Ottawa Law Review
Revue de droit d’Ottawa
Volume 53, numéro 1, 2021–2022
Sommaire (8 articles)
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What Meaning in a Right to Strike? MedReleaf and the Future of the Agricultural Employees Protection Act
Bethany Hastie et Alex Farrant
p. 1–34
RésuméEN :
In June 2020, the Ontario Agriculture, Food and Rural Affairs Appeals Tribunal released its decision in UFCW v MedReleaf Phase 2. This decision focused on a constitutional challenge regarding the right to strike under the Agricultural Employees Protection Act, 2002 (AEPA), a separate statutory regime for agricultural workers, who are excluded from the Labour Relations Act, 1995 (LRA) in Ontario. This article explores the right to strike argument as it unfolded in the MedReleaf Phase 2 decision and highlights the enduring tensions that exist in articulating and extending labour rights under subsection 2(d) of the Canadian Charter of Rights and Freedoms to non-Wagner models of labour relations.
In particular, we highlight how the arguments and analysis in the MedReleaf Phase 2 decision narrowed the opportunity for a richer examination and interpretation of subsection 2(d) and the AEPA by focusing substantially on a comparison with strike regulation and protections as understood under the LRA. As such, the MedReleaf Phase 2 decision risks interpreting the right to strike under the AEPA as a “bare right” without necessary protections to enable workers to effectively exercise that right. We go on to craft an argument that such protections are readily available to workers under the AEPA. We establish that the language of the AEPA itself, coupled with the subsection 2(d) jurisprudence and fundamental rule of law principles, create the necessary foundation to make a right to strike a meaningful and protected activity under the AEPA. We conclude by offering commentary on the future of striking, and of labour organizing, under the AEPA.
FR :
En juin 2020, le Tribunal d’appel de l’agriculture, de l’alimentation et des affaires rurales de l’Ontario a rendu sa décision dans l’affaire UFCW v MedReleaf Phase 2. Cette décision portait sur une contestation constitutionnelle concernant le droit de grève en vertu de la Loi de 2002 sur la protection des employés agricoles (LPEA), un régime législatif distinct pour les travailleurs agricoles qui sont exclus de la Loi de 1995 sur les relations de travail (LRT) en Ontario. Ce article explore l’argument du droit de grève tel qu’il a été présenté dans la décision MedReleaf Phase 2 et met en évidence les tensions persistantes qui existent dans la définition et l’extension de l’application des droits du travail en vertu de l’alinéa 2(d) de la Charte canadienne des droits et libertés à des modèles de relation de travail autre que le modèle de la loi Wagner.
Nous soulignons en particulier comment les arguments et l’analyse de la décision MedReleaf Phase 2 ont réduit la possibilité d’un examen et d’une interprétation plus approfondie de l’alinéa 2(d) ainsi que de la LPEA en se concentrant substantiellement sur la comparaison de la réglementation et des protections en matière de grève, telles que comprises dans la LRT. Ainsi, la décision MedReleaf Phase 2, risque d’interpréter le droit de grève en vertu de la LPEA comme un « simple droit » sans les protections nécessaires qui permettent aux travailleurs et travailleuses d’exercer efficacement ce droit. Nous poursuivons en avançant un argument qui stipule que de telles protections sont facilement accessibles aux travailleurs et travailleuses en vertu de la LPEA. Nous expliquons comment le langage même de la LPEA en plus de la jurisprudence de l’alinéa 2(d) et des principes fondamentaux de la primauté du droit, créent le fondement nécessaire pour faire du droit de grève une activité significative et protégée par la LPEA. Nous concluons par des commentaires sur l’avenir de la grève et de l’organisation syndicale en vertu de la LPEA.
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A Pandemic Federal Election: Democracy Under Conditions of Emergency
Michael Pal
p. 35–69
RésuméEN :
The challenge of administering free and fair elections in the midst of a pandemic where any mass event raises obvious risks of transmission of the virus has generated considerable controversy around the globe. Jurisdictions have adopted diverse strategies in their attempt to balance the need for elections and public health and safety. This article assesses the main legal issues raised by the prospect of conducting a federal election in Canada during the pandemic. In sum, I argue for new measures at polling stations to ensure public health, expanded advance voting, and, where ballots are mailed-in, accepting all that are postmarked by election day. Implementing some of these reforms would require legislative amendment. Passing amendments in a timely fashion may be a challenge, however, in a minority Parliament that is justifiably occupied with urgent matters related to the pandemic and with limited sitting hours in the midst of an experiment with virtual proceedings. Parliament should urgently turn its mind, however, to the likelihood of a pandemic election and what reforms are needed.
