Numéro 40, automne 2022 confier entrusting Sous la direction de Frédérique Berthet et Marion Froger
Sommaire (13 articles)
Articles
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Repenser la médiation manuscrite de la parole de l’auteur français médiéval, entre foi et méfiance
Julien Stout
p. 1–29
RésuméFR :
Sous la forme d’un survol critique et analytique, cet article propose de repenser le moment de la « naissance de l’auteur » dans quelques-uns des plus anciens manuscrits de langue française autour des notions de confiance et de matérialité du livre. On revient dans un premier temps sur la façon dont la question de la fiabilité du discours de l’auteur médiéval a été majoritairement pensée par la critique moderne et par les médiévistes dans les termes de la subjectivité et de l’autobiographie, plaçant systématiquement le Moyen Âge dans un rapport dialectique avec une modernité dont il constituerait soit l’envers, soit l’enfance. On tente ensuite de contourner cet axe interprétatif en rappelant dans un premier temps les discours et les pratiques antiques et médiévales entourant l’auteur — ou auctor —, ainsi que la notion collective et médiatique de confiance qu’elles impliquent. On jette enfin la lumière sur la spécificité des pratiques éditoriales et poétiques propres à la naissance de l’auteur français, caractérisée par une méfiance renouvelée en la parole humaine et un renforcement de la foi en la seule autorité de Dieu.
EN :
This article offers a critical and analytical survey of the “birth of the author” in some of the earliest extant French manuscripts, drawing on the notion of trust and the material nature of the book. It begins by analyzing how modern critics and mediaevalists alike have, for the most part, approached the matter of the trustworthiness of the medieval author’s discourse through the prism of subjectivity and autobiography, presenting the Middle Ages either as the opposite or the infancy of modernity. The article then goes on to seek to avoid such an interpretative lens, presenting instead ancient and medieval discourses and practices surrounding the author—or auctor. The article emphasizes the collective and material notions of trust that such discourses and practices imply. Eventually, it sheds light on the editorial and poetic practices specific to the birth of the French author. This birth, it is argued, is defined by a renewed defiance toward any human discourse, instead strengthening faith in the authority of God.
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Confiance, conscience et médium
Éric Méchoulan
p. 1–24
RésuméFR :
Dans cet article, l’auteur voudrait montrer que la confiance ne compte comme un problème d’ordre général que dans une configuration particulière où l’on suppose que la conscience intime des individus est totalement inaccessible et que rien n’assure de la sincérité des déclarations de chacun. Il propose des jalons de cette histoire à partir de quelques réflexions de différents auteurs et à partir de certaines pratiques sociales où l’on voit se mettre en place une telle conception, et comment elle engage ainsi à créer le concept de médium afin de thématiser et de problématiser les communications entre intériorités. Il propose enfin une lecture du film The Disorderly Orderly (1964) de Frank Tashlin avec Jerry Lewis comme déconstruction du mythe de l’intériorité des consciences.
EN :
In the paper, the author argues that trust becomes a general problem only if one assumes that the intimate consciousness of individuals is totally inaccessible and that nothing ever validates the sincerity of anyone’s claim. In order to quickly sketch this story, he explores some historically contextualised thoughts of different authors and a few social practices where such an understanding slowly appears and proposes that the concept of “medium” is invented to thematize and problematize the communications between different human interiorities. Finally, the author gives a reading of Frank Tashlin and Jerry Lewis’ movie The Disorderly Orderly (1964) as a deconstruction of the myth of the interiority of consciousness.
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« Il est difficile de se dire une personne. Et de dire quelle personne nous sommes » : l’autoportrait littéraire contemporain entre confession et dissimulation
Karianne Trudeau Beaunoyer
p. 1–20
RésuméFR :
Cet article a pour objectif de penser la manière dont l’autoportraitiste en littérature répond à la grande question « Qui suis-je ? » — qui n’est pas sans favoriser la confidence — par une série de moyens détournés, faute de pouvoir se désigner par son corps : mention de son signe astrologique, portrait chinois, tests de personnalité, descriptions des vêtements, du décor dans lequel a lieu la scène de création de l’autoportrait. Il s’agira ultimement d’observer que le caractère que montre l’autoportrait n’est pas tant celui du référent (de la personne) qu’une représentation de ce caractère, c’est-à-dire un caractère pensé en fonction de l’idée qu’il va être vu, et façonné, en même temps, par les préjugés entourant son apparence.
EN :
This article is concerned with the way the self-portraitist in literature answers the great question “Who Am I?”—which is not to question self-confidence—by means of indirect strategies, beyond the simple representation of the body, and using instead elements like astrological signs, Chinese portraits, personality tests, descriptions of the clothes or the backdrops in which the creation of the self-portrait occurs. Ultimately, the text observes that the defining reference of the portrait is not the person represented but the representation of a character conceived in terms of the prospect that it will be seen, and constructed, at the same time, by social prejudices concerning appearances.
