Nouvelle Revue Synergies Canada
Numéro 6, 2013 L’Algérie malgré tout
Sommaire (11 articles)
Présentation / Presentation
Articles / Articles
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De l’ambiguïté tragique chez Feraoun, écrivain réputé « ethnographique »
Charles Bonn
p. 1–8
RésuméFR :
Cet article propose une relecture de La Terre et le Sang de Mouloud Feraoun qui y décèle la genèse d’un dire littéraire hybride surgi d’un entre-deux. Avec en toile de fond l’histoire de la littérature algérienne et, plus généralement, de la littérature maghrébine, il revisite ce qui a permis à la critique d’ériger Nedjma de Kateb Yacine comme œuvre symbole de la rupture avec le modèle romanesque européen. Il appert alors que la question commune posée par les deux romans est celle de l’invention d’un nouveau récit identitaire reposant dans les deux cas sur un sacrifice tragique.
EN :
This article proposes a re-reading of Mouloud Feraoun’s La Terre et le Sang, which reveals the origins of a hybrid literary expression born from a location in-between. Against the backdrop of the history of Algerian literature and, more generally, of North African literature, it revisits the reasons critics elevated Kateb Yacine’s Nedjma as symbolic of the rupture with the European model of fiction. It appears, then, that the question common to both novels is that of the invention of a new story of an identity that, in both cases, rests upon a tragic sacrifice.
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Dib et Djaout : le métier à tisser en deux temps : de la manipulation de l’imaginaire populaire hier et aujourd’hui
Christiane Ndiaye
p. 1–13
RésuméFR :
A plus de trente ans d’intervalle, Le Métier à tisser de Mohammed Dib et Les Vigiles de Tahar Djaout se construisent tous deux autour de la figure du métier à tisser, instrument de travail d’un peuple qui n’en finit pas d’être dépossédé. Si, chez Dib, l’espoir subsiste que le peuple se mettra en marche pour faire en sorte que « ça changera » (164), chez Djaout la désillusion prend des accents dramatiques. La «rénovation» du métier à tisser, du pays, ne servira finalement que les intérêts des Vigiles qui s’évertuent à « défendre le pays contre son propre peuple » (1991 : 111). La grande famille unie de la nouvelle cité dictera à chacun son comportement, sa vie et sa mort, si celle-ci peut lui servir. De la lecture croisée de ces deux romans se dégage ainsi une mise en garde contre l’imaginaire du « malgré tout » dont se sert le pouvoir pour manipuler le peuple.
EN :
Though published more than thirty years apart, the novels Le Métier à tisser by Mohammed Dib and Les Vigiles by Tahar Djaout are both constructed around the figure of the loom, the instrument of labour of a people apparently faced with endless dispossession. If, in Dib’s novel, hope persists that the people will take a stand so that “things change” (164), in Djaout’s novel disillusionment takes on dramatic accents. "Renovating" the loom or the country, in fact only serves the interests of the Vigils who do their utmost to “defend the country against its own people” (1991 : 111). The great united family of the new state dictates everyone’s behaviour, their life and their death, if the latter can serve its purposes. From the joint reading of these two novels emerges a warning against the fantasy of “in spite of it all” used by the authorities to manipulate its people.
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Le geste et le souffle. Eléments pour une poétique algérienne
Zineb Ali-Benali
p. 1–14
RésuméFR :
Du poète décrit par Ibn Khaldoun et mis en scène par Mouloud Mammeri à l’homme du « souffle », « respir » et assefrou, qu’il s’agisse de Jean Amrouche ou de Kateb Yacine, cet article retrouve un même allant du poème, voix que rien ne peut ni voiler ni imiter, geste qui organise le monde et lui donne place au large du sensé. Dans ce rapide parcours sur les traces d’une poétique comme élan qui installe le poème, voix et corps dans le monde, Mohammed Dib s’impose lorsque les voix de Djamila Amrane et de Jean Sénac apportent leur tribu, au milieu de toutes celles qui hantent des contes ancestraux.
EN :
From the poet described by Ibn Khaldoun and dramatized by Mouloud Mammeri to the man of “breath”, “respir” and “assefrou”, whether it is discussing Jean Amrouche or Kateb Yacine, this article finds the common energy in the poems, a voice that nothing can obscure or imitate, a gesture that makes sense of the world while giving it a place outside the realm of the sensible. In this rapid journey, using this poetic discourse as momentum that places the poem, voice and body in the world, Mohammed Dib’s influence is obvious when Djamila Amrane and Jean Sénac add their voices to all those who haunt his ancestral tales.
