Comptes rendusÉtudes stratégiques et sécurité

Charlie Foxtrot : Fixing Defence Procurement in Canada, Kim Richard Nossal, 2016, Toronto Dundurn Press, 202 p.[Notice]

  • Samir Battiss

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  • Samir Battiss
    Centre interuniversitaire de recherche sur les relations internationales du Canada et du Québec (cirricq), École nationale d’administration publique, Montréal, Canada

Kim R. Nossal, professeur à l’Université Queen’s, reste l’un des rares chercheurs ayant eu le courage intellectuel de se prononcer sur un sujet aussi sensible dans la pratique des politiques publiques au Canada que celui de l’approvisionnement de défense. Avec cet ouvrage, il publie un remarquable travail de mise en perspective et d’évaluation des dérives sur plusieurs décennies. La démarche est pluridisciplinaire et les références très riches. L’objectif de l’auteur est de présenter une appréciation très détaillée et très documentée de l’inefficacité des politiques canadiennes d’acquisition sans pour autant céder à la fatalité. Le livre poursuit trois buts principaux. Tout d’abord, Nossal met en évidence les erreurs des gouvernements successifs, conservateurs et libéraux, dans la gestion des programmes d’armements et d’acquisition de matériels pour les Forces canadiennes. Le tableau qu’il brosse s’appuie sur six études de cas, dont quatre sont puisées dans l’histoire canadienne de l’approvisionnement militaire (le fusil Ross ; l’avion CF-105 Arrow ; le véhicule tout-terrain Iltis et les sous-marins de classe Victoria ; les hélicoptères Sea King et les avions CF-18). Ces exemples de mauvaise gestion servent de toile de fond à une discussion plus générale sur le processus canadien d’acquisition. Ils illustrent le manque d’anticipation et d’autres erreurs commises dans des situations plus actuelles. Nossal entend ensuite expliquer les raisons de tels dysfonctionnements procéduraux. Il fait un lien entre le passé et le présent en mettant l’accent sur les résistances aux changements et sur la cession à la facilité des habitudes (path dependence). Une ombre planerait sur les programmes de rééquipement de l’Armée canadienne, étant donné la dimension intrinsèquement de long terme des programmes d’armement, notamment par la constitution d’une base industrielle et technologique de défense tournée vers l’avionique. Nossal évoque les caractéristiques du processus et les causes de blocage. Ces causes sont d’abord institutionnelles. L’auteur met en cause la division entre trois ministères, la responsabilité de définition et le suivi de l’approvisionnement, ce qui conduit inévitablement à des tensions, surtout entre ministres. Ce partage unique au monde conduit à une dilution des responsabilités contractuelles, à des refus d’assumer politiquement les ralentissements du processus et les dépassements de coûts. S’y ajoute l’incapacité des bureaucraties concernées à absorber le volume de travail dans des délais raisonnables. Cette incapacité trouve une explication dans la réduction drastique des effectifs ministériels et la perte de certaines expertises et compétences fondamentales dans la fonction publique fédérale (estimations des coûts, prévisions budgétaires, etc.). Une autre série d’explications institutionnelles résiderait dans des habitudes « compulsives » des bureaucrates, comme leur insistance systématique sur des « spécifications canadiennes » (indigénisation) des équipements à acquérir. Parfois nécessaire, la canadianisation ne peut cependant être automatique, surtout dans un contexte administratif obscurci par le manque d’effectifs et la dilution des responsabilités. Pour l’auteur, la taille réduite des forces canadiennes explique également les difficultés dans l’acquisition ; alors que les États disposant des effectifs élevés peuvent spécialiser les différentes composantes de leurs forces, ceux qui, comme le Canada, possèdent des forces numériquement restreintes tentent de privilégier les équipements multi- rôles/multi-missions/multi-usages. Outre les explications institutionnelles, le processus met en avant comme paramètre majeur de décision les dimensions économique et commerciale. Si la seconde logique commande à l’État client de payer des biens à un fournisseur, opérateur commercial privé, la première exige un engagement à fournir par les entreprises des avantages économiques (emplois, taxes, aménagement des territoires, etc.) en échange de la sécurisation du contrat. Le Canada est friand de cette pratique des compensations (offsets) de natures potentiellement diverses (industrielles, financières) qui interviennent directement (dans le secteur d’activité du contrat principal), en périphérie (de …