Corps de l’article

Au début des années 1980, les comités d’école des communautés de Puvirnituq et d’Ivujivik (IPUIT[1]) ont mis sur pied leur propre projet d’école communautaire.[2] Après plus de 30 ans, le besoin de renouveler ce projet, de mobiliser les acteurs du milieu autour de celui-ci, de proposer un curriculum trilingue et biculturel et d’adapter la formation des enseignants inuit au contexte de l’école du XXIe siècle a été manifesté. C’est dans cette optique qu’un colloque a été organisé, en 2015, visant deux principaux objectifs : faire le bilan des réalisations et réfléchir aux orientations prioritaires à adopter. Ce fut une occasion unique de poser un regard sur le passé, pour mieux analyser le présent et ainsi préparer l’avenir. Tous ont donc été conviés à un exercice de mémoire, d’analyse et de prospective. Les participants au colloque étaient des enseignants et d’autres employés des écoles Ikaarvik et Iguarsivik de Puvirnituq et Nuvviti d’Ivujivik, des parents, des membres des communautés concernés par l’éducation, des représentants de la commission scolaire Kativik (CSK) et de l’Unité d’enseignement et de recherche (UER) en sciences de l’éducation de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT).[3]

Le texte présente d’abord la situation à l’origine du rassemblement des acteurs du projet éducatif des écoles communautaires de Puvirnituq et d’Ivujivik, ainsi que la dynamique de collaboration qui prévaut entre ces deux communautés inuit et l’UQAT. Les concepts de « dialogue interculturel » et de « curriculum » encadrent ensuite une analyse préliminaire des discours issus du colloque et permettent l’identification d’indicateurs d’un processus dialogique[4] interculturel. Nous prévoyons que ces indicateurs contribueront à la mise en oeuvre d’une démarche d’adaptation du projet d’école à la réalité du XXIe siècle.

Problématique

Au cours des six dernières décennies, les communautés du Nord-du-Québec ont connu des transformations sociales accélérées en ce qui concerne la vie communautaire, familiale et scolaire de la population inuit, dont 34 % sont des jeunes de moins de 15 ans (Duhaime, Caron et Lévesque 2015). La croissance démographique y est exceptionnelle et provoque un surpeuplement des logements disponibles. De plus, le phénomène d’abandon des études avant l’obtention du diplôme d’études secondaires est récurrent, année après année. En 2012, 22.2 % des étudiants inuit du Nunavik ont obtenu un diplôme de cinquième secondaire après sept ans d’études, alors que pour l’ensemble du Québec, le taux est de 75 % (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur et de la recherche 2013).

Prenant appui sur les travaux d’Ogbu (1992), nous reconnaissons d’entrée de jeu que la population inuit du Québec constitue une minorité ethnoculturelle involontaire au Québec et au Canada (Ibid. ; Riel-Roberge 2015). Depuis 1949, on y a implanté l’école avec un objectif d’assimilation d’abord, et d’éducation bilingue et biculturelle ensuite (Gouvernement du Québec 1998 ; Brade, Duncan et Sokal 2003 ; Maheux 2009). Depuis la fin des années 1970, la CSK offre un curriculum scolaire qui inclut la transmission de l’inuktitut, ainsi que des savoirs traditionnels inuit (CSK 2018 ; Gouvernement du Québec 1998).

Dissidentes de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, en 1975, pour des raisons justifiées en partie par une volonté de créer leur propre système (Inuit Tunngavingat Nunamini 1983), deux communautés de la région, Puvirnituq et Ivujivik, ont décidé de prendre elles-mêmes en charge le développement du projet éducatif de leurs écoles aux fins du maintien et du développement de l’identité culturelle des jeunes, ainsi que de l’acquisition des compétences et des savoirs nécessaires à la vie dans la société contemporaine. Elles ont alors souhaité la collaboration d’une université.

Les débuts d’un partenariat durable

En 1984, les comités d’école de Puvirnituq et d’Ivujivik (IPUIT) ont demandé à l’UQAT de les accompagner dans le développement du projet éducatif de leurs écoles. Trois professeurs ont écouté leur demande, l’ont analysée, modélisée et validée en interaction avec les représentants des écoles des communautés. À la demande de ces derniers, un principe de cogestion a complété le consensus sur les composantes du projet. La réalisation de toute activité contribue donc à l’établissement d’une pratique de collaboration inédite et innovante. La reconnaissance de l’égalité du statut et de l’interdépendance des deux groupes de partenaires, soit les Inuit et les formateurs universitaires, est le principe fondateur de ce partenariat. En conséquence, le contexte de communication a été (et est toujours) le suivant : la langue véhiculaire est l’anglais, langue seconde de tous les participants ; les langues de la compréhension et de la réflexion respectives des partenaires sont l’inuktitut et le français. La pratique de collaboration a pris forme et s’est développée principalement à travers la cogestion des programmes de formation des enseignants inuit et des autres ressources éducatives des écoles (Amittu et al. 1988 ; Maheux et al. 1996 et 2004).

