Journal of the Canadian Historical Association
Revue de la Société historique du Canada
Volume 22, numéro 2, 2011
Sommaire (8 articles)
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“Negroes of the Crown”: The Management of Slaves Forfeited by Grenadian Rebels, 1796–1831
K. J. Kesselring
p. 1–29
RésuméEN :
This paper examines how British officials dealt with and disposed of one group of Crown slaves — those forfeited by the Grenadian rebels of 1795-1796 — from their acquisition through to the emancipation of Crown slaves in 1831. Building upon the work of Alvin O. Thompson and Nicholas Draper in particular, it suggests that looking at the treatment of Crown slaves, and specifically at the disposition of slaves acquired through forfeiture, can provide a new vantage point on why emancipation happened when and as it did. Treasury Office documents produced in the course of suits and petitions from individuals who hoped to obtain rights to these enslaved people, as well as correspondence with the local manager of the plantations, demonstrate the tenor and tenacity of the belief that slaves constituted a legitimate form of property. The 1833 decision to compensate slave owners thus appears not simply a matter of pragmatic political compromise and but also a measure consistent with practices and preconceptions that had prevailed in government circles for some years.
FR :
Dans cet article, l’auteure étudie comment les autorités britanniques ont géré et disposé d’un groupe particulier d’esclaves appartenant à la Couronne — ceux qui ont été confisqués aux rebelles de Grenade en 1795-1796 — du moment de leur acquisition jusqu’à leur émancipation en 1831. Inspirée par les travaux d’Alvin O. Thompson et de Nicholas Draper en particulier, l’auteure soutient qu’en analysant la manière dont la Couronne a traité les esclaves confisqués, et plus particulièrement comment elle s’en est départie, il est possible de mieux comprendre pourquoi l’émancipation a été votée au moment où elle l’a été ainsi que ses modalités. Les documents produits par le Bureau du trésor dans le cadre de diverses poursuites judiciaires et en réponse aux pétitions provenant d’individus réclamant la restitution de leurs esclaves ainsi que la correspondance entretenue par le gouvernement avec les administrateurs des plantations démontrent la prégnance de l’idée voulant que les esclaves aient constitué une forme de propriété légitime. La décision prise en 1833 de compenser les propriétaires d’esclaves apparaît dans ce contexte non pas seulement comme une mesure politique pragmatique, mais aussi comme une mesure conforme aux pratiques et aux préconceptions qui avaient cours au sein des cercles gouvernementaux de l’époque.
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Writing History in Macaulay’s Shadow: J.R. Seeley, E.A. Freeman, and the Audience for Scientific History in Late Victorian Britain
Ian Hesketh
p. 30–56
RésuméEN :
So similar were the historical mindsets of J. R. Seeley and E. A. Freeman that there is still some confusion about which one coined the famous dictum that “history is past politics, politics present history”. Not only did they agree about history’s proper subject matter, they were also leading members of a community of historians in late Victorian Britain who sought to promote history’s scientific status against men of letters who were more interested in history’s literary potential. Seeley and Freeman seemed particularly to relish in exposing such historical imposters while promoting their own vision of history as a scientific and autonomous discipline. These similarities aside, the two diverged considerably when reflecting on the posthumous legacy of one such man of letters who likely did more than any other to popularize English history in the nineteenth century. Whereas Seeley believed that Lord Macaulay harmed history’s development by corrupting the general reading public’s historical sensibilities, Freeman argued that historians owed Macaulay a great debt of gratitude for not only basing his narratives on factual accuracy but also for doing so while reaching an extremely large audience. In debating about Macaulay, it is clear that Seeley and Freeman had different conceptions about the normative audience for a professional history.
FR :
La pensée historique de J. R. Seeley et de E. A. Freeman était tellement similaire qu’il est difficile de savoir qui a formulé le premier le célèbre adage voulant que « l’histoire est la politique du passé; la politique, l’histoire du présent ». Non seulement s’entendaient-ils sur le véritable objet de l’histoire, mais ils dirigeaient également à la fin de l’ère victorienne une communauté d’historiens en Grande-Bretagne qui promouvait le statut scientifique de l’histoire contre les hommes de lettres plus intéressés par le potentiel littéraire de la discipline. Seeley et Freeman appréciaient tout particulièrement dénoncer les imposteurs et défendre leur conception de l’histoire comme une discipline scientifique et autonome. Ces similarités mises à part, les deux hommes divergeaient d’opinion quant à l’héritage posthume d’un des hommes de lettres qui a popularisé, plus que tout autre, l’histoire anglaise au dix-neuvième siècle. Alors que Seeley soutenait que lord Macaulay avait nui au développement de l’histoire en corrompant la sensibilité historique du grand public, Freeman considérait que les historiens lui devaient beaucoup non seulement pour avoir fait reposer ses histoires sur des faits véridiques, mais aussi pour avoir rejoint un très vaste lectorat. Le débat entourant les mérites de Macaulay met en lumière les différentes conceptions entretenues par Seeley et Freeman concernant le public-cible des historiens.
