Nouvelle Revue Synergies Canada
Numéro 15, 2022 La notion de « voix » en sociolinguistique et sciences sociales
Sommaire (11 articles)
Présentation / Presentation
Articles / Articles
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La voix des « indigènes », ou comment rendre audible des voix rendues muettes. Sociolinguistique dans les archives coloniales
Cécile Van den Avenne
p. 1–10
RésuméFR :
Les archives coloniales laissent entendre davantage les voix des colonisateurs que celles des colonisés. Le propos de cet article, est, à partir de l’analyse de documents précis, exemplifiant par-là la démarche proposée, de mettre à jour deux processus inverses : celui, d’une part, qui a pu rendre inaudibles la parole « indigène » dans les archives produites par des acteurs européens ; et la manière, en retour, dont certains acteurs africains ont tâché de regagner en agentivité en rendant audible leur voix.
EN :
Colonial archives let the voices of the colonizers be heard more than those of the colonized. From the analysis of precise documents - the archives produced by European actors - the purpose of this article is to bring to light two inverse processes. On the one hand, one that made the “indigenous” voices inaudible, and on the other, one through which certain African actors have tried to regain their agency by making their voices audible in return.
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Voix des enfants : placer l’enfance au coeur de l’analyse dans la sociologie
Diane Farmer
p. 1–10
RésuméFR :
Les voix d’enfants n’ont pas toujours été sollicitées en sociologie. Il a fallu un changement de perspective dans l’étude des processus de la socialisation pour ainsi prendre l’enfance comme fil conducteur. Je tracerai l’évolution du concept de voix d’enfants sur trois décennies. J’évoquerai d’abord deux défis initiaux recensés dans la littérature savante : la reconnaissance des voix d’enfants en recherche et le développement de méthodes d’enquête. Les enfants se sont beaucoup exprimés, ce qui restera un apport important. J’aborderai ensuite les critiques soulevées au sein de la discipline concernant les notions d’authenticité et d’inclusion ainsi que l’idée de se sentir autorisé à prendre la parole en tant qu’enfant. Je conclurai par l’exemple d’un projet de recherche à grande échelle où les voix prennent vie sans que les enfants soient interrogés directement. La finalité souhaitée demeure la même soit de faire en sorte que ces voix mènent au changement dans l’expérience de vie des enfants. Une voix sans écoute est une voix privée de son action.
EN :
Children’s voices have not always been solicited in sociology. A transformation was needed in the study of socialization for childhood to be conceived as the underlying thread of analysis. In order for the centrality of childhood to emerge, researchers dedicated their energy in soliciting children’s voices. The paper retraces the emergence and development in the concept of children’s voices, drawing on the work of scholars over a period of thirty years. I will begin by discussing two early issues encountered by researchers: the legitimacy of children’s voice in research and debates on methodology. Children have expressed themselves on an abundance of topics affecting their lives which will always be an important legacy. I then bring up the critiques raised from within the discipline around notions of authenticity and inclusion of children’s voices as well as on feeling legitimated to speak as a child. I conclude with the example of a large-scale research project where voices come alive without children being interviewed directly, the outcome of a focus on voices being to be heard in order to bring changes that are meaningful to children’s lives. Not being heard is being deprived of one’s voice.
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Ubiquité et discrimination des voix en centres d’appel : la quête illusoire et paradoxale d’un assureur en France et au Maghreb
Marie-Laure Cuisance
p. 1–10
RésuméFR :
À partir de données ethnographiques produites sur la mise en place de centres d’appel en France et au Maghreb par un groupe d’assurance français, l’article aborde la notion de « voix », comme objet et outil d’analyse, pour dévoiler les mécanismes de légitimation de ses locuteurs. Il permet de montrer que la poursuite d’un objectif de rentabilité économique de l’interaction par la professionnalisation, la standardisation et la délocalisation des voix de ses salariés ne produit pas les effets escomptés. Des phénomènes de discrimination et de domination agissent par et sur ces voix, indissociables des espaces sociaux dans lesquels elles sont produites et entendues.
EN :
Based on ethnographic data collected on the establishment of call centres in France and the Maghreb by a French insurance group, the article addresses the notion of 'voice', as an object and an analytical tool, to reveal the mechanisms for legitimizing the call centre workers' voice. It shows that the pursuit of an objective of economic profitability of the interaction through the professionalization, standardization, and delocalization of the employees' voice does not produce the expected effects. Phenomena of discrimination and domination act through and on these voices, inseparable from the social spaces in which they are produced and heard.
