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Les médiateurs de langue anglaise disposent depuis longtemps d’un dictionnaire de référence, comportant quelque 1400 termes, le Dictionary of Conflict Resolution de Yarn (1999). Le domaine connexe de l’interprétation-médiation disposera bientôt d’une norme ISO (anglais-français), actuellement en préparation, mais la médiation proprement dite n’a pas encore d’ouvrage de référence terminologique pour le français et l’italien. Le présent volume a l’ambition de combler cette lacune, du moins en partie, pour refléter l’état actuel de la recherche, de la pratique et de la culture de la médiation dans les pays où ces langues sont parlées, où les réalités peuvent être perçues différemment. Comme le fait remarquer Michèle Guillaume-Hofnung dans la préface de l’ouvrage, la conception anglo-saxonne de la médiation privilégie le conflit et sa résolution, comme le laisse entendre le titre du dictionnaire de langue anglaise cité plus haut, tandis que l’approche française met l’accent sur la création du lien social. Cette spécificité se retrouve d’ailleurs dans les autres publications issues du projet de recherche « Il discorso della mediazione fra terminologia e traduzione », placé sous la direction des auteurs, dont le colloque Pratiques communicatives de la médiation de 2012 (De Gioia, 2014), qui a réuni linguistes, juristes et professionnels.

Les Mots de la médiation consistent en un coeur terminologique, précédé et suivi de parties théoriques et méthodologiques. La nomenclature est de taille modeste : une centaine de concepts en tout, présentés d’abord sous forme d’un « glossaire » (en fait un lexique bilingue indiquant les équivalents dans les deux langues), d’un « dictionnaire » (vedette, définition, équivalent, dans les deux sens), et surtout de fiches terminologiques, disposées en vis-à-vis, le français à gauche, l’italien à droite. Les champs sont classiques : vedette, catégorie grammaticale, définition et source, contexte et source, phraséologie, notes, synonymes et termes « reliés » (relations sémantiques ou conceptuelles). Quant au péritexte, après la préface de Guillaume-Hofnung, qui souligne l’importance de la précision terminologique pour une pratique émergente, la première partie expose les enjeux de la définition du concept très polysémique de médiation, les considérations méthodologiques, la structuration terminographique et la justification générale du projet. La dernière partie de l’ouvrage, intitulée « Le tournant linguistique de la médiation », est une réflexion sur la nature de la terminologie de cette pratique qui s’autonomise. La démarche s’inspire du travail de pionnier de la juriste citée plus haut, qui est étroitement associée à l’ensemble de ce projet.

La méthodologie de ce dictionnaire, présentée en première partie, est claire : il s’agit de l’application à un corpus double de l’approche lexique-grammaire de Maurice Gross. Les auteurs ont d’abord extrait les termes de deux manuels de médiation, l’un belge, l’autre italien ; ils ont complété la documentation pour la nomenclature ainsi obtenue en dépouillant des publications spécialisées afin de fournir les citations qui figurent dans les fiches sous forme de contextes. Pour quelques rares termes, ils ont été amenés à traduire du français en italien. Le tout a fait l’objet d’une révision confiée à des spécialistes de langues française et italienne. Le résultat est donc un compromis entre les traditions de la lexicographie spécialisée et de la terminologie.

Chaque méthode a ses avantages et ses inconvénients : parmi les premiers, on peut saluer la prise en compte de l’usage effectif de l’expression d’une pratique et d’une discipline émergentes (en particulier sa phraséologie), et la disponibilité des informations spécialisées généralement dispersées. Dans sa préface, Guillaume-Hofnung souligne l’importance de l’emploi spécifique de ces mots dans la médiation par rapport aux autres modes d’intervention. L’utilisateur est donc prévenu que les mots de tous les jours peuvent avoir des sens spécifiques dans la pratique de la médiation, et que ceux-ci sont souvent différents de ceux de pratiques proches.

On peut se demander toutefois si la méthode retenue suffit à lever toutes les ambiguïtés concernant les critères de sélection. Les termes traités sont généralement, comme le titre le laisse entendre, des mots de la langue générale qui ont un emploi particulier dans le domaine de la médiation. Mais pourquoi, dans ce cas, ne pas retenir des mots comme partie, procédure (dont les équivalents italiens seraient en partie divergents, comme le laissent entendre des exemples à la page 13), on encore plainte, qui aurait une acception particulière en médiation (p. 15), exemples qui figurent dans l’introduction ? Il serait également utile de disposer de définitions de pratiques proches (conciliation par rapport à médiation, ou mode alternatif de résolution de conflit, par exemple), analysées du point de vue de la médiation, afin de mieux délimiter le nouveau domaine et de mettre en lumière les critères de distinction. On s’attend également, dans un domaine émergent à la présence de concepts contestés, dont le terminologue peut également rendre compte. La méthode essentiellement sémasiologique du dépouillement a été corrigée par une relecture onomasiologique, mais il aurait été possible de la pousser plus loin : un arbre du domaine permettrait de visualiser à la fois le périmètre du domaine et le type d’unité terminologique retenue, tandis que des schémas conceptuels pour les termes polysémiques (voir Maldussi, 2013) permettraient de mieux comprendre les relations. On peut également se demander si certains termes juridiques n’auraient pas bénéficié d’une description qui tienne davantage compte des contraintes liées à la législation, en particulier à la directive européenne du 21 novembre 2008 et de ses transpositions en droit français et italien. Les auteurs considèrent que la médiation est désormais « un domaine de connaissances spécialisées, distinct de celui du droit et, surtout, autonome » (p. 15), mais il n’en reste pas moins que certains concepts connaissent des contraintes juridiques, qu’une bonne terminologie se doit de présenter. Sur le plan purement matériel, la partie terminologique est quelque peu redondante : le « glossaire » et le « dictionnaire » comportent des informations qui sont en grande partie reprises dans les fiches.

Les réserves que l’on peut faire par rapport à ce travail par ailleurs très opportun concernent surtout sa présentation en tant que terminologie autonome et exhaustive selon des critères objectifs d’inclusion ; en tant qu’entrées dans une banque de données, les fiches rendraient telles quelles d’immenses services, et l’on ne peut qu’espérer qu’elles figureront bientôt, sous une forme appropriée, dans la base de données terminologique interactive pour l’Europe IATE.