Le partenariat et la problématique du curriculum scolaire

Le choix d’offrir un parcours scolaire trilingue du point de vue institutionnel, et bilingue et biculturel, du point de vue du parcours éducatif des élèves, se présente comme suit : au Nunavik, les enfants sont scolarisés exclusivement en inuktitut de la maternelle à la deuxième année ; en troisième année, l’enfant reçoit un enseignement à moitié dans sa langue maternelle et dans une langue seconde, soit en français ou en anglais, selon le choix des parents. À partir de la quatrième année, l’enfant poursuit son cheminement scolaire uniquement dans la langue seconde, bénéficiant néanmoins de cours de culture inuit dans sa langue maternelle et de cours d’inuktitut jusqu’en cinquième secondaire (CSK 2018).

Le développement et l’adoption d’un curriculum biculturel et trilingue posent de grands défis au personnel de l’école, aux parents et surtout aux jeunes inuit : leur parcours éducatif ne conduit pas la majorité d’entre eux à la réussite scolaire et à une insertion socioprofessionnelle comme le souhaiterait l’institution scolaire, la commission scolaire. Au sujet du curriculum scolaire, les leaders inuit affirment que celui-ci devrait être élaboré de manière à répondre aux besoins et aux aspirations d’une population, quelle qu’elle soit. Il devrait être « conçu de manière à aider l’élève à atteindre son plein potentiel et à façonner un avenir positif pour lui-même, sa famille et sa collectivité » (Gouvernement du Nunavut 2017). En ce sens, les ainés et les gardiens du savoir devraient être impliqués dans l’élaboration des programmes d’études, les connaissances de ces personnes étant « essentielles au transfert, à la préservation et au maintien du savoir, de la langue et des traditions » (Ibid.). La perspective privilégiée devrait être le développement d’un curriculum holistique qui favorise « un apprentissage multiculturel du monde chez l’enfant, afin qu’il puisse se sentir intégré autant dans sa communauté d’origine que dans la société occidentale majoritaire » (de Canck 2008 : 47). Au Canada, ce curriculum accorde une plus grande importance à un enseignement de qualité dans la langue des Inuit comme langue maternelle et privilégie le français ou l’anglais comme langue seconde. Selon Smith (2001), un curriculum scolaire doit être adapté pédagogiquement non seulement aux besoins, mais aussi aux contextes et aux cultures. Sans cette adaptation, l’abandon de la langue maternelle ou de toute une culture est envisageable.

Dans le contexte particulier du projet des écoles de Puvirnituq et d’Ivujivik, des actions de développement de programmes d’enseignement en inuktitut ont été réalisées en partenariat, en réponse à des besoins éducatifs, tant pour l’éducation des jeunes inuit que pour la formation des enseignants. Ces projets ont été mis sur pied par le biais des ressources universitaires, ainsi que par des enseignantes et conseillères pédagogiques inuit. Une première initiative a permis de produire une identification du contenu des activités éducatives au niveau pré-scolaire et d’établir leur progression. Un processus semblable a été mis en place pour l’enseignement de la langue inuktitut lors des trois premières années du primaire. L’identification du contenu et le développement des activités d’apprentissage en mathématiques ont aussi été réalisés dans le contexte des activités de formation des enseignants en mathématiques et en didactique des mathématiques. Mentionnons également que le développement d’un lexique en inuktitut des termes constitutifs du discours professionnel de l’enseignement s’est rapidement imposé et fait l’objet d’une mise à jour continue.

Faire le point pour mieux comprendre l’évolution de la situation

Le projet de partenariat amorcé en 1984 entre l’UQAT et les communautés de Puvirnituq et d’Ivujivik se poursuit. Cependant, le contexte de travail et le contexte communautaire ont évolué et se sont transformés, tant du point de vue des besoins des élèves que du profil des enseignants en formation. Entre autres, le personnel enseignant, professionnel et administratif des écoles est engagé dans une période de transition intergénérationnelle marquante : les acteurs des premières heures du partenariat prennent tour à tour leur retraite depuis quelques années déjà et sont remplacés par des jeunes qui portent désormais l’identité culturelle du projet de leur communauté. Le même type de changement s’observe chez les universitaires.

De plus, les partenaires inuit observent un manque de connaissance du contexte historique de la part des jeunes de la relève et souhaitent partager l’histoire du projet global de développement de l’éducation mis en oeuvre dans ce contexte nordique. Comme l’évolution de la vie des Inuit est traditionnellement transmise oralement, les traces écrites sont peu nombreuses. Les partenaires inuit ont donc exprimé le besoin de rassembler les personnes concernées par l’éducation afin de partager leurs observations sur l’évolution de la situation et d’identifier les nouveaux défis auxquels ils sont confrontés. Les quatre principaux objets de travail qui seront soumis à la réflexion correspondent aux composantes initiales du projet : (1) la formation des enseignants inuit ; (2) le curriculum scolaire en inuktitut ; (3) le partenariat entre l’école, les parents et la communauté ; et (4) la réussite scolaire. L’évènement rassembleur prend la forme d’un colloque qui a eu lieu en novembre 2015, au Nunavik.

Dans les limites de ce texte, nous explorons particulièrement la démarche de partenariat établie par rapport à deux points spécifiques : d’abord, le processus de planification et de réalisation d’un colloque de type bilan-prospectif (que nous choisissons de traiter comme un exemple probant de représentativité, d’inclusion, de consultation et de collaboration) ; ensuite, le curriculum scolaire en inuktitut (qui fera l’objet de l’analyse des propos recueillis). Bien que les autres objets de réflexion et de discussion revêtent tout autant d’importance, nous considérons le curriculum scolaire en inuktitut comme un enjeu central du projet éducatif.