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Revolutionary Rites: Political Demonstrations at the Place de la Nation, Paris
Ian Germani
p. 57–97
RésuméEN :
Historians who study sites of memory emphasize the fluidity in meaning attached to those sites. The meaning of monuments is dependent upon changes in political context, which affect both how they are perceived and the uses to which they are put. With specific attention to the Place de la Nation in Paris and to Dalou’s monument, Le Triomphe de la République, this article argues that street demonstrations have played an important role in creating meaning for Parisian sites of memory. It focuses on four events in the history of the Place/monument: the inauguration of the bronze statue on 19 November, 1899; the demonstration marking the formation of the Popular Front on 12 February, 1934; the “bloody” 14 July demonstration of 1953; and the demonstration against Jean-Marie Le Pen and the National Front on 1 May, 2002. While the specific political context of these demonstrations varied, as did the character and purpose of the actors composing them, they all provided an occasion for the rehearsal of France’s revolutionary traditions, with particular reference to the Paris Commune. The transitory nature and specific purposes of particular demonstrations, however, restricted their ability to alter the monument’s significance. This is painfully apparent in the case of the Algerian demonstration of 14 July, 1953, which ended in a quickly forgotten massacre.
FR :
Les historiens qui se sont intéressés aux lieux de mémoire ont mis en évidence l’incertitude entourant le sens donné à ces lieux. Celui-ci varie en effet selon le contexte politique qui influence à la fois la manière dont ces lieux sont perçus et l’utilisation qui en est faite. Ayant pour objet d’étude la Place de la Nation de Paris et le monument Le Triomphe de la République de l’artiste Dalou, cet article démontre que les manifestations publiques dans les rues de Paris ont joué un rôle important dans la manière dont ce lieu de mémoire parisien a été compris et interprété. Il étudie plus particulièrement quatre événements ayant marqué l’histoire de ce lieu de mémoire : l’inauguration de la statue de bronze le 19 novembre 1899, les manifestations ayant marqué la formation du Front populaire le 12 février 1934, la démonstration « sanglante » du 14 juillet 1953 ainsi que la manifestation organisée contre Jean-Marie Le Pen et le Front national le 1er mai 2002. Bien que le contexte politique dans lequel chacune de ces manifestations a eu lieu ait été différent, tout comme les participants et leurs objectifs, ces manifestations ont donné lieu à une répétition des traditions révolutionnaires françaises, avec une référence toute particulière à la commune de Paris. La nature transitoire ainsi que les objectifs spécifiques de chacune de ces manifestations ont néanmoins limité la capacité des protestataires à modifier la signification du monument. Cet état de chose n’a jamais été plus évident que lors de la démonstration algérienne du 14 juillet 1953, qui s’est terminée par un massacre, rapidement oublié.
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Creating a Historical Narrative for a Spiritual Nation: Simon Dubnow and the Politics of the Jewish Past
Roni Gechtman
p. 98–124
RésuméEN :
Simon Dubnow (1860–1941) was a towering intellectual figure in the history of East European Jewry in the half-century before the Second World War. His influence was manifested mostly in two areas: as the preeminent Jewish historian of his generation and as the main theorist of Jewish diaspora nationalism (Folkism) and intellectual leader of the Folkspartey in Russia (1907-1917). This article examines the relation between the two aspects of Dubnow’s career and legacy. As a historian, Dubnow developed a method for the study of Jewish history he called ‘historism’. Politically, Dubnow was an atypical nationalist, in that he did not demand territorial independence for his people but only the recognition of Jews as a nation with autonomous status within the states where they already lived. I show how Dubnow’s Jewish nationalism and his political views derived, to a large extent, from his historical theory and analysis, and in turn, how his historical interpretations were often informed by his ideological preconceptions. By analyzing and juxtaposing his historical and theoretical works, I argue that the writing of history was for Dubnow a means to achieve his more ambitious goal: to change the future of Jewish society and, by extension, the countries where the Jews lived.
