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Les textes réunis dans cet ouvrage concernent une question de prime abord exclusivement procédurale (la saisine des tribunaux internationaux) mais cette saisine présente l’intérêt de révéler la conception même des différents systèmes juridictionnels dans le monde, ainsi que le montrent les diverses contributions de spécialistes de l’Unité mixte de recherche (umr) de droit comparé et du cerdin-Paris i, réunis lors d’une Journée 2005 du Contentieux.
L’ouvrage est constitué de cinq parties principales, consacrées respectivement aux juridictions interétatiques à vocation universelle (Cour internationale de justice et Tribunal international du droit de la mer), à l’organe de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce, aux juridictions communautaires (Cour de justice des communautés européennes et Tribunal de première instance), à la Cour européenne des droits de l’Homme, et enfin, aux juridictions pénales internationales (Tribunal pour l’ex-Yougoslavie, Tribunal pour le Rwanda, Cour pénale internationale).
La première partie est la plus importante quantitativement et qualitativement. Dans son rapport, Matthias Forteau fait un très large usage de la jurisprudence pour montrer que l’examen de la saisine constitue une réflexion sur la nature même du pouvoir judiciaire international. L’auteur précise d’abord la fonction de la saisine, qui est d’appeler, en matière contentieuse, le règlement d’un différend et, en matière consultative, la réponse à une question juridique. L’auteur examine ensuite le régime de la saisine en distinguant ses modalités particulières et les conditions auxquelles est soumise sa régularité. En effet, il ne suffit pas que le tribunal soit saisi, ce dernier doit statuer, en cas de contestation ou même d’office, sur la régularité de l’introduction de l’action. Forteau dégage enfin les effets de la saisine, laquelle constitue une source de droit pour les Parties et le juge.
Laurence Dubin montre par ailleurs, dans son rapport, que la saisine du mécanisme de règlement des différends de l’omc s’éloigne des règles classiques relatives à la procédure. L’auteure estime que la saisine, dans ce cas, loin de constituer un banal acte introductif d’instance, recouvre divers actes unilatéraux étatiques et constitue à la fois une opération complexe remplissant une fonction intimidatrice que lui a attribuée le système commercial multilatéral et un prisme utile à la qualification des pouvoirs au profit du Groupe spécial et de l’Organe d’appel.
Quant à la saisine de la Cour de justice des Communautés européennes, Laurence Burgorgue-Larsen montre que son examen permet d’entrer dans l’univers de l’intégration. La saisine paraît ici protéiforme, compte tenu de la multiplicité des acteurs (nationaux et communautaires), d’autant plus que ces acteurs, de même que les instances saisies, ont connu des évolutions majeures.
La saisine de la Cour européenne des droits de l’homme, étudiée par E. Lambert-Abdelgawad, montre un curieux paradoxe puisque, d’une part, elle est la raison d’être de la Convention et que, d’autre part, elle est devenue un obstacle critique pour la Cour qui affecte la survie même du système européen. L’auteur y examine tour à tour la saisine par les individus (au coeur même du processus), l’élargissement problématique de cette saisine à d’autres acteurs, et enfin, ses tentatives de transformation, lesquelles, avertit l’auteur, sont dangereuses pour la finalité de la protection des droits de l’homme.
La dernière partie, dont on pourra déplorer la brièveté, concerne la saisine des juridictions pénales internationales. Il y aurait certes beaucoup à dire, compte tenu de leur développement dans le nouvel environnement international. Le texte de Yann Kerbrat a néanmoins le mérite de montrer la difficulté de situer cette saisine dans l’ensemble de la procédure répressive et d’expliquer en quoi les modalités d’ouverture d’une instance pénale diffèrent grandement de celles qu’on trouve dans les autres domaines du contentieux.
Emmanuelle Jouannet, dans une conclusion intitulée La saisine en droit international ou la simplicité dans la diversité, se demande si la saisine doit être perçue comme une technique juridique ou une stratégie, un fait ou un acte juridique, et, dans le cas où il s’agit d’un acte juridique (simple ou complexe), pose la question de savoir si la saisine est objet d’un contrôle de recevabilité ou de compétence. L’auteure estime néanmoins que la diversité des modèles exposés ne signifie pas pour autant une dilution de la notion classique de saisine.
On pourra regretter que cet ouvrage fort savant ne contienne pas de table de la jurisprudence citée. Consacré à un aspect précis de la procédure devant les tribunaux internationaux, il s’adresse exclusivement aux spécialistes du droit international.