Comptes rendus

Christine Delphy, Pour une théorie générale de l’exploitation. Des différentes formes d’extorsion de travail aujourd’hui, Québec/France, M éditeur/Éditions Syllepse, 2015, 126 p.[Notice]

  • Johanne Jutras

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  • Johanne Jutras
    Université Laval

L’ouvrage recensé ici propose deux articles de Christine Delphy déjà publiés : « Par où attaquer le “ partage inégal ” du “ travail ménager ” » (Delphy 2003a) et « Pour une théorie générale de l’exploitation » (en deux parties) (Delphy 2003b et 2004). Selon Richard Poulin, de M éditeur, « ce sont les Francis Dupuis-Déri, Mélissa Blais et d’autres qui [lui] ont suggéré de reprendre ces deux textes et d’en faire un livre pour alimenter les réflexions et, pourquoi pas, les débats » (Poulin 2015). La préface de Mélissa Blais, doctorante en sociologie, et d’Isabelle Courcy, titulaire d’un doctorat en sociologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), précède ces deux articles. Cet ouvrage s’adresse à toute personne qui poursuit une réflexion sur l’exploitation du travail tant salarié que gratuit dans une perspective genrée. Il comprend 30 références dont la moitié date de moins de cinq ans de la première publication. D’origine française, Delphy est sociologue et chercheuse au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) de France, depuis 1966, dans le domaine des études féministes et de genre. Cofondatrice de la revue Nouvelles Questions féministes, instituée en 1981, et bien connue des féministes, Delphy a donné naissance au courant du féminisme matérialiste au début des années 70. Sa thèse centrale est que la domination patriarcale des femmes s’opère par des pratiques matérielles, notamment par l’extorsion du travail ménager par la classe des hommes. Pour les féministes matérialistes, l’émancipation des femmes ne constitue pas un front secondaire des luttes contre le capitalisme puisque ce dernier doit être combattu simultanément au patriarcat. Dans cet ouvrage, Delphy analyse d’abord les rapports de domination dans le partage inégal du travail ménager, où elle constate une absence quasi totale de changement dans ce domaine malgré les avancées des mouvements féministes (p. 25). Ensuite, l’auteure critique la théorie de la plus-value, élaborée par Karl Marx. Enfin, elle relève trois erreurs à éviter pour être en mesure de bâtir une théorie générale de l’exploitation. Dans la préface, Mélissa Blais et Isabelle Courcy exposent de manière éloquente la démarche intellectuelle de Delphy. Elles insistent sur l’apport de l’auteure à l’économie politique (p. 11) : Les auteures de la préface estiment que les analyses de Delphy permettent de rendre visible l’exploitation des femmes, en dehors du salariat, par la classe des hommes. Elles soulignent l’apport substantiel de l’auteure, « comme en font état ses travaux sur l’imbrication entre le capitalisme, le servage et le patriarcat » (p. 16). À l’aide des statistiques françaises, Delphy conclut dans la première partie de l’ouvrage « que la théorie selon laquelle le travail ménager bénéficie au capitalisme ne résiste pas à l’examen des faits » (p. 35). En effet, depuis les années 70, les mouvements féministes ont dénoncé la « double journée » pour les femmes qui travaillent en dehors du foyer. Ainsi, selon les enquêtes décennales sur le budget-temps, « on constate que la cohabitation hétérosexuelle signifie un surcroît de travail [ménager] pour les femmes et, au contraire, un allègement du travail [domestique] pour les hommes » (p. 28). Parmi les couples sans enfant, les femmes effectuent en moyenne trois heures et quart par jour de tâches ménagères, alors qu’une heure et quart y est allouée par les hommes. En présence d’enfants, le nombre d’heures de travail ménager des hommes demeure toujours le même, tandis que celui des femmes augmente constamment selon le nombre d’enfants du couple, passant de trois heures et quart jusqu’à cinq heures et demie par jour. Cela représente 83 heures par semaine en moyenne de travaux ménagers tels que la cuisine, la vaisselle, le …

Parties annexes