Des concepts pour guider l’interprétation des discours

L’interprétation de données partielles recueillies au cours du colloque prend ici appui sur une compréhension du partenariat université-communautés en tant que processus de travail dialogique mis en relation avec une des composantes du projet global, soit le développement d’un curriculum scolaire en inuktitut. Les concepts « dialogue interculturel », « curriculum scolaire » et « processus de travail dialogique » seront donc précisés. D’abord, le dialogue interculturel est interpelé par la nature même du rassemblement des participants concernés. Le concept de « curriculum scolaire » définit ensuite l’objet de travail. Enfin, nous proposons une définition opérationnelle du développement de programmes d’études en partenariat. Ce développement de programmes en inuktitut est une entreprise complexe, ce qui nous amène à postuler, en référence à Bruner (1991), que les savoirs accumulés et transmis oralement au fil des siècles, ainsi que la recherche de significations au sein d’une culture en évolution doivent être envisagés dans une perspective actionnelle.

Le dialogue interculturel

Cette rencontre-bilan constitue un exemple de dialogue interculturel en tant que processus interactif qui requiert des conditions favorables pour s’actualiser. D’abord, une connaissance de soi et de sa propre identité culturelle est essentielle à l’établissement d’un tel dialogue. Sur la base de son identité, chacun devrait être en mesure de contribuer au dialogue et de consentir à ce que « toute autre culture est tout aussi légitime que la sienne propre » (Corbo 1997 : 77). Il importe aussi que l’environnement soit propice à la parité et à la diversité culturelle. La présence d’un sentiment de sécurité est alors nécessaire, sans quoi on assiste « inévitablement à un renfermement culturel collectif sur soi et à l’absence de dialogue » (Ibid. : 74).

Dans le contexte de ce projet particulier, le dialogue interculturel reflète un « échange équitable […] basé sur la compréhension et le respect mutuels et la reconnaissance de l’égale dignité des cultures » (UNESCO n.d.). Les conditions propices et le sentiment de sécurité sont présents et, comme le propose Casnir (1999), favorisent la construction d’une troisième culture qui serait le fruit et le point de convergence entre les cultures qui se côtoient et apprennent à vivre ensemble. Dans cet esprit, l’interaction autour de la définition du contenu du curriculum scolaire devrait contribuer au dialogue interculturel en valorisant le caractère propre de la culture de chacun, tout en reconnaissant le pouvoir d’enrichissement et de dépassement de la rencontre interculturelle.

Le curriculum scolaire

Le concept de « curriculum scolaire » éclaire les processus d’identification et de délimitation du contenu de l’offre éducative quotidienne aux élèves qui fréquentent les établissements scolaires d’un territoire. Les programmes d’études sont les formes concrètes de la précision de contenus spécifiques de l’offre éducative qui servent de référence pour l’enseignement.

Les contenus d’apprentissage privilégiés par une société donnée traduisent les intentions de socialisation et de transmission culturelle aux jeunes générations de cette société sous la forme d’un parcours éducatif standardisé (Bélanger 2015). Selon Perrenoud (1994), un contenu éducatif se présente sous trois aspects : 1) une réalité formelle représentée par les programmes d’études officiels ; 2) le réel de sa mise en application, soit la réalité des actions et des activités de transmission dans le contexte de l’interaction enseignant-élève(s) ; et 3) la réalité cachée de ce que les élèves retiennent consciemment ou inconsciemment de leurs expériences de scolarisation.

L’État se charge de la définition d’un curriculum scolaire formel à l’intention de tous les jeunes qui habitent son territoire et fréquentent des « programmes d’études » officiels. Ces documents décrivent les savoirs à enseigner, précisant ainsi les normes de réussite scolaire. Les connaissances à acquérir et les compétences à développer sont identifiées pour chacun des cycles de formation, encadrant ainsi le parcours de formation des élèves, du niveau pré-scolaire à la fin du secondaire.

Le curriculum réel résulte de la transposition didactique opérée par les enseignants en situation de pratique (Chevalard 1985 ; Develay 1996). L’enseignant interprète les contenus d’apprentissage prévus au curriculum formel en se référant à ses propres savoirs professionnels, ainsi qu’à la connaissance et à la représentation de son contexte de pratique qu’il a développées, soit son groupe d’élèves, son établissement scolaire et les contextes familial et social des élèves.

Le curriculum caché correspond aux apprentissages réalisés par les élèves au cours de leur parcours scolaire (Perrenoud 1994). Ces apprentissages renvoient en partie aux acquis des activités d’apprentissage réalisées en situation de classe ; ils sont aussi les apprentissages intimes découlant de l’expérience personnelle du parcours de scolarisation dont les acquis peuvent demeurer cachés à l’enseignant et non conscientisés par l’élève (Bélanger 2015).

Le développement d’un curriculum scolaire à l’intention des élèves inuit implique donc une transposition didactique de deux patrimoines culturels de référence : d’une part, les savoirs et les connaissances constitutifs de la culture inuit et d’autre part, le contenu curriculaire formel de la société dominante, dont les résultats d’évaluation de l’acquisition sanctionnent la réussite des études de chaque élève. Selon Fuzessy (2003), cette transposition portée par un enseignant inuit conviendrait davantage au style d’apprentissage des élèves. Dans le même esprit, Fyn (2014) soutient que le choix du curriculum – ce qui doit être enseigné ou non et le langage à préconiser – devrait prendre en considération la perspective des Inuit.

