspond la Zwischenstadt. Loin d’être abordée comme une utopie, cette projection de la ville contemporaine est présentée afin de mieux comprendre l’établissement urbain actuel. L’incapacité de la ville traditionnelle à concilier son inscription dans les différents niveaux de réseaux apparaît à Sieverts comme étant la preuve de la faillite des modes de planification traditionnels. Si la Zwischenstadt pose un certain nombre de problèmes, notamment quant à son inscription dans les dynamiques d’échange avec la ville-centre, la solution réside, selon Sieverts, dans une plus grande prise en compte, pour l’aménagiste, des plans sociaux, écologiques et culturels entre les lieux physiques et leur inscription dans les dynamiques de globalisation. L’interprétation culturelle qu’il se propose de faire de ces espaces en émergence sert sa suggestion d’un nouveau modèle de planification basé sur l’inscription de la ville dans un contexte régional. C’est là son véritable leitmotiv: les villes-régions doivent apprendre à développer une conscience régionale et comprendre que la séparation entre le centre et la périphérie doit disparaître.
Puisque la forme de la ville contemporaine ne relève plus du maintien de ses limites traditionnelles, elle apparaît dès lors livrée à de nouvelles poussées d’urbanisation. Ce sont les espaces urbanisés produits en périphérie de l’agglomération qui constituent la Zwischenstadt. Ces espaces, qui peuvent être considérés autant comme ville que comme campagne, apparaissent partout semblables du fait d’une mondialisation des modes de vie. Où qu’ils soient, ils ont en commun de ne plus avoir aucun lien avec la ville de la période pré-industrielle. Ils sont composés d’îlots singuliers, d’une multiplication de noeuds spécialisés et d’une structure sans véritable centralité. Comme le disait Christopher Alexander, «the city is not a tree». La ville n’est pas organisée en une arborescence hiérarchisée, mais bien en un réseau de noeuds, chacun tendant à la spécialisation de ses activités. La multiplication de ces espaces spécialisés apparaît comme un gage d’autonomie face à la ville-centre. Si le centre historique était jusqu’à tout récemment caractérisé par la mixité de ses activités et son rôle centripète, celui-ci est maintenant remplacé par un grand nombre de centres fonctionnellement et symboliquement différenciés. Selon l’auteur, il importe ainsi de trouver de nouveaux sens aux notions de centres et de centralité.
L’apparition de la Zwischenstadt semble inévitable dans la mesure où les pratiques de l’aménagement du territoire ne tiennent pas suffisamment compte des changements imposés par la mondialisation. Induits par la mise en réseau des agglomérations et de leurs composantes, ces changements favorisent la croissance urbaine par l’urbanisation des périphéries. Si ces espaces sont perçus le plus souvent comme des no man’s land, c’est qu’il faut leur conférer une certaine lisibilité, une intelligibilité.
C’est dans la vie quotidienne que doivent être fait les efforts de réinscription de la Zwischenstadt. En se basant sur les propos d’Alain Touraine, Sieverts souligne la nécessité, pour répondre à ce besoin d’intelligibilité, d’inscrire notre recherche de solutions dans l’arrimage entre le lieu physique de la Zwischenstadt et l’espace soumis à la mondialisation. La Zwischenstadt en tant qu’espace de production et de consommation doit permettre le développement de contacts de proximité, d’appropriation de l’environnement immédiat. Ce n’est que par cette réinscription dans le quotidien que cette nouvelle zone d’urbanisation pourra devenir culturellement signifiante.
Dans Entre-ville: une lecture de la Zwischenstadt, Sieverts aura fait apparaître, pour quiconque l’aurait oublié, le caractère éminemment politique de l’aménagement. Si la planification rationnelle a fait place, durant les années 1960 et 1970, à un aménagement plus participatif, celui-ci n’a pas répondu, selon l’auteur, aux espoirs qu’il avait contribué à formuler. La mondialisation tendant à l’universalité des structures, l’aménagement doit chercher à articuler ces forces au besoin d’inscription des lieux dans le quotidien. Pour Sieverts, c’est là que réside le nouveau défi de l’aménagement.