Nouvelles perspectives en sciences sociales
Volume 4, numéro 2, avril 2009 Sur le thème de la complexité
Sommaire (7 articles)
Présentation
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Commencer par les fins. La complexité fondatrice du social
Jacques Lévy
p. 13–34
RésuméFR :
Les discussions sur la complexité dans les sciences sociales ont été affectées par des malentendus concernant la notion de système. L’une des caractéristiques des systèmes sociaux est qu’il s’agit de systèmes d’acteurs, dans lesquels la composition des intentionnalités peut utilement servir de fil conducteur pour la construction des logiques de ces systèmes. Les choses sont bien évidemment différentes dans les sciences de la nature. Dans ce contexte, la complexité peut se définir en mathématiques ou en physique par l’augmentation du niveau d’imprévisibilité d’un système, ce qui n’est pas le cas dans les mondes sociaux. L’hypercomplexité des systèmes sociaux repose sur une très forte interactivité entre acteurs, objets et environnements et cette interactivité est d’autant plus intelligible que l’on connaît les attentes, les désirs, les craintes, les projets des acteurs. En conséquence, le futur devient un objet d’études à la fois plus accessible et plus nécessaire aux les sciences sociales, comme les exemples de la « transition démographique » et des choix résidentiels individuels en témoignent.
EN :
A misunderstanding about the notion of system has undermined discussions on complexity in social sciences. Social systems are fundamentally actors systems, whereby the arrangement of intentionalities can be used as a leading thread for the understanding of these systems’ rationales. The situation is obviously different in natural sciences. In this context, complexity can be defined in physics and mathematics by higher level of unpredictability level, which is not the case in social worlds. Hypercom-plexity is based on massive interactions between actors, objects, and environments and this interactivity is all the more intelligible when actors’ expectations, desires, fears, and projects are known. As a result, future can be addressed as a more accessible as well as a more essential object for social sciences. The examples of “demographic transition” and of individual residential choices clearly illustrate this proposition.
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Complexité des systèmes naturels et sous-détermination des théories : une possible limite de la modélisation
Henri Atlan
p. 35–45
RésuméFR :
Dans la théorie de l’information probabiliste comme dans la théorie des algorithmes de programmation, l’on n’a pas à s’occuper de la question de savoir comment nous comprenons ni comment les significations sont créées. Dans ces deux cas de complexité, nous rencontrons le même paradoxe : une identité formelle entre complexité maximale et aléatoire (c’est-à-dire désordre avec homogé-néité statistique maximale). Et, dans les deux cas, la solution du paradoxe consiste à l’ignorer en supposant qu’un sens et une signification existent a priori, ce qui élimine de ce fait l’hypothèse de l’aléatoire. Ce n’est que très récemment qu’on a tenté de résoudre vraiment ce paradoxe par des travaux sur la complexité algorithmique tenant compte d’une définition de la complexité porteuse de signification. Une première approche concerne le principe de complexité par le bruit. Une seconde, plus récente, utilise des simulations de réseaux d’automates pour tenter de surprendre l’émergence de significations fonctionnelles dans les réseaux d’automates à propriétés auto-organisatrices. Parmi les résultats obtenus, on trouve une large sous-détermination des théories par les faits, et la petite taille de ces réseaux permet d’en analyser clairement l’origine et même de la quantifier. Cette sous-détermination des théories apparaît comme l’expression probablement la plus spectaculaire de ce qu’est la com-plexité naturelle.
EN :
In Probabilistic Information Theory, as in Algorithm and Programming theory, there is no need to worry about how we understand or how we come to create meaning. Within each of these complex cases, we run into the same paradox: formal identity between maximum complexity and randomness (i.e. disorder within maximum statistical homogeneity). And, in both cases, the solution to this paradox consists of ignoring that sense and meaning exist a priori while supposing it does, which eliminates the hypothesis of randomness. It isn’t until recently that paper in Algorithmic Complexity have attempted to solve this paradox, taking into consideration a definition of complexity that is meaning based. A first approach is to account for complexity in noise. A second, more recent approach, uses Multi-Agent Cellular Automata Systems to catch the emergence of functional meaning within the self-organizing networks. As a result of these approaches, we find a large under-determination of theories within the facts, and a small number of networks that allow us to retrace the origins and even quantify them. This under-determination of theory appears to be the most spectacular expression of what is natural complexity.
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Complexité et anthropologie
J. Stephen Lansing
p. 47–52
RésuméFR :
Aujourd’hui, la mathématique des systèmes complexes offre divers outils à partir desquels on peut étudier les propriétés macroscopiques des interactions qui se manifestent dans une dimension temporelle. En dessinant les schèmes d’interaction qui correspondent aux éléments d’un système, on peut souvent découvrir des propriétés qui émergent à un niveau supérieur. Rétrospectivement, il apparaît remarquable que quelques idées simples tirées des analyses formelles des systèmes complexes pourraient avoir été si éclairantes dans divers champs de recherche. Bien que le concept de développement progressif — et de contingence historique — ne soit pas nouveau en anthropologie, pour briser le sceau de la réification sur l’ordre social, il est nécessaire d’aller au-delà des statistiques descriptives ou des modèles d’équilibre et d’explorer la contingence historique. Les réseaux qui se développent sont inévitablement inscrits dans une voie; les états ultérieurs sont contraints par le passé. Mais comme le révèlent de nouvelles études, l’« agence » (agency), dans son sens le plus fort d’habileté à donner forme à de véritables innovations, peut surgir d’une forme ordinaire d’« agence » présentée par des individus qui s’adonnent à leurs activités quotidiennes reliées au commerce, au mariage et à la politique.