Section II discusses the legal framework for conducting elections during an emergency. In sum, the regular rules in the Canada Elections Act largely continue to apply and are not displaced by either emergency legislation or special provisions in the Act itself. Section III summarizes and analyzes the current options for casting a ballot in federal elections, in light of the likely constraints and threats posed by the pandemic. Section IV takes a deep dive into in person voting during a pandemic. It discusses in particular changes within polling stations to adapt to the pandemic and the expansion of early voting opportunities. Section V analyzes the pressing topic of mail-in voting. I argue that the existing system for voting by mail appears likely to be inadequate if used on a much wider scale than in previous elections, when few votes were cast in that fashion. Voter education should be a priority in response to some of the features of voting by mail. Legislative reforms are also needed, however, to ensure that all votes cast by election day and received within a reasonable timeframe are properly counted.
FR :
Le défi posé par la tenue d’élections libres et équitables au beau milieu d’une pandémie où tout évènement d’envergure présente des risques évidents de transmission du virus suscite une vive controverse à travers le monde. Les différents pouvoirs ont adopté diverses stratégies pour tenter de trouver un équilibre entre la nécessité de tenir des élections et le maintien de la santé publique et de la sécurité publique. Cet article évalue les questions juridiques principales soulevées par la perspective de tenir une élection fédérale au Canada pendant la pandémie. En résumé, je plaide en faveur de l’adoption de nouvelles mesures dans les bureaux de vote pour garantir la santé publique, l’élargissement du vote par anticipation et, lorsque les bulletins sont envoyés par la poste, l’acceptation de tous ceux qui portent le cachet de la poste du jour du scrutin. La mise en application de certaines de ces réformes nécessiterait des amendements législatifs. L’adoption d’amendements en temps opportun pourrait s’avérer difficile, cependant, pour un gouvernement minoritaire occupé, avec raison, par des questions urgentes liées à la pandémie et dont les heures de séance sont limitées par l’expérimentation de la tenue de procédures virtuelles. Le Parlement devrait toutefois se pencher de toute urgence sur la probabilité d’une élection en cas de pandémie et sur les réformes nécessaires.
La section II examine le cadre juridique de la tenue d’élections en situation d’urgence. En résumé, les règles habituelles de la Loi électorale du Canada continuent de s’appliquer dans une large mesure et ne sont pas remplacées par une loi d’urgence ou par des dispositions spéciales de la Loi elle-même. La section III résume et analyse les options de vote actuelles pour les élections fédérales, à la lumière des contraintes et des risques possibles de la pandémie. La section IV examine en profondeur le vote en personne pendant une pandémie. Elle traite en particulier des changements apportés aux bureaux de vote pour s’adapter à la pandémie et de l’expansion des possibilités de vote par anticipation. La section V analyse le sujet pressant du vote par correspondance. Je soutiens que le système actuel de vote par correspondance risque d’être inadéquat s’il est utilisé à une échelle beaucoup plus large que lors des élections précédentes, où peu de votes ont été exprimés de cette manière. L’éducation des électeurs et des électrices devrait être une priorité en réponse à certaines des caractéristiques du vote par correspondance. Toutefois, des réformes législatives sont également nécessaires afin de garantir que tous les votes exprimés avant le jour du scrutin et reçus dans un délai raisonnable soient correctement pris en compte.
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Callow in More Ways Than One: The Supreme Court Causes More Confusion in Contract
Krish Maharaj
p. 71–92
RésuméEN :
This article addresses two significant misunderstandings, or perhaps a single larger misunderstanding, about the nature and scope of damages for breach of contract evident in the majority and concurring minority opinions in CM Callow Inc v Zollinger. The first misunderstanding is unique to the majority decision and pertains to the very idea of what expectation damages are, and confuses presumed “negative expectations” (i.e., things that ought not happen) with positive expectations of the kind ordinarily protected by contract and vindicated by contract/expectation damages. The second shared by the concurring minority and majority alike is a misunderstanding as to what the “least onerous method” standard for the assessment of expectation damages in contract means and how it applies in circumstances in which the defendant had a clearly available means of limiting its liability to the plaintiff. The article explains the errors made with respect to both issues and how they ought to have been thought of and understood to apply in the circumstances of the case and in contract more generally.
