Volume 45, numéro 1, 2015
Sommaire (9 articles)
Articles
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L’intérêt des parties dans l’abus d’exercice des voies de droit
Ndèye Coumba Madeleine Ndiaye
p. 7–46
Résumé L’exercice d’une voie de droit oppose une partie en droit d’exiger le respect de sa prérogative et une autre devant répondre de son obligation. Alors, les intérêts en présence sont naturellement divergents, car chaque partie oeuvrera pour sortir triomphante du conflit. Ainsi, le risque d’en arriver à un abus est réel, et c’est ce qui justifie la sanction. Il ne faudrait pas que par l’exercice d’un droit, un justiciable soit lésé. Ses intérêts sont ainsi protégés par la modération de l’exécution des droits des uns et des autres. Par ailleurs, il ne faudrait pas, non plus, porter atteinte à l’intérêt des parties par un encadrement trop élastique de la notion d’abus. En effet, la sanction de l’exercice abusif d’une voie de droit peut dissuader les plaideurs. Ce serait, ainsi, violenter l’accès au droit, qui est fondamental dans la réalisation des droits subjectifs. La consécration de la loyauté permettrait d’éviter ces dérives.
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De la protection du propriétaire à la gestion du risque commercial : l’évolution du contrat à forfait en droit québécois
Julie Paquin
p. 47–94
Résumé Malgré la volonté affirmée du législateur de reprendre dans le Code civil du Québec le droit antérieur relatif au contrat à forfait, la formulation de l’article 2109 CcQ diffère sur plusieurs points de celle de son prédécesseur, l’article 1690 CcBC. On peut donc se demander dans quelle mesure l’adoption du Code civil du Québec a entraîné ou signalé une modification du droit québécois en matière de contrats à forfait. Dans le présent article, nous comparerons les diverses interprétations des articles 1690 CcBC et 2109 CcQ et mettrons en lumière certaines incertitudes qui persistent relativement aux effets de ce dernier. Enfin, nous tenterons de mieux comprendre ces incertitudes à la lumière de la manière dont le concept de contrat d’entreprise a évolué au cours du 20e siècle.
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Le droit à la liberté face aux formes modernes de travail « non libre » : le cas de l’obligation de résidence chez l’employeur
Martin Gallié, Elsa Galerand et Andrée Bourbeau
p. 95–142
Résumé Cet article interroge la portée du droit à la liberté garanti par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, en matière de protection des travailleurs dépendants qui sont de facto assignés à des formes de travail non libre. L’analyse est centrée sur l’obligation de résidence en tant que mécanisme particulier de privation de liberté. Les auteurs avancent que si, selon la jurisprudence constante de la Cour suprême, le droit à la liberté de sa personne ne protège pas le droit au travail ou le droit à l’emploi, il n’exclut pas certaines dispositions du droit du travail (la réglementation des rapports entre employés et employeurs) de son champ de protection. Dans cette perspective, le droit notamment de ne pas être soumis au travail forcé, de pouvoir quitter un emploi et un employeur, de ne pas vivre chez son employeur et d’être payé pour toutes les heures travaillées pourrait être protégé par les garanties offertes par l’article 7 de la Charte. L’obligation de résider chez l’employeur, qui s’impose actuellement de facto aux travailleurs agricoles et travailleuses domestiques, pourrait alors être contestée sur le fondement du droit à la liberté.
