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Habiter les territoires à risques est issu d’une journée d’étude organisée en 2009 à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne, réunissant des chercheurs en sciences sociales ainsi que des ingénieurs et des architectes. Cette diversité d’approches se retrouve dans l’ouvrage.
Le projet, énoncé en introduction par Valérie November, Pascal Viot et Marion Penelas, est ambitieux : « constituer une véritable école de pensée sur les territoires des risques ». Difficile d’affirmer l’émergence d’une école, une fois le livre refermé, mais les 12 contributions ici réunies présentent une certaine cohérence. Toutes associent par ailleurs, dans des proportions variables, réflexion théorique et études de cas bien documentées, en diverses parties du monde, mais le plus souvent en contexte urbain (Lyon et Saint-Étienne en France, Caracas et Vargas au Vénézuela, Kagoshima au Japon) ou périurbain (Lully près de Genève, Cuxac-d’Aude près de Narbonne en France).
L’ouvrage se décompose en trois parties. La première, intitulée « Lieux et activités humaines : frottement, mutations et mise en tension du risque », s’ouvre par une contribution de Valérie November, qui tisse le fil conducteur du livre. S’interrogeant sur la « récalcitrance » des risques urbains –entendue comme leur « indocilité aux mesures d’aménagement » –, l’auteure y voit la conséquence d’une gestion privilégiant l’identification de zones de risque et les actions de confinement, alors qu’on devrait commencer par s’interroger sur la relation de connexité entre risque et territoires habités. Cette relation est explorée, sous différents angles, dans la suite du livre.
L’article de Jacques Roux, traitant de l’expérience profane de la pollution atmosphérique par les habitants de Saint-Étienne, aurait peut-être été plus à sa place dans la deuxième partie, consacrée à la saisie du risque et à ses effets territoriaux. Il trouve un écho dans la contribution de Sarah J. Whatmore et Stuart N. Lane, qui souligne la plus-value apportée par l’intégration des diverses formes de connaissance du risque, au-delà du recours habituel aux expertises. Cette partie aborde par ailleurs la dimension historique des relations entre risque et action publique, à l’échelle des territoires urbains. Dans des contextes différents, Julien Rebotier, à Caracas, et Emmanuel Martinais, dans le couloir de la chimie au sud de Lyon, esquissent une périodisation. Dans le cas de Lyon, le chercheur identifie ainsi quatre modèles successifs : la mise à distance, l’invisibilisation, la cohabitation raisonnée puis l’aménagement sécuritaire.
La troisième partie porte sur la mise en mémoire de la catastrophe. On plonge ici au coeur de la problématique de l’habiter, et les quatre contributions soulignent le rôle structurant des catastrophes, à travers l’émergence de solidarités durables et la consolidation d’un ancrage territorial. On l’observe aussi bien chez les périurbains de Cuxac-d’Aude, inondés en 1999, qui s’affirment en tant que groupe face aux anciens habitants du village issus du monde viticole (Julien Langumier), que chez les habitants du quartier de La Veguita, à Vargas, qui imposent aux autorités une reconstruction dans une partie de la ville initialement déclarée « zone de protection et de récréation », à la suite des coulées de boue meurtrières survenues la même année. Une conséquence est la reconnaissance officielle de ce qui n’était, avant la tragédie, qu’un barrio absent des cartes. Comme l’écrit Sandrine Revet, la catastrophe a ainsi produit de la « localité ».
Si l’on peut regretter, dans l’ensemble de l’ouvrage, la rareté de l’illustration cartographique – qui aurait pu appuyer utilement certains textes de la deuxième partie – et si l’on est parfois gêné par le fréquent recours à des néologismes, le livre délivre un message clair. En prenant le contrepied d’une conception classique du risque comme extériorité, il explore les diverses façons dont le risque et la catastrophe participent de l’habiter, les rendant à même d’infléchir, parfois fortement, les dynamiques territoriales.