FR :
Cet article traite de deux malentendus importants, ou plutôt d’un seul profond malentendu portant sur la nature et l’ampleur des dommages-intérêts pour rupture de contrat, qui sont mises en évidence dans les opinions majoritaires et minoritaires concordantes dans l’affaire C.M. Callow Inc. c. Zollinger. Le premier malentendu est propre à la décision de la majorité et concerne la notion même de ce que sont les dommages-intérêts pour la perte du profit espéré, et il confond les « attentes négatives » présumées (c.-à-d. les choses qui ne devraient pas se produire) avec les attentes positives comme celles qui sont habituellement protégées par un contrat et justifiées par les dommages-intérêts pour la perte du profit espéré. Le deuxième malentendu suscité, autant pour la minorité et la majorité, est une mauvaise compréhension de la signification de la notion du « mode d’exécution le moins onéreux » pour l’évaluation des dommages-intérêts pour la perte du profit espéré dans le contrat, et de la façon dont elle s’applique dans des circonstances où le défendeur avait un moyen clair et accessible de limiter sa responsabilité envers le demandeur. L’article explique les erreurs commises à l’égard de ces deux questions et à la façon dont elles auraient dû être anticipées. Il explique aussi qu’il aurait dû être considéré qu’elles seraient appliquées dans les circonstances de l’affaire et dans le domaine contractuel en général.
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Wither the Divisional Court? Looking at the Past, Analyzing the Present, and Querying the Future of Ontario’s Intermediary Appellate Court
Gerard J. Kennedy
p. 93–132
RésuméEN :
This article critically analyzes the role of the Divisional Court in Ontario’s justice system, and ultimately proposes that the Divisional Court be eliminated, or at least have its jurisdiction significantly constrained. The analysis begins through looking at the Divisional Court’s history, from its founding as a specialist court for judicial review to its gradually expanding jurisdiction. The article then turns to the present by: looking at the types of cases that are prescribed to the Divisional Court’s jurisdiction; comprehensively analyzing every Divisional Court decision from 2018 and 2019; looking at cases where it was disputed whether a matter was properly before the Divisional Court; and critically analyzing the status quo. In light of this analysis of the Divisional Court’s past and present, the article then proceeds to critically analyze the future of the Court. The author argues that the Divisional Court be abolished, with matters currently in its jurisdiction subsumed into the jurisdiction of either the Superior Court or Court of Appeal, in light of six rules:
All judicial reviews and statutory appeals of administrative decisions proceed before single judges of the Superior Court, unless a statute clearly provides otherwise;
All orders of masters, whether interlocutory or final, may be appealed to a single Superior Court judge, with leave;
All appeals of orders of Superior Court judges proceed to the Court of Appeal, with leave in the case of interlocutory orders, or as of right in the case of final orders;
There be no distinctions as to appellate routes based on the monetary values of judgments under appeal;
Decisions of the Small Claims Court can be appealed to single judges of the Superior Court; and
The foregoing can be amended by the legislature specifically prescribing that a matter proceed in another manner.
To the extent that complete abolition is not pragmatic, this article argues that the Divisional Court’s jurisdiction be confined to narrower and more predictable circumstances, and offers suggestions regarding how this could be achieved in light of the Divisional Court’s purpose, history, and present docket. This will facilitate access to justice by resulting in better use of judicial resources, give Ontario a comparable procedure to other provinces, and reduce interlocutory wrangling that delays cases from being resolved on their merits.