Le processus dialogique du développement de programmes d’études en inuktitut

Dans le contexte spécifique qui nous occupe, le développement de programmes de formation en partenariat impliquant enseignants et conseillers pédagogiques inuit d’une part, et professeurs et professionnels universitaires d’autre part, exige entre autres un processus dialogique interculturel (Leclercq 2000 ; da Silveira et al. 2002). Une première formalisation de programmes d’études en inuktitut a été conçue et mise en pratique dans le contexte du partenariat déjà établi. L’analyse de cette expérience résulte en l’identification d’une démarche en quatre étapes : (1) interroger et exposer les contenus enseignés en inuktitut par les enseignants inuit ; (2) explorer, proposer et convenir de principes d’analyse et d’organisation de ces contenus ; (3) examiner le résultat de cette première identification de contenus à enseigner sous l’éclairage de son équivalent du programme officiel ; et (4) effectuer les ajustements pertinents suite à l’utilisation en situation de pratique (Maheux 2001). Une telle stratégie est nécessairement dynamique et récurrente ; elle est réalisée et monitorée à la lumière de l’évolution de la compréhension commune des enjeux et du résultat visé.

Le point suivant décrit la stratégie de travail en partenariat qui a mené à la tenue d’un évènement où des membres de deux communautés inuit ont réfléchi collectivement à la situation actuelle et souhaitée d’un projet de développement débuté il y a plus de 30 ans.

Méthodologie

Le processus de réalisation du colloque IPUIT School Project Conference organisé les 3, 4 et 5 novembre 2015 à Puvirnituq, s’inscrit naturellement dans la pratique de travail en partenariat initiée dès les débuts de la collaboration université-communautés. Le contexte de communication, de réalisation et de suivi est caractérisé par la distance géographique, linguistique et culturelle existant entre les différents acteurs engagés dans ce projet particulier. La planification, l’organisation, le déroulement de l’évènement, ainsi que les suites à donner ont été cogérés et les tâches ont été réparties entre les acteurs locaux et les acteurs universitaires.

Préparation du colloque, formation et fonction du comité organisateur

La formation du comité organisateur du colloque relève du groupe de co-gestion. Dans le contexte de l’éloignement géographique des différents membres du comité organisateur, les communications entre les individus ont été un enjeu de taille lors de l’organisation de l’évènement. La planification d’un calendrier de rencontres à distance a été établie. La visio-conférence, déjà mise en place dans les communautés dans le cadre d’un projet de développement de partenariat (Pellerin et al. 2016), a permis de faciliter les rencontres de planification et de coordination des activités préparatoires de l’évènement. Quatorze rencontres de coordination ont été réalisées, majoritairement à distance.

Mise en oeuvre du colloque

Les opérations de recherche de financement ont été réparties en fonction du type d’organismes à solliciter. Un membre inuk s’est chargé d’approcher les organismes locaux, souvent gérés par des Inuit qui communiquent généralement en inuktitut ; un membre de l’UQAT a eu le mandat de solliciter les organismes gouvernementaux et parapublics.

La préparation du contenu et la programmation des activités du colloque ont été réalisées en comité élargi et finalisées par un sous-comité responsable. Le choix de proposer une alternance entre les conférences, les réunions plénières et les ateliers a été motivé par la volonté de diffuser de l’information et de permettre à tous les participants de s’exprimer librement sur chacun des thèmes, soit en sous-groupes, soit en groupes. Le programme a été préparé en inuktitut, en français et en anglais, de manière à ce que chacun des participants se sente interpelé dans sa langue.

La gestion de la logistique du colloque a nécessité, du début à la fin, l’implication non seulement des membres du comité organisateur, mais également celle d’autres membres des deux communautés. Par exemple, la production de l’identifiant visuel du programme et de tout le matériel promotionnel (affiches et sac) de l’évènement a été confiée à une artiste inuk d’Ivujivik, qui y est aussi enseignante.

Divers moyens ont été mis de l’avant afin de favoriser l’intégration des jeunes à l’évènement. Préalablement au colloque, des élèves des différentes écoles ont réalisé des affiches exposant leur vision de l’École de rêve, qui ont été exposées dans la salle commune, le gymnase de l’école Ikaarvik. Un groupe d’élèves, supervisé par des enseignants et des membres du comité organisateur, a installé, dans la salle des réunions plénières, une exposition de plus de 200 photos représentatives du travail des comités d’école et de la vie scolaire à Puvirnituq et à Ivujivik au cours des quatre dernières décennies.

Pendant le colloque, suite à une courte formation, des jeunes ont pu assister un cinéaste, réalisateur d’expérience, dans la prise d’images photographiques et vidéos. Des élèves du secondaire ont animé un service de garderie afin de faciliter la présence des participants ayant de jeunes enfants. Tout au long du colloque, les participants ont été accueillis par des élèves. Une enseignante et son groupe ont préparé et servi les collations et le banquet. Finalement, à la clôture du colloque, des élèves ont offert un spectacle musical tout en variété : danse traditionnelle, chorégraphie et danse moderne, musique traditionnelle et rock.