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Corsaires vs pirates ou la formation d’un partenariat public-privé pour l’établissement d’un dispositif permanent face à la menace pirate
Valentin Lara
p. 143–198
Résumé De toutes les menaces pesant sur la sûreté maritime, la piraterie est certainement celle qui a le plus fait parler d’elle ces dernières années. À la suite d’une série d’attaques inouïes de par leur niveau de violence, la communauté internationale dépêcha en 2008 une flotte militaire au large des côtes somaliennes afin d’y restaurer l’ordre et la sécurité. Toutefois, face aux coûts importants engendrés par un tel dispositif, une certaine doctrine n’a pas hésité à soutenir un recours accru au secteur privé dans le cadre de la lutte contre la piraterie. Pour ce faire, la question de la résurgence des lettres de marque, qui permettaient autrefois la guerre de course, fut notamment abordée. Cette tentative d’employer le système corsaire d’antan dans le contexte des enjeux maritimes du XXIe siècle n’est pas sans poser des questions sur la compatibilité d’un tel dispositif avec le droit international moderne. Bien loin d’écarter la pertinence d’un recours accru au secteur privé, l’auteur met toutefois l’accent sur la nécessité d’établir un système durable au sein duquel les entreprises pourront participer aux interventions navales présentes et futures. Après avoir établi les conditions d’usage des lettres de marque par les États, l’auteur suggère fortement la formation d’un partenariat entre le secteur public et le secteur privé, dont les modalités devront écarter tous risques inhérents au recours à des sociétés militaires privées.
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De la compassion dans la consommation : le bannissement de la commercialisation des produits dérivés du phoque en sol européen et la défense de moralité publique à l’Organisation mondiale du commerce
Kristine Plouffe-Malette
p. 199–234
Résumé Les différends commerciaux qui font valoir une défense de moralité publique n’ont occupé et n’occupent encore à ce jour que peu de place au sein des groupes spéciaux et de l’Organe d’appel de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Cette défense, véhiculée sous la forme d’une exception, n’a été soumise qu’à trois reprises aux « juges » de l’OMC, soit dans les affaires États-Unis – Jeux, Chine – Publications et produits audiovisuels et CE – Produits dérivés du phoque. La doctrine a depuis formulé plusieurs hypothèses qui consistent en autant de typologies des mesures dites de moralité publique. Le dernier différend en la matière, opposant le Canada et la Norvège à l’Union européenne, a permis d’apporter un nouvel éclairage sur cette exception en proposant un nouveau test de moralité. Celui-ci est formulé en deux étapes : (1) la détermination de la préoccupation des citoyens et (2) la qualification de moralité publique de la préoccupation des citoyens. L’énoncé comme la mise en oeuvre de ce test commandent que l’on s’y attarde afin d’en mesurer les effets et d’en comprendre les subtilités. Il sera principalement démontré que le Groupe spécial, confirmé sur ce point par l’Organe d’appel, semble s’écarter des précédents enseignements en matière de moralité publique en exigeant une justification de nature internationale de la préoccupation citoyenne, laquelle doit également être soutenue par une preuve de nature nationale, pour se voir reconnaître au titre d’exception commerciale de moralité publique.
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Pour la fin des incongruités et incohérences entourant la défense de contrainte morale au Canada
Amissi M. Manirabona et Marie-France Ouimet
p. 235–267
Résumé Cet article porte un regard critique sur les incongruités et les incohérences de la défense de contrainte morale en droit pénal canadien. Les auteurs soulèvent les difficultés liées à la fragmentation de ce moyen de défense ainsi que leurs conséquences négatives sur le traitement égal des personnes accusées du même crime. Le constat qui s’en dégage est que la défense de contrainte morale devrait être uniformisée sur le territoire canadien et harmonisée avec le droit international afin de permettre à tous ceux qui violent la loi en raison de l’absence d’autre choix viable de se prévaloir de ce moyen de défense. Enfin, à la lumière de l’état actuel du droit relatif à la défense de contrainte à la suite de l’arrêt R c Ryan, rendu récemment par la Cour suprême du Canada, les auteurs suggèrent une disposition inclusive qui devrait remplacer l’actuel article 17 du Code criminel.
