Numéro 4, 2022 De la French Theory à la déconstruction du monde Sous la direction de Daniel Dagenais, Gilles Labelle et Samie Pagé-Quirion
Sommaire (13 articles)
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Introduction
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La French Theory comme ruse de l’histoire postmoderne
Dany-Robert Dufour
p. 17–34
RésuméFR :
L’article défend l’idée que les théories philosophiques élaborées en France autour de 1968 ont été reçues aux États-Unis, puis reconfigurées sous le nom de French Theory avant de servir à l’instauration d’une culture néolibérale. En faisant la revue de ces théories, on peut dire que Derrida, qui a été au plus profond de la métaphysique occidentale, aura délégitimé la Loi, toute loi, pour y substituer le principe d’une indécidabilité des normes, ce qui correspond parfaitement au sujet néolibéral ; que Deleuze, en s’opposant au capitalisme « patriarcal » aura préparé la place aux minorités identitaires du capitalisme contemporain ; que Foucault aura non seule-ment critiqué toutes les institutions au moment où le néolibéralisme attaquait l’État, mais aura même vu dans le néolibéralisme un espoir contre la société disciplinaire ; et que les réflexions de Butler vont dans le sens du déni du réel alliant la toute-puissance imaginaire et la croyance aveugle dans les technosciences.
EN :
The article puts forward the idea that the philosophical theories elaborated in France around 1968 were received in the United States, then reconfigured under the name of French Theory before being used for the establishment of a neoliberal culture. In reviewing these theories, we can say that Derrida, who went to the depths of Western metaphysics, delegitimized the Law, all law, to substitute the principle of undecidability of norms, which corresponds perfectly to the neoliberal subject; that Deleuze, by opposing « patriarchal » capitalism, prepared the way for identity minorities of contemporary capitalism; that Foucault not only criticized all institutions at the same time as neoliberalism attacked the State, but even saw in neoliberalism a hope against the disciplinary society; and that Butler’s reflections go in the direction of the denial of reality combining the imaginary omnipotence and the blind belief in techno-sciences.
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La déconstruction et le neutre : de la critique des analogies de l’être à la promotion du genre
Baptiste Rappin
p. 35–61
RésuméFR :
Dans cet article nous montrons que la finalité de la déconstruction de la métaphy-sique n’est autre que la critique des analogies de l’être et des institutions, c’est-à-dire de l’ensemble des formes de médiation. Cette entreprise est rendue possible par une stratégie qui procède au renversement des polarités de la métaphysique ainsi que par le déplacement des catégories de cette dernière. De ce point de vue, le Neutre apparaît comme le pivot qui, chez les déconstructeurs, permet de faire basculer l’édifice grec ; il permet également au féminisme de revêtir une dimension ontologique – il s’agit des théories du genre.
EN :
In this article, we show that the main aim of the deconstruction of metaphysics is the critic of analogies of being and of institutions, that is to say of all the forms of mediation. This project is based, on the one hand, on the strategy of inverting the polarities of metaphysics, and, on the other, on the displacement of the categories of metaphysics. From this point of view, the Neutral appears as the pivotal point that allows the philosophers of deconstruction to knock the Greek structure over; it also allows feminism to get an ontological dimension – here appear the gender studies.
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De la New Left à la Fake Left : les Cultural Studies et la crise de la réalité
Maxime Ouellet
p. 63–94
RésuméFR :
Cet article a pour intention de saisir l’évolution des Cultural Studies dans le contexte des transformations structurelles qui affectent les sociétés capitalistes avancées dans le cadre du passage de la modernité vers la postmodernité. Nous verrons que l’intention initiale des Cultural Studies visait à poser les bases d’une théorie sociologique qui trouvait son expression politique dans le socialisme démocratique. S’opposant à la fois à l’économicisme, au positivisme et à l’utilitarisme qui étaient partagés autant par le marxisme vulgaire que par le libéralisme, le matérialisme culturel des fondateurs des Cultural Studies a cherché dans la culture populaire un ensemble de traditions qui s’opposaient à la logique universaliste abstraite du capitalisme industriel et qui pourraient établir les fondements normatifs d’une société socialiste à venir. Par la suite, en branchant le marxisme structuraliste althussérien sur la French Theory, les théoriciens des Cultural Studies se feront les principaux protagonistes de la politique des identités et de la guerre culturelle qui sévira aux États-Unis à partir des années 1980. Nous soutenons que le tournant postmoderne des Cultural Studies participe d’une crise générale des modalités de reproduction des sociétés capitalistes avancées qu’on peut qualifier de crise de la réalité. Cette crise se manifeste notamment dans le conflit qui oppose une droite postmoderne, la Alt-right, à la Fake Left, une gauche de la simulation, qui s’exprime notamment dans les médias sociaux et sur les campus universitaires.