Les participants au colloque

Il y a eu 130 participants au colloque. Tous les enseignants, inuit et de langue seconde des deux écoles de Puvirnituq et de l’école d’Ivujivik, ont été invités. L’invitation a été entendue par la très grande majorité d’entre eux, dont le personnel de direction et de soutien pédagogique des écoles, des administrateurs et professionnels de la CSK, ainsi que les commissaires représentant chacune des deux communautés. Ont aussi participé à l’activité des représentants des organismes communautaires, le maire de Puvirnituq, des ainés et des parents, de même que des professeurs de l’UQAT et un directeur d’école à la retraite de Puvirnituq.

La programmation et le déroulement du colloque

La programmation des activités s’inspirait du principe suivant : la connaissance du passé permet de mieux préparer l’avenir. La cérémonie d’ouverture a débuté par un moment de recueillement au cours duquel une aînée a allumé une qulliq, lampe traditionnelle alimentée à l’huile de mammifère marin. Des chanteurs de Puvirnituq et d’Ivujivik ont ensuite offert une prestation de katajjait. La première journée de travail a laissé place à une série de conférences sur l’histoire d’IPUIT, et sur le contexte de l’émergence du projet de prise en charge des écoles dans chacune des communautés. Ces rappels historiques ont été suivis d’une introduction des principaux objets du travail en ateliers. Ces présentations en dyade, impliquant deux partenaires, un Inuk et un universitaire, visaient à préparer les participants à travailler en groupes sur chacun des thèmes pendant les deux jours suivants.

Les participants ont été regroupés en équipes hétérogènes (environ 20 par équipe et par salle), formées de représentants de tous les groupes présents : parents, enseignants inuit et non-inuit, représentants de l’UQAT et de la CSK, et autres membres de la communauté. Ils ont partagé leurs préoccupations et leurs visions pour chacun des thèmes. Des questions prédéterminées ont guidé les échanges, de manière à identifier les aspects positifs en lien avec le thème, mais également les défis à relever et des pistes pour améliorer la situation. Par exemple, pour traiter du curriculum scolaire en inuktitut, les participants ont été invités à se prononcer sur leur appréciation du curriculum actuel, sur les méthodes d’enseignement en inuktitut et sur le projet d’un nouveau curriculum pour 2030. Dans chaque groupe, un animateur et un secrétaire étaient déterminés afin de recueillir les propos et d’en préparer un résumé. Ce même dispositif a été répété en après-midi, de manière à ce que chacun puisse s’attarder à deux thématiques et ainsi travailler en partenariat avec d’autres participants.

Suite au travail d’équipe, les résumés des travaux ont été affichés, présentés oralement et discutés en réunion plénière. Cette configuration (des ateliers suivis d’une discussion) visait l’actualisation d’une relation d’interdépendance productive et la recherche d’un bénéfice mutuel par le dialogue.

Le recueil des propos

Les conférences de la première journée ont été présentées en inuktitut ou en anglais. Une traduction simultanée de l’inuktitut à l’anglais et de l’anglais au français a été assurée par une équipe de quatre traducteurs (deux traducteurs inuit et deux traducteurs non-inuit, un francophone et un anglophone), permettant ainsi à tous les participants de suivre les discours. Quant aux ateliers de travail, ils ont été animés principalement en inuktitut et en anglais, dépendamment de la composition de chacune des équipes. Un porte-parole avait le mandat de présenter les résultats des échanges en séances plénières. Ces discussions plénières bénéficiaient aussi de la traduction simultanée. Il importe de préciser que chaque équipe était responsable de nommer son porte-parole (inuit ou non-inuit) et que le rapport des propos ne précise aucunement la source de ceux-ci et présuppose que le groupe était en accord avec la synthèse produite.

Toutes les conférences et les discussions plénières ont été filmées de manière à recueillir et conserver l’ensemble des propos tenus au cours des trois jours de rassemblement. Le contenu des enregistrements a été classé selon les thèmes discutés, ainsi que selon les langues de communication, principalement l’inuktitut et l’anglais. Le contenu en anglais a été transcrit sous forme de verbatim, tandis que celui en inuktitut est toujours en processus de traduction par un membre inuk du comité organisateur, bien au fait du contexte. À ce jour, plus de la moitié du contenu en inuktitut a été traduit et transcrit en anglais à des fins d’analyse. Afin de respecter les limites de cet article, seules les données portant sur le partenariat université-communautés, illustré par la tenue même du colloque, ainsi que celles qui concernent le curriculum scolaire ont été exploitées.

Traitement, analyse des données et limites contextuelles

Tel que mentionné, le corpus des données retenues à des fins d’analyse ne constitue qu’une partie du contenu disponible ; nous avons traité les propos de participants inuit (n=12) et non-inuit (n=13). Ces propos ont été recueillis au cours des conférences d’introduction et de préparation aux ateliers, au cours des réunions plénières et des périodes de discussion. La présentation des résultats fera ressortir le point de vue des Inuit, ainsi que celui des enseignants de langue seconde qui se sont exprimés soit sur une base individuelle, soit en tant que porte-parole de leur équipe.

Le processus d’analyse privilégié pour cette contribution a été inspiré des étapes proposées par L’Écuyer (1990). Après une lecture flottante des transcriptions des propos des participants (Bardin 1980 ; Wanlin 2007), des unités de sens ont été repérées. À partir des concepts de « dialogue interculturel » et de « curriculum » définis plus haut, un premier codage a été réalisé. Celui-ci a permis d’induire des subdivisions aux catégories existantes, venant ainsi préciser le sens accordé aux données déjà codées. Des synthèses ont ensuite été rédigées pour chaque sous-catégorie afin de faire ressortir l’essentiel des propos des participants. Les résultats de cette analyse de contenu préliminaire permettent la présentation qui suit.

