Volume 70, numéro 4, automne 2015 Les variétés du capitalisme revisitées : débats actuels et avenues possibles Varieties of Capitalism Revisited : Current Debates and Possible Directions Sous la direction de Michael Barry, Anthony Gould et Adrian Wilkinson
Sommaire (11 articles)
Symposium
Articles
-
Sustainable Varieties of Capitalism? The Greening of Steel Work in Brazil and Germany
Heike Doering Ph. D., Claire Evans Ph. D. et Dean Stroud Ph. D.
p. 621–644
Résumé Cet article se penche sur le programme de développement durable et son incidence sur les pratiques d’emploi et de gestion dans différents contextes institutionnels. S’appuyant sur la littérature sur le capitalisme comparé, plus particulièrement sur le cadre d’analyse des variétés du capitalisme (VdC), il souhaite découvrir comment des multinationales peuvent exploiter différents contextes institutionnels pour en tirer des avantages concurrentiels. Les auteurs examinent les diverses réponses d’une grande aciérie multinationale, la SteelCo.AG, aux nouvelles contraintes imposées par le programme de développement durable en Allemagne — à titre d’exemple d’une économie de marché coordonnée (EMC) —, ainsi qu’au Brésil — exemple cette fois d’une économie de marché hiérarchique (EMH). Leur analyse s’appuie sur des données probantes relatives aux programmes de formation, aux pratiques environnementales et aux politiques en place dans les diverses sites de la compagnie.L’article démontre que différents contextes institutionnels favorisent différentes stratégies opérationnelles, allant d’une approche axée sur les complémentarités institutionnelles négatives, comme le piège « faibles qualifications/faibles coûts », à une stratégie axée sur une solide cohérence institutionnelle facilitant la formation et l’innovation en réponse aux exigences des lois environnementales. Dans cet écrit, les auteurs démontrent l’importance d’intégrer le programme écologique, à titre de marqueur de différence, dans le cadre d’analyse des VdC. Cela leur permet de faire une lecture plus nuancée des complémentarités institutionnelles instables en matière d’innovation opérationnelle, managériale et sociale dans différents contextes institutionnels — analyses indispensable pour comprendre les expériences des travailleurs sur les plans de l’emploi et du travail. Cette étude sur les activités d’une multinationale brésilienne vient contribuer à l’enrichissement de la littérature sur les relations d’emploi, cela par le biais du cadre d’analyse des VdC, et elle fournit également du matériel empirique sur la compréhension des relations d’emploi au sein de la catégorie EMH, à titre de nouvelle contribution dans le cadre analyse des VdC. Elle permet aussi aux auteurs de focaliser sur la manière dont les entreprises et d’autres joueurs influencent le contexte institutionnel et la répartition du pouvoir entre différents intervenants dans des contextes particuliers, faisant ainsi écho aux récents débats sur la stabilité et l’homogénéité des arrangements institutionnels.
-
Similarity or Variation? Employee Representation and Consultation Approaches amongst Liberal Market Economy Multinationals
Anthony McDonnell, Brendan Boyle, Timothy Bartram, Pauline Stanton et John Burgess
p. 645–670
Résumé En s’appuyant sur la littérature sur les variétés du capitalisme (VdC), cet article étudie les approches de représentation et de consultation des employés adoptées par des multinationales implantées dans des économies de marché libérales, plus précisément des multinationales australiennes, britanniques et américaines en opération en Australie. Bien que la littérature semble suggérer l’existence d’une similarité parmi ces sociétés, l’article tente de déterminer si les faits confirment une similarité ou une variation au sein des hautes directions des multinationales dans les économies de marché libérales (EML). Ces découvertes viennent combler une lacune empirique reconnue en ce qui à trait à la pratique des relations d’emploi au sein de multinationales implantées en Australie, et elles permettent de mieux comprendre la similarité et la variation à l’intérieur des catégories des variétés du capitalisme. Fondés sur des données recueillies auprès de multinationales exerçant leurs activités en Australie, les résultats démontrent que les sociétés britanniques sont les moins susceptibles de recourir à des structures collectives de représentation des employés. Par ailleurs, nous avons constaté que les multinationales australiennes sont plus enclines à s’engager dans des formes collectives de représentation des employés et ont moins souvent recours à des mécanismes de consultation directe que leurs pendants britanniques ou américains. En dépit de l’individualisation concertée du domaine des relations d’emploi au cours des dernières décennies, les multinationales australiennes semblent avoir conclu un plus grand nombre d’ententes institutionnelles nationales durables, ce qui leur a permis de nouer un dialogue avec leurs employés sur une base collective. Ces approches diffèrent de celles adoptées par les multinationales britanniques et américaines, ce qui explique pourquoi les résultats de notre étude font état d’une déviation catégorielle dans la typologie des économies de marché libérales du modèle VdC. À l’instar de Hall et Soskice, qui ont qualifié de « travail en évolution» (work-in-progress) leur ouvrage précurseur sur les catégories économie de marché libérale-EML et économie de marché coordonnée-EMC (2001:2), les auteurs de cet article suggèrent que l’évolution de l’Australie dans la catégorie EML est peut-être aussi un « travail en évolution », plus spécifiquement en ce qui à trait au développement de son système de relations industrielles et son incidence sur les pratiques de relations d’emploi au sein des multinationales australiennes.