EN :
This article intends to grasp the evolution of Cultural Studies in the context of the structural transformations that affect advanced capitalist societies in the framework of the transition from modernity to postmodernity. We will see that the initial intention of Cultural Studies was to lay the foundations of a sociological theory which found its political expression in democratic socialism. Opposing the economicism, positivism and utilitarianism that were shared as much by vulgar Marxism as by liberalism, the cultural materialism of Cultural Studies founders sought in popular culture a set of traditions that opposed the abstract universalist logic of industrial capitalism and which could establish the normative foundations for a future socialist society. Subsequently, by connecting Althusserian structuralist Marxism to French Theory, Cultural Studies theorists would become the main protagonists of the politics of identities and of the cultural war that raged in the United States as of the 1980s. We argue that postmodern cultural studies are part of a general crisis in the modes of reproduction of advanced capitalist societies that can be described as a crisis of reality. This crisis manifests itself in the conflict which opposes a post-modern right, the Alt-Right, to the Fake Left, a left of the simulation, which expresses itself in social media and on university campuses.
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L’enchantement de la machine : la nature systémique du néo-matérialisme
Claude Leduc
p. 95–114
RésuméFR :
À l’anthropocentrisme et au dualisme épistémologique propre au sujet cartésien et moderne, le néo-matérialisme oppose une ontologie relationnelle caractérisée par des agencements où l’ensemble des objets – des « actants » – s’affectent mutuellement et produisent ainsi de concert un environnement dynamique. L’étude critique de ce courant théorique révèle un accord profond avec la pensée des systèmes. Le néo-matérialisme s’appuie en effet sur une critique de la représentation qui résonne fortement avec l’idéologie associée aux technologies de l’information et de la communication issues de la cybernétique. De même, le modèle sociétal qu’on peut tirer du néo-matérialisme s’accorde avec celui qu’on peut associer au marché néolibéral, « l’enchantement » que suscite censément une matière investie d’une dynamique vitaliste consacrant en réalité la mise en marchandise de tout l’être. En nous inspirant notamment du travail de Michel Freitag, nous démontrons que le néo-matérialisme constitue un exemple parfait de l’extension du monisme opérationnel en sciences humaines, à mesure que la production de la connaissance s’arrime au problem solving indissociable de la gestion technocratique du social.
EN :
In response to the cartesian subject’s anthropocentrism emanating from modern epistemological dualism, Neo-Materialism demands that we forego epistemology in favour of a relational ontology characterized by the assemblage of affective objects (actants) in which mediation is no longer a meaningful aspect of Being but is rather smeared on the ensemble of objects that together produce a dynamic environment. Yet, a critical overview of this theoretical current demonstrates strong congruencies with system’s thought. First, Neo-Materialism delivers a critique of representation that echoes the ideological thrust behind information and communication technologies issuing from cybernetics. This alignment is reinforced by comparing the neo-materialist societal model with that of the neoliberal market, where the process of making commensurable all of its externalities harmonize with the “enchantment” invoked through a vitalist material perspective that evinces the commodifica- tion of everything. Using Michel Freitag as a point of reference, we finally see in Neo-Materialism the extension of the operational monism characterizing the technocratic management of the social into the humanities and social sciences, where the production of knowledge is reduced to the arbitrary effects generated within the system within a problem-solving perspective.