Présentation d’une analyse préliminaire des résultats

Au cours des trois journées de colloque, les participants se sont exprimés à propos de la réussite scolaire, de la formation des enseignants inuit, du curriculum scolaire et des liens entre l’école, les parents et la communauté. Au coeur des échanges, la nécessité de travailler ensemble dans l’intérêt des élèves a été mentionnée à maintes reprises.

Bien que tous les thèmes proposés à la réflexion soient considérés d’importance égale, nous limitons cette présentation aux données issues des activités portant sur le curriculum scolaire : les propos des participants concernent la proposition du contenu à enseigner, ainsi que les modalités de mise en pratique de celui-ci. Nous précédons toutefois cette présentation par celle des données relatives au processus de mise en oeuvre et de concrétisation du rassemblement en tant que cas singulier de mobilisation communautaire autour d’un objet commun lié à l’éducation des jeunes Inuit et dont les premières sont issues.

Indices de l’établissement d’un dialogue interculturel

L’analyse des propos recueillis permet d’observer la réunion de plusieurs conditions favorisant le dialogue recherché et de répondre à un besoin exprimé de manière récurrente par les partenaires inuit. D’abord, les conférences proposées, traitant de l’histoire du développement de l’éducation dans leur communauté, ont permis aux acteurs des premières heures de transmettre leurs connaissances liées à l’émergence du projet d’école aux jeunes enseignants inuit et aux enseignants de langue seconde peu ou pas au fait de ce pan de l’histoire. Se référant à son expérience d’étudiante dans le cadre de la formation des enseignants, une participante exprime sa reconnaissance de la pertinence des actions mises en oeuvre et de l’arrimage entre les contenus, les besoins et la culture :

Nous avons travaillé à notre façon et c’est ce qu’il fallait pour que ce soit pertinent pour notre communauté, pour nos enfants, pour notre peuple. Ce sont des cours qui sont faits pour nous. C’est ce dont nous avions besoin, c’est ce que nous voulions parce que c’est notre façon d’être, et que nous en étions là.[5]

J1-CPI1[6]

Il a aussi été question de la mobilisation collective autour du projet de prise en charge du développement de l’éducation que reçoivent les jeunes inuit. Les participants ont pu s’enrichir de ces savoirs uniques issus de l’expérience qui ne sont accessibles que par le discours narratif des acteurs du projet. Après chaque conférence, les participants ont aussi pu exprimer leur volonté de s’engager et de collaborer au renouvellement du projet d’école, eu égard aux réalités du XXIe siècle. L’importance du dialogue entre les enseignants inuit et non-inuit a été mentionnée, en spécifiant au passage les avantages d’un travail d’équipe en classe entre un enseignant inuk et un enseignant ayant déjà acquis une formation professionnelle : le partage de stratégies d’enseignement, une meilleure compréhension interculturelle, un soutien à l’apprentissage des élèves.

L’analyse des données recueillies met aussi en évidence des indices d’un certain isolement exprimé par les enseignants de langue seconde, tant face aux élèves auxquels ils enseignent que face à leurs parents. En effet, parmi les propos analysés, on peut identifier des obstacles liés à l’établissement d’un dialogue, tandis que d’autres font allusion spécifiquement à la collaboration avec les parents, les aînés et la communauté en général. On constate, néanmoins, une volonté des enseignants de langue seconde et inuit d’améliorer la communication avec les parents et ce, au bénéfice de l’apprentissage des élèves. On note également, de part et d’autre, l’expression de la volonté de briser les barrières existantes et d’intégrer davantage de référents culturels dans le parcours scolaire.

La réalisation même de ce colloque, en partenariat, constitue une manifestation d’un dialogue interculturel en action. On peut y observer, en l’occurrence, des conditions dans lesquelles le dialogue prend forme, des obstacles à surmonter, ainsi que des expériences d’échanges positives et prometteuses.

Obstacles à l’établissement d’un dialogue interculturel

Les enseignants de langue seconde reconnaissent leur incapacité à communiquer en inuktitut et à transmettre un contenu lié directement aux spécificités du territoire et de ses habitants. Ils constatent les limites inhérentes aux différences culturelles, particulièrement celles du monolinguisme de chacun, dans le contexte de leurs interactions. Un participant inuk confirme : « Nous devons nous comprendre les uns les autres parce que nous ne parlons pas le même langage. »[7] (J2-EI5).