-
«Dialogue social» et variétés des capitalismes: une analyse de long terme
Bernard Gazier et Olivier Boylaud
p. 671–697
Résumé Cet article vise à tester sur longue période l’hypothèse de convergence des relations industrielles dans les pays développés. Prenant acte de la persistance du débat sur ce point, notamment du fait de la crise actuelle, mais aussi de la diversité des conceptions sous-jacentes, il propose de partir d’un objet de comparaison non prédéterminé par une orientation préalable : le « dialogue social ». Ce concept, utilisé notamment dans le cadre du Bureau international du Travail (BIT), reste toutefois assez flou et appelle une réélaboration. Nous ajoutons aux pratiques d’information, concertation et de négociations collectives, des pratiques moins souvent prises en compte : les pratiques du paritarisme de gestion, de la codétermination, ainsi que l’intervention de l’État, cette dernière pouvant renforcer ou, au contraire, contraindre le dialogue social.Se limitant, pour la partie empirique, à l’ensemble formé par les négociations collectives, les pratiques de codétermination et l’intervention de l’État, l’article examine l’évolution de 19 pays de l’OCDE pour six indicateurs de 1985 à 2011. Le choix est fait de ne pas pondérer a priori l’importance de chaque indicateur, et de procéder à une analyse de données en composantes principales suivie d’une classification par nuées dynamiques. Il en résulte cinq groupes de pays, groupes dotés d’une assez forte stabilité, dont on étudie les transformations au cours du temps. Enfin, les groupes de pays sont examinés sous l’angle des performances économiques et sociales, en retenant la croissance du PIB et l’évolution du taux de chômage. On retrouve alors, sur une base non contrainte par une orientation a priori, les groupes classiquement distingués par les analyses comparatives : les groupes « anglo-saxons », « continentaux », « nordiques » et « méditerranéens », ainsi qu’un dernier groupe composé de la Suisse et du Japon. L’article conclut à la persistance de la diversité au regard du « dialogue social », y compris pour la période récente marquée par la crise.
-
Rethinking Greek Capitalism through the Lens of Industrial Relations Reform: A View until the 2015 Referendum
Geoffrey Wood, Leslie T. Szamosi Ph. D., Alexandros Psychogios Ph. D., Sofoklis Sarvanidis Ph. D. et Dialechti Fotopoulou Ph. D.
