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Introduction

Dans la conduite de leur politique de diversité, les organisations privilégient les plus souvent deux grandes dimensions, l’égalité professionnelle femmes-hommes et le handicap, en raison des obligations légales pesant sur elles (Scharnitzsky et Stone, 2018). L’égalité femmes/hommes, objet de notre étude, s’inscrit dans un principe constitutionnel. Cependant, bien que fondée en droit, elle peine à s’ancrer dans la réalité du monde professionnel.

Pour les anthropologues et les sociologues, l’identité de genre est le produit de constructions sociales qui reposent « sur des stéréotypes et une domination masculine qui auraient organisé une partition des rôles sociaux » (Berthes et al., 2016 : 88). Ces constructions sociales génèrent, dans les sphères privées et professionnelles, des discriminations liées au genre et à l’orientation sexuelle-LGBT (Laufer, 2005, 2009, 2014; Wajcman, 2013; Carcillo et Valfort, 2018). Elles peuvent conduire à des comportements discriminants en matière d’orientation scolaire, de métiers, de postes, de déroulement de carrière, de rémunérations et de retraites (Bender, 2004; Garner-Moyer, 2006; Cornet et al., 2008; Cornet et Warland, 2008; Bonnet et Hourriez, 2012; Scharnitzky, 2006, 2012, 2018; Montargot et Peretti, 2014; Vouillot, 2014; Meurs, 2014; Burricand et Grobon, 2015; Bruna, 2016; Carcillo et Valfort, 2018).

Faire évoluer les représentations et les comportements s’avère une tâche difficile, tant ils s’ancrent profondément dans les stéréotypes et préjugés (Bruna et al., 2017; Peretti, 2018). De fait, la psychologie sociale et organisationnelle fait état des tendances des individus à se catégoriser, et à catégoriser les autres, dans différents groupes sociaux. En effet, l’individu construit sa propre identité sociale qui lui servira de référence et le conduira à simplifier la réalité et à opérer une distinction entre lui, les autres individus et les groupes sociaux dont il est proche ou éloigné (Turner et Tajfel, 1986). Les stéréotypes en oeuvre se fondent ainsi sur un ensemble de croyances, individuelles ou partagées collectivement, qui alimentent des préjugés (jugement de valeur a priori) et peuvent générer un processus discriminatoire envers un groupe social minorisé qui lui est étranger (Goffman, 1963; Bruna et al., 2017; Bertereau et al., 2019).

Afin de favoriser une meilleure gestion de la diversité, des actions de sensibilisation et de formation contre les stéréotypes, les préjugés et les discriminations qui en découlent facilitent une prise de conscience individuelle et collective (Bender, 2004; Garner-Moyer, 2006; Scharnitzky, 2006, 2012; Wajcman, 2013; Montargot et Peretti, 2014). Il importe donc que les organisations soient attentives à leurs processus régulatoires en matière de diversité et d’inclusion, et qu’elles optimisent leurs dynamiques d’apprentissage (formation, légitimation, culture inclusive et partage des connaissances- Voir Bruna, 2016). Les organisations peinent, cependant, à définir des plans et des outils de formations efficaces (Kalev et al., 2006; Chavez et Wesinger, 2008; Sanyal et al., 2015). Parmi les outils possibles, le théâtre d’entreprise occupe une place singulière, qui a, toutefois, fait l’objet de peu de recherches académiques. Il a trait à « toute forme de représentation de situations dramatiques, écrites ou improvisées devant un public concerné par la situation, dans l’objectif de servir les intérêts de l’organisation demandeuse » (Lesavre, 2013 : 19). Ce mode de formation constitue tant un espace puissant de réflexion (Mangham, 2001) qu’il s’avère être un déclencheur de charge émotionnelle qui stimule la mémoire affective (Aragou-Dournon et Détrié, 1998). De par ses fonctions couplées de formation et d’animation par le spectacle vivant, il vise à modifier les comportements individuels et collectifs, en exposant des situations d’inégalités à un public dans une organisation et en s’appuyant sur ses réactions afin de libérer sa parole (Lesavre, 2013; Ferro, 2013; Bibard, 2013; Montargot et Redon, 2018).

Cette étude se centre sur l’offre de formation des sociétés de théâtre d’entreprise, notamment la première phase de la prestation qui expose au public des situations d’inégalités femmes-hommes au travail. Des saynètes, disponibles sur catalogue, sont jouées par des comédiens-formateurs et elles présentent les stéréotypes, les préjugés et les formes de discriminations subies. Elles sont écrites et mises en scène afin de susciter une prise de conscience et des réactions de la part du public (Montargot et Redon, 2018). En se rapportant à l’étymologie du mot « saynète » dans le Dictionnaire Trésor de la langue française informatisé[1], deux éléments constitutifs apparaissent. Il s’agit, d’une part, d’une petite comédie à caractère comique, originaire du théâtre espagnol, qui ne comprend généralement qu’une scène et un nombre restreint de personnages. Ces saynètes constituent la première phase de la formation. Lors de la seconde phase, qui ne fait pas l’objet de cette recherche, une séance d’évaluation ou un débreffage (debriefing en anglais) menée par des comédiens-formateurs permet d’amorcer un dialogue avec le public (Montargot et Redon, 2018).