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Agentivité et citoyenneté linguistique de la francophonie en Ontario
Fanny Macé
p. 1–12
RésuméFR :
Avec plus de 622 000 francophones (Gouvernement de l’Ontario, 2019), l'Ontario compte la plus importante minorité francophone hors Québec et sa principale minorité linguistique. Cependant, le manque de visibilité publique de la francophonie ontarienne nous a amenés à remettre en question cette quasi-absence. Selon James Scott (2009), les occasions d'entendre publiquement la voix des minorités sont l'exception plutôt que la règle. Au-delà des droits linguistiques, le concept de citoyenneté linguistique (Linguistic Citizenship; Lim et al., 2018) semble prometteur car il nous conduit à nous interroger sur le degré d'agentivité sociale des acteurs minoritaires par rapport à leur voix. Grâce à l'analyse du court-métrage de Claudette Jaïko – « Deux voix, comme en écho » (1987) – cet article démontrera que les micro-actes sociolinguistiques réalisés par des acteurs sociaux minoritaires permettent d'affirmer des degrés divers de citoyenneté linguistique conduisant à l'appropriation d’une voix pour les francophones en Ontario.
EN :
With more than 622,000 Francophones (Government of Ontario, 2019), Ontario has the largest French-speaking minority outside Quebec and the main linguistic minority. However, the lack of public visibility of the Ontario Francophonie prompted us to question this virtual absence. According to James Scott (2009), opportunities to publicly hear the voices of minorities are the exception rather than the rule. Going beyond linguistic rights, the concept of Linguistic Citizenship (LC; Lim et al., 2018) seems promising as it led us to question the degree of social agency of the minority social actors in relation to their voice. Thanks to the analysis of 1987 Claudette Jaïko’s short film – “Deux voix, comme en écho” – this article will demonstrate that sociolinguistic micro-acts performed by minority social actors allow for the affirmation of varying degrees of LC leading to the appropriation of a voice for the Francophones in Ontario.
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Derrière la langue, les positionnements sociaux. Pouvoir faire entendre sa voix en langue seconde
Malika Ben Harrat et Anne-Christel Zeiter
p. 1–11
RésuméFR :
Les théories de la socialisation langagière mettent en évidence le rôle fondamental de la possibilité de faire entendre sa voix pour accéder aux pratiques sociales. Afin de mieux comprendre cette idée, nous penserons ici la voix en termes de positionnements énonciatifs liés aux représentations sociales qui structurent l’agir social de la personne. Après avoir dressé notre cadre théorique qui articule apprentissage de la langue, socialisation et réflexivité, nous présenterons trois types de positionnements socio-discursifs qui, sur le modèle de Van Langenhove et Harré (1999), rendent compte des dynamiques interactionnelles et des relations de pouvoir qui s’y matérialisent. Nous poserons enfin l’hypothèse qu’un travail réflexif mené en classe de langue sur les représentations sociales et les positionnements est susceptible d’améliorer la voix des personnes conduites à agir socialement dans un nouveau contexte social et langagier.
EN :
The theories of language socialization highlight the fundamental role of making one's voice heard to access social practices. To better understand this idea, we will consider the notion of "voice" in terms of enunciative positioning linked to the social representations that structure the person’s social agency. After drawing up our theoretical framework, which articulates language learning, socialization, and reflexivity, we will present three types of socio-discursive positioning which, on the model of Van Langenhove and Harré (1999), take account of the interactional dynamics and the relations of power that arise and materialize there. Finally, we will hypothesize that reflective work carried out in a language class on social representations on the one hand, and positioning, on the other, is likely to improve the voice of people, acting socially in a new social and language context.
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The Privilege of Voice as a Criterion for Sociolinguistic Inequalities
Anna-Christine Weirich
p. 1–13
RésuméEN :
Drawing on a theoretical framework for describing sociolinguistic inequalities with the notions of scope and access, the idea of voice can be used to define the aim of language learning processes as strategies to overcome sociolinguistic inequalities and marginalization. Understood in the metaphorical use of “being able to speak” and “to be heard” as used by Dell Hymes, having a voice must be analyzed from an intersectional perspective as a privilege. Studying the example of a mobile speaker and her successive attempts to find voice in different linguistic relations, reveals that the listener and their attitude have to be included in discussions of the conditions for having voice. For the rigor of sociolinguistic arguments, voice should be reserved for use on an abstract level while drawing on other (sociolinguistic) notions in empirical analysis that can describe concrete manifestations of linguistic inequalities.
