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L’agression sexuelle envers les enfants est une forme de maltraitance qui provoque des réactions d’indignation et d’incompréhension dans toutes les cultures. Ce type d’agression est un phénomène complexe se produisant pour plusieurs raisons, de diverses manières et dans différentes relations au sein des familles, des groupes de pairs, des institutions et des collectivités. Des efforts considérables ont été déployés pour répondre à ce grave problème, que ce soit sur le plan sociétal avec la mise sur pied de structures légales et pénales pour reconnaître ce crime et l’implantation de programmes de prévention, ou sur le plan clinique avec le développement de programmes d’intervention pour les victimes et de réhabilitation pour les agresseurs.

Or, bien que les agressions sexuelles envers les enfants soient reconnues par la communauté internationale comme une violation grave du bien-être humain et de la loi, aucun pays n’a encore mis au point de mécanismes garantissant que ses enfants et ses jeunes seront à l’abri de la violence sexuelle. Cette forme de violence est malheureusement un problème répandu qui affecte une personne sur huit dans le monde (18,0 % des femmes et 7,6 % des hommes)[1]. Bien que le tabou de la violence sexuelle ne soit plus aussi largement répandu qu’avant, de nombreuses barrières personnelles, familiales et sociales préviennent encore aujourd’hui les victimes de parler ouvertement des agressions sexuelles et d’impliquer les autorités. Considérant que de nombreux cas d’agressions sexuelles ne sont jamais détectés, cette violence et ses séquelles passent encore trop souvent inaperçues, et les opportunités d’intervention auprès des victimes et des agresseurs sont réduites.

Les efforts systématiques en matière de politiques et de santé publique pour prévenir, identifier et réagir aux agressions sexuelles envers les enfants en sont encore à leurs débuts. Les communautés internationales, telles que l’Organisation mondiale de la santé, ont reconnu la nécessité urgente de faire davantage pour protéger de la victimisation sexuelle les générations actuelles et futures d’enfants et de jeunes, et d’intervenir auprès des victimes et des agresseurs lorsqu’elle survient. Ce numéro spécial sur les agressions sexuelles envers les enfants a été conçu pour mettre en lumière les avancées importantes et inspirantes dans ce domaine qui influencent notre capacité à mieux comprendre, réagir et intervenir dans les situations de violence sexuelle. Il permet de souligner les réalisations accomplies et nous invite du même coup à poursuivre les efforts pour protéger pleinement les enfants de la violence sexuelle.

La première section de ce numéro spécial s’intéresse aux mécanismes liés au traitement des dossiers d’agression sexuelle par les policiers, les services de protection de la jeunesse et le système judiciaire. D’abord, l’article de Lewy et ses collaboratrices aborde l’épineuse question de la collaboration et de la résistance manifestées par les enfants lors des entrevues d’enquêtes menées par les policiers. Cette étude examine l’effet du soutien et du non-soutien des enquêteurs sur le comportement d’enfants, tout en tenant compte des caractéristiques de l’enfant et de celles de leur agression sexuelle. Ensuite, l’article de Silva et Collin-Vézina explore les variables qui pourraient expliquer le déclin des cas confirmés d’agression sexuelle lors du processus de traitement des signalements par les services de protection de l’enfance. Tenant compte de variables administratives et des caractéristiques des enfants, les résultats semblent indiquer que le déclin récent de l’incidence d’agression sexuelle peut être attribué aux changements des politiques et des pratiques du processus de traitement des signalements. L’article de Daignault et collègues traite de l’influence des procédures judiciaires sur le rétablissement d’enfants victimes d’agression sexuelle. Parmi les enfants québécois bénéficiant de services intégrés, le tiers ont témoigné à la cour avant la psychothérapie. Ces enfants semblent bénéficier davantage de l’intervention thérapeutique que ceux pour qui il n’y a pas eu de démarche judiciaire. Ces résultats soulignent l’importance de définir l’apport potentiel de ces procédures et leur contexte pour le rétablissement des enfants. L’article de Sader et collègues traite de jeunes québécois pris en charge sous la Loi de la protection de la jeunesse dans un contexte de maltraitance, incluant l’agression sexuelle, et qui commettent ensuite des infractions criminelles nécessitant l’intervention de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Ils sont connus comme des jeunes pris en charge sous les deux lois, des jeunes à double statut. Ayant analysé l’âge, l’ethnicité, le type et la sévérité des sentences, les résultats révèlent que les jeunes garçons qui ont été pris en charge sous les deux lois sont plus susceptibles de recevoir des peines de mise sous garde (ou privative de liberté) que les jeunes filles à double statut. Les résultats soulignent l’importance d’évaluer l’efficacité de ce type de peine en termes de réhabilitation.

