Voyage to Italy de Victor Burgin (fragments photographiques)[Notice]

  • André Habib

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    André Habib

Présenté à Cologne à l’automne 2006, puis au Centre canadien d’architecture de Montréal à l’hiver 2007, Voyage to Italy trouve son origine dans une commande passée à divers artistes afin qu’ils réalisent une oeuvre à partir d’une pièce ou d’un document des archives du CCA. Burgin choisit une photographie contenue dans un recueil de vues réalisées par Carlo Fratacci à Pompéi, en 1864. La photo en question, simplement intitulée Basilica, montre une basilique pompéienne dont ne restent que les marches et des colonnes en ruine. Au centre de l’image, précisément au point de fuite, se trouve une femme, portant une longue robe recouvrant une jupe en crinoline blanche et un chapeau en dentelle, de profil, quelque peu miniaturisée, de toute évidence « posée » là pour donner une idée de l’échelle de la construction effondrée. Plutôt que d’opter pour une explication « raisonnable » de la présence de la femme que la légende omet, Burgin est littéralement hanté par une autre explication, déraisonnable, délirante – comme celle de Norbert Hanold, le personnage de Gradiva de Wilhelm Jensen rendue célèbre par l’analyse de Freud de 1907 : « cette femme est un “ fantôme de midi ” (mid-day ghost), elle n’est pas mentionnée parce qu’elle n’a pas été vue » (Burgin, 2006 : 79 ; je traduis). Il se rend donc à Pompéi, sur les traces de Fratacci, sur les traces de Hanold, sur les traces de Rossellini aussi qui, en 1953, allait tourner à Naples et à Pompéi un film décisif sur un couple qui s’étiole, un film hanté par les spectres du passé et de l’Histoire : Viaggio in Italia. Une fois à Pompéi, littéralement guidé par l’image de Fratacci, Burgin réalise deux séries de photographies numériques, traçant un arc de 360° à partir de deux points de vue : celui de la femme et celui du photographe. Ces deux séries d’images seront ensuite animées par ordinateur en un mouvement panoramique continu, pour constituer la trame principale de la vidéo. Il photographiera également, suivant un cadrage rigoureux et systématique, chacune des 24 colonnes corinthiennes qui encadraient la nef de la basilique, et disposera les photos tout autour de la salle de l’exposition, suivant un modèle qui rappelle les relevés architecturaux de la Renaissance. Toutes travaillées en noir et blanc à l’ordinateur, ces images produisent une impression mixte d’ancienneté et de nouveauté. L’immense espace vide de la basilique, cette série de colonnes tronquées, le ciel à la fois fixe et animé par le mouvement artificiel, mêlé à la précision terrifiante et quelque peu « atemporelle » du numérique, engendrent une véritable « spectralisation » du lieu de l’image. Et Pompéi – à la fois ville en ruine et ville intacte, lieu de vie, mais vie pétrifiée comme ces corps de plâtre noués dans l’étreinte que l’on y a retrouvée – est une ville propice à l’évocation des spectres. Une longue tradition artistique est là pour en témoigner, de Gautier à Bulwer-Lytton, de Jensen à Rossellini. Dans son article Die Ruine, paru pour la première dans le journal Der Tag en 1907, l’année de la parution de l’essai de Freud, Simmel écrit : « À dire vrai l’on attribuera volontiers l’impression de paix que dégagent les ruines à un autre motif : au fait qu’elles sont le passé. Elles sont un lieu fait pour vivre que la vie a déserté […] » (1998 : 116). Ce que Burgin nous invite à contempler – et qui dégage une étrange et inquiétante « impression de paix » –, c’est un lieu doublement déserté : la ville de Pompéi, ensevelie …

Parties annexes