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Bruno Latour et la sociologie de l’acteur-réseau : enjeux épistémologiques et ontologiques d’une postmodernité radicale
Stéphane Vibert
p. 115–160
RésuméFR :
La « théorie de l’acteur-réseau » (ANT – Actor Network Theory, ou encore sociologie de la traduction) proposée par Bruno Latour depuis plus d’une trentaine d’années s’avère incontestablement l’une des théories les plus importantes dans les sciences sociales actuelles, portée par une notoriété toujours plus imposante tant dans le monde anglo-saxon que francophone. Sans doute parce que – ce sera là notre hypothèse – elle incarne essentiellement, en sa radicalité propre, l’ontologie postmoderne par excellence, si l’on prend l’expression en un sens purement descriptif, revendiqué par Latour lui-même. Initialement étiquetée comme « programme fort » en sociologie des sciences, accusée de défendre un constructivisme relativiste contre les prétentions de la Raison objective, l’approche latourienne a considérablement enrichi ses objets d’étude au fil des ans, s’intéressant successivement – outre une analyse constante des sciences et des techniques – à la religion, à l’anthropologie, au droit, à l’écologie, ou encore à la politique. La disparité des thèmes ne doit pas masquer une profonde cohérence ainsi qu’une véritable unité de perspective. Si sociologiquement elle peut être comprise comme une « inversion du durkheimisme », refusant à la fois l’existence même de la « société », la méthode objectiviste ou l’origine symbolique du social, elle repose ultimement sur une « ontologie plate », à la fois moniste, actantielle, relationnelle et processuelle, dont il nous faudra déployer les tenants et aboutissants pour mieux en saisir la nature complexe et le pouvoir de séduction. Ce texte entend présenter les grands principes épistémologiques de la sociologie latourienne, afin d’en indiquer les soubassements ontologiques, lesquels possèdent une puissance de vue incomparable, tout particulièrement adaptée au « monde en train de se faire ».
EN :
Actor Network Theory (ANT, or the sociology of translation) elaborated by Bruno Latour over the last thirty to forty years is without a doubt one of the most important theories of contemporary social sciences, carried by a strong notoriety both in the Anglo-Saxon and Francophone worlds. Certainly because it embodies through its own radicality – such is our hypothesis – the postmodern ontology par excellence, the latter being taken, as Latour himself did, in purely descriptive terms. Initially labeled a “strong programme” in the sociology of science and accused of defending a relativist constructionism against the pretentions of objective Reason, the Latourian approach has considerably enriched its objects of study through the years, successively turning to – aside from a continuous analysis of the sciences and technics – religion, anthropology, law, ecology, and politics. The thematic disparity need not mask some profound coherence or again some genuine unity of perspective. If it can be sociologically understood as an “inversion of durkheimism”, rejecting in one fell swoop the very existence of “society”, the objectivist method, and the symbolic origin of the social, it ultimately relies on a “flat ontology”, at once monist, actant, relational and processual, the tenants and results of which we must deploy in order to better grasp its complex nature and seductive power. This text intends to present the larger epistemological principles of Latourian sociology in order to highlight its ontological foundations, which possess an unparalleled penetrating view that is particularly adapted to “the world in the making”.
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Michel Foucault, de la « pensée du dehors » au « capital humain »
Gilles Labelle
p. 161–196
RésuméFR :
Une fréquentation même sommaire et partielle de l’immense littérature qui a été consacrée à Michel Foucault révèle qu’elle repose en grande partie sur une décontextualisation de l’oeuvre. Dans un souci de contextualiser celle-ci, je défendrai trois arguments : 1) le rejet de la « pensée dialectique », dont la phénoménologie est le cas le plus récent suivant Foucault, doit être considéré comme structurant tout son travail, de l’Histoire de la folie à l’âge classique à l’Histoire de la sexualité et au cours de 1979 consacré au libéralisme et au néolibéralisme. 2) Cette posture constitue une prise de position à l’égard des principes qui structurent ce qu’on peut désigner comme le monde moderne ou la modernité. À la pensée dialectique, Foucault oppose d’abord ce qu’il désigne comme « pensée du dehors », qui correspond à ce que Hegel désignait comme « pensée de l’entendement » en ce qu’elle pose l’existence d’oppositions irréductibles et indépassables. L’exemple paradigmatique de cette pensée désignée par Hegel comme pensée du « ou bien… ou bien… » est donné dès le départ de l’oeuvre de Foucault : ou bien la déraison (dont la folie est un cas), ou bien la raison. Ce qui est dès lors rejeté est l’idée de synthèse ou de réconciliation entre les éléments contradictoires dont hérite la modernité (par exemple entre l’idée de totalité et celle de liberté), qui caractérise selon Foucault la pensée dialectique dans ses diverses déclinaisons, hégélienne, marxienne et phénoménologique. 3) Cette prise de position à propos de la pensée dialectique et de la modernité permet de situer Foucault dans l’actualité immédiate où s’est déployée son oeuvre – la critique de la colonisation d’abord, le gauchisme post-soixante-huitard ensuite, ce qu’on peut désigner comme le « post-gauchisme » enfin – et éclaire en partie au moins la réception dont elle a fait l’objet.
