Artistes invité.e.sGuest Artists

Nos images zonardes[Notice]

  • Suzanne Beth et
  • Anne Lardeux

L’endroit s’appelle La Chaufferie bien qu’il n’y fasse pas si chaud. C’est une des aires communes d’une coopérative d’habitation située dans le quartier Centre-Sud de Montréal. Nous nous y retrouvons en mars 2022 pour regarder une version remontée du film Sur les soins que nous — Suzanne et Anne — avons réalisé. En dehors de quelques collaboratrices associées au projet, personne n’a vu ce film; surtout, nous ne l’avons vu encore avec personne ou presque. Ce soir, nous le présentons aux filles de Kabane, groupe issu des métamorphoses successives d’un collectif qui, depuis 2012, gravitait autour d’un entrepôt abandonné pour l’occuper, Kabane 77. Le bâtiment a été détruit par le feu en 2018 et, si la cabane a lâché, nous en sommes restées les filles. Nous nous réunissons régulièrement, gestes simples de l’amitié et de la commensalité familiale, soutien aux projets des unes et des autres, arts et manières de faire sensibles et politiques. Ce soir donc, nous nous rassemblons pour regarder ce film fragile et incertain, 37 minutes que nous confions au regard bienveillant du groupe. Nous savons que regarder avec d’autres ces images, sur lesquelles nous avons tant travaillé au point de ne plus les voir, modifiera notre regard. Nous nous lançons dans ce frottement avec l’en-dehors de la salle de montage grâce à la confiance des amies, que nous savons sans complaisance et avec la délicatesse qu’appelle la fragilité de nos images. Cette fragilité vient en partie de l’histoire de la fabrication du film, des tiraillements dont elle est faite et sur lesquels ce texte propose de revenir. Sa trajectoire est aussi inséparable d’autres regards qui en ont accompagné le processus : ainsi avons-nous confié à plusieurs reprises nos images à l’attention de Marion. Elle a suivi leur déploiement depuis les tout débuts du projet documentaire Sur les soins, qui a d’abord donné lieu au site internet surlessoins.org lancé en avril 2021, composé d’un ensemble de quinze bandes vidéo et de textes qui en organisent la navigation. Le moyen métrage que nous montrons aux filles de Kabane à l’hiver 2022 est monté à partir d’une fraction du même matériel audiovisuel. Nous poursuivons dans cet article une réflexion amorcée il y a trois ans, qui venait répondre à l’invitation de Marion de réfléchir à la question de l’accompagnement, qu’elle caractérisait comme « un acte de présence et de soutien ne se réduisant pas à un pur acte d’intervention ». Marion avait eu l’intuition de nous demander, nous qui nous penchions sur ce qu’engage le soin, de réfléchir aux rapprochements possibles entre cette conception de l’accompagnement et la pratique du cinéma documentaire. Ses questions s’énonçaient ainsi : le désir de faire un film — désir d’images qui peut obséder et accaparer — est-il compatible avec la disponibilité, sans attente formelle, que requiert l’accompagnement ? Quelles sont les formes justement qui peuvent produire cette présence attentive, en retrait, dès lors qu’on l’applique au geste de filmer ? Comment ce type d’attention se transmet-il pour se relayer jusqu’à son public ? Nous verrons comment nos interrogations sont nées à partir des siennes. Nous avons filmé ces milieux de soins — soins courants qu’on dit de première ligne — dans le sillage de chercheur·e·s en sciences infirmières qui en étudiaient l’organisation. Initialement, le projet Sur les soins visait à produire des images pour assurer la mobilisation et la diffusion de leurs recherches. Nous avions réussi à décrocher un budget de 39 000 $ dans le cadre du concours qui soutient le transfert de connaissances de l’organisme canadien de financement de la recherche en sciences humaines et sociales, le CRSH. Il était …

Parties annexes