Les enseignants des secteurs francophone et anglophone mentionnent également observer une volonté des élèves à leur expliquer qui ils sont : « Mes élèves aiment m’apprendre des mots en inuktitut, me parler de leurs habitudes, de leur environnement que je connais peu, ils adorent ! »[8] (J1-EQ1). Les enseignants disent partager le même désir de communiquer, de mieux connaitre et de comprendre la culture de l’Autre. Un participant inuk souligne l’importance d’accompagner les enseignants de langue seconde dans leur apprentissage de la culture inuit :

Les enseignants de langue seconde ne connaissent pas notre culture et ils ont besoin de comprendre. Pour les aider, des enseignants inuit accompagnent parfois les enseignants de langue seconde de 3e année pour favoriser une compréhension commune de la culture de chacun.[9]

J2-EI3

Obstacles à une collaboration avec les parents et la communauté

Conscients de la nécessité et de l’importance de ce rapprochement entre les cultures et dans l’optique de favoriser un dialogue interculturel dans l’intérêt des élèves, les participants ont aussi exprimé une volonté de favoriser une meilleure collaboration avec les parents. Comme l’a exprimé un participant inuk, l’implication des parents dans la vie scolaire des élèves est jugée indispensable : « Les parents doivent être impliqués dans l’école pour savoir ce que leurs enfants font […], ils ont toujours besoin de savoir »[10] (J1-DI1). Un autre participant précise qu’il faut « les inviter à venir à l’école pour qu’ils puissent transmettre leurs connaissances aux élèves, pour parler de leur travail ou de leurs habiletés »[11] (J2-EI4). Soulignant l’importance de gagner la confiance des parents, les enseignants de langue seconde insistent sur le fait qu’il leur faut repenser les stratégies de communication avec eux. Ils souhaitent, entre autres, faire connaître leur désir de collaborer avec les parents et ainsi briser les barrières qui entravent leurs relations. On propose notamment de favoriser la transmission de messages positifs par des prises de contact récurrentes, qui mettent l’accent sur les réussites de l’élève plutôt que sur les manquements.

On souhaite agir sur la perception négative de l’école partagée par un grand nombre de parents, à la faveur d’un endroit où on peut avoir du plaisir, où on travaille pour préparer son avenir. Que ce soit par des rencontres enseignant-parents, par l’ouverture des portes de la classe ou par l’organisation d’évènements culturels qui requièrent la présence des parents, l’objectif vise à établir un rapport de collaboration et de proximité.

Selon ce point de vue, non seulement les parents des élèves devraient être impliqués, mais les organismes communautaires aussi. L’enjeu premier de l’implication des parents est leur présence lors de l’expérience de scolarisation de leur(s) enfant(s). On peut anticiper qu’une communication plus large, établie avec les organismes socio-communautaires, faciliterait la création d’un climat favorable à l’établissement d’un lien organique entre l’école et les partenaires de la communauté.

Implication des aînés dans le parcours scolaire des élèves

À l’instar d’une des conclusions du rapport du Conseil des Ministres de l’Éducation du Canada (CMEC 2016) qui préconise une présence accrue des aînés dans les écoles, les participants réunis au colloque de Puvirnituq considèrent, eux aussi, que leur présence dans l’école devrait être priorisée afin de favoriser un lien intergénérationnel et de faire bénéficier les élèves de leurs connaissances uniques. Il est également souhaité que les aînés puissent leur communiquer leur vision de l’école. Un participant inuk rapporte ainsi le souhait de son équipe : « Les aînés devraient visiter les classes et raconter de vieilles histoires. Les adolescents sont généralement attentifs à ce genre d’histoires »[12] (J2-EI6).

Enfin, les enseignants de langue seconde ont exprimé la difficulté d’offrir un soutien individualisé et différencié, particulièrement en 4e année, étant donné qu’à ce moment de leur parcours scolaire, les élèves sont en situation d’acquisition d’une langue seconde. Cette observation soulève la question des enjeux de cette transition pour les élèves. Actuellement, ceux-ci passent d’un enseignement en langue première à un enseignement en langue seconde, d’un vécu scolaire imprégné de sa langue et de sa culture à un autre où les référents appartiennent majoritairement à une culture seconde. Bref, n’y a-t-il pas lieu de réfléchir au parcours scolaire des élèves dans une perspective de progression et de réussite des apprentissages qui tienne aussi compte de ce passage culturel ?

Collaborer à une vision curriculaire et à des perspectives d’avenir

Outre les questions de partenariat et de dialogue interculturel, la thématique « curriculum scolaire » a aussi été discutée. Suite à une analyse préliminaire des propos des participants, on note déjà que, d’une part, les enseignants de langue seconde souhaitent que le curriculum formel offre aux élèves la connaissance de leur histoire, ainsi que de leur environnement. D’autre part, les participants inuit expriment plutôt un besoin de structuration de la progression des contenus à enseigner en inuktitut. À ce stade de l’analyse, il n’est pas possible d’identifier de discours commun entre les participants inuit et non-inuit. Cependant, une question se pose, eu égard à la continuité de la progression des apprentissages : à défaut de référentiels structurés, quelle connaissance chacun a-t-il des contenus d’apprentissage enseignés par l’Autre ? Partage-t-on une compréhension commune des objectifs éducatifs ?

Curriculum en inuktitut

Les participants inuit mentionnent que l’enseignement en inuktitut se fait en l’absence de référentiel pertinent mis à la disposition des enseignants pour planifier, réaliser et évaluer les activités d’enseignement et d’apprentissage. Il est d’autant plus difficile de connaître le contenu à enseigner puisque les référentiels qui devraient permettre d’identifier ce que les élèves ont déjà appris sont inexistants. Une participante inuk l’exprime ainsi : « J’enseigne quelque chose, je demande ensuite aux petits de me dire ce qu’ils savent déjà et ce qu’ils ne savent pas. Nous devrions plutôt commencer à enseigner en nous donnant une base solide de ce qu’il faut enseigner »[13] (J1-CPI2).