EN :
Even a summary and partial investigation of the immense literature that has been devoted to Michel Foucault reveals that it is largely based on a decontextualization of his work. In order to contextualize it, I will defend three arguments: 1) the rejection of “dialectical thought”, of which phenomenology is the most recent case according to Foucault, must be considered as structuring all his work, from Madness and civilization to The History of sexuality and to the 1979 course devoted to liberalism and neoliberalism. 2) This posture constitutes a position taken with regard to the principles that structure modernity. To dialectical thought, Foucault first opposes what he designates as the “thought from the outside” (“pensée du dehors”), which corresponds to what Hegel designated as “mere understanding” (“pensée de l’entendement”) in that it posits the existence of irreducible and unsurpassable oppositions. The paradigmatic example of what Hegel also designates as the thought of “either/or” is given from the start of Foucault’s work: either unreason (of which madness is a case), or reason. What is therefore rejected is the possibility of a synthesis or a reconciliation between the contradictory elements which modernity inherits (for example between the idea of totality and that of freedom), which characterizes, according to Foucault, dialectical thought in its various versions, Hegelian, Marxian and phenomenological. 3) This stance on dialectical thought and modernity allows us to situate Foucault in the immediate context in which his work unfolded: firstly the critique of colonization, then “post ‘68 leftism”, and finally what we can designate as “post-leftism”. This contextualization sheds light at least in part on the reception to which it has been subjected.
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La déconstruction égalitariste de la (dé)raison pédagogique chez Jacques Rancière
David Auclair
p. 197–227
RésuméFR :
Cet article propose une lecture critique du Maître ignorant de Jacques Rancière. Devant les inégalités scolaires passées et actuelles, une question persiste et nous tenterons d’y répondre : est-ce que les processus de subjectivation des enfants doivent passer par les contraintes d’une autorité adulte ? Pour Rancière, « la vertu d’ignorance est d’abord une vertu de dissociation », c’est-à-dire que l’émancipation intellectuelle commande une séparation entre maîtrise et savoir. Le maître igno-rant n’ignore pas tout, il ignore les raisons sociales de l’inégalité. Cette posture politique est anti-institutionnelle. Seul l’individu peut s’émanciper et l’école n’a jamais émancipé personne, écrit ce philosophe. Dès lors, quelles sont les conditions sociales de l’autonomie ? Ce n’est pas sans danger que les adultes en position d’autorité se désengagent de leurs devoirs au nom d’un laisser-faire qui naturalise les rapports hors des institutions. Nous pensons que Rancière n’échappe pas à la contradiction qui conduit à empêcher l’émancipation au nom de l’égalité. Cela n’enlève rien à sa capacité d’identifier des problèmes scolaires qui semblent encore à ce jour insolubles.
EN :
This article proposes a critical reading of Jacques Rancière’s The Ignorant Schoolmaster (Le maître ignorant). Faced with past and current educational inequalities, looms a question that we try to answer: should the processes of subjectification of children go through the constraints of adult authority? For Rancière, « the virtue of ignorance is first of all a virtue of dissociation », that is to say that intellectual emancipation requires a separation between mastery and knowledge. The ignorant master is not ignorant of everything, he is ignorant of the social reasons for inequality. This political posture is anti-institutional. Only the individual can emancipate himself and the school has never emancipated anyone, writes the philosopher. Therefore, what are the social conditions of autonomy? It is not without danger that adults in a position of authority disengage from their duties in the name of a laissez-faire approach that naturalizes relationships outside the institutions. We believe that Rancière does not escape the contradiction consisting of preventing emancipation in the name of equality. This does not detract from his ability to identify school problems that still seem unsolvable to this day.
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La réalité des sexes : une dimension incontournable de la condition humaine
Rhéa Jean
p. 229–262
RésuméFR :
Le présent article se propose de montrer les impasses de l’idéologie de l’identité de genre. En puisant dans la philosophie du langage et la phénoménologie husserlienne, il s’agit d’abord de montrer que cette idéologie crée une confusion par rapport à la manière dont nous désignons intersubjectivement le monde commun à travers les mots que nous utilisons. Il s’agit également d’affirmer qu’en amenant la population à adhérer à sa novlangue, cette idéologie modifie notre compréhension commune des mots « femme » et « homme » et mine les droits sexospécifiques des femmes. En se référant, entre autres, aux philosophes Kathleen Stock et Sylviane Agacinski, le propos met l’accent sur le primat du corps par rapport aux normes sociales. Enfin, l’article vise à sensibiliser le lecteur à des dérives telles qu’une médicalisation (affectant les mineurs) basée sur une identité subjective ainsi qu’une atteinte à la liberté d’expression des personnes critiquant cette idéologie.