Cette étude présente un double intérêt, académique et managérial. Sur un plan académique, si la diversité en entreprise est un sujet foisonnant dans la littérature, la formation à la diversité par le théâtre d’entreprise demeure peu abordée. L’analyse de l’offre des sociétés de théâtre d’entreprise reste donc dans un angle mort académique, qu’il convient de combler afin de mieux comprendre les pratiques de formation. En effet, ces dernières ne sont pas des activités désincarnées, fondées sur une simple logique instrumentale (Scharnitzsky et Stone, 2018), elles reflètent les visions de mode, les conceptions philosophiques et les déterminismes économiques et environnementaux auxquelles elles sont assujetties (Marcel et al., 2002). Sur un plan managérial, l’étude vise à permettre une meilleure optimisation des formations à la diversité.

Notre problématique de recherche est centrée sur la façon dont le théâtre d’entreprise rend compte des inégalités femmes/hommes au travail dans des saynètes exposant les situations d’inégalités et servant de base à la seconde phase d’interaction avec les comédiens-formateurs. Les questions de recherche qui en découlent sont les suivantes : Par quels moyens et techniques les saynètes sensibilisent-elles aux inégalités femmes/hommes au travail ? Quels sont les objectifs de formation des sociétés de théâtre d’entreprise en la matière ? Comment sont représentées les barrières individuelles et collectives freinant l’égalité femmes/hommes en entreprise ?

La première partie portera sur une revue de littérature, centrée sur les caractéristiques et les apports du théâtre d’entreprise, ainsi que sur les mécanismes en oeuvre dans les inégalités femmes/hommes au travail. La deuxième partie exposera la méthodologie qualitative choisie. La troisième exposera les résultats alors qu’une quatrième les discutera lors d’une analyse académique et prescriptive.

Revue de littérature

Cette partie aborde, d’abord, les caractéristiques et apports du théâtre d’entreprise et, ensuite, les mécanismes en oeuvre dans les inégalités femmes-hommes au travail.

Les caractéristiques et les apports du théâtre d’entreprise

La pratique du théâtre d’entreprise est plurielle et possède plusieurs caractéristiques qui le distinguent du théâtre dit « classique » (Cousserand, 2001). À l’image de toute entreprise, il vise des objectifs organisationnels à atteindre en dehors de toute considération esthétique. Les saynètes traitent des relations et conditions de travail et pointent du doigt les dysfonctionnements et les carences qui s’y jouent. Le théâtre d’entreprise doit valoriser, sensibiliser, motiver et prévenir, et ceci, en fonction des objectifs des commanditaires qui font appel à cet outil, par exemple à l’occasion de formations, congrès, colloques, changements organisationnels ou bien gestions de situation de crise… Les prestations peuvent être jouées devant un très large public ou un public restreint. Elles peuvent également être conçues « sur-mesure » ou bien standardisées et proposées sur catalogue (Salgado, 2008). Dans ce cas, les sociétés de théâtre d’entreprise proposent des saynètes de formation « prêtes à jouer ». Ces pièces, propices à la sensibilisation, abordent des problématiques communes aux organisations et servent d’amorce à la deuxième partie de formation interactive menée par des comédiens-formateurs. Des pièces « sur-mesure », fruit d’un dialogue avec l’entreprise commanditaire peuvent également être créées en suivant différentes étapes. Dans un premier temps, un échange en profondeur, entre la société de théâtre d’entreprise et le client permet de cerner le contexte, les besoins, le langage et les codes de l’entreprise commanditaire (Lesavre, 2013). Cette étape donne lieu, par la suite, à l’écriture de saynètes sous un registre souvent humoristique, afin de sensibiliser et de former les collaborateurs.

Ces saynètes durent entre 10 minutes et une heure et se jouent sur un espace scénique souvent restreint et dépouillé (Cousserand, 2001). Elles nécessitent peu de comédiens (entre un et cinq). À la suite de ces représentations, les comédiens-formateurs échangent avec les formés sur les situations de travail exposées et analysent, en interaction avec le public, les dysfonctionnements constatés (Ferro, 2013). Le théâtre d’entreprise étant un lieu de communication privilégié entre acteurs et spectateurs, il permet de transmettre aisément et rapidement des messages (Barthélémy-Ruiz, 1996; Leplâtre, 1996) et il facilite également la prise de conscience, l’expression et l’analyse des difficultés. Il convient, cependant, de mobiliser l’ensemble des parties prenantes internes (Leplâtre, 1996). En effet, afin que les effets bénéfiques de la formation perdurent et aient un impact réel sur son public, le théâtre d’entreprise doit être accompagné de débats, d’actions de formation et de réflexion, afin de trouver des solutions aux situations exposées (Leplâtre, 1996).

Les organisations accordent un rôle central à la question de l’égalité professionnelle femmes-hommes dans leur politique de diversité (Scharnitzsky et Stone, 2018). Elles sont de fait demandeuses de formations dédiées. Dans ce cadre, il est intéressant de rappeler les mécanismes en oeuvre dans les inégalités femmes/hommes, afin de mieux les déconstruire (Scharnitzky, 2006, 2012; Wajcman, 2013).

Les mécanismes en oeuvre dans les inégalités sexuées

Le genre n’est pas une caractéristique parmi d’autres, elle concerne la population tout entière (Cornet et al., 2008). L’objectif d’égalité femmes/hommes ne peut donc se traiter en isolant les femmes, puisque leur position et leurs stratégies sont fortement liées aux rôles sociaux assignés, en raison de la domination masculine. Il convient donc de s’intéresser aux mécanismes qui produisent les inégalités qui entravent l’évolution des femmes dans un milieu professionnel andro-genré, afin de mieux les comprendre et les déjouer (Cornet et Warland, 2008; Berthes et al., 2016; Scharnitzsky et Stone, 2018; Marcel et al., 2002).