FR :
Cet article présente une analyse critique du rôle de la Cour divisionnaire au sein du système de justice de l’Ontario et propose finalement que la Cour divisionnaire soit éliminée, ou du moins que sa compétence soit considérablement limitée. L’analyse commence par un examen de l’histoire de la Cour divisionnaire, depuis sa fondation en tant que tribunal spécialisé dans le contrôle judiciaire jusqu’à l’élargissement progressif de sa compétence. L’article se tourne ensuite vers le présent en examinant le type d’affaires qui relèvent de la compétence de la Cour divisionnaire, en analysant de manière exhaustive chaque décision rendue par la Cour divisionnaire de 2018 et 2019, en examinant les cas où il a été contesté, à savoir si une question présentée devait être réellement soumise à la Cour divisionnaire, en analysant de manière critique le statu quo. À la lumière de cette analyse du passé et du présent de la Cour divisionnaire, l’article procède ensuite à une analyse critique de l’avenir de la Cour. L’auteur ou l’auteure soutient que la Cour divisionnaire devrait être abolie et que les affaires relevant actuellement de sa compétence devraient être confiées à la Cour supérieure ou à la Cour d’appel, selon six règles :
Tous les contrôles judiciaires et tous les appels conférés par la loi concernant des décisions administratives se déroulent devant des juges uniques de la Cour supérieure, à moins qu›une loi ne prévoie clairement le contraire ;
Toutes les ordonnances des protonotaires, qu’elles soient interlocutoires ou finales, peuvent faire l’objet d’un appel devant un seul juge ou une seule juge de la Cour supérieure, avec autorisation ;
Tous les appels d’ordonnances des juges de la Cour supérieure sont portés devant la Cour d’appel, avec autorisation dans le cas des ordonnances interlocutoires, ou de plein droit dans le cas des ordonnances finales ;
Qu’il n’y ait pas de distinctions quant aux voies d’appel basées sur la valeur monétaire des jugements en appel ;
Les décisions de la Cour des petites créances peuvent être portées en appel devant des juges uniques de la Cour supérieure ; et
Les dispositions qui précèdent peuvent être modifiées par une loi qui prescrirait expressément qu’une affaire doive être traitée d’une autre manière.
Dans la mesure où l’abolition complète de la Cour divisionnaire n’est pas pragmatique, le présent article fait valoir que la compétence de la Cour divisionnaire devrait être limitée à des circonstances plus précises et plus prévisibles, et il offre des suggestions sur comment y parvenir en tenant compte de l’objectif, de l’histoire et du rôle actuel de la Cour divisionnaire. Cela facilitera l’accès à la justice en permettant une meilleure utilisation des ressources judiciaires, permettra à l’Ontario d’avoir un processus comparable à celui en place dans d’autres provinces et réduira les querelles interlocutoires qui retardent le règlement des affaires sur le fond.
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Deceptive Design and Ongoing Consent in Privacy Law
Jeremy Wiener
p. 133–169
RésuméEN :
The Consumer Privacy Protection Act is the first proposed privacy statute to regulate the deceptive privacy practices that undermine individuals’ right to consent. The problem is that there is no framework for determining how the Act might actually apply. This article resolves the issue by filling three gaps in the literature.
First, it categorizes different types of deception according to privacy law’s notice-and-choice framework, providing a method of analysis for scholars and regulators. It then concretizes the framework by comparatively surveying investigations led by the United States’ Federal Trade Commission and Office of the Privacy Commissioner of Canada (OPC). This will shed light on how the Act can be interpreted, and will constitute a comprehensive survey of a thematic area of OPC investigations.
Finally, the article explores whether the Act defines consent as an act of ongoing agency, which would protect peoples’ privacy by covering deception that occurs not only at “I agree moments,” but also beyond “I agree moments.” Ultimately, this article guides judges and regulators in enforcing the Act, assists policy-makers in developing more statutory provisions that regulate deceptive privacy practices, and contributes to doctrine by filling the aforementioned gaps.
FR :
La Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs est la première loi sur la protection de la vie privée à réglementer les pratiques trompeuses en matière de protection de la vie privée qui retirent le droit au consentement d’une personne. Le problème, c’est qu’il n’existe pas de cadre réglementaire permettant de déterminer comment la loi pourrait réellement s’appliquer. Cet article résout le problème en comblant trois lacunes dans la recherche. En premier lieu, il classe différents types de subterfuges selon la notion « d’avis et du choix » du droit relatif au respect de la vie privée, présentant ainsi une méthode d’analyse aux chercheurs et chercheuses et aux organismes de réglementation.
Ensuite, l’article rend concret ce cadre réglementaire en faisant une analyse comparative des enquêtes menées par la Federal Trade Commission des États-Unis et le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (CPVP). Ceci permettra de faire la lumière sur la façon dont la Loi pourrait être interprétée, et offre un survol exhaustif d’un aspect représentatif des enquêtes du CPVP.