Les participants inuit semblent accorder une importance particulière à la détermination et à l’organisation des apprentissages en séquences progressives à l’intention des enseignants. Comme le « programme » constitue un guide pour les enseignants, il est convenu que l’enseignement qui en découle respecte ce principe de progression des apprentissages chez les élèves pour ne pas créer de confusion : « C’est comme apprendre à marcher : je dois d’abord apprendre à ramper, je ne peux pas courir dès le début. Le contenu doit être organisé de façon séquentielle, c’est ce qui donne une bonne orientation aux apprentissages. » (J1-CPI2).

Rappelons qu’une première expérience d’organisation des contenus d’apprentissage ou des savoirs à enseigner a déjà été réalisée en lien avec le niveau pré-scolaire et l’enseignement de l’inuktitut de la première à la troisième année du primaire. Malgré les défis encore à relever, un participant inuk considère que ce travail fait en partenariat a tout de même procuré une « base » aux enseignants : « Dans la formation des enseignants, à travers l’université, nous avons commencé à travailler sur la langue. Nous avons appris comment organiser la base, mais nous n’avons pas fait tout le chemin. » (J1-CPI2).

Curricula en langue seconde, française et anglaise

De façon globale, au cours du colloque, des intervenants de langue seconde ont mentionné avoir observé l’absence de vision d’avenir chez des jeunes et ont formulé des pistes d’amélioration à cet effet. D’une part, ils considèrent que le curriculum formel actuel, surtout orienté vers la préparation aux études post-secondaires, est jugé peu adapté à la réalité des élèves inuit. Un curriculum davantage orienté vers la formation professionnelle serait-il plus approprié ? D’autre part, ils observent que les élèves inuit ont du mal à se représenter une situation d’emploi. Selon certains, les élèves ne voient pas non plus les bénéfices à long terme de leur scolarisation et ne portent pas nécessairement attention aux personnes ayant réussi des études et vécu un certain succès dans leur communauté. Ils soutiennent qu’une telle représentation motiverait leur engagement en vue de l’atteinte des objectifs de la scolarisation.

Les enseignants de langue seconde s’interrogent, entre autres, sur la possibilité de favoriser une vision commune de la signification et des objectifs de la scolarisation. On insiste aussi sur le fait d’amener les jeunes à terminer leurs études secondaires et ainsi, augmenter le nombre de finissants demeurant dans la communauté. En l’occurrence, est-il envisageable de réviser les programmes d’enseignement sur la base des besoins de la communauté, voire même de la région ?

Conclusion

En cherchant à revitaliser le projet d’école des communautés de Puvirnituq et d’Ivujivik, le colloque IPUIT de 2015 a rendu possible la production de savoirs d’ordres intellectuel, méthodologique et pratique qui orientent les actions à venir. La préparation et la réalisation de ce colloque ont été une occasion d’approfondir par l’expérience le concept de « dialogue interculturel ». Les partenaires, en tant que groupes et en tant qu’individus, ont partagé leur identité tout en faisant preuve d’ouverture et de respect face à la culture de l’Autre. Centré sur un objet de travail commun, soit le projet éducatif de l’école, chacun a pu partager ses propres perspectives dans une interaction authentique et une prise de décision commune et consensuelle.

Le développement du curriculum scolaire dans nos sociétés occidentales correspond à un processus de transposition didactique des savoirs reconnus issus de la recherche scientifique et théorique. Une première phase de transposition didactique s’opère à l’extérieur du terrain de la scolarisation par des équipes de spécialistes des disciplines des apprentissages et de l’éducation, en tant qu’action sociale. On sélectionne les catégories de savoirs qui doivent constituer les contenus de formation à transmettre aux jeunes générations. Ces savoirs scientifiques sont ensuite transposés sous forme de savoirs à enseigner. Dans le contexte qui nous préoccupe, bien que les conditions semblent en place pour développer un curriculum en inuktitut en partenariat, force est de constater que l’entreprise est inachevé, car elle ne considère pas l’entièreté du parcours éducatif qui est majoritairement assumé par des enseignants de langue seconde. Leur discours sur la question indique d’ailleurs un certain isolement à travers des difficultés de communication avec les élèves et avec les parents, ainsi que dans l’établissement de rapports significatifs avec les membres de la communauté inuit. Néanmoins, on observe l’expression d’un désir de collaboration et d’optimisation de la situation.

En se référant à Casnir (1999) et au déploiement de la stratégie préconisée pour développer les programmes de formation des enseignants inuit, il semble que la pratique dialogique génère une troisième culture. Nous avons, en effet, observé les indicateurs proposés par cet auteur, à savoir : l’interdépendance des participants, la recherche d’un bénéfice mutuel et l’interaction dialogique. La question d’une troisième culture vaut la peine d’être explorée car elle implique la possibilité de créer un modèle d’action transférable dans l’élaboration d’un curriculum scolaire bilingue ou trilingue du point de vue institutionnel.

Pour contribuer à la construction d’un tel curriculum, les Inuit doivent s’investir dans l’éducation de leurs jeunes et, l’école doit devenir un lieu d’apprentissage des connaissances de base (littératie, numératie) en cohérence avec leur culture, leur environnement et leur mode de vie. Le colloque IPUIT et ses suites offrent des pistes pour développer ces liens essentiels au développement des identités culturelles et citoyennes solides.