L’égalité implique, bien en amont, un travail autour des barrières sociétales et organisationnelles, psychologiques et socio-psychologiques, ainsi que familiales qui demeurent et entravent les femmes au cours de leur carrière.

Les barrières sociétales et organisationnelles

Les travaux montrent que les femmes se retrouvent assimilées et légitimées culturellement dans des métiers aux compétences présupposées naturellement féminines (Goff, 2012; Briard et Valat, 2018). Cette assignation genrée oriente plus spécifiquement les femmes vers des métiers de relation, d’aide, de soins ou de services, au détriment des métiers perçus plus masculins et relevant des domaines techniques ou scientifiques (Goff, 2012). Selon certains auteurs, les femmes ne sont pas perçues comme moins aptes à intervenir dans les divers champs de la vie sociale, mais elles seraient dotées d’un avantage comparatif dans les tâches liées à l’univers domestique, en vertu de leur « disposition maternelle ». Les hommes tendraient donc plutôt à être voués au travail marchand. Ces images toutes faites entrainent des discriminations et un phénomène de reproduction sociale (Goff, 2012; Bruna et Chauvet, 2014; Insee, 2017).

Les stéréotypes en oeuvre se retrouvent également dans tous les registres de l’entreprise : recrutement, évaluation, règlement, activité de production, dialogue social, etc. (Laufer et al., 2014). Ils seraient également intériorisés par les femmes elles-mêmes. Il peut donc « être difficile pour une femme de se projeter sur des métiers ou des postes qui rentreraient en contradiction avec ses propres stéréotypes (tels que la moindre confiance en elles et le manque d’autorité des femmes). En effet, ils tendent à favoriser l’autocensure des femmes à s’orienter vers des métiers traditionnellement masculins » (Scharnitzky, 2012 : 5). Mais surtout, les femmes occupent des positions socioprofessionnelles moins élevées et connaissent moins de promotions durant leur vie active (Briard et Valat, 2018). En effet, les fonctions managériales font davantage référence à un modèle masculin : « Ainsi, les femmes auront tendance, soit à s’autocensurer, soit à se comporter en fonction de ces projections, c’est-à-dire adopter des comportements masculins » (Scharnitzky, 2012 : 11). En effet, lorsqu’un décalage avec l’écosystème normatif est perçu, les codes du groupe dominant sont alors, soit adoptés par un phénomène de normalisation, soit intégrés par un phénomène d’autocensure (Scharnitzky et Stone, 2018).

Selon la théorie du genre, au-delà des différences femmes-hommes, les situations organisationnelles influencent le comportement des individus et freinent l’ascension professionnelle des femmes (Fagenson, 1993). L’étude de Scharnitzky (2012), réalisée pour le compte d’IMS-Entreprendre pour la Cité, illustre les stéréotypes croisés au sujet des femmes, des hommes managers et des cadres dirigeants. Le regard des femmes sur les hommes s’avère peu positif (machos, inabordables, inaccessibles, froids…). À l’inverse, les hommes perçoivent les femmes managers et les cadres dirigeantes, comme étant masculines et exigeantes. Ce mimétisme en matière de masculinité peut être mis en lien avec les travaux de Wajcman (2013) qui indiquent que pour être reconnues, les femmes doivent imiter les hommes et adopter leur comportement, sous peine de s’exposer à une pénalisation de leur carrière. De fait, les discours et les pratiques sont fondés sur la compétition et la performance (Ely et Meyerson, 2000). La propre vision des femmes sur les femmes managers et cadres dirigeantes s’avère négative à certains égards (carriéristes, arrogantes, autoritaires).

Dès le recrutement, les stéréotypes des décideurs sont susceptibles de s’activer et d’empêcher d’évaluer les candidates sur leurs seules compétences. En conséquence, le recrutement peut s’en trouver affecté et biaisé (Scharnitzky, 2012). De fait, les femmes occupant des positions socioprofessionnelles moins élevées connaissent moins de promotions et d’occasion de formation durant leur vie active (Insee, 2017; Briard et Valat, 2018). En France, la part des femmes cadres n’est d’ailleurs que de 14.7% contre 20,5% chez les hommes (Insee, 2017). Tout au long du parcours professionnel, des phénomènes de résistances sociales, culturelles et organisationnelles entravent la progression professionnelle des femmes.

Des mécanismes organisationnels de limitation et d’exclusion affectent, par ailleurs, leur accès au pouvoir décisionnel (Laufer, 2005, 2009, 2014; Goff, 2012). La division sexuée du travail demeure encore forte. À cet égard, l’étude de Laufer (2014) note que 12 familles professionnelles sur 87 concentrent la moitié des emplois occupés par les femmes en France. Différents phénomènes, comme les ‘plafonds de verre’, ‘parois de verre’, ‘planchers collants’ ou, encore, ‘escaliers inversés’[2], viennent entraver et freiner les carrières au féminin. Ces différents phénomènes enferment les femmes dans des rôles assignés, influencent négativement leur avancement et les empêchent d’accéder à des postes à haute responsabilité (Gresy et Dole, 2011; Laufer, 2005, 2009, 2014; Cornet et al., 2008; Montargot et Peretti, 2014; Bruna, 2013).