FR :
Dans un cadre théorique destiné à décrire les inégalités sociolinguistiques sur la base des notions d’accès et de portée, la notion de voix peut définir le but des processus d’apprentissage de langue comme stratégies pour surmonter certaines inégalités sociolinguistiques et la marginalisation. Dans le sens métaphorique de ‘pouvoir parler’ et d’’être entendu’ comme le propose Hymes, avoir une voix doit être analysé comme un privilège et dans une perspective intersectionnelle. L’analyse des discours d’une locutrice en mobilité et de ses efforts successifs pour trouver une voix dans des relations sociolinguistiques différentes souligne la nécessité d’inclure les attitudes de son interlocuteur/-trice dans l’analyse. Afin d’assurer la rigueur de l’argumentation sociolinguistique, nous postulons que la notion de voix devrait être réservée à des discussions sociolinguistiques théoriques plutôt abstraites, au profit d’autres notions ancrées dans l’analyse empirique pour décrire des manifestations concrètes d’inégalités linguistiques.
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« Ne pas parler à la place des premiers concernés ». Étude d’une pratique politique d’éthique langagière chez des militants politiques pour les droits des étrangers en France
Marie Veniard
p. 1–16
RésuméFR :
Les mobilisations pour les droits des étrangers sont parfois le cadre de pratiques langagières reposant sur une idéologie langagière caractérisant la parole politique comme une voie d’émancipation possible. On s’intéressera en particulier à une pratique, celle de « ne pas parler à la place des premiers concernés » telle qu’elle se réalise dans ce champ de luttes. Ce travail se situe à l’articulation entre analyse de discours et sociolinguistique. Loin d’être une simple exigence morale, « ne pas parler à la place des premiers concernés » est une pratique politisée qui prend sens, pour les militants, en opposition à ce qu’ils identifient comme l’appropriation ou de l’invisibilisation, par les groupes dominants, de la parole des groupes minorés dans l’espace public. On pose l’hypothèse que le langage est, pour ces militants, une ressource pour exprimer leur solidarité avec les étrangers sans-papiers. Cette pratique d’éthique langagière se manifeste à différents niveaux langagiers. Elle imprègne les interactions, les mises en discours, et les actes. On la conceptualise comme un registre (Agha 2007) en ce qu’il s’agit d’une norme interactionnelle pervasive qui se caractérise par sa multi-modalité. Nous illustrerons ses manifestations aux niveaux mimo-postural, pragmatique et interactionnel.
EN :
Mobilisations in France for the rights of foreign nationals are sometimes the setting for language practices based on a language ideology that characterises the political voice as a possible path to empowerment. This article examines one practice in particular, labelled here as ‘don’t speak on their behalf’, as it manifests in this specific battleground. The research is situated at the interchange between discourse analysis and sociolinguistics. The findings show that ‘don’t speak on their behalf’ was not a simple moral requirement but rather a politicised practice that took on meaning for the activists in relation to what they identified as the dominant groups’ appropriation or invisibilisation of the minority groups’ voices in the public space. The following hypothesis was laid: language is, for those activists, a resource to express their solidarity towards undocumented foreign nationals. This language ethics practice manifested at different linguistic levels and permeated interactions, discourses and actions. It is conceptualised here as a register (Agha 2007) because it was found to be a pervasive interactional norm that was characterised by its multimodality. Its various manifestations are illustrated at the mimetic/postural, pragmatic and interactional levels.
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Quand la « voix » des nouveaux·elles arrivant·e·s est exprimée et entendue grâce à la photographie : réflexions sur la méthode de recherche « Photovoice »
Anna Goudet et Catherine Paquette
p. 1–13
RésuméFR :
Cet article propose un retour réflexif sur la démarche Photovoice et son potentiel à faire émerger la « voix » de personnes immigrantes, au terme d’un projet de recherche portant sur les perceptions et les expériences de l’accueil de nouveaux·elles arrivant·e·s dans deux territoires montréalais (Canada). L'objectif était de faire identifier aux participant·e·s des lieux accueillants ou moins accueillants par la prise de photographies. Nous revenons ici sur deux éléments qui permettent de réfléchir à la démarche Photovoice : d’une part, l’importance donnée à la dimension émotionnelle et symbolique des lieux pour les participant·e·s, ce qui détonnait de notre revue de littérature de départ sur les « collectivités accueillantes » (Esses et al) ; d’autre part, les différentes modalités d’appropriation de la démarche Photovoice par les participant·e·s. Nous concluons sur les défis et certains enjeux épistémologiques liés à l’emploi du Photovoice dans le cadre d’une recherche dont le point de départ se veut être la « voix » des participant·e·s.
EN :
This article proposes an analytical introspection on the photovoice approach and its potential to bring out the "voice" of immigrants in a different way. These reflections are rooted in a research project on the perceptions and experiences of reception by newcomers in two Montreal territories (Canada), where we asked participants to identify spaces they perceived as welcoming or less welcoming. In this current article, the discussion is based on two elements of our method. One analytical result diverged from the literature on "welcoming communities" (Esses et al): the importance of spaces with aesthetic value and spaces with emotional potential in the development of a sense of social well-being in the neighborhood; also, the different ways in which participants adapt and appropriate the methodological approach in their own way. We conclude on the challenges and on certain epistemological issues related to the individuals' capacity to speak within the Photovoice framework.