FR :
Simon Dubnow (1860–1941) a été une figure intellectuelle marquante de l’histoire de la communauté juive de l’Europe de l’Est dans la première moitié du vingtième siècle. Son influence s’est particulièrement fait sentir dans deux domaines. Il a d’abord été l’historien juif le plus important de sa génération. Il a ensuite été le principal théoricien du nationalisme de la diaspora juive et le leader intellectuel du Folkspartei en Russie (1907-1917). Cet article examine la relation entre ces deux aspects de sa carrière et de son héritage. Comme historien, Dubnow a développé une méthode pour étudier l’histoire juive, qu’il a appelée (en anglais) “historism”. Politiquement, il a promu un nationalisme atypique puisqu’il n’a jamais réclamé l’indépendance d’un territoire national pour son peuple, mais seulement la reconnaissance des Juifs comme formant une nation avec un statut autonome à sein des États où ils étaient déjà installés. Cet article explique comment le nationalisme juif de Dubnow et ses vues politiques dérivaient en grande partie de sa théorie et de son analyse historiques et, parallèlement, comment ses interprétations historiques ont souvent été influencées par ses préconceptions idéologiques. L’auteur soutient qu’en analysant et en juxtaposant les travaux historiques et théoriques de Dubnow, on peut voir comment l’écriture de l’histoire était pour lui un moyen d’atteindre un objectif plus ambitieux, celui de modifier l’avenir de la société juive et, par extension, celui des pays où ils vivaient.
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L’invention des médecines alternatives et complémentaires (et traditionnelles) : une généalogie coloniale
Laurence Monnais
p. 125–161
RésuméFR :
Si le statut des médecines alternatives et complémentaires (MAC) au Canada à l’heure actuelle n’a a priori pas grand-chose à voir avec celui de la médecine vietnamienne dans le cadre colonial de l’Indochine française, il s’agit dans cet article de proposer une généalogie de la construction des médecines traditionnelles qui permette d’opérer des rapprochements porteurs entre ces deux espaces politiques, légaux, institutionnels et professionnels. Il aborde, par leur mise en perspective, le processus de domestication des MAC, la participation d’acteurs « traditionnels » de la santé à ce processus ainsi que le poids des attentes — et des demandes — populaires sur la construction d’une approche intégrée en santé dans le cadre d’une société métissée et profondément dynamique. En cela, cet article entend participer à renouveler l’historiographie tant de la mondialisation en santé que de la médicalisation et souligner l’importance d’une approche postcoloniale de l’histoire des médecines alternatives.
EN :
If the present status of Complementary and Alternative Medicine (CAM) in Canada does not appear to have much in common with Vietnamese medicine in colonial French Indochina, this article proposes a genealogy of traditional medicines that bridges these two political, legal institutional and professional spaces. It will put into perspective the process whereby the CAM was domesticated, the participation of “traditional” healers in this process, as well as the weight placed by popular expectation (and demands) on the construction of an integrated approach to health in a society that was both mixed and profoundly dynamic. In so doing, this article aims to help reconsider the historiography health globalization and medicalization, and to underline the importance of a postcolonial approach to the history of alternative medicine.
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Remembrance, Retrospection, and the Women’s Land Army in World War I Britain
Bonnie J. White
p. 162–194
RésuméEN :
This paper explores the methodological challenges posed by interviews with former members of the Women’s Land Army held in Britain’s Imperial War Museum. These interviews were conducted approximately 60 years after the First World War as part of the Women’s War Work Collection that was created in an effort to capture the role of women in the wars of the twentieth century. These documents are certainly of value to the historian, although the decades that passed between event and recollection highlight the problematic relationship between history and memory. The author argues that due to this temporal gap and the continuation of lived experience that shaped both identity and memory in the intervening years, the interviews lose their evidentiary primacy and must be approached as secondary sources, albeit ones grounded in personal experience. This challenge is exacerbated by problems with the interview process itself that guided how the Land Girls’ narratives were reconstructed by the interviewees. This paper works toward a re-evaluation of the usefulness of these oral interviews.
FR :
Cet article explore les défis méthodologiques auxquels les historiennes et les historiens sont confrontés lorsqu’ils veulent étudier les entrevues faites avec d’anciens membres de la Women’s Land Army. Ces entrevues, conservées au Imperial War Museum de la Grande-Bretagne, ont été conduites près de 60 ans après la fin de la Première Guerre mondiale dans le cadre du développement de la Women’s War Work Collection qui visait à mettre en lumière le rôle des femmes lors des guerres du vingtième siècle. Alors que ces sources sont certainement utiles aux historiens, le temps écoulé entre les événements et leur remémoration met en évidence la nature problématique de la relation entre histoire et mémoire. L’auteure soutient que le temps écoulé entre les guerres et les entrevues ainsi que l’expérience acquise au fil des ans qui a donné forme à la fois à la mémoire et à l’identité des interviewées font en sorte que les entrevues ne doivent pas être abordées telles des sources historiques, mais plutôt comme des études basées sur l’expérience personnelle. L’aspect problématique de ces entrevues est aggravé par la manière dont elles ont été menées, c’est-à-dire comment les interviewers les ont structurées de manière à guider les interviewées dans leurs réponses. Cet article participe donc à une réflexion sur la validité et l’utilité de ces sources orales.