Les barrières psychologiques ou socio-psychologiques

Culpabilité et syndrome de la femme parfaite

Les barrières psychologiques ou socio-psychologiques affectent le comportement au travail. Les femmes ressentent, en effet, une certaine « culpabilité » liée à l’enfance, la personnalité et la pression sociale qui s’exerce sur elles. La culpabilité constitue un facteur d’ajustement des comportements. Cette régulation du comportement, qui agit comme un ciment social, résulte d’une certaine gêne qui amène une femme à réajuster son comportement dans un sens qu’elle juge plus souhaitable, le syndrome de la ‘femme parfaite’ apparait alors (Berthe et al., 2016). Cette gêne s’exprime comme une sonnette d’alarme qui conduit la personne à réorienter ses actions (Ciccone et Ferrant, 2009). Cet ajustement renforce alors l’accroissement de l’inégalité professionnelle (Berthe et al., 2016).

Une frilosité à affirmer ses compétences et à entrer dans la compétition

Selon une étude récente de la DARES (2017), les femmes adoptent des attitudes plus mesurées que les hommes face au risque et à la compétition. Leur comportement s’avère également susceptible de les desservir, notamment en matière de négociation de salaire et de promotion. La norme sociale, qui influe encore sur les métiers et le temps de travail, peut, à cet égard, se révéler discriminante (Meurs, 2014). Les femmes accepteraient, en effet, plus facilement de prendre en charge des tâches peu gratifiantes. Elles développeraient également un sentiment de dévalorisation au travail et intérioriseraient les stéréotypes sexistes à leur encontre (Scharnitzky, 2012). Loin de les combattre, cette assimilation conduirait à les nourrir et les femmes adopteraient alors « une posture identitaire », consistant à privilégier la famille sur le travail, en s’investissant davantage en dehors de la vie professionnelle (Kleven et al., 2015; Briard et Valat, 2018).

Les barrières familiales

La littérature montre que les barrières familiales reflètent une porosité des sphères travail-famille et des perceptions négatives liées à la maternité.

L’interaction travail-famille

L’interaction travail-famille peut s’exprimer de différentes manières : négativement, à travers la surcharge et le conflit de rôles; de manière neutre, à travers la conciliation; ou bien, de manière plus positive, à travers l’enrichissement. Dans le premier cas, la surcharge et le conflit de rôles apparaissent en raison d’exigences professionnelles, domestiques et familiales antagonistes (Duxbury et Higgins, 2001; Périvier, 2017). Leurs effets négatifs affectent le domaine de la santé (stress, épuisement professionnel ou burnout, agressivité, repli sur soi), de la famille (impatience, manque de temps) et du travail (culpabilité, frustration, incompréhension, colère) (Chrétien et Létourneau, 2006). Dans le deuxième cas, la conciliation permet d’harmoniser les deux sphères, un équilibre est alors trouvé (Tremblay, 2004, 2006). Dans le dernier cas, plus qu’un simple équilibre, la conciliation des temps sociaux aboutit à un réel enrichissement et une meilleure qualité de vie (Greenhaus et Powell, 2006).

L’anticipation négative de la maternité

En pourcentage, 71% du travail domestique (ménage, cuisine, linge) et de 65% du travail familial sont assurés en France par les femmes (Insee, 2017). Par ailleurs, ces dernières ajustent leur carrière aux contraintes familiales (moins de flexibilité horaire, congé maternité, congé parentaux, suspension d’activité, temps partiel), et ceci de manière encore plus significative lorsque les enfants sont jeunes (Périvier, 2017).

L’employeur a tendance à interpréter négativement ces contraintes et à pénaliser les femmes en termes d’avancement et de salaire (Goldin, 2014). De fait, les écarts salariaux s’élèvent en France à 24% en défaveur des femmes. En prenant en compte les équivalents temps plein, elles perçoivent 17% de moins par an (Insee, 2017). Si les caractéristiques de poste justifient en partie cette différences de traitement, 9% des écarts restent «inexpliqués» selon Muriel Pénicaud, ministre du Travail[3].

L’anticipation négative des employeurs, face à la maternité, se traduit avant même la naissance du premier enfant. En effet, « l’arrivée d’un enfant n’en est pas l’unique facteur. Les normes sociales et les présupposés à l’égard des femmes jouent probablement un rôle important dans la formation et l’évolution des inégalités femmes-hommes tout au long de leur vie active, sans que l’on puisse toutefois préciser leur contribution respective » (Briard et Valat, 2018 : 7). Les inégalités avant et après la première naissance sont encore plus marquées lorsque les femmes sont peu diplômées (Insee, 2017; Briard et Valat, 2018). L’annonce de la grossesse et le retour de congé de maternité sont des périodes charnières particulièrement délicates, durant lesquelles les femmes peuvent subir des brimades et des pratiques discriminatoires. Ainsi, comme le montre une étude, « les consultantes enceintes sont parfois ouvertement traitées de ‘boulets’ » (Goff, 2012 : 30).

Au final, les inégalités socioprofessionnelles s’accroissent avec le nombre d’enfants. Les conséquences de l’ajustement du temps professionnel des femmes en raison de leurs contraintes familiales sont, de fait, négatives et durables, tout au long de leur carrière. Doublement pénalisées, elles impactent négativement in fine le montant de leur retraite (Bonnet et Hourriez, 2012).