p. 698–717
Résumé Bien que la littérature sur le capitalisme comparé ait élargi son champ d’étude aux économies de marché mixtes (EMM) du monde méditerranéen et à d’autres arrangements institutionnels moins évolués, il serait important de se pencher plus attentivement sur la diversité interne des archétypes capitalistes ainsi que sur la nature et la trajectoire du changement. À cette fin, l’article examine les changements survenus sur les plans de la régulation et de la pratique des relations industrielles en Grèce, un pays qui a allégé sa régulation depuis le début de la crise économique. Cependant, la libéralisation ne s’est pas traduite par une convergence vers le modèle de libre marché et vers les présumées complémentarités qui y sont associées. À la lumière de l’évolution et des progrès de la littérature sur le capitalisme comparé, les auteurs analysent le processus et la dynamique du changement institutionnel ainsi que les longues continuités qui distinguent la Grèce des économies de marché libérales et autres économies de marché mixtes « désorganisées ». Leur regard s’attarde à différents enjeux comme la composition des élites, la nature de la dépendance institutionnelle au sentier et au changement, ainsi qu’au caractère inégal et partiel de ce qui constitue la fonctionnalité institutionnelle. Bien qu’il soit généralement jugé dysfonctionnel, le régime grec satisfait néanmoins des intérêts économiques particuliers. Tiré de l’avant par un mouvement progressiste issu de la base, il est en même temps poussé dans une direction opposée par des pressions extérieures et, sur place, par des élites « dépourvues de fibre patriotique », peu intéressées par un renforcement de la régulation et, parfois, mieux servies par un gouvernement aux capacités réduites. Au moment où les élites économiques locales cherchent à se repositionner dans le système pour s’adapter à une économie capitaliste en transformation, ces dernières pourraient être enclines à centrer davantage leurs efforts sur leurs propres intérêts immédiats, intérêts qui se trouvent confortés par une libéralisation économique. Certains joueurs plus modestes et marginaux pourraient être exclus du système ou décider eux-mêmes de s’en retirer, sans égard aux mesures prises par l’actuel gouvernement pour tenter d’amortir les chocs provoqués par la libéralisation. Une telle situation conférerait aux syndicats et à aux autres organisations de la société civile une importance historique considérable.
Hors-thème / Other Issues
-
L’impact de l’évaluation collective ou individuelle des performances sur les équipes de travail: le cas d’une enseigne de restauration rapide et commerciale
Davy Castel, Sarah Triplet, Pauline Monsellato et Gérard Vallery
p. 718–740
Résumé L’impact du passage d’une évaluation collective à une évaluation individuelle de la performance, ou inversement, sur les équipes de travail et leur rendement est étudié en contexte réel au sein de deux équipes ayant récemment vécu le passage d’une évaluation collective à une évaluation individuelle pour l’une, et inversement pour l’autre. Si dans nos deux échantillons, l’évaluation individualisée s’accompagne d’une individualisation du rapport au travail, les effets sont plus contrastés en ce qui concerne le vécu individuel, la qualité des relations interpersonnelles et la performance. Lorsque, du fait des critères d’évaluation retenus, les contributions individuelles à la performance collective sont indétectables en l’absence d’évaluation individualisée, l’évaluation collective est associée à la suspicion et à une moindre performance en comparaison de l’évaluation individuelle. À l’inverse, lorsque selon les critères retenus pour évaluer la performance les membres de l’équipe peuvent aisément s’entraider pour améliorer la performance collective, l’évaluation collective est mieux perçue et est associée à de meilleures relations interpersonnelles et une meilleure performance que l’évaluation individuelle. Alors que l’évaluation individuelle est généralement privilégiée dans les entreprises, cette étude apporte des résultats empiriques à l’appui des recherches qui postulent que l’évaluation collective des équipes de travail est susceptible de renforcer la performance globale, en comparaison de l’évaluation individuelle de leurs membres, car elle favorise l’entraide et la régulation collective. Toutefois, ces résultats mettent en évidence que l’effet positif de l’évaluation collective en comparaison de l’évaluation individuelle n’est observé que lorsque les critères d’évaluation favorisent la régulation collective de la performance. Cette étude permet d’identifier ces deux éléments : 1- dans quel cas telle modalité d’évaluation semble préférable à telle autre; et 2- quels critères d’évaluation adopter pour favoriser les effets positifs de l’évaluation collective sur la performance engendrés par l’entraide et la régulation collective en cours d’activité.