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Partenariat rémunéré entre une entreprise et une influenceuse sur les réseaux sociaux : entrecroisement des voix des femmes autour de l’alimentation des nourrissons
Chantal Bayard et Laurence Charton
p. 1–17
RésuméFR :
Les réseaux socionumériques (RS) ont transformé le rapport des femmes enceintes et nouvellement mères à l’alimentation des nourrissons. Ces dernières investissent ces plateformes (Facebook, Instagram, Twitter) pour obtenir et échanger de l’information ou du soutien, partager leurs expériences et s’engager socialement, notamment sur l’alimentation des nourrissons (allaitement et préparation). Les RS peuvent ainsi s’appréhender comme les dépositaires de voix diverses, qui s’expriment de multiples façons (textes, images, vidéos), aux intensités variables. Notre analyse des voix porte sur les réactions des utilisatrices sur Facebook et Instagram (740 commentaires) à la suite de la publication d’un billet de blogue rédigé par une influenceuse québécoise en partenariat avec une entreprise qui commercialise des préparations pour nourrissons. Dans un contexte où l’allaitement est recommandé par les autorités de santé publique québécoises, comment ce type de partenariat est-il accueilli? Quelles sont les voix qui émergent? Comment les voix de ces femmes s’entrecroisent-elles, se répondent/s’opposent/s’unissent-elles? De notre corpus émergent trois types de voix, celles du « mécontentement ou de la contestation », de « l’expérience » et de l’ « approbation ». En conclusion, nous suggérons que les voix des femmes, indépendamment de la méthode d’alimentation pour nourrisson utilisée, devraient être entendues et faire l’objet d’une plus grande attention de la part des autorités de santé publique de façon à protéger leur bien-être physique et émotionnel.
EN :
Social media platforms have transformed the relation of pregnant women and new mothers to infant feeding. They are present on these platforms to obtain information or support, share experiences and advocate, including on infant feeding (breastfeeding and formula feeding). Social media platforms have become the repositories of the diversity of their voices which are expressed in multiple ways (words, images and videos). Our analysis focuses on user reactions on Facebook and Instagram (740 comments) following the publication of a blog post written by a Quebec influencer, in partnership with a commercial infant formula company. In a context where breastfeeding is recommended by public health authorities, how is this type of partnership received? What are the voices emerging? How do the voices of these women intersect, respond / oppose / unite? In our study, three types of voices emerge: the voice of « discontent or contestation », « experience » and « approbation ». In conclusion, we suggest that the voices of women, regardless of their infant feeding choice, should be given greater attention from public health authorities and researchers in order to protect physical and emotional well-being.
Varia / Varia
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Écrire les voix d’autres personnes : entre engagements, trahisons et réciprocités
Delphine Leroy
p. 1–10
RésuméFR :
Dans le cadre d’une recherche en sciences humaines et sociales, collecter et transcrire des récits de personnes migrantes, par une démarche compréhensive, peut produire un effacement de leurs voix, quand bien même c’est le contraire qui serait visé. Comment traduire des voix par l’écriture? Est-il seulement possible de traduire des voix? Si tentative il y a, comment les retranscrire, passer d’une oralité volatile à une matière scripturale? A partir d’une citation de Georges Steiner – extraite de l’ouvrage de Didier Fassin – qui décompose le sens de la traduction, l’article puisera dans des expériences de recherches pour réfléchir au statut de cette ré-écriture et aux possibles manières qu’ont les personnes de se les (ré)approprier. Écrire sa propre voix serait l’une des voies de l’auteurisation, encore faut-il à chacun·e trouver ou créer ces espaces de possibles. C’est parfois la chercheuse qui est surprise par les voies empruntées des locutrices pour y parvenir.
EN :
As part of research in human and social sciences, collecting and transcribing the stories of migrants in a comprehensive approach can produce an erasure of their voices, even if the opposite is the target. How can the researcher translate voices through writing? Is it possible to translate those voices? If there is an attempt to do so, how to transcribe them, from volatile orality to scriptural material? Based on a quote from Georges Steiner – taken from Didier Fassin's book – which breaks down the meaning of translation, the article will draw on research experiences to reflect on the status of this rewriting and the possible ways that 'eople have to (re)appropriate them. Writing your own voice would be one of the ways to authorize, each one still has to find or create these spaces of possibilities. It is sometimes the researcher who is surprised by the paths taken by the speakers to achieve this.