Résumés
Résumé
Le Chant de l’alouette, représentant une jeune paysanne dans les champs, à l’aube, fait l’objet d’une histoire remarquable depuis sa première apparition au Salon de 1885. Peinte en 1884 par Jules Breton, peintre renommé de la vie rurale française, l’oeuvre fut achetée par un entrepreneur de Chicago, Henry Field, peu de temps après avoir été montrée au public français. Exposé par la suite à l’Exposition universelle de Columbia en 1893, le tableau fut acquis par l’Art Institute de Chicago en 1917. Dans le contexte américain, ce tableau de Breton fut l’objet d’un engouement populaire inhabituel et fournit à Willa Cather le titre de son roman bien connu de 1915, The Song of the Lark. Il fut aussi choisi comme l’oeuvre d’art la plus populaire aux États-Unis lors d’un sondage effectué par un journal de Chicago en 1934. De récentes analyses historiques à caractère révisionniste, vouées à la réévaluation d’artistes français marginalisés par le canon avant-gardiste du modernisme, ont eu tendance à célébrer le choix par Breton d’un sujet à caractère national et ont insisté sur les racines paysannes de l’artiste et sur le fait qu’il avait maintes fois déclaré sa « sympathie » pour la vie rurale. La présente étude propose cependant une lecture différente de l’oeuvre de Breton en évaluant les moyens par lesquels une telle représentation académique du paysan pouvait véhiculer des notions essentiellement conservatrices de la vie rurale. Les interprétations du Chant de l’alouette offertes par les critiques du Salon de 1885 sont utilisées comme porte d’entrée pour cette analyse. Ce que ce discours critique souligne, c’est que les spectateurs de 1885 étaient encouragés à lire l’image de Breton selon les termes d’un ensemble de stéréotypes qui définissait le paysan sous la forme d’un « autre » sur le plan intellectuel et « racial » par rapport au citadin moderne.
Représentée en termes de liens à la terre et aux saisons, à la tradition religieuse et au passé primitif de la Gaule, la représentation de la jeune moissonneuse à l’aube servait à affirmer une construction mythique particulière de la vie rurale persistant toujours dans le « présent moderne » des années 1880. Dans l’arène publique des Salon des débuts de la Troisième République, le Chant de l’alouette réaffirmait ainsi la tradition et le passé sur plusieurs plans. Alors que les associations narratives et le mode stylistique du tableau constituaient une réplique aux stratégies « dé-familiarisantes » de l’avant-garde impressionniste qui lui était contemporaine, la représentation de la paysanne et sa faucille offrait aussi une forme de défi visuel aux représentations du paysan qui étaient alors mises de l’avant, durant les années 1880, par le nouveau gouvernement républicain qui cherchait à apporter des réformes et à moderniser les campagnes.
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