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Seeking Imperialism’s Embrace interroge les logiques impériales et coloniales caractéristiques de l’exercice du pouvoir dans les territoires insulaires de la Caraïbe française et les effets des politiques assimilationnistes sur la citoyenneté des populations locales, en questionnant plus particulièrement la cécité caractéristique du modèle républicain envers les discriminations raciales. Ce travail, rendu possible par l’analyse croisée d’un nombre considérable de sources (articles de journaux, documents officiels, ouvrages d’époque, écrits militants), jette un éclairage neuf sur les débats complexes entourant l’intégration des Antilles françaises à la République après la Seconde Guerre mondiale. Cette ambition, détaillée dans la première section de l’ouvrage, conduit l’auteure à analyser ensemble des phénomènes de natures aussi diverses que la reprise économique, les rivalités des grandes puissances politiques, l’expansion démographique mondiale, la création de sociétés pluralistes en Occident et le processus de décolonisation qui suivent la Seconde Guerre mondiale, à partir du « microcosme » particulier que constituent les Caraïbes françaises.
Passée cette proposition générale, la seconde section de l’ouvrage revient sur les enjeux externes et internes de la départementalisation. En partant de la crise de légitimité des autorités politiques collaborationnistes, l’auteure éclaire le jeu subtil des interdépendances politiques qui voient le jour à cette période dans la Caraïbe. Dans cette perspective, la départementalisation est présentée comme le résultat d’un compromis historique entre la métropole et les territoires appelés à devenir des départements d’outre-mer (DOM). En mettant fin au statut des sujets indigènes de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane et de la Réunion, le gouvernement central répond aux demandes des forces politiques dominantes sur le plan local (la citoyenneté pleine et entière de l’ensemble des habitants et la réduction, à moyen terme, des inégalités socioéconomiques) en même temps qu’il cherche à préserver l’indépendance de la France face aux États-Unis au sein de l’espace caribéen.
Le plébiscite électoral des députés communistes en provenance des DOM en 1947, qui accompagne ce premier mouvement décolonial, est alors perçu comme un moindre mal face au « soft power » étatsunien – dans la mesure où celui-ci connaît un certain succès auprès des élites blanches (les békés), manifestement sensibles à une association qu’elles estiment bénéfiques pour consolider leur domination économique et raciale contre « l’oppression que représentent les fonctionnaires de couleur » (p. 71). Ces différents aspects sont également développés dans la troisième section qui articule le contexte géopolitique avec la question des revendications indépendantistes qui secouent l’ancien empire colonial français, justifiant notamment le déploiement de forces policières et militaires hors de la France continentale. En scrutant les évolutions de la vie politique antillaise, l’auteure apporte un éclairage novateur sur le passage de la Quatrième à la Cinquième République, en prenant ses distances avec la centralité de la « crise algérienne » de 1958-1962.
La quatrième section associe directement la dimension historique de conflictualité sociale aux Antilles et la question mémorielle, les présentant comme étroitement imbriquées. Revenant sur les nombreux épisodes de conflits sociaux qui émaillent les années 1950 et 1960 (les émeutes de Fort-de-France de décembre 1959 ou celles de Pointe-à-Pitre en mai 1967), l’auteure souligne l’appétence pour les questions historiques qui caractérise les forces politiques autonomistes et anticolonialistes, toujours soucieuses de mettre en avant une histoire distincte du récit national assimilationniste et pacificateur. Les traces indélébiles de l’esclavage et de la colonisation représentent autant de lignes de clivage qui structurent le débat public aux Antilles et sur lesquelles s’appuient les figures politiques et intellectuelles locales pour interpeller l’État central – y compris de façon polémique, comme ce fut le cas au sujet des commémorations de l’abolition de l’esclavage en 1998.
La cinquième section insiste davantage sur les paradoxes de la citoyenneté aux Antilles en mettant en avant les logiques politiques qui sous- tendent la color-blindness française. Rappelant, à la suite d’Aimé Césaire, que « [l]a République aveugle était loin d’être universelle et égalitaire » (p. 127-128), Kristen Stromberg Childers montre comment les élites locales partisanes favorables à la départementalisation vont mettre à profit le préambule de la constitution de la Cinquième République pour consolider l’échelle locale du mécanisme de décision et promouvoir un modèle d’assimilation universaliste. Alors que le gouvernement français s’efforçait de contenir l’agitation croissante liée à la surpopulation par le développement économique, le tourisme et l’émigration vers la métropole où la main-d’oeuvre était insuffisante, les partisans de la départementalisation comme les anticolonialistes antillais se sont battus contre les stéréotypes raciaux et de genre qui leur étaient imposés en cherchant à endiguer le flot des travailleurs blancs métropolitains arrivant aux Antilles.
La sixième section propose de croiser les catégories de genre et de race en interrogeant la place de la famille dans la société antillaise, en soulignant les liens entre la matri-focalité des familles afro-caribéennes et la hiérarchie raciale. Pour ce faire, l’auteure souligne d’abord le poids de la fonction publique ainsi que des aides sociales et familiales comme réponse à la faiblesse globale du revenu d’activité disponible, qui demeure largement inférieur à la moyenne nationale en Guadeloupe et en Martinique, malgré la départementalisation. Il s’agit d’une assertion qui rejoint les analyses économiques concernant la situation de dépendance des ménages antillais, dont celle de Claudine Attias-Duffont au sujet de la « famille-providence » en Guadeloupe : la faiblesse des ressources des ménages ultramarins explique en grande partie le recours massif à l’emploi public et aux minima sociaux, qui font des emplois fonctionnaires et des solidarités familiales deux piliers de la distribution de richesse. Parallèlement, Childers souligne que la catégorie étatique des « fonctionnaires de couleur » va faire l’objet d’une valorisation institutionnelle constante au détriment des « familles noires et métisses », toujours suspectes de volatilité matrimoniale et de gaspillage économique. Là encore, cette construction institutionnelle racialisée a contribué à façonner, en creux, les « bons » et les « mauvais » Antillais – les fonctionnaires « méritants » et les familles « assistées » – sous une apparente neutralité raciale.
Enfin, la septième et dernière section revient sur les circulations migratoires des populations antillaises, en insistant largement sur la création du Bureau des Migrations des Départements d’Outre-mer en 1963, soit une société d’État offrant gratuitement aux Antillais et aux Réunionnais un aller simple vers la métropole, un logement et une promesse d’emploi. Ce dispositif, qui vise autant à éloigner les contestataires anticolonialistes de leur île natale qu’à combler le manque de main-d’oeuvre en France métropolitaine, perpétue là aussi une dualité équivoque : il institue un traitement différencié de migrants originaires des départements d’Outre-Mer, tout en réaffirmant une citoyenneté racialement neutre. C’est pourtant bien à l’occasion de cette migration que de nombreux Antillais vont éprouver durement la précarité de leur intégration à la citoyenneté française et questionner leur identité : par l’expérience combinée de la dislocation des solidarités familiales traditionnelles – le « déracinement » – et de l’hostilité raciale des populations métropolitaines.