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L’avenir des sabliers. Sur des poèmes de Sélim Baghli et de Farid Laroussi
Pierre Popovic
RésuméFR :
Autant la poésie de Sélim Baghli peut être hachée, hésitante, inquiète d’elle-même, autant celle de Farid Laroussi frappe d’estoc, est assurée et ferme. Quand les vers de Baghli cooptent Verlaine, la prose de Laroussi affiche plus d’une accointance avec celle de Rimbaud. Cet article ne se propose pas de produire un brillant paradoxe à la manière des critiques littéraires vaporeux, mais d’essayer de comprendre comment des poèmes de Baghli et de Laroussi, en mettant à leur manière en scène un sujet qui résiste aux ravages du passé tout en étant dans le temps de l’après-coup, se trouvent plus ou moins travaillés par le thème de « l’Algérie malgré tout ».
EN :
As much as Sélim Baghli’s poetry can be choppy, faltering, and self-conscious, Farid Laroussi’s is direct, self-assured and firm. Where Baghli’s verses co-opt Verlaine, Laroussi’s prose has a clear link to Rimbaud. This article does not attempt to illuminate an obvious paradox in the hazy style of literary critique, but instead it attempts to understand how the poems of Baghli and Laroussi portray, in their own way, a subject that resists the ravages of the past all the while existing in the post-coup era, finding themselves more or less shaped by the theme of “Algeria in spite of it all.”
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« Néant et lumière », l’Algérie possible de Habiba Djahnine
Djemaa Maazouzi
p. 1–14
RésuméFR :
Avant de franchir la ligne d’horizon (2012), le recueil Outre-mort. 1991-1994 (2003) et Lettre à ma sœur (2006) livrent des bribes de l’histoire des luttes démocratiques en Algérie. Les personnages de Habiba Djahnine relatent leurs espoirs mais aussi les échecs, les ratés, les impasses, les impossibilités, les amnésies, le découragement, l’être au bord de la folie auxquels ils ont été confrontés et auxquels ils font encore face. Le Bilan et perspectives que construit la documentariste est porté par le rôle dévolu à une « possible poésie » qui met en mots et en images les visages et les voix des diverses générations de ceux qui ont décidé d’agir au lieu de seulement subir, s’engageant dans «l’Algérie malgré tout».
EN :
Avant de franchir la ligne d’horizon (2012), the poems in Outre-mort, 1991-1994 (2003) and Lettre à ma sœur (2006) provide pieces of the story of Algeria’s struggle for democracy. Habiba Djahnine’s characters share their hopes, but also their failures, losses, dead-ends, powerlessness, amnesias, despondencies, and the state of being on the brink of insanity that they have confronted and still must confront. The documentary film-maker’s assessment and perspectives are supported by the role given to a “possible poetry” which puts into words and pictures the faces and the voices of several generations of those who decided to act instead of simply suffer, committing themselves to “an Algeria in spite of it all”.
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Aller et retour, ici, là-bas, ailleurs : le désir à l’oeuvre dans le cinéma de Rabah Ameur-Zaïmeche
Marion Froger
p. 1–18
RésuméFR :
Dans ses deux premiers films, Rabah Ameur-Zaïmeche interprète un personnage qui, ayant écopé de la « double peine », finit par perdre sa place dans un aller et retour sans issue, entre son village algérien d’origine qui le rejette (Bled number One) et la France qui l’expulse puis le traque à son retour (Wesh wesh qu’est-ce qui se passe ?). À ce destin qui s’avère borné par la folie, d’un côté de la Méditerranée, ou par la mort de l’autre, le cinéaste oppose la créativité de ses propres collectifs de production, dont il laisse volontairement des traces dans chacun de ses films. Il entend ainsi, malgré tout, réinvestir, par le désir de groupe, le champ du politique, et par l’invention de formes cinématographiques, ne pas exclure le spectateur d’un sentiment de solidarité et de fraternité désancré de ses bases strictement communautaires. Adossé à la réalité vécue par une génération issue de l’immigration algérienne, née ou ayant grandi en France après l’indépendance de l’Algérie, le cinéma de Rabah Ameur-Zaimèche évoque les ambivalences de l’expérience groupale de ceux qui vont et viennent avec constance et intensité d’une rive à l’autre de leurs désirs d’appartenance et d’engagement.
EN :
In his two first movies, Rabah Ameur-Zaïmeche plays a character who, subject to legal “double jeopardy”, finds himself lost in an inescapable back and forth between his native Algerian village, which rejects him, (Bled number One) and France, which expels him and then, upon his return, hunts him down (Wesh wesh qu’est-ce qui se passe ?). Against this fate, which ends in madness on one side of the Mediterranean or death on the other, Rabah Ameur-Zaïmeche sets the creativity of his production teams, traces of whose work remains in each of his films. Despite everything, the filmmaker looks to reinvest the political field with collective desire, and, through the use of inventive cinematic forms, insures that the spectator is allowed to partake of the feelings of solidarity and fraternity unmoored from strictly communitarian foundations. Drawing on the lived reality of a generation of people who were born or grew up in France after Algeria’s Independence, Rabah Ameur-Zaïmeche’s work evokes the ambivalences of those who move, with regularity and intensity, between both shores of their desire for belonging and political engagement.