Enfin, l’article tente de déterminer si la Loi définit le consentement comme étant une capacité illimitée d’agir, ce qui protégerait la vie privée des gens puisque ceci inclurait les pratiques trompeuses qui visent non seulement les situations « je suis d’accord », mais aussi celles qui vont au-delà de « je suis d’accord ».
Finalement, cet article agit en tant que guide pour les juges et les organismes de réglementation dans l’application de la Loi, aide les décideurs et décideuses politiques à élaborer davantage de dispositions législatives pour réglementer les pratiques trompeuses en ce qui concerne la protection de la vie privée, et s’accorde avec la doctrine en comblant les lacunes mentionnées ci-dessus.
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La place des autorités jurisprudentielles, de la doctrine et des faits d’intérêt public dans l’interprétation des lois au Canada : l’ascendance du contexte
Karine McLaren
p. 171–204
RésuméFR :
Les autorités jurisprudentielles et doctrinales sont probablement les deux aides auxquelles les tribunaux font le plus fréquemment appel pour les éclairer sur le contexte dans lequel s’inscrit un problème interprétatif particulier. À celles-ci s’ajoutent les faits d’intérêt public, qui sont en voie de se mesurer en importance à la doctrine traditionnelle, le recours croissant dont en font les cours supérieures contribuant à cet essor. Implicite à cette pratique de recourir à ces aides dites « extrinsèques » dans l’interprétation des lois est la reconnaissance de l’idée que le texte n’équivaut pas la norme, mais s’appréhende à la lumière tant de l’acquis de son passé que de repères contre lesquels l’interprète peut mesurer la réception sociale et la viabilité de sa décision. La difficulté pour l’interprète est de déterminer le poids qu’il convient d’accorder à chacune de ces aides extrinsèques dans le contexte d’une théorie traditionnelle ou officielle de l’interprétation qui prête toujours davantage de légitimité aux autorités jurisprudentielles, règle du précédent oblige, qu’à la doctrine ou aux faits d’intérêt public à titre d’indices de la réalité sociale dans laquelle doit s’actualiser le droit. Le présent article jette un éclairage sur l’importance accrue qu’accordent les tribunaux à la viabilité et à la durabilité de leurs décisions dans la conjoncture sociale qui existe au moment de l’application de la loi. Ce faisant, il vise à légitimer ce tournant interprétatif, qui correspond à la réalité même de l’acte de juger.
EN :
Jurisprudential and doctrinal authorities are probably the two most frequent aids that courts turn to for guidance on the context of a particular interpretive problem. In addition to these, public interest facts are becoming more important than traditional doctrine, and the increased use of these facts by superior courts is contributing to this development. Implicit in this practice of resorting to these so-called extrinsic aids in the interpretation of statutes is the recognition of the idea that the text is not equivalent to the norm, but is apprehended in the light of both the experience of its past and the references against which the interpreter can measure the social reception and viability of his decision. The difficulty for the interpreter is to determine the weight to be given to each of these extrinsic aids in the context of a traditional or official theory of interpretation which always lends more legitimacy to jurisprudential authorities, as a rule of precedent, than to doctrine or to public interest facts as indications of the social reality in which the law must be actualized. This article sheds light on the increased importance that courts place on the viability and durability of their decisions in the social context that exists at the time of the law’s application. In so doing, it seeks to legitimize this interpretive shift, which corresponds to the very reality of the act of judging.