-
Explaining the Informal Economy: an Exploratory Evaluation of Competing Perspectives
Colin C. Williams
p. 741–765
Résumé Le but de cet article est de procéder à une analyse exploratoire des conjonctures économiques et sociales générales associées aux grandes économies informelles. À cette fin, trois perspectives concurrentielles font l’objet d’une évaluation critique qui confirme, à maints égards, que les variations observées d’un pays à l’autre quant à la taille de l’économie informelle sont associées aux facteurs suivants : 1-le sous-développement (perspective de modernisation); 2-une taxation élevée, corruption et ingérence de l’État (perspective néolibérale); ou 3- une intervention étatique inadéquate pour protéger les travailleurs (perspective d’économie politique). En analysant la taille variable de l’économie informelle dans 33 économies développées et en transition, soit 28 pays européens et cinq autres pays membres de l’OCDE (Australie, Canada, Japon, Nouvelle-zélande et États-Unis), l’auteur arrive à la conclusion que les grandes économies informelles sont associées au sous-développement, lequel est mesuré en fonction de plusieurs facteurs : niveaux inférieurs de rNB par habitant; taux de participation à l’emploi; salaires moyens; force et qualité institutionnelle de la bureaucratie; taux élevés de corruption perçue au sein de la fonction publique; faibles niveaux de dépenses au chapitre de la protection sociale; et intervention du marché du travail pour protéger les groupes vulnérables, mais, également, recours restreint à des contrats de travail temporaires et des affectations temporaires. Au final, cette analyse est un encouragement à combiner les facteurs associés à ces trois perspectives pour en arriver à une compréhension plus nuancée et plus fine de la mesure dans laquelle les variations transnationales de la taille de l’économie informelle sont associées à des conjonctures socioéconomiques plus générales. En conclusion, l’auteur s’interroge sur les implications de cet exercice sur la théorie et la politique, et il souligne la nécessité de pousser plus loin l’analyse des différents impacts qu’aurait, sur la taille de l’économie informelle, une gamme plus large d’indicateurs de modernisation, de corruption, de taxation et de types d’intervention étatique.
-
Pilotage par la performance au quotidien dans une administration publique: conséquences sur les conditions de vie au travail des cadres de proximité et des agents encadrés
Cécile Piney, Adelaide Nascimento et Corinne Gaudart
p. 766–787
Résumé Une grande administration publique a souhaité comprendre l’incidence de son pilotage par la performance sur les conditions de vie au travail, notamment grâce à l’utilisation d’indicateurs. D’après la littérature, il n’existe pas une forme de performance, mais différentes performances dont les critères d’évaluation sont sélectionnés en fonction de la stratégie adoptée par l’organisation. L’application du pilotage par la performance dépend du choix des outils de mesure. Entre direction et agents, les cadres de proximité traduisent les objectifs de performance en missions concrètes. La façon de piloter les services pour atteindre les objectifs a des impacts sur la qualité du service produit, sur la qualité de vie au travail et le ressenti des conditions de travail.Une étude qualitative à partir de 36 entretiens centrés sur l’activité a été menée auprès d’agents, de cadres de proximité dans différents types de service, et de cadres intermédiaires. Ces résultats ont ensuite été croisés aux débats dans des groupes de travail «Métiers» et «Management-local».Les personnes interrogées ne remettent pas en cause l’utilisation d’indicateurs pour mesurer l’activité. Une culture du chiffre oriente même l’activité en priorisant certaines tâches au détriment d’un travail gris non mesuré. Néanmoins, il n’existe pas de perception commune de la performance au sein de cette administration, ce qui implique différents usages d’indicateurs. La recherche de la performance par l’administration via un pilotage par indicateurs a entraîné des phénomènes d’intensification du travail et d’évolution des métiers. Des pratiques induites afin de s’adapter aux conditions de travail se sont développées, celles-ci sont à la source d’écarts entre performance mesurée par les indicateurs et performance réelle des services. Ces stratégies de contournement sont un facteur dégradant les conditions de vie au travail, avec notamment un sentiment de non qualité du service rendu à l’usager et une perte de sens du métier. Les cadres de proximité, responsables de service, concilient tous ces paramètres afin de faire en sorte que les équipes puissent effectuer leur travail dans les meilleures conditions possibles.
Recensions / Book Reviews
-
L’approche systémique de la gestion des ressources humaines dans les administrations publiques du XXIe siècle, Par Louise Lemire, Gaétan Martel et Éric Charest. Québec : Presses de l’Université du Québec, 2e édition 2015, 380 pages. ISBN : 978-2-7605-4334-8
-
The Origins of Right to Work: Anti-labor Democracy in Nineteenth-Century Chicago, By Cedric de Leon, Cornell: Cornell University Press, 2015, 184 pages. ISBN: 978-0-8014-7958-8