EN :
This article proposes to show the impasses of the ideology of gender identity. By drawing on the philosophy of language and Husserlian phenomenology, it is first a question of showing that this ideology creates confusion in relation to the way in which we intersubjectively designate the common world through the words we use. It is also to argue that by getting people to buy into their Newspeak, this ideology alters our common understanding of the words ‘woman’ and ‘man’ and undermines women’s sexo-specific rights. By referring, among others, to the philosophers Kathleen Stock and Sylviane Agacinski, the subject emphasizes the primacy of the body in relation to social norms. Finally, the article aims to make the reader aware of abuses such as medicalization (affecting minors) based on a subjective identity as well as an attack on the freedom of expression of people criticizing this ideology.
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Undoing Butler. Essai sur la théorie du genre
Daniel Dagenais
p. 263–291
RésuméFR :
Cet article se saisit de l’oeuvre de Judith Butler pour interpréter la signification sociologique de la théorie du genre. La première partie est consacrée à présenter le réseau des concepts butlériens et à en expliciter les principales articulations. L’absence de fondement phénoménologique et historique et la visée purement déconstructiviste de la pensée de Butler ressortent de cette première approche. La deuxième partie s’attarde à montrer à quel point Butler méconnaît la modernité spécifique de l’idée d’assomption du genre, pourtant centrale chez elle. On passe alors à une critique épistémologique et sociohistorique de ses catégories. La troisième partie, en s’écartant du commentaire de Butler, entend montrer que l’épuisement de la dialectique moderne de subjectivisation du genre fournit sa condition de possibilité à la théorie du genre en ayant réalisé la possibilité de se débarrasser des sexes. Dans cette perspective, la théorie du genre apparaît comme la poursuite inconsciente, dans les deux sens du terme, de la logique d’abstraction moderne, en convergence avec un possible arraisonnement technologique du vivant.
EN :
This article discusses Judith Butler’s work in order to clarify the sociological meaning of Gender Theory. The first part is devoted to presenting Butler’s network of concepts, and to make explicit their main articulations. Comes out of this explication the lack of any phenomenological and historical base of Butler’s approach, and its purely deconstructivist goal. In the second part, the idea of gender assumption, central in Butler, is discussed in order to show how she is oblivious to its very modernity. This is the occasion of more critical an appraisal of her categories, from an epistemological and socio-historical perspective. Moving away from the commentary of Butler’s work as such, the third part intends to show how the exhaustion of the modern process through which gender was made subjective provides gender theory with its very condition of possibility. In the end, gender theory appears as the unconscious and thoughtless pursuit of the modern abstraction process, its full convergence with the possible enframing (arraisonnement) of the living.
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La globalisation du moralisme
Gilles Gagné
p. 293–304
RésuméFR :
Les sciences de la gestion américaines sont à l’heure d’un bilan : quelle est l’efficacité du programme diversité, équité, inclusion (DEI, anciennement D&I) et des programmes similaires adoptés, selon Leslie Sklair, dès les années 1990 par les entreprises globales de haut niveau ? Comment « l’industrie DEI » et « les nouvelles professions de la DEI » pourront-elles généraliser l’augmentation de la compétiti- vité des organisations qui pratiquent la diversité de genre (+21 %) ou la diversité ethnique et de genre (+33 %), ou la capacité des équipes diversifiées (selon l’âge, le genre et l’ethnie) de prendre de meilleures décisions (dans 87 % des cas), comme le soutient le cabinet de consultants internationaux Global Diversity Practice ? Comment les performances des CDO (chief diversity officers) se traduisent-elles dans la société quand on sait que 35 % des investissements émotionnels (?!) des employés sont associés au sentiment d’être inclus, selon une étude de la firme Catalyst en 2020 ? C’est sur le fond de la multiplication des cabinets de tuteurs, de mentors et de coachs internationaux qui implantent ces pratiques managériales que l’article examine les transformations sociales et politiques plus générales qui ont rendu possible la convergence (et la confusion) entre un programme de gestion du personnel visant à accroître les rendements et une quête morale qui tend à légiti- mer une nouvelle forme (verticale) de la démocratie sociale.