Méthodologie

Cette recherche qualitative permet de mieux « comprendre un phénomène contemporain complexe dans son contexte réel » (Yin, 2003 : 1). Afin d’analyser les saynètes de formation, des observations non participantes ont été mobilisées lors de prestations théâtrales. Le traitement des données, ainsi que leur traitement sont, ensuite, explicités.

Observations non participantes

L’étude s’appuie sur des observations non participantes menées lors de représentations théâtrales mises en scène par des sociétés de théâtres d’entreprise de la région parisienne. Durant une période allant de janvier 2018 à novembre 2018, l’offre de formation à la diversité femmes-hommes a été étudiée. Un repérage des sociétés de théâtre d’entreprise présentant des formations à l’égalité femmes/hommes a été tout d’abord mené sur internet. Des contacts ont, ensuite, été pris avec ces sociétés. Elles nous ont, par la suite, invités à leurs ‘Portes ouvertes’, qui présentent à des entreprises déjà clientes ou démarchées, leurs offres de formation. Ces représentations, personnifiées par des comédiens, constituent l’occasion pour elles de jouer, dans un théâtre ou un lieu adapté, différentes saynètes disponibles sur catalogue (ici, l’égalité femmes-hommes au travail). La seconde phase de formation basée sur l’interaction entre les comédiens et le public n’est pas incluse lors de ces rencontres. Par contre, un cocktail suit l’exposition des saynètes. Il permet aux entreprises intéressées, représentées par leur Directeur des ressources humaines (DRH) ou Responsable RH, d’entrer en contact avec les représentants des sociétés de théâtre afin, éventuellement, de passer commande d’une formation sur catalogue. Si nécessaire, les saynètes choisies peuvent être plus ou moins réadaptées en fonction des besoins. Les entreprises clientes présentes lors de ces ‘Portes ouvertes’ étaient essentiellement de grandes entreprises nationales et internationales du secteur privé (assurances, transports, banques, informatique, santé, télécommunication…).

Collecte des données

Seize saynètes sur le thème de l’égalité femmes-hommes au travail provenant de huit sociétés de théâtres d’entreprises ont été étudiées. La grille d’observation utilisée est tirée de l’analyse des représentations théâtrales de l’ANRAT (Association nationale de recherche et d’action théâtrale)[4]. Elle invite à repérer deux ensembles de signes : ceux du texte (la pièce) et ceux de la représentation théâtrale (espaces scéniques, costumes, décor, accessoires, lumières, jeu des acteurs, rapport au public). Concernant le texte, ce dernier a été enregistré durant les saynètes et retranscrit. Concernant la représentation théâtrale, des notes ont été prises. Le détail de l’échantillon est présenté dans le Tableau 1. Le nom des huit sociétés de théâtres d’entreprises a été rendu anonyme sur leur demande.

Tableau 1

Composition de l’échantillon des saynètes des sociétés de théâtre d’entreprise

Composition de l’échantillon des saynètes des sociétés de théâtre d’entreprise

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Traitement des données

L’ensemble des données a été traité selon les principes de l’analyse de contenu thématique (Bardin, 2007; Miles et al., 2014). Pour chaque saynète étudiée, des thèmes et sous-thèmes ont été dégagés, croisés et analysés. D’autres codes ont, cependant, émergé qui ont permis d’affiner les résultats, comme le nombre de comédiens, la durée de la saynète ou le format de la représentation. Après une lecture flottante du texte retranscrit et des notes prises durant les représentations théâtrales concernant la mise en scène, des catégories homogènes, objectives et fidèles, ont été définies (Bardin, 2007). À la suite de ce premier plan de codage, l’analyse a, ensuite, été réalisée par deux codeurs indépendamment l’un de l’autre. Au final, un coefficient de fidélité de 0,95 a été calculé (basé sur le nombre d’accords sur les classifications entre les deux codeurs/nombre total de classifications dans l’analyse), garantissant une homogénéité acceptable de l’analyse. Ce traitement a permis de saisir la construction des saynètes de formation des sociétés de théâtres d’entreprise et le fonctionnement des spectacles vivants, comme l’indiquent les résultats exposés.

Résultats

Seize saynètes sur le thème de l’égalité femmes-hommes au travail ont été analysées sur la base de la grille de lecture plurielle décrite dans la partie précédente, amenant à repérer à la fois des éléments liés aux éléments matériels de la représentation théâtrale, ainsi qu’au texte lui-même.

La sobriété des éléments matériels liés à la représentation

Ces éléments s’orientent autour de la représentation, de la scénographie et de la mise en scène.

Autour de la représentation

Les saynètes durent en moyenne 15 à 20 minutes. Elles sont généralement composées de deux à trois comédiens(nes) qui peuvent interpréter plusieurs rôles.

Ce sont des oeuvres initiales, pouvant être quelque peu réécrites ou adaptées à la demande de l’entreprise commanditaire, s’il s’agit de pièces sur catalogue.

Les titres des saynètes laissent peu de place au doute concernant le sujet traité. Exemple : « Sexisme ordinaire », « Une carrière au féminin », « Ah, si j’étais un homme ! ». Par ces derniers, on devine donc aisément que le thème abordé sera le genre.