La deuxième section porte sur les séquelles engendrées par la violence sexuelle chez les victimes à court et à long terme. Premièrement, l’article d’Isabelle Daigneault et ses collaborateurs examine auprès de jeunes suivis en centre jeunesse, et appariés avec des jeunes de la population générale, l’effet de l’agression sexuelle subie sur leur état de santé mentale et de santé physique sur une période allant jusqu’à dix ans après le dévoilement. Ces données sont les premières informations québécoises disponibles pour mesurer ces conséquences à moyen terme. Deuxièmement, l’article de Van Vugt et collègues traite de la présence de symptômes traumatiques chez des jeunes femmes dont les services de protection prennent fin lorsqu’elles atteignent l’âge de 18 ans. Les jeunes femmes qui ont vécu des agressions sexuelles pendant l’enfance présentent un niveau de symptômes traumatiques plus élevé que celles qui n’ont pas vécu d’agression sexuelle, ces symptômes étant d’autant plus importants lorsque les agressions sexuelles étaient particulièrement sévères et chroniques. Cette étude souligne l’influence de la victimisation sexuelle sur l’adaptation à long terme de ces jeunes femmes. Troisièmement, l’une des conséquences des agressions sexuelles subies dans l’enfance est le risque de revictimisation à l’âge adulte. L’étude d’Hébert et ses collègues examine le rôle médiateur des symptômes de stress post-traumatique pouvant expliquer la revictimisation chez des adolescents lors de leur relation amoureuse. Les résultats semblent indiquer des liens importants entre l’agression sexuelle dans l’enfance, les symptômes de stress post-traumatique et plusieurs formes de violence vécues chez les adolescents. L’article de Gauthier-Duchesne s’est intéressé au rôle médiateur de l’évitement dans la relation entre le sentiment de culpabilité des enfants victimes d’agression sexuelle et les symptômes d’anxiété et l’estime de soi. Les résultats révèlent un effet indirect indiquant que le sentiment de culpabilité est lié à l’utilisation de stratégies d’évitement, qui, en retour, exacerbent les symptômes d’anxiété et contribuent à une plus faible estime de soi.

La dernière section de ce numéro spécial s’intéresse aux agresseurs sexuels. D’une part, la production et la consommation de pornographie infantile est un phénomène préoccupant tant par son ampleur que son développement incessant. Dans cet article, Francis Fortin et ses collègues examinent, à partir d’une recension des écrits, l’aspect évolutif de ce phénomène. Ainsi, les auteurs soutiennent l’existence de différentes étapes qui font en sorte qu’un individu consommant de la pornographie adulte passera à travers différents stades concernant la pornographie infantile pour finalement commettre des actes concrets avec des enfants. D’autre part, les traitements des agresseurs sexuels visent généralement la modification des distorsions cognitives et l’amélioration de certaines caractéristiques de leur personnalité. Dans cette étude, Marie-Ève Daspe et ses collègues ont suivi sur une période de deux ans 134 délinquants sexuels pour vérifier l’effet de ce traitement sur ces variables. Les résultats indiquent des changements sur ces variables pour une bonne proportion de ces hommes en traitement, soutenant la malléabilité des composantes cognitives et de la personnalité.

Ce numéro spécial sur les agressions sexuelles envers les enfants a ainsi regroupé différentes études portant sur une étendue de sujets, y compris les trajectoires de services des victimes dans les différentes instances impliquées dans le traitement des dossiers d’agression sexuelle, les conséquences associées à l’agression sexuelle à court et à long terme de même que les processus modulant l’adaptation des jeunes, les facteurs influençant l’émergence de la délinquance sexuelle et l’efficacité des interventions visant la réadaptation. Nous croyons qu’il s’agit d’une contribution importante invitant à poursuivre les efforts pour développer une meilleure compréhension de la problématique de la violence sexuelle envers les enfants, et ainsi continuer d’élaborer et de bonifier les services adaptés aux besoins des enfants, adolescents, jeunes adultes et familles touchés par la violence sexuelle.