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Baer, Brian James (Ed.), Contexts, Subtexts and Pretexts. Literary translation in Eastern Europe and Russia, Benjamins Translation Library, vol. 89, Amsterdam/Philadelphia, John Benjamins, 2011, 332 p.[Notice]

  • Christian Balliu

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  • Christian Balliu
    ISTI – Haute École de Bruxelles
    ISIT – Paris
    cballiu@heb.be

Ce livre, consacré à la traduction littéraire en Europe orientale et en Russie, aborde essentiellement la traduction au 20e siècle, avec une incursion en ce début du 21e siècle. En réalité, l’Europe centrale est elle aussi envisagée, avec notamment des études relatives à la Hongrie et à des auteurs tchèques comme Kundera. Les auteurs sont des professeurs d’universités ou des chercheurs, issus en grande partie d’universités américaines, parfois de Belgique, de Bulgarie, de Lettonie, du Royaume-Uni, de Slovénie, de Suède ou encore de Turquie. Cette diversité d’origines est particulièrement intéressante dans la mesure où l’ouvrage donne ainsi une vision européenne interne (Europe centrale et orientale), une vision européenne externe (pays ne faisant pas partie de l’ancien bloc de l’Est) et une vision américaine de la problématique. La conjonction d’un regard intime et d’un point de vue extérieur permet de donner de la perspective au champ d’étude. La traduction littéraire est de la sorte étudiée avec des angles d’attaque différents, ce qui confère au livre une dimension kaléidoscopique. La Russie et l’Europe orientale sont considérées comme une région de traduction intrinsèque, qui réunit la synthèse inédite d’histoires parfois communes, mais de cultures, qu’elles soient religieuses, linguistiques ou sociales, très différentes. L’ancien bloc de l’Est se présente comme l’imposition d’une langue dominante qui vient se superposer (l’idée de supériorité est fondamentale) aux langues nationales, régionales, voire locales, existantes. C’est en quelque sorte l’histoire d’une traduction-domination, d’une traduction-imposition, qui tente d’uniformiser des formes de pensées. Bien entendu, les traducteurs et les lecteurs polyglottes (il suffit de penser à la longue tradition des juxtalinéaires) ont la part belle dans ce contexte, souvent au détriment d’une production littéraire originale, étouffée dans le giron d’un pouvoir centralisateur. Le livre est une collection d’épiphanies, formant finalement une approche thématique heureuse de ce qu’a pu être la traduction littéraire du romantisme à nos jours en Europe centrale et orientale. La synthèse généraliste prend le pas sur un panorama exhaustif, encyclopédique, avec bien entendu plusieurs pans importants passés sous silence, ce qui est la rançon de ce type d’ouvrage. L’étude est divisée en trois parties : Contexts, Subtexts et Pretexts. Ce dispositif adopté par commodité articulatoire permet d’ordonner les 18 textes du livre en fonction de critères d’analyse de la production traduisante plutôt que selon le sujet traité. En évitant une disposition historique, géographique ou proprement littéraire, c’est « ce qui entoure la traduction » qui fait l’objet du débat et autorise une mise à distance du sujet afin de le traiter avec le recul qui s’impose. La première partie, Contexts, analyse l’environnement socioculturel des traducteurs et de leurs productions, en montrant les enjeux politiques et culturels de celles-ci, qu’il s’agisse du choix des originaux, de la manière de les rendre dans la langue cible et des critères de réception. En un mot, on pourrait dire que c’est le traducteur engagé qui est à l’oeuvre dans cette partie. Les auteurs-traducteurs défilent devant nos yeux. C’est d’abord Kundera donnant en 1984 The Tragedy of Central Europe (dont le titre est déjà évocateur), auto-traduit de l’original français Un Ouest kidnappé. Cette auto-traduction montre que la tradition culturelle d’Europe centrale et orientale ne privilégie pas nécessairement les traductions dans les langues de ces pays, avec en filigrane le message d’une identité transeuropéenne. Aux yeux de Kundera, la vraie Europe occidentale s’incarne dans les pays d’Europe centrale et la traduction d’oeuvres originaires de ces pays dans les langues occidentales « traditionnelles » (le français et l’anglais par exemple) constitue ce que l’on pourrait appeler une « traduction culturelle » qui renvoie à l’Occident sa propre image. Pour …