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American Cold War Policies and the Enewetakese: Community Displacement, Environmental Degradation, and Indigenous Resistance in the Marshall Islands
Martha Smith-Norris
p. 195–236
RésuméEN :
During the Cold War, the United States conducted 43 nuclear shots, 12 chemical explosions, and numerous missile tests on the Enewetak Atoll of the Marshall Islands. Based mainly on archival documents and congressional hearings, this case study focuses on the human and environmental consequences of these American policies. To begin with, the essay highlights U.S. interests and authority in the Marshalls. As the United Nations trustee of the region, the United States conducted these military experiments with a great deal of secrecy and little interference from the outside world. Secondly, the essay examines the significance of these tests for the Enewetakese and their removal to Ujelang, a nearby atoll, for more than three decades. Thirdly, the paper emphasizes the various forms of resistance practised by the Enewetakese. By utilizing a number of political and legal methods, this tiny indigenous community drew attention to their plight in Washington and the United Nations. Finally, the essay discusses the islanders’ attempts to gain compensation from the U.S. Congress for the profound damages caused by the testing program. To date, Washington has failed to provide enough funds to adequately restore the environment of Enewetak or to fully compensate the islanders for their losses.
FR :
Pendant la Guerre froide, les États-Unis ont effectué 43 essais nucléaires, ont procédé à l’explosion de 12 armes chimiques et ont testé de nombreux missiles dans l’atoll Enewetak dans les îles Marshall. Basé principalement sur des documents d’archives ainsi que sur des audiences tenues au Congrès américain, cette étude de cas aborde les conséquences humaines et environnementales de ces politiques américaines. L’article met d’abord en lumière les intérêts des États-Unis sur les îles Marshalls de même que son autorité sur la région. Les Nations Unies les ayant confiées au soin des Américains après la Seconde Guerre mondiale, ces derniers en ont profité pour procéder à des expériences militaires, conduites en grand secret et sans ingérence du monde extérieur. L’article étudie par la suite l’impact de ces essais sur les Enewetakese et leur déplacement vers Ujelang, un atoll voisin. Cette déportation a marqué le début d’un exil qui a duré plus de trois décennies. L’article traite ensuite des diverses formes de résistances pratiquées par Enewetakese. En mettant à profit nombre d’outils politiques et juridiques, cette petite communauté indigène a attiré l’attention du gouvernement américain et des Nations Unies sur le sort qui leur était réservé. Finalement, l’article se termine par une discussion des tentatives par les habitants des îles pour obtenir compensation du Congrès américain pour les dommages causés par les programmes d’essais militaires. À ce jour, Washington n’a toujours pas dédié suffisamment de fonds pour restaurer l’environnement de l’atoll Enewetak ou pour compenser pleinement les insulaires pour leurs pertes.
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La monumentalisation du passé colonial et esclavagiste au Sénégal : Controverse et rejet de la renaissance africaine
Patrick Dramé
p. 237–265
RésuméFR :
Le 4 avril 2010, à l’occasion du cinquantenaire de la décolonisation du Sénégal, une vingtaine de chefs d’État africains procède à l’inauguration à Dakar du monument dit de la « renaissance africaine ». Devant symboliser la mémoire de l’esclavage et du colonialisme, l’édification de ce lieu de mémoire à l’esthétique et au financement plutôt discutables et dans un contexte de marasme économique occasionne de vives contestations des populations et de l’opinion publique. Cet article aborde la question en étudiant d’abord le contenu de la presse privée et publique sénégalaise qui, entre 2008 et 2010, a été le lieu d’une vibrante controverse quant aux sens symboliques, au coût et au financement de l’oeuvre monumentale. Examinant de nombreux articles de presse, discours et débats radiotélévisés, cet article questionne d’abord la signification et le sens mémoriels que l’État du Sénégal a voulu donner au monument. Il analyse par la suite les raisons pour lesquelles la représentation symbolique et mémorielle du concept de « renaissance africaine » ne passe pas aux yeux des populations. Il éclaire ainsi les fondements religieux, politiques et éthiques du discours contestataire.
EN :
To mark the fiftieth anniversary of the decolonization of Senegal, on 4 April 2010, twenty African heads of state proceeded to the inauguration of the “African renaissance” monument at Dakar. Previously symbolizing the memory of slavery and colonialism, the building of this memorial site with more questionable aesthetics and funding, and in a context of an economic slump occasioned lively disagreements of public opinion. The following article offers a textual analysis of the Senegalese press that, between 2008 and 2010, was at the centre of a lively controversy ranging from the symbolic meaning, to the cost and financing of this monumental work. Examining numerous newspaper articles, conversations and debates on broadcast radio, this article first questions the significance and the sense of commemoration that the Senegalese state wished to give the monument. The article then assesses the reasons why the symbolic and memorial representation of the concept of “African renaissance” did not work in the eyes of the public. It also sheds light on the religious, political and ethical foundations of this contested discourse.