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Les promesses du médium. Hospitalité autochtone dans les vidéos du projet Wapikoni Mobile
Michèle Garneau
p. 1–27
RésuméFR :
L’initiation à la technique audio-visuelle et, plus largement, au numérique, est au coeur du projet Wapikoni Mobile, un projet qui oeuvre auprès des communautés autochtones du Québec depuis 2004, et dont l’action médiatique n’a cessé de s’élargir au Canada et ailleurs dans le monde. Ce texte propose une traversée de quelques créations en faisant ressortir les ressources du médium auxquelles les apprenti.e.s cinéastes du projet s’en remettent, et ce, afin de révéler et exalter une présence à eux-mêmes et à leur monde, confiant.e.s dans les promesses du médium ici en jeu.
EN :
The introduction to audio-visual and, more generally, digital technologies is central to the Wapikoni Mobile, a project that has been working with indigenous communities in Quebec since 2004 and whose media activities have continued to grow in Canada and around the world. This article analyzes a few original videos, highlighting the technical resources that the apprentice filmmakers, confident in the media’s potential, deploy in order to reveal and exalt a presence to themselves and their world.
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La compassion imaginaire
Nathalie Piégay
p. 1–15
RésuméFR :
Alors que la compassion et l’empathie sont promues dans nos sociétés comme des slogans, cet article entend montrer comment la compassion a été critiquée et perçue comme un faux-semblant, en particulier par Virginia Woolf et Hannah Arendt, au lendemain de la Première puis de la Seconde Guerre mondiale. À quelles conditions une authentique compassion, qui naît de la confidence reçue, peut-elle être effective ? La relation de confiance qui s’établit entre deux personnes, et qui permet la confidence, suffit-elle ?
Nous montrerons comment la compassion qui résulte de la lecture permet une compassion authentique parce qu’elle sollicite l’imagination : alors que dans la vie réelle, les positions de chacun restent inchangées, quelle que soit la compassion éprouvée devant le spectacle de la souffrance, la lecture permet un déplacement de la subjectivité. Parce que je lis la souffrance de qui l’a racontée pour l’avoir vécue, j’éprouve une compassion plus authentique que lorsque j’en suis témoin. La compassion imaginaire est alors une authentique expérience, qui met en évidence l’importance de la vulnérabilité et de la confiance.
EN :
Even though compassion and empathy are advertised as slogans in our societies, this article aims to demonstrate in what ways compassion has also been perceived and criticised as a subterfuge, notably by Virginia Woolf and Hannah Arendt after the First and Second World Wars. Under which conditions would an authentic compassion stemming from the received confidence be realised? Is the trusting relationship between two confidants enough?
We will explore in what ways the compassion felt in the reading experience allows an authentic compassion being as it requests imagination. Whereas in real life, the position of each remains unchanged in front of the spectacle of suffering, no matter how strong the compassion triggered may be, the reading experience allows a shift of subjectivity. The imaginary compassion is therefore an authentic experience that highlights the importance of vulnerability and trust.
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Confier sa poésie scénaristique à l’image : le cas de Par-delà les nuages (1995)
Pauline Sarrazy
p. 1–26
RésuméFR :
À partir de l’analyse transversale des supports médiatiques qui composent le film Par-delà les nuages (1995), coréalisé par Michelangelo Antonioni et Wim Wenders, cet article s’intéresse aux dispositifs de mise en confiance nécessaires à la cocréation de la poésie singulière des didascalies scénaristiques écrites par Antonioni, de leur transcription à leur transsémiotisation. Si la prose de scénario implique une coréalisation filmique reposant sur un lien où la coopération professionnelle suffit, réaliser la poésie scénaristique d’un autre exige une réception aussi technique que sensible, aussi fidèle que discrète, et pas plus littéraire que cinématographique.
EN :
Based on an intersectional analysis of the various art forms used in the film Beyond the clouds (1995), co-directed by Michelangelo Antonioni and Wim Wenders, this article investigates the mutual trust necessary to create the poetry of Antonioni’s script (from its transcription to its filmic adaptation). It explores whether the prose of the script can indeed come to life through a connection based solely on professional cooperation. To adapt the scenaristic poetry of a fellow artist requires an understanding that is as technical as it is sensitive, as true to the source as it is unique, no more literary than it is cinematic.