La scénographie

L’espace théâtral

Les spectateurs sont placés en frontal par rapport à la scène. Parfois, un rideau sépare l’espace public et l’espace de jeu, lorsqu’il s’agit d’un véritable lieu de spectacles. Mais, le plus souvent, il n’y a aucun signe de délimitation (fosse, rampe, etc.) puisque ce sont des lieux mis à disposition par l’entreprise commanditaire sans rapport avec le théâtre (salle de réunion, amphithéâtre, etc.).

L’espace scénique

Rectangulaire, l’espace scénique reste unique et non évolutif au cours des saynètes étudiées. Il représente le plus souvent un espace de vie professionnel, plutôt figuratif, puisque vide ou très minimaliste. En effet, aucun décor n’est utilisé hormis du mobilier de bureau (des chaises et, parfois, une table).

Les objets scéniques

Ils sont également très peu nombreux, voire inexistants. Parfois, ils peuvent aussi être imaginaires (interphone; téléphone), mais leur usage est toujours fonctionnel.

Les costumes

Quand ils sont présents (maquillages, masques, perruques, postiches, bijoux et autres accessoires), les costumes tiennent également une place infime dans ces saynètes. Il n’y a pas de parti pris esthétique et ils sont sans rapport particulier à l’espace. En revanche, ils agissent parfois sur la gestuelle des comédiens en leur donnant un aspect quelque peu caricatural (par exemple, une simple salopette sur une comédienne dans le rôle d’une plombière, afin d’illustrer le difficile accès des femmes à des métiers considérés comme masculins). Ils aident généralement à typer le personnage afin de permettre une compréhension rapide du spectateur. Ils servent également à traduire certains aspects non-dits de l’identité de ce personnage (voile, perruque grise, lunettes, casquette, etc.) ou à caractériser un groupe social (foulard, costume/tailleur, cravate).

La lumière

Elle a pour unique fonction de délimiter l’espace scénique. Il n’y a aucune variation ni couleur durant les saynètes, tout comme aucune utilisation de musiques ou de médias, afin de créer une atmosphère ou un univers particulier.

La mise en scène

La mise en scène est assurée par l’un des metteurs en scène travaillant pour les sociétés de théâtre d’entreprise, secondé parfois par les comédiens. Elle est toujours sobre et réaliste, afin de laisser une place centrale au texte. Il y a peu d’entrées et de sorties de scène des comédiens, comme on peut le voir dans les pièces de boulevard traditionnelles. Néanmoins, elle apporte généralement un rythme assez soutenu aux saynètes.

Les résultats font ressortir un idéal-type au sens Wébérien du terme[5] de la saynète de formation théâtrale. Ce dernier, présenté dans le Tableau 2 détaille les éléments relatifs aux éléments composant une saynète.

Tableau 2

L’idéal-type des éléments composant une saynète de formation théâtrale

L’idéal-type des éléments composant une saynète de formation théâtrale

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Le texte, élément central de la représentation

Les résultats montrent que les saynètes présentées par les sociétés de théâtre d’entreprise utilisent peu de moyens humains et disposent d’un minimum d’artefacts. Cela laisse ainsi une place centrale au texte abordant les principaux stéréotypes. La mise en scène est donc réduite au minimum. Les saynètes utilisent un ton humoristique et balayent différents sous-thèmes centrés sur les barrières rencontrées par les femmes en entreprise, le plus souvent, deux ou trois par saynètes. Le Tableau 3 fait ressortir trois types de barrières, ainsi que les objectifs de formation visés. En guise d’illustration, quelques verbatims issus de dialogues sont présentés.

Tableau 3

Analyse des sous-thèmes et objectifs illustrés par quelques verbatims

Analyse des sous-thèmes et objectifs illustrés par quelques verbatims

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Discussion

Le théâtre d’entreprise s’appuie sur un travail autour des représentations, des stéréotypes et des préjugés dans le but de promouvoir l’égalité femmes/hommes au travail. Il s’inspire du langage et des mots des acteurs, dans le but de libérer la parole (Lesavre, 2013; Ferro, 2013). Les moyens et techniques théâtrales font l’objet d’un premier axe de discussion. Leur analyse permet de dégager un idéal-type réaliste et minimaliste. Enfin, l’analyse des saynètes sur catalogue fait apparaitre de manière parcellaire certaines des barrières rencontrées par les femmes. Elles feront l’objet d’un second axe de discussion.

Des moyens et techniques théâtrales fondés sur un idéal-type réaliste et minimaliste

Afin de sensibiliser aux inégalités femmes-hommes, différentes saynètes servent à introduire la thématique de manière rapide et percutante et à incarner les situations, en utilisant l’humour et la réflexivité (Cousserand, 2001; Salgado, 2008; Bibard, 2013). Elles visent à sensibiliser et former, en vue d’aboutir à une prise de conscience et une amélioration des comportements individuels et collectifs potentiellement discriminants. Les saynètes sur catalogue abordent certains stéréotypes représentatifs des barrières sociétales et organisationnelles, psychologiques ou socio-psychologiques. Elles mettent également les barrières familiales en avant, en insistant sur la difficile conciliation vie professionnelle et vie privée, en lien notamment avec la parentalité.

