Comptes rendus bibliographiques

BRUNEAU, Michel (2018) L’Eurasie. Continent, empire, idéologie ou projet. Paris, Éditions du Centre national de la recherche scientifique, 360 p. (ISBN 978-2-27109-262-5)[Notice]

  • Jean-Marie Miossec

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  • Jean-Marie Miossec
    Département de géographie et aménagement, Université Paul Valéry, Montpellier (France)

Spécialiste de l’Asie du Sud‑Est, Michel Bruneau livre un essai original de synthèse sur l’Eurasie. Celle‑ci est désormais à la mode avec les visions eurasistes russe, chinoise et turque. Les géographes renouent, à la faveur de l’actualité, avec les réflexions des anciens : analysée par Grousset, Mackinder et Spykman, la problématique d’une « Bordurie » – des bandeaux de territoires qui s’étirent de la Bosnie au Japon – hante les politiques et guide une part de leur action. Modifiant l’équation du pivot de l’histoire de Mackinder, on faisait dire à Spykman, dans un livre posthume non cité : « Who controls the rimland rules Eurasia; who rules Eurasia controls the destiny of the world ». Les visées des États‑Unis, de Kennan à Brzezinski, dans la lignée explicite de Spykman ; la croissance récente de la Chine, son rôle en tant que principal pays atelier du monde et son désir de contrôler ses routes d’approvisionnement et de redistribution ; le retour politique de la Russie de Poutine ; et la dynamique touranienne de la Turquie d’Erdogan renforcent aujourd’hui les rôles géopolitique et géostratégique de ces immenses territoires entre Europe, Méditerranée et rivages asiatiques de l’océan Pacifique. Le projet de Bruneau est donc ambitieux : traiter d’un espace colossal en quelque 300 pages, en aborder la notion, en retracer des millénaires d’histoire, afin de profiler les perspectives géopolitiques de cette entité complexe et hétérogène, enjeu d’un bras de fer entre Chine, Russie et États‑Unis, tout en bousculant tous les pays qui s’y répartissent. En outre, en sous‑titre, l’auteur affiche quatre notions – continent, empire, idéologie, projet – dont chacune constitue un vaste programme. On comprend que, compte tenu de l’étendue des aspects à traiter, les spécialistes de tel thème transversal ou de tel État ou peuple puissent émettre des réserves. On soulèvera, çà et là, des compléments qui pourraient être utiles. Mais, s’agissant d’un essai de synthèse, la témérité de l’auteur lui permet d’aborder, selon ses grilles de lecture, une très vaste entité territoriale qui, aujourd’hui, pose problème et concerne l’avenir du monde. Il est bon que les géographes osent se positionner dans des champs de réflexion tant géohistoriques que prospectifs sur des grands espaces protéiformes, supranationaux. Avant même que l’Europe ne s’édifie, Juillard s’était aventuré dans une synthèse transnationale, avec sa splendide Europe rhénane (1968 ). Sur l’immense Eurasie, l’académicien Grousset avait fait oeuvre d’historien par maints ouvrages, mais aussi de géographie prémonitoire. Pour lui, « entre l’Asie et l’Europe, la Russie sera l’Eurasie – un troisième continent ». Le sénateur Biarnès a récemment livré une somme sur cet arc de crises. Bruneau s’y aventure avec de solides références et un art consommé du comparatisme sur la longue durée et la large étendue. L’auteur consacre d’ailleurs plus des quatre cinquièmes de son ouvrage à une remise en perspective de l’histoire, seule la quatrième partie étant plus spécifiquement contemporaine. Après une brève esquisse de la notion d’Eurasie, Michel Bruneau distribue son exposé en quatre parties. La première a trait aux empires continentaux : un monde « méta-méditerranéen » ( ? ), la Chine, les Turcs, les Mongols, les Russes. Autant de flashes de qualité sur des entités spécifiques en leurs temps, mais sans affirmer suffisamment leurs chevauchements temporels dans leurs développements et les interrelations entre ces ensembles, par l’islam notamment (comme le montre bien Miquel ) et le commerce (comme le soulignent Maurice et Denys Lombard ). En sectionnant à partir des réalités étatiques actuelles, on adopte une posture d’évolutions parallèles qui n’ont pas eu la même ampleur et la même portée : Turcs et surtout Mongols – inventeurs et acteurs de …

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