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Les membres de la Commission de géographie des activités commerciales du Comité national français de géographie sont très actifs ; ils organisent deux à trois colloques par année, à peu près tous publiés. Ce recueil, paru tout juste une année après un colloque tenu au Mans, est fidèle à la tradition par son caractère très actuel, son souci d’empirisme et le recours à des chercheurs d’expérience pour les textes d’introduction et de conclusion des thèmes abordés. La question centrale, à savoir la contribution du commerce à la ville durable, est sans conteste une question qui méritait une analyse approfondie, et la trentaine de textes proposés construisent un tableau haut en couleurs, mais où on arrive difficilement à bien cerner les lignes de force. Il faut dire que, quand un auteur définit l’urbanisme commercial durable comme « capable de répondre de la manière la plus efficiente qui soit aux attentes de l’ensemble de la population », on doit admettre qu’il y a eu manque de respect de la question centrale. À l’inverse, la suggestion d’Anne Fournié de scinder cette question en deux thèmes majeurs, d’une part la préservation de l’environnement et de l’autre la capacité de transmettre aux générations futures un patrimoine pérenne, aurait facilité la lecture du document et entraîné un effort additionnel de documentation particulièrement utile, notamment sur la généralisation ou non des normes de construction HQE (haute qualité environnementale, équivalant aux normes LEED), des pratiques de réseaux propres et de végétalisation des stationnements, d’extension de l’accessibilité des grandes surfaces et pôles commerciaux aux modes de transport collectif, ainsi que d’une plus grande recherche de flexibilité dans l’utilisation du sol à long terme.

Comme dans tout ouvrage collectif, certains auteurs ont collé de près à la question centrale, mais d’autres ont pris leurs distances en laissant un peu dans l’ombre la dimension commerciale dans l’examen des stratégies entrepreneuriales et des politiques territoriales. Il faut dire que même en France, où il y a une longue tradition d’urbanisme commercial (des CDUC – Commissions départementales d’urbanisme commercial – aux SDUC – Schémas de développement et d’urbanisme commercial), la place occupée par la distribution dans les SCOT (Schémas de cohérence territoriale, équivalents de nos schémas d’aménagement régional) et dans les PLU (Plans locaux d’urbanisme) reste limitée et prudente. Le dilemme incontournable entre la consolidation de l’équipement commercial du centre-ville, l’émergence d’une structure multipolaire, hiérarchisée ou non, et la dispersion dans l’espace bâti de manière ancillaire, en fonction strictement de l’accessibilité aux ménages dans l’espace urbanisé, est une nouvelle fois actualisé, de manière très étoffée et en allant souvent au-delà de la monographie et de la chronique. Dans cette perspective comparative, il faut souligner les textes de Mulatier sur les retail parks, de Chaze sur l’application des outils d’urbanisme commercial dans les villes et agglomérations du Centre-Est français et de Jacquot sur l’examen contrasté, entre Gênes et Liverpool, des politiques de développement commercial à l’heure du renouvellement urbain.

En ce qui concerne les principaux résultats, disons que l’étiquette « durable » des projets de la grande distribution est devenue incontournable, que les améliorations en termes de préservation de l’environnement sont nombreuses et qu’il y a souvent un réel souci de pérennité des réalisations, mais que le biais favorisant la grande taille et l’attractivité régionale n’est pas disparu. Alors que l’examen de 85 SCOT montre bien qu’il y a encore une vision hiérarchique de l’offre commerciale, mais avec un objectif de revitalisation des fonctions de proximité, d’autres soutiennent que la prégnance du modèle urbain monocentrique est déjà remplacée par la ville-archipel, avec requalification de multiples pôles de centralité en y insufflant plus de différenciation, contribuant ainsi à la création d’images de marque. Malheureusement, le lien avec la ville durable n’est pas assez explicite.

Sur la trentaine de textes, sept traitent de cas ou de stratégies hors Hexagone, dont trois qui concernent les pays en développement. Cette ouverture sur le monde apparaît bien mince, surtout qu’aucun de ces textes ne fait référence à la situation en France, et réciproquement pour les autres contributions. Le lecteur québécois retrouvera dans ce recueil des enjeux familiers, mais il aura du mal à s’y retrouver dans le cadre juridique français toujours en évolution dans le domaine de l’aménagement et de l’urbanisme commercial. Des expériences nouvelles, que ce soit dans les stratégies entrepreneuriales (Boivin sur le commerce durable dans l’espace francilien, Mulatier sur les retail parks aux États-Unis) ou dans les politiques territoriales (Mille sur l’intégration du commerce dans les documents d’urbanisme, Fleury sur les commerces de proximité dans l’action de la mairie de Paris), sauront toutefois combler les attentes des plus décidés.