Pour Lesavre (2012, 2013), la représentation théâtrale suit un certain nombre de codes : une durée courte se situant entre 15 minutes et une heure dans un espace scénique restreint et dépouillé. Nous retrouvons ces éléments dans nos résultats et les prolongeons. La création d’une grille née de l’observation des saynètes de formation met en évidence un idéal-type détaillé. De nouvelles variables, telles qu’une mise en scène réaliste et minimaliste ou bien des comédiens usant d’une gestuelle quotidienne non exagérée sont révélés. L’ensemble de ces éléments volontairement discrets est mis au service des dialogues, qui, par contraste, se révèlent incisifs et centraux. Le dépouillement de la mise en scène fait que l’attention du public peut, dès lors, se concentrer sur le message, alimentant ainsi sa réflexion (Mangham, 2001). Ces saynètes introductives seront, alors, aptes à libérer la parole lors de la deuxième phase de formation, basée sur l’interaction avec les comédiens-formateurs.

La formation par le théâtre d’entreprise constitue l’un des outils au service d’une politique globale inclusive. Elle vise à mieux conscientiser aux stéréotypes et aux mécanismes discriminatoires freinant notamment l’égalité femmes-hommes en entreprise. Cet outil rentre dans une démarche plus globale de légitimation du champ de la diversité par les organisations et traduit un signal d’engagement de leur part, à l’occasion de plans de communication, de sensibilisation, de formation ou de compte rendus dédiés (Bruna, 2016).

Former les responsables RH et la ligne managériale s’avère un préalable nécessaire (Leplâtre, 1996). En effet, la construction des politiques de diversité en entreprise, l’articulation des différents outils et moyens, le ciblage des publics formés, le repérage des éléments de discrimination directe ou indirecte, l’évaluation de ces politiques dans le temps s’avèrent nécessaires afin de mesurer les progrès effectués en la matière (Montargot et Redon, 2018). Scharnitzsky et Stone (2018) prônent, à cet égard, des mesures allant au-delà des indicateurs classiques de la diversité.

Centrer la formation théâtrale sur un groupe social discriminé, fusse-t-il aussi important que celui des femmes, ne doit pas faire oublier la transversalité des discriminations. Par exemple, les stéréotypes de genre n’abordent pas l’orientation sexuelle dans les saynètes (Carcillo et Valfort, 2018). À elles seules, les formations basées sur un des critères de discrimination ne peuvent lutter contre les multiples discriminations subies. En effet, les interactions des femmes avec leur environnement et dans les différents domaines de leurs vies personnelle et professionnelle sont de nature complexe, dans une société à forte domination masculine (Berthes et al., 2016; Scharnitzsky et Stone, 2018; Marcel et al., 2002, Wajcman, 2013). La cristallisation des politiques et des actions diversité, notamment sur les femmes et les handicapés en raison des obligations légales pesant sur les entreprises, ne doit pas empêcher d’aborder la diversité sous un angle transversal (Scharnitzsky et Stone, 2018). Loin de casser les stéréotypes, l’approche silotée de la diversité s’appuie sur une vision elle-même stéréotypée des publics ciblés.

La littérature montre que les femmes managers construisent leur identité professionnelle sur un modèle masculin, dans une structure patriarcale (Wajcman, 1998). Pour autant, l’entreprise doit-elle se référer à un style managérial féminin qui les enfermerait dans des schémas stéréotypés, autour de l’empathie ou de la communication bienveillante, des compétences comportementales (soft skills en anglais) supposément féminines ? (Scharnitzky, 2012; Scharnitzsky et Stone, 2018).

Une représentation décontextualisée et incomplète des barrières freinant la carrière des femmes

Les résultats révèlent des représentations construites par les sociétés de théâtre d’entreprise autour de trois grandes barrières : sociétales et organisationnelles, psychologiques ou socio-psychologiques et, enfin, familiales.

La littérature montre que les stéréotypes sont véhiculés dans la société tout entière par un ensemble d’institutions, famille, école et médias notamment (Bihel, 2014; Scharnitzsky et Stone, 2018). Cependant, dans les saynètes, le processus en amont de l’entrée dans la vie active, la famille, l’école, les études, l’orientation, le choix du métier, n’est pas abordé. L’importance des représentations sociales et des normes masculines dominantes pèse pourtant lourdement sur les femmes, qui ont le sentiment de devoir être parfaites, dans tous les domaines de leur vie, à l’école, dans leur foyer et au travail (Berthe et al., 2016). Les situations exposées sont donc centrées sur « l’instant T » d’une carrière. De fait, elles sont décontextualisées et ne se réfèrent à aucune autre institution possiblement pourvoyeuse de discrimination.

Les saynètes rendent compte du fait que, dans les organisations, les mères « sont souvent reléguées à un cheminement de carrière parallèle et stagnant (à une mommy track, par opposition à une fast track ou à une career track) » (Chrétien et Létourneau, 2010 : 55). Les résultats montrent que les difficultés de négociation ou points critiques qui freinent les carrières au féminin ne sont pas toutes abordées (surcharge mentale, stress, culpabilité, épuisement professionnel ou burnout…). La littérature montre, par ailleurs, qu’une culture familiphobe et hostile peut se développer envers les collaboratrices, culpabilisées d’avoir à assumer leurs responsabilités familiales, et ce, avant même l’arrivée d’un enfant (Chrétien et Létourneau, 2006, 2010; Goff, 2012). De fait, l’annonce d’une grossesse est dépeinte dans les saynètes de manière violente verbalement. Pour autant, les effets positifs d’une interaction travail/famille, notamment l’épanouissement qu’elle peut générer, ne sont pas montrés. Il convient de noter également que la représentation de la culpabilité des femmes est à sens unique. Elle est, en effet, montrée lorsque le travail prend trop de place et empiète sur la vie familiale. Cependant, la situation inverse n’est pas abordée : l’empiètement de la famille sur le travail, qui peut empêcher potentiellement toute projection vers une évolution de carrière.

