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En quelques décennies, la population des écoles québécoises a beaucoup changé sur le plan de la diversité ethnoculturelle, linguistique et religieuse. Cette réalité comporte différents enjeux au quotidien pour les milieux scolaires concernés qui cherchent à soutenir la réussite éducative de chaque élève. Des recherches réalisées en contexte québécois ont mis en exergue des avancées significatives en ce qui a trait à l’appropriation de données scientifiques par différent.e.s acteur.trice.s du système scolaire au regard de la prise en compte de la diversité ethnoculturelle (Mc Andrew et al., 2015). Néanmoins, il semble qu’un écart persiste entre, d’une part, les données de la recherche et les politiques, programmes et interventions et, d’autre part, entre ces grands encadrements normatifs et la manière dont le personnel scolaire prend effectivement en compte la diversité ethnoculturelle au quotidien. Ce constat met en lumière la nécessité de mettre en place des mécanismes beaucoup plus intensifs de collaboration entre le milieu de la recherche et celui de la pratique.

Un centre de recherche appliquée au Centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys

Le Centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys (CSSMB), situé dans l’ouest de l’Île de Montréal, est le deuxième plus important CSS du Québec. Actuellement, plus de 80 % de ses élèves en formation générale des jeunes sont issu.e.s de l’immigration de première ou de deuxième génération. En ce qui a trait à la langue maternelle, celle-ci n’est pas le français pour plus de 60 % de sa population scolaire. La diversité ethnoculturelle et linguistique est également de plus en plus prégnante parmi son personnel scolaire. C’est ce contexte qui est à l’origine du Centre d’intervention pédagogique en contexte de diversité (cipcd.ca), une première au Québec. Ce centre de recherche dite appliquée, créé en 2012, est composé de six groupes de travail abordant des enjeux de la diversité ethnoculturelle et linguistique en contexte scolaire. Il poursuit trois mandats : la recherche, le transfert de connaissances scientifiques et la formation. Pour chaque groupe de travail, deux coresponsables sont assigné.e.s, soit un.e chercheur.e universitaire et un membre du personnel du CSSMB.

Des exemples de réalisations de collaboration

Depuis que le CICPD a été créé, une panoplie de recherches, d’activités de transfert et de formations a été réalisée, multipliant les répercussions à divers niveaux de l’organisation. Par exemple, deux Chantiers 7 de formation continue ont permis de former plusieurs membres du personnel quant à l’importance de valoriser différentes langues parlées par les élèves pour soutenir l’apprentissage du français ; plusieurs guides et vidéos pédagogiques à ce sujet sont disponibles sur le site d’Élodil. Ces projets ont permis d’insuffler du changement au CSSMB en matière de prise en compte de la diversité linguistique et ethnoculturelle grâce aux conseillers pédagogiques qui en assurent la diffusion. Un projet de recherche-action mené auprès d’élèves réfugiés syriens a quant à lui permis d’élaborer et de rendre disponible le guide Mener des groupes de parole en contexte scolaire. Un autre exemple de réalisation est la création de l’Équipe ressource en contexte de diversité (ÉRCD) composée de professionnel.le.s du CSSMB. Celle-ci vise à soutenir les écoles du CSS en ce qui a trait à la réussite et au bien-être psychologique d’élèves immigrant.e.s vulnérables. De son côté, le guide pédagogique Aborder les sujets sensibles avec les élèves, créé grâce à une autre collaboration, présente quelques éléments pour guider une réflexion quant à la pertinence d’aborder des thèmes sensibles avec des élèves et fournit quelques lignes directrices à cet égard. Enfin, un autre guide, Faciliter l’intégration socioprofessionnelle du personnel enseignant formé à l’étranger, a été élaboré à partir de travaux de recherches réalisés au CSSMB, en collaboration avec divers acteurs du CSS, et vise à outiller les directions pour soutenir l’intégration socioprofessionnelle du personnel enseignant formé à l’étranger.

La collaboration entre les milieux de pratique et les chercheurs du CIPCD : des défis aux pistes de solution

De ces collaborations émergent également des défis. Nous en identifions deux qui interpellent autant les milieux de pratique que les chercheur.e.s. Le premier est lié au risque que toutes et tous ne trouvent pas leur compte à s’impliquer dans les activités du CIPCD. Le principe d’un centre de recherche appliquée suppose une réciprocité ainsi qu’un équilibre sur le plan des coûts-bénéfices associés au travail « ensemble ». D’une part, en s’impliquant, les chercheur.e.s bénéficient d’un accès privilégié à des terrains de recherche et, d’autre part, ce rapport de proximité sert la communauté éducative lorsqu’elle a besoin d’appui pour diverses questions ou situations en lien avec les thématiques explorées par les groupes de travail. Comment s’assurer que chacune et chacun tirent réellement profit d’une telle collaboration ? Le deuxième défi, lié au premier, a trait à un essoufflement des milieux qui ont été souvent sollicités ou qui ont déjà participé à plusieurs projets. Des chercheur.e.s impliqué.e.s dans le CIPCD semblent parfois aussi essoufflé.e.s par les demandes de conférence ou d’accompagnement des écoles. En effet, certains milieux ont tendance à faire appel à celles et ceux en qui ils ont confiance. Comment maintenir l’engagement de part et d’autre, et faire en sorte que chacun perçoive plus de bénéfices que de contraintes à la collaboration ?

Une piste consiste assurément à se concerter davantage pour cibler les besoins de la recherche et ceux des milieux de pratique afin de mieux planifier nos activités et de faire en sorte que l’implication de chacune et de chacun soit le plus bénéfique possible. Une autre piste, dans laquelle nous sommes déjà engagé.e.s, serait de maximiser le rayonnement des différents travaux de recherche réalisés au sein de l’organisation. Mais comment s’assurer que les ressources développées soient utiles pour celles et ceux à qui elles se destinent ? Nous estimons notamment qu’il serait judicieux de miser davantage sur la co-construction d’outils avec le personnel scolaire concerné afin de s’assurer que tout un chacun se sente reconnu comme une ou un partenaire légitime, respecté.e dans sa propre logique professionnelle. Il est également évident pour nous que des efforts soutenus doivent continuer d’être investis pour diversifier les opportunités d’appropriation des résultats de recherche. Comment alors, au-delà de l’organisation de conférences ponctuelles dans les milieux et auprès de certains membres du personnel, assurer la pérennité de la sensibilisation aux enjeux documentés par les différents travaux de recherche, mais aussi le développement et la transformation de pratiques ? Une des voies qu’il faut continuer de privilégier a certainement trait à la formation d’agent.e.s multiplicateur.trice.s au sein même du CSSMB.

Quelles suites pour la collaboration des chercheurs du CIPCD avec le CSSMB ?

Le CIPCD du CSSMB est une initiative novatrice et unique en son genre. La réalisation de recherches et l’appropriation de leurs résultats permettent de mieux comprendre comment soutenir la réussite éducative de tous les élèves, et particulièrement celles et ceux issu.e.s de l’immigration. Par l’opportunité qu’il offre de rapprocher le milieu de la recherche et celui de la pratique, il contribue à la formation continue de l’ensemble de la communauté éducative et offre un accompagnement des milieux qui permet de mettre en valeur les expertises respectives. Des discussions qui se sont déroulées au cours des derniers mois ont permis de mettre en lumière un besoin de communiquer et de se concerter différemment. Depuis sa genèse, le CIPCD est défini en tant que centre de recherche appliquée. Notre souhait serait qu’à l’approche de ses dix ans, il soit maintenant reconnu comme étant un centre de transfert de connaissances scientifiques encore plus collaboratif.