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Le cinéma « gardien des métamorphoses » ? After Life de Hirokazu Kore-eda : une opération pleine de grâce
Silvestra Mariniello
p. 1–23
RésuméFR :
À partir de l’analyse du film After Life (1998) de Kore-eda qui s’inscrit dans la zone hybride entre le documentaire et la fiction et plus en général, à la croisée de différents modes de médiation de l’expérience, faisant ressortir de cet entre-deux toute la puissance du cinéma, ce texte décline les multiples significations du mot « confier ». L’accent est mis sur ce qu’on confie au cinéma et sur la portée esthétique et éthique de ce geste. De l’analyse émerge l’idée qu’au coeur de la confiance, ainsi que du cinéma, il y a la métamorphose, les deux partageant un pouvoir transformationnel. Avoir confiance signifie affecter et se laisser affecter par l’autre, s’abandonner à la dynamique de la rencontre, filmer signifie entrer dans la relation avec l’autre filmé et donc dans la dynamique de la transformation. Ce texte suggère que le cinéma, ici le film de Kore-eda, comme le poète de Canetti, devient le « gardien des métamorphoses » : des personnes ordinaires de tout âge et expérience qui se transforment lors de leur passage dans l’antichambre du paradis de l’afterlife; des spectateurs qui se laissent affecter par leur rencontre avec des personnages / acteurs, par l’expérience d’une durée, d’une lumière et d’une musicalité; des modes de médiation de l’expérience dont l’action se transforme par leur mise en relation; des corps qui transforment des espaces traversés, habités et des espaces qui affectent les corps qui s’y inscrivent; des temporalités qui s’entrechoquent; des films qui résonnent les uns dans les autres…
EN :
This article explores the multiple meanings of the verb to trust as it appears in Kore-eda’s film After Life (1998), which unfolds in the hybrid zone between documentary and fiction and more generally at the crossroads of different mediations of experience, revealing cinema’s wonderful power. The emphasis is on what people entrust to film and on the aesthetic and ethical scope of this gesture. From the analysis, the idea surfaces that metamorphosis is at the heart of trust as well as of film; they both share, in fact, a transformational power. To trust means to affect and to let the other affect you, to surrender to the dynamics of the encounter. To film implies to enter the relationship with the filmed other and thus into the dynamics of transformation. This text suggests that film, here Kore-eda’s film, like Canetti’s poet, becomes the “keeper of the metamorphoses”: ordinary people of all ages and experiences who change when they go through the antechamber of heaven in the afterlife; viewers who let themselves be affected by their encounter with characters/actors, by the experience of a length of time, by a light and a musicality; different forms of mediation whose action changes when they are viewed in relation to one another; bodies that transform the spaces they cross, the spaces they inhabit, and spaces that affect the bodies that inhabit them; temporalities that clash; films that resonate with one another…
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Confier la lettre au cinéma : lecture du parcours intermédial des missives maternelles dans News from Home (1977) de Chantal Akerman
Frédérique Lamoureux
p. 1–16
RésuméFR :
Cette lecture-spectature intermédiale du film News from Home (1977) de Chantal Akerman propose de penser le trajet de la lettre (de la mère à la fille, de l’écrit à la lecture, du papier à l’écran) et ses différentes médiations en considérant l’échange épistolaire comme lieu intime de confidence et de confiance, mais aussi d’inquiétude, d’incertitude puisque si le telos des lettres est d’abolir la distance entre mère et fille, la transaction qu’elles instaurent intensifie paradoxalement le poids de l’absence (Foucart, 2018). À la lumière des réflexions de Jacques Lacan, Michela Marzano et Jacques Derrida, j’aborderai d’abord les connexions intersubjectives et la relation de confiance qu’établissent la correspondance et sa médiation filmique. Je m’intéresserai ensuite aux enjeux de mémoire et d’héritage que soulève le devenir-public des lettres en dialoguant avec la notion de « secret » développée par la psychanalyste Anne Dufourmantelle dans son essai Défense du secret (2015).
EN :
This essay, at the crossroad of cinema, philosophy, and literature, emerges from an interdisciplinary reading of News from Home (1977) by Belgian cinematographer Chantal Akerman. By focusing on the journey of the letter (from mother to daughter, from writing to reading, from paper to screen) and its different mediations—this essay addresses the intersubjective connections (Derrida, Lacan) and the relationship of trust (Marzano, Foucart) established by the correspondence and its filmic mediation. Commonly considered as an intimate place of confidence and trust, the epistolary exchange, as portrayed in Akerman’s film, is also imbued with anxiety and uncertainty: although the telos of the letters is to abolish the distance between mother and daughter, we shall see that the transaction they establish paradoxically intensifies the weight of absence (Foucart, 2018). Considering the letter as a means of relaying subjectivities, this article will further study how the combination of specific sounds—city sounds, Akerman’s voice, silences—and images—static shots of empty streets, crowded boulevards—allow the director to represent her and her mother’s subjectivity, conveying two spatial and temporal realities at the same time. Such reflections lead us to conclude by questioning the issues of memory and inheritance raised by the public becoming of the letters in dialogue with the notion of “secret” developed by the psychoanalyst Anne Dufourmantelle in her essay Défense du secret (2015).