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Lounès Matoub et ses chansons : l’Algérie embrase le coeur, l’Algérie attise la raison
Mohammed Yefsah
p. 1–10
RésuméFR :
Ténor de la chanson algérienne, Lounès Matoub est devenu une icône après son assassinat. Il est l'incarnation même de l'artiste au cœur de son peuple, lui qui s'est imposé dans le champ artistique avec son talent, son franc-parler, sa musique et sa poésie. Son parcours ne peut être dissocié de ses engagements politiques. Il combat les fondamentalistes islamistes et s'oppose au pouvoir en place. Il veut la reconnaissance du berbère, sa langue maternelle et celle de ses chansons, par l’État algérien. Il porte un regard sur l’histoire en reprenant des mythes tout en révélant des vérités. Il brise également des tabous de la société mais reprend des poncifs. Ses chansons, dans lesquelles se reconnaissent des milliers de personnes, disent les contradictions d'un individu tourmenté. L'imaginaire de ses poèmes est régional et rural. En revanche, son désir tend vers la nation entière et même vers l'universel. La tragédie de sa vie est indissociable des durs contextes politiques qu'expriment ses paroles.
EN :
Algerian poet, singer and songwriter Lounès Matoub became an icon after his assassination. In the hearts of his people, he is the embodiment of an artist, having established himself with his talent, his outspokenness, his music and his poetry. His career cannot be dissociated from his political commitments. He fights against the Islamic fundamentalists and rebels against the governing power. He wants Berber, his mother language and that of his songs, recognized by the Algerian government. He examines history by recycling myths while revealing truths. He breaks societal taboos but unravels clichés. His songs tell of the trials of a tormented individual, but thousands of people recognize themselves in his songs. The scope of his poems is regional and rural. However, his desire extends to the whole nation, even to the universal. The tragedy of his life is inseparable from the tough political context that his words describe.
Varia / Varia
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Identification par le « je » et territorialité fragile du cinéma en Algérie
Habiba Djahnine
p. 1–16
RésuméFR :
Cette réflexion s’élabore en suivant le fil tendu entre images filmiques et paroles de ceux qui les ont réalisées. Parcourant Hystérésis (Algérie/Autoédition, 2009, 15’) de Tahar Kessi, Bir d’eau – walk movie – portrait d’une rue (Algérie/Autoédition, 2010, 60’) de Djamil Belloucif, J’ai habité l’absence deux fois (Algérie/Béjaia DOC, 2011, 28’) de Drifa Mezener et El Berrani (Algérie/Béjaia DOC, 2010, 32) d’Aboubakar Hamzi, elle met les uns à côté des autres des mots qui parviennent à faire entrevoir une des géographies possibles du territoire d’un cinéma d’Algérie qui assume totalement son intériorité malgré toutes les assignations.
EN :
This reflection develops by following the connection between the images that appear in films and the words of those who directed them. Reviewing Tahar Kessi’s Hystérésis (Algeria/Autoédition, 2009), Djamil Belloucif’s Bir d’eau - walk movie - portrait d’une rue (Algeria/Autoédition, 2010), Drifa Mezener’s J’ai habité l’absence deux fois (Algeria/Béjaia DOC, 2011) and Aboubakar Hamzi’s El Berrani, it compares the words that allow us to catch a glimpse of one of the possible landscapes of Algerian cinema, one that completely accepts its inwardness.
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Conversation avec Ramzy Bensaadi, photographe : « Comme pour dire la vie continue... »
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De la malédiction d’être arabe et de quelques moyens, pour un écrivain algérien, d’y échapper
Anouar Benmalek
p. 1–7
RésuméFR :
En recouvrant les balises de l’engagement politique, social et poétique qui anime sa vie et son œuvre, et ont fait de lui un écrivain à la fois profondément algérien mais aspirant, dans le même temps, à l’universalité la plus large possible, Anouar Benmalek questionne ce paradoxe du « être arabe, malgré tout » : comment être un écrivain issu du monde arabe, sans renier ce qu’on aime le mieux dans ce monde arabe (sa générosité, son hospitalité, la chaleur des relations humaines, le raffinement des restes d’une grande civilisation où la poésie, par exemple, avait pu passer« pour l’état de béatitude suprême auquel il est permis à un être humain d’accéder de son vivant ») et, en même temps, crier haut et fort la répulsion qu’on éprouve devant la culture de la mort, de la haine des autres, de la femme en particulier, et du ressentiment envers le monde entier qui semble y devenir insidieusement la norme ?