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La prohibition en droit français des conventions de procréation et de gestation pour le compte d’autrui : analyse critique à partir de quelques observations du droit québécois
Richard Ouedraogo
p. 269–320
Résumé Au début du mois d’août 2014, le monde a été témoin d’un effroyable fait divers australo-thaïlandais, mettant en lumière les pires dérives de l’internationalisation des fameux « contrats de mère porteuse ». En effet, l’abandon par un couple « commanditaire » d’un enfant trisomique à sa mère porteuse a suscité une grande émotion; il a aussi mis en évidence la nécessité, en Occident comme partout ailleurs, de mener un débat de fond pour évoluer vers des législations plus responsables en matière de filiation, qui respectent la dignité et l’intérêt de l’enfant. C’est dans ce contexte que le présent article se propose de remonter aux origines de la prohibition par le droit français des contrats de mère porteuse, pour mettre en évidence les fondements et les conséquences pratiques pour les tribunaux. En procédant à une analyse comparée des récentes réponses apportées par les juges français et québécois à cette problématique de l’encadrement des contrats de mère porteuse, l’on tentera de proposer quelques pistes de réflexion pour contribuer au débat en cours aussi bien en France qu’au Québec.
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Challenges of Transnational Trademark Law Practice: The Case of Nigerian Companies’ Brands in OAPI States
Caroline Joëlle Nwabueze
p. 321–347
Résumé La croissance industrielle du Nigeria a fait de ce pays un soutien économique indispensable pour ses voisins. Pour ne citer que l’exemple du Cameroun, le Nigeria en a été le principal fournisseur avec respectivement 22 % et 17,8 % des importations en 2011 et 2012 et des importations dont la valeur s’élève à 328 milliards fr. cfa par année. Ceci résulte en partie des exportations des compagnies nigérianes vers les marchés locaux. Les marques de commerce nigérianes dans le domaine des cosmétiques, des meubles et des produits électroniques et pharmaceutiques abondent dans les pays voisins. Cependant, le renforcement des compagnies nigérianes dans les marchés régionaux englobe des stratégies pour éviter d’enfreindre les droits de propriété industrielle et commerciale. Dans le cadre de ces stratégies, les différentes institutions qui régissent la propriété intellectuelle (PI) dans les marchés d’exportation des pays voisins pertinents devraient prendre en compte des caractéristiques particulières relatives aux marques de commerce. Ne serait-ce que du simple fait que le statut juridique de ces produits, bien qu’ils soient des biens physiques, repose principalement sur le droit substantiel applicable, le droit de la marque de commerce dans ce cas. Parce que le principe de territorialité nécessite que la protection de la marque de commerce soit demandée dans le territoire où les biens sont vendus, et que cette protection doit être demandée dans chaque pays individuellement, les compagnies nigérianes qui prévoient externaliser des activités commerciales dans des marchés voisins chercheront à se conformer aux normes en matière de marques de commerce qui sont applicables au sein de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI), dont font partie le Bénin, le Cameroun, le Tchad et la Guinée. Le partenariat commercial entre des entreprises soulève inévitablement, et ce, tant du point de vue de la common law que celui du droit civil, des frictions et des problèmes lorsqu’il s’agit de marques de commerce. Le présent article analyse les défis relatifs aux marques de commerce découlant de la décision commerciale des entreprises nigérianes de faire leur entrée dans les marchés de l’OAPI et d’y exporter des biens et services. L’article souligne premièrement les problèmes qui doivent être pris en considération, dont l’inscription et la mise en application des marques des entreprises membres de l’OAPI. Ensuite, ce texte examine simultanément les problèmes résultant des différences entre la Nigerian Trademark Act et le système de marques de commerce de l’OAPI, système auquel les entreprises nigérianes sont confrontées. Si la protection des marques de commerce facilite l’accès aux marchés transnationaux pour les entreprises, la mise en place, avec les pays voisins, d’une communauté en matière de marques de commerce aide assurément les industries nationales à établir des partenariats avec d’autres entreprises dans le but d’assurer un développement durable dans des domaines tels que la production, la commercialisation, la distribution ou la livraison de biens et services. À la lumière de l’harmonisation des marques de commerce dans le marché intérieur de l’Union européenne, le présent article conclut en recommandant la création d’une communauté de marques de commerce dans la région de l’Afrique occidentale et centrale, et qui réunirait le Nigeria et ses pays voisins.