Les deux axes de discussion permettent de dégager des recommandations académiques et managériales, afin de mieux appréhender l’outil de formation à l’égalité femmes-hommes que constitue le théâtre d’entreprise.

Dans un premier temps, il apparait que le processus de la formation par le théâtre d’entreprise nécessite une phase de définition des besoins et la détermination précise d’objectifs. Les organisations commanditaires doivent donc, préalablement à toute intervention, exprimer clairement leurs attentes auprès des entreprises théâtrales afin d’optimiser l’efficacité des actions de formation (Montargot et Redon, 2018). Afin de les aider à clarifier leurs besoins, les entreprises pourraient organiser des sessions de sensibilisation et de formation à l’égalité et la diversité à destination des RH et des managers, en y incluant la question des stéréotypes (Leplâtre, 1996). Les employeurs seraient alors amenés à réfléchir à leurs pratiques pour adopter, par exemple, des critères de recrutement et de valorisation des compétences laissant le moins de place possible à des présupposés sexistes, lesquels pénalisent les femmes dès leur entrée sur le marché du travail.

Femmes et hommes étant touchés par les stéréotypes de genre, il serait nécessaire d’associer les deux groupes à l’ensemble des actions visant à sensibiliser et à limiter l’impact de ces derniers (Scharnitzky, 2012). Ainsi, il faudrait instaurer des sensibilisations sur l’origine des supposées différences et revenir sur l’importance des compétences professionnelles. Ces formations lutteraient contre la reproduction sociale, en même temps qu’elles remédieraient à un manque de modèles. C’est, en fait, plus globalement la culture de travail qu’il faudrait revoir, en y démantelant les discours dominants basés sur la masculinité, la performance et la compétition (Meyerson et Kolb, 2000; Ely et Meyerson, 2000; Rao et al., 1999).

Il semble donc qu’il faille également intervenir sur un spectre plus large que le monde de l’entreprise, afin de former à l’égalité femmes-hommes. D’ailleurs, en amont de l’entrée en entreprise, certaines mesures sont déjà engagées depuis quelques années au niveau ministériel. Ces actions promeuvent la mixité des filières scolaires et des métiers. Pour Meurs (2014), les politiques à venir doivent tendre à modifier les comportements hors marché du travail et à sensibiliser au rôle des pères et au rééquilibrage des tâches domestiques, et ce, dès le plus jeune âge. Pour cela, Chrétien et Létourneau (2006, 2010) prônent plus largement cinq mesures susceptibles d’améliorer la conciliation des temps sociaux et, notamment, celle du travail-famille : l’aide aux membres de la famille, les congés et avantages sociaux, l’aménagement du temps de travail, la gestion des carrières et l’organisation du travail. Ces mesures permettraient de travailler sur l’équilibre des temps de vie, en même temps qu’elles lutteraient contre les stéréotypes et le sentiment de culpabilité des femmes (Scharnitzky, 2012; Berthe et al., 2016).

Conclusion

Cette recherche s’est intéressée aux formations des sociétés de théâtre d’entreprise qui proposent des formations à la diversité. Ce thème peu abordé académiquement représente un enjeu managérial fort, dans la mesure où les entreprises éprouvent généralement des difficultés à bâtir des plans de formation efficaces (Salgado, 2008; Sanyal et al., 2015).

Les stéréotypes genrés conditionnent les choix d’orientation, de métier et de carrière, ainsi que les comportements des individus au travail. Les résultats de cette étude montrent que les formations proposées se concentrent cependant sur certaines dimensions, le plus souvent dans un but de mise en conformité avec la loi, omettant en cela de prendre en compte la complexité du phénomène d’inégalité. Pour autant, cette étude révèle toute l’étendue des outils originaux proposés par le théâtre, depuis une simple sensibilisation, jusqu’à une formation plus en profondeur visant une modification des comportements. Le spectacle vivant se révèle ainsi un miroir tendu aux responsables de la diversité, aux responsables des ressources humaines, aux managers et aux collaborateurs. Il doit pouvoir servir à questionner en profondeur les politiques et les pratiques de gestion de la diversité.

Tout d’abord, des points critiques apparaissent. En effet, la mesure de l’efficacité du théâtre d’entreprise en tant qu’outil de formation se pose (Lesavre, 2012). De plus, le manque de renouvellement des actions de formation ne permet pas de toucher l’ensemble des acteurs, faute de s’inscrire dans la durée (Montargot et Redon, 2018). Des voies de recherche restent à explorer. Il apparaît, en effet, essentiel d’investiguer plus avant et de manière longitudinale, l’apport du théâtre dans la formation à l’égalité femmes-hommes. L’analyse du processus montre que la posture des acteurs-animateurs s’inscrit dans un triptyque complexe, puisqu’il s’agit de répondre tout à la fois aux attentes de la société de théâtre d’entreprise qui les emploie, à celles du client final (l’organisation commanditaire), du personnel RH qui est souvent à l’origine de la commande et, enfin, des spectateurs (le public). À cet égard, le rôle spécifique et sensible des ‘comédiens-formateurs’, notamment lors de la seconde phase de la prestation théâtrale, mérite un approfondissement. Ainsi, la façon dont ils sont eