
Cahiers québécois de démographie
Volume 8, numéro 2, août 1979 Année internationale de l’enfant
Sommaire (8 articles)
Articles
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Fécondité et besoins de réalisation personnelle
Évelyne Lapierre-Adamcyk
p. 3–13
RésuméFR :
Nous vivons dans un régime de faible fécondité et cela nous est sans doute imposé par les forces économiques et sociales. Cependant, la variété des comportements individuels reste très grande, de sorte qu’il n’est pas illusoire de rechercher des liens entre les besoins de réalisation personnelle et le fait d’avoir des enfants.
Plusieurs besoins psychologiques peuvent être satisfaits par le fait d’avoir et d’élever des enfants, mais ces besoins peuvent aussi être satisfaits par d’autres moyens qui ne comportent pas nécessairement autant de contraintes et de responsabilités que les enfants. Pour essayer de comprendre cette remise en question de l’enfant comme source de satisfaction et d’épanouissement personnel, il faut replacer le problème dans l’évolution historique de la famille et plus particulièrement du rôle de la femme : l’industrialisation, en forçant les hommes à sortir de leur milieu familial pour travailler et gagner leur vie, a enlevé à la famille sa fonction de production économique et, par conséquent, a profondément modifié le rôle de la femme, l’a vidé de sa dimension économique. De plus, la baisse de la fécondité, imposée par les mécanismes socio-économiques, représente une transformation du cycle de la vie des femmes et des familles. La vie de la femme ne peut plus se définir uniquement par son rôle de mère.
Les Québécoises, quant à elles, sont profondément attachées à leur rôle d’épouse et de mère, cependant de moins en moins elles croient ce rôle unique et complètement satisfaisant. La Québécoise est toutefois encore réticente à se redéfinir pour entrer dans de nouveaux rôles qui eux aussi présentent leurs exigences, d’autant plus lourdes que celles du rôle d’épouse et de mère ne sont pas automatiquement allégées.
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Natalité et responsabilité sociale
Gary Caldwell
p. 15–27
RésuméFR :
Ce qui caractérise la période de l’après-guerre, c’est surtout une phase de modernisation accélérée, au moyen de l’adoption de nouveaux besoins, de modèles de comportement et de pratiques techniques venant de l’extérieur. On a alors pu croire qu’on adopterait les manifestations extérieures de ces pratiques tout en restant vierge quant au fond de la culture québécoise, mais le Québec a en réalité accueilli la modernisation à brides abattues. Les conséquences en sont : un matérialisme déchaîné, un individualisme galopant et la généralisation de l’éthique du progrès technologique (croissance et centralisation).
Avoir des enfants dans ce monde où tout est rationalisé, donc centralisé, présente un double inconvénient; le milieu d’appui (la communauté immédiate) d’autrefois qui permettait un partage des responsabilités et allégeait le fardeau des enfants n’existe plus parce que nous l’avons morcelé pour le rationaliser, et le fait d’avoir des enfants nuit a notre participation efficace dans ce beau monde de carrières à l’intérieur de nos bureaucraties où nous pouvons nous libérer et nous épanouir.
Dans ce contexte, existe-t-il une action sociale susceptible d’amener les jeunes couples à opter pour un ou deux enfants de plus? Il faudrait reconstituer un milieu d’appui pour les familles. Les familles ne peuvent pas et ne fonctionnent pas bien si elles ne s’insèrent pas à l’intérieur de communautés de base suffisamment resserrées (milieu d’appui), à moins qu’elles ne soient elles-mêmes assez nombreuses pour constituer des réseaux de parenté étendus, ce qui ne sera plus le cas au Québec.
Si seulement on savait soumettre la technique matérielle et organisationnelle à une direction humaine, nous pourrions créer des communautés qui resteraient quand même, grâce à l’emploi judicieux de la technologie, ouvertes à des expériences et des mondes plus vastes.
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À propos des futurs citoyens à engendrer et à former
Jacques Henripin
p. 29–46
RésuméFR :
Combien faut-il avoir d’enfants et comment les former? Les deux questions, indissociables, amènent des réflexions qu’il est tout naturel de regrouper en deux pôles : l’aspect individuel et l’aspect collectif.
Du point de vue des acteurs individuels, il s’agit pour les adultes de décider de faire une partie de leur vie en élevant un certain nombre d’enfants et en vivant avec eux… ou de s’abstenir de cette tâche et de ce plaisir. Ce choix est déterminé par les contraintes sociales, le désir de se procurer des éléments de confort (en donnant à ce mot un sens très large), le besoin de création à travers les enfants et le besoin de création par l’intermédiaire d’une activité professionnelle. Cependant, pour la majorité des gens, la concurrence se fait surtout entre le désir de se procurer des éléments de confort et le besoin de création à travers les enfants. Comme les occasions de confort se multiplient, le nombre d’enfants diminue. La plupart des adultes continuent toutefois à désirer des enfants, parce qu’il est fascinant de maîtriser le développement d’un être.
Du point de vue collectif, on est amené à d’abord se poser la question : combien faut-il d’enfants? Il est difficile de répondre à cette question, mais on ne peut imaginer une société saine qui refuse d’exercer l’une de ses fonctions les plus essentielles : donner la vie à des générations de jeunes qui soient en nombre suffisant pour assurer la base même de la société : sa population. Contrairement à ce qu’on pense souvent, l’État ne dispose pas de moyens magiques pour revigorer la fécondité. De toute façon, cette responsabilité devrait être partagée par l’ensemble de la société.
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Dénatalité et avenir de la société québécoise
André Lux
p. 47–69
RésuméFR :
D’un côté, la nation québécoise serait menacée, sinon de s’éteindre, du moins de perdre de sa substance et dès lors de réduire encore son poids relatif sur l’échiquier canadien et nord-américain. De l’autre côté, les modèles macro-économiques d’inspiration néo-malthusienne semblent démontrer avec rigueur que l’arrêt de la croissance démographique fournit aux peuples des moyens matériels supplémentaires énormes pour améliorer leur niveau de vie et poursuivre plus efficacement leurs objectifs individuels et collectifs. Ce paradoxe n’est qu’apparent et traduit plutôt la complexité des phénomènes associés au vieillissement.
On ne peut d’emblée qualifier tous les effets du vieillissement comme étant favorables ou défavorables, mais il est certain que le vieillissement d’une population nécessite des adaptations sociales. Il est couramment admis qu’une société déjà vieillie dispose de moins de souplesse pour procéder à des changements structurels. Le Québec a la chance de n’être qu’au début de ce phénomène et de disposer encore de la souplesse requise pour aménager progressivement ses structures et politiques.
Aujourd’hui que les nations industrielles ont exercé leur ingéniosité en peuplant leurs territoires de populations souvent denses bénéficiant d’un niveau de vie aisé, elles font face au second volet du dilemme démographique, croître ou vieillir. Il faudra encore une fois beaucoup d’ingéniosité pour vieillir démographiquement sans vieillir en tant que civilisation, en tant que nation québécoise.
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Comment peut-on devenir une personne au Québec?
Maurice Champagne-Gilbert
p. 71–82
RésuméFR :
En deçà et au delà de toutes les questions sociales, politiques, économiques, le développement de la personne au Québec, à partir même des conditions de procréation, de natalité et de formation de la personne dans la famille, appelle une véritable révolution, aussi intérieure que sociologique et politique. C’est la croissance de la personne qui constitue la raison d’être de la famille. Cette « cellule fondamentale de la société » se définit dans ce cadre comme étant une unité de vie, intime et privée, pour un ou des adultes unis à des enfants, dans une expérience quotidienne voulue comme durable et la plus permanente possible, en vue en particulier de partager leur croissance individuelle comme personnes, de faire l ’apprentissage des relations interpersonnelles et de contribuer au développement de l »humanité dans une société donnée, auprès de laquelle toute famille se trouve responsable. Or, la croissance matérielle, technologique et bureaucratique est totalement survalorisée actuellement au détriment de la croissance de la personne.
Une société plus proche de la personne et plus consciente de ses besoins est à réinventer. Sinon nous risquons de vivre dans une certaine illusion de progrès social et humain, en ne nous engageant pas davantage sur des voies de croissance qui passent directement par le développement de la personne. Pensons aux besoins et aux droits des personnes âgées, à ceux des jeunes, à ceux des femmes, et des hommes en fonction de leurs responsabilités de parents et des multiples exigences des relations hommes-femmes et de la vie du couple. Il est aussi vain d ’édifier une société sans fondement personnaliste que de concevoir le développement d’une personne hors de l’appartenance sociale. Ceux qui s’intéressent à la famille doivent tenir compte des rapports personne-société puisque la famille est une charnière entre la personne et la société. Il en est de même des relations hommes-femmes.
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L’enfant et la rupture d’union
Laurent Roy
p. 83–97
RésuméFR :
Cet article a pour but de présenter quelques données sommaires et générales sur le nombre d’enfants et de couples impliqués dans les ruptures d’union. Nous considérons les trois phénomènes, veuvage, divorce et séparation légale. Pour des raisons de disponibilité de données, nos calculs ne portent que sur la seule année 1975. Notre principale conclusion, c’est que le veuvage est le phénomène qui touche le plus grand nombre d’enfants, suivi d’assez près du divorce et de loin de la séparation légale. Au total, les ruptures d’union ont impliqué en 1975 approximativement 56 000 adultes et 46 000 enfants.
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Changements dans le contexte familial de l’enfant
Roderic P. Beaujot
p. 99–119
RésuméFR :
La famille a beaucoup changé au cours des derniers siècles. La « famille traditionnelle » était à plusieurs points de vue une structure basée sur la parenté plutôt que sur le couple et elle servait à plusieurs fonctions dans la société. Elle était surtout un groupe de travail dont les membres partageaient les tâches nécessaires à la survie et les relations familiales ressemblaient à des relations de travail. Dans ce contexte, la situation de l’enfant était précaire puisqu’il avait tendance a gêner plutôt qu’à contribuer à la production familiale. L’infanticide et l’abandon étaient des possibilités réelles et les soins accordés aux enfants étaient souvent inadéquats. La valeur de l’enfant se rapportait surtout aux contributions économiques qu’il pouvait éventuellement faire au profit de la famille.
La « famille moderne » est plutôt une structure conjugale qui n’a pas tellement de fonctions dans la société mais qui est devenue plus importante du point de vue de la gratification affective des membres. Elle fournit un soutien psychologique aux individus. Dans ce contexte, l’enfant occupe une situation plus favorable puisqu’il contribue aux relations affectives dans la famille. On attache beaucoup d’importance à son bien-être au point où la maternité est souvent vue comme une vocation à plein temps. Par contre, cette nouvelle attitude enlève à l’enfant une certaine autonomie dans ses activités. De plus, l’importance qu’on accorde à l’intimité implique que l’enfant a de plus fortes chances de faire l’expérience de la séparation de ses parents quand ces derniers ne trouvent pas ce qu'ils veulent à l’intérieur de la famille et divorcent afin de chercher ailleurs.