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Les communs en droit privé : à la confluence de l’inappropriable, de la propriété collective et de la technique fiduciaire
Yaëll Emerich
p. 205–248
RésuméFR :
La résurgence des (biens) communs en droit des biens contemporain appelle à la reconsidération de la théorie de la propriété en droit civil. Si la propriété civiliste est classiquement définie comme un droit absolu et exclusif portant directement sur une chose, la conception de la propriété peut être modulée pour mieux tenir compte du commun. L’étude comparative de la propriété en common law et l’évolution récente du droit des biens permettent d’envisager une propriété relationnelle (non absolue) et polyfonctionnelle (intégrant une dimension individuelle, mais aussi collective), y compris en droit civil. Il est soutenu dans cet article que la théorisation de la propriété en une relation d’exclusivité non absolue permet de tenir compte des communs — l’exclusivité de la propriété pouvant être exercée pour un usage solitaire, mais aussi pour un usage social des choses. De plus, s’agissant de la gestion des communs, cet article suggère qu’au-delà du recours à la notion de chose commune pour les communs inappropriables, les communs peuvent notamment être gérés par le biais de la propriété collective (dont les différentes gradations peuvent être organisées selon un continuum en fonction de la présence d’un intérêt collectif plus ou moins fort), ou en recourant à la technique fiduciaire, qu’il s’agisse du régime juridique de la propriété fiduciaire (forme de propriété affectée en droit français) ou du régime de l’administration du bien d’autrui en droit civil québécois. Cette dernière solution, qui renoue en partie avec les choses communes en permettant une organisation des communs en dehors du schéma propriétaire, semble être particulièrement prometteuse en matière de gestion des communs.
EN :
The resurgence of the commons in contemporary property law calls for the reconsideration of the theory of absolute ownership in civil law to determine whether it is possible to adjust it to better take into account the commons. If civil law property is classically defined as an absolute and exclusive right bearing directly upon a thing, the conception of ownership in common law and the recent evolution in this field makes it possible, even in the civil law, to consider a relational (not absolute) and polyfunctional (integrating an individual but also a collective dimension) form of ownership. The theorization of ownership as a relation of non-absolute exclusivity makes it possible to recognize the commons as the exclusivity of property can be exercised for a solitary and a social use. Regarding the management of the commons, several avenues are possible in private law. The commons can be managed by resorting to collective ownership, or by using the trust, and more specifically the legal regime of fiduciary ownership (a form of affected ownership in French law) or the administration of the property of others in Quebec civil law. This latter solution, which partly reconnects with common things by allowing an organization of the commons which is not founded on ownership, seems particularly promising in terms of managing the commons.
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L’accès à la justice en temps de pandémie : leçons apprises dans une clinique juridique
Alexandra Bahary-Dionne et Emmanuelle Bernheim
p. 249–292
RésuméFR :
Dans un contexte où les services juridiques gratuits ou à faible coût sont peu accessibles, le rôle des cliniques juridiques est essentiel pour permettre l’accès à des services aux communautés mal desservies. Or, la crise sanitaire a exacerbé les inégalités socioéconomiques préexistantes non seulement pour ces communautés, mais également pour les organismes qui les desservent. Ces implications ont toutefois été peu documentées sur le plan de l’accès à la justice. Cet article s’intéresse donc à l’impact du contexte pandémique sur l’accès aux services juridiques pour les personnes marginalisées ainsi que sur les activités des organismes qui les soutiennent à la lumière d’un cas d’étude dans une clinique juridique communautaire à Montréal. Notre analyse révèle que la pandémie a exacerbé les situations de précarité et de détresse des personnes concernées, impliquant alors une charge de travail supplémentaire pour l’organisme qui a dû adapter ses services. Parmi ces aménagements, l’obligation de travailler à distance a un impact important sur les conditions de travail de celles et ceux qui oeuvrent à la clinique. Au surplus, la numérisation des services juridiques se traduit par l’exclusion supplémentaire de personnes déjà marginalisées, générant de nouvelles barrières d’accès à la justice. Une situation qui renforce ultimement l’entrecroisement entre les inégalités sociales et les inégalités d’accès à la justice.
EN :
In an environment where free or low-cost legal services are not widely available, the role of legal clinics is critical in providing access to services for underserved communities. Yet, the health crisis has exacerbated pre-existing socioeconomic inequities not only for these communities, but also for the organizations that serve them. These implications, however, have been poorly documented from the perspective of access to justice. This article therefore examines the impact of the pandemic context on access to legal services for marginalized people and on the activities of the organizations that support them, based on a case study of a community legal clinic in Montreal. Our analysis reveals that the pandemic has exacerbated the precariousness and distress of the people concerned, implying an additional workload for the organization which has had to adapt its services. Among these adjustments, the obligation to work remotely has a significant impact on the working conditions of those who work at the clinic. Furthermore, the digitization of legal services results in the additional exclusion of already marginalized people, generating new barriers to access to justice. This situation ultimately reinforces the intersection between social inequalities and inequalities in access to justice.