EN :
For American management sciences, time has come for an assessment: what is the efficiency of the diversity, equity, inclusion program (DEI, formerly D&I) and of similar programs adopted, according to Leslie Sklair, by high-ranking global corporations since the 1990s? How can the « DEI industry » and the « new DEI professions » generalize the increased competitiveness of organizations that practice gender diversity (+21%) and gender and ethnic diversity (+33%), or the capacity of teams with age, gender and ethnic diversity to make better decisions (87% of the time), as reported by the Global Diversity Practice consultancy? How can the performances of the CDOs (chief diversity officers) be translated into society, when we know that 35% of the emotional investments (?!) of employees are associated with the feeling of being included, according to a 2020 study by Catalyst? It is on the backdrop of the multiplication of tutoring, mentoring and coaching consultancies that implement these managerial practices that this article examines the more general social and political transformations that made possible the convergence (and confusion) between a labor management program aimed at increasing yields and a moral quest which tends to legitimize a new (vertical) form of social democracy.
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Valeur et langage chez Marx
Éric N. Duhaime
p. 305–330
RésuméFR :
Depuis la parution du Capital en 1867, le concept de valeur a fait couler beaucoup d’encre. Plusieurs interprétations distinctes et opposées ont été proposées pour éclairer la signification de ce concept central à la théorie de Marx, certains soutenant même que la valeur revêtirait deux significations contradictoires et irréconciliables dans son oeuvre, étant présentée tantôt comme une substance, tantôt comme une médiation. Cet article vise à éclairer le concept de valeur chez Marx, mais en abordant cette question de façon indirecte, c’est-à-dire à partir du statut ambigu que revêt le langage dans son oeuvre. D’abord, nous montrerons que la façon dont Marx conçoit l’activité de production, comme activité sociale et historique, permet d’arrimer celle-ci à une théorie plus générale qui tient compte du symbolique. Ensuite, en abordant quelques thèses centrales de la théorie du symbolique de Michel Freitag, nous montrerons que le langage permet d’élucider un point central de la spécificité de l’activité humaine telle que dépeinte par Marx. Enfin, nous montrerons que la valeur se situe au croisement de la production et du langage, en ce qu’elle constitue pour Marx à la fois une catégorie abstraite et une médiation sociale concrète.
EN :
Since the publication of Capital in 1867, the concept of value has caused a lot of ink to flow. Many different and opposite interpretations have been proposed to clarify the meaning of this concept central to Marx’s theory, some even arguing that value would take on two contradictory and irreconcilable meanings in his work, being presented sometimes as substance, sometimes as mediation. This article seeks to shed light on Marx concept of value, although tackling the question indirectly, that is to say from the ambiguous status that language takes on in his work. First, we will show that the way in which Marx conceives of the activity of production, as a social and historical activity, makes it possible to tie it to a more general theory which takes the symbolic into account. Then, by introducing some central theses of Michel Freitag’s theory of the symbolic, we will show that language makes it possible to elucidate a central point of the specificity of human activity as depicted by Marx. Finally, we will show that value is located at the crossroads of production and language, in that it constitutes for Marx both an abstract category and a concrete social mediation.
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Note critique – Underground philosophy. Une présentation de la pensée anarchéologique de Jean Vioulac
Baptiste Rappin
p. 331–347
RésuméFR :
Le philosophe français Jean Vioulac fait figure de météorite dans l’espace de la pensée contemporaine. Non seulement parce qu’il n’occupe aucune position institu-tionnelle universitaire, mais surtout parce qu’il propose à ses lecteurs une théorisation vertigineuse de notre monde capitaliste et industriel, dont la compréhension est enracinée dans une stimulante interprétation de l’histoire de la civilisation occiden-tale et même de l’humanité. Nous nous proposons, dans cet article, de présenter une première synthèse – nécessairement incomplète – de cette oeuvre à la fois massive, profonde et décisive.
EN :
The French philosopher Jean Vioulac appears to be a meteorite in the space of contemporary thought. Not only because he writes from outside the university, but especially because he formulates a vertiginous theorization of our capitalist and industrial world, whose understanding is rooted in a stimulating interpretation of the history of Western civilization and even of mankind. The following article is meant to offer a first synthesis – necessarily incomplete – of this massive, deep and crucial work.