EN :
Today’s mathematics of complex systems offer a variety of tools to investigate the macroscopic properties of interactions that occur along a temporal dimension. By tracing patterns of interaction among the elements of a system, one can often discover emergent properties at a higher level. In retrospect it seems remarkable that a few simple insights from the formal analysis of complex sys-tems should have been so illuminating in diverse fields of inquiry. Even if the concept of progressive development — and historical contingency — is hardly new to anthropology, it is necessary to go beyond descriptive statistics or equilibrium models to explore historical contingency to break the seal of reification on the existing social order. Evolving networks are inevitably path dependent; future states are constrained by the past. But as new studies show, agency in the more powerful sense of the ability to shape genuine innovations can arise from the ordinary form of agency exhibited by people going about their daily business of commerce, marriage and politics.
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Évolution, complexité et métahistoricisme
David C. Krakauer
p. 53–67
RésuméFR :
L’histoire cherche à combiner des descriptions particulières dans des cadres généraux dans le but d’expliquer des séquences d’événements. Dans cet esprit, l’histoire adopte une approche transdisciplinaire qui couvre une variété de champs allant de la biologie à la géologie, en passant par l’anthropologie et l’histoire humaine. Je cherche à caractériser ce cadre métahistorique général comme exemple d’une dynamique complexe, évolutionniste et généalogique. Cela suppose quelques travaux particuliers sur les modes de transmission d’information, les niveaux des fonctions de système, l’identification multiple, les variables causales et sur les moyens de démêler les événements contingents des processus réguliers qui filtrent ces événements.
EN :
History seeks to combine particular descriptions within general frameworks in order to explain event sequences. In this respect, history is a transdisciplinary approach that encompasses a range of fields, from biology and geology, through to anthropology and human history. I seek to characterize this general metahistorical framework as an instance of a complex, evolutionary and genealogical dynamic. This involves a specification of the modes of information transmission, the levels of system function, the identification of multiple, causal variables, and a means of disentangling contingent events from regular processes through which these events are filtered.
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La complexité comme sagesse, lucidité et liberté : entrevue avec Jacques Zylberberg, Université Laval, Québec
Simon Laflamme
p. 69–81
RésuméFR :
Dans cet entretien, Jacques Zylberberg s’exprime sur la manière dont le concept de complexité est intervenu dans son oeuvre. Le lecteur apprend que Zylberberg en est venu à la complexité en découvrant qu’elle est davantage savoir fuyant qu’accumulation de données ; qu’elle constitue une façon particulière de décrire le monde ou, mieux, une façon de l’interroger, car le savoir est limité et que la connaissance doit constamment être remise en question, être reconstruite. Associée à l’obligation d’un questionnement continu, la complexité est éthique, position non pas simplement analytique, mais aussi morale, dont les maîtres-mots sont sagesse, lucidité et liberté.
EN :
In this interview, Jacques Zylberberg expresses himself on the role the concept of complexity has played in his research. The reader finds out that Zylberberg came to complexity in discovering that it is more vanishing knowledge than data accumulation; that it constitutes a particular way for describing the world or, furthermore, a way for questioning it; since knowledge is limited, it must continuously be challenged, reconstructed. Associated with the obligation of a continuous questioning, com-plexity is ethics, a position not only analytical, but moral, whose main terms are wisdom, lucidity, and liberty.
Article hors thème
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Complexité de l’objet et catégories analytiques. Analyse d’un corpus sur divers organismes internationaux
Roger Gervais et Simon Laflamme
p. 85–114
RésuméFR :
Cet article vérifie trois hypothèses d’ordre épistémologique. La première veut que les sciences humaines, quand elles se penchent sur une question, le font presque par nécessité dans un cadre interdisciplinaire. La seconde propose que l’ensemble des écrits des chercheurs des sciences humaines, quand il porte sur une question particulière, peut être ramené, dans ses grandes lignes, à un nombre limité de catégories sémantiques. La troisième hypothèse suggère que l’analytique et l’éthique soient fortement associés. Pour vérifier ces hypothèses, l’analyse porte sur un corpus de milliers de résumés d’articles qui ont été publiés dans des revues avec comité de lecture et qui ont pour objet les organismes internationaux. Les trois hypothèses trouvent confirmation.
EN :
This article verifies three epistemological hypotheses. The first proposes that human sciences, when studying a specific research topic, almost by necessity, take on an interdisciplinary approach. The second believes that, when scrutinizing a particular subject, human science papers tend to gravitate among a limited number of semantic categories. The third hypothesis suggests that both analytical and ethical standpoints are strongly associated. To verify these hypotheses, this paper analyses thousands of article abstracts published in pear reviewed journals pertaining to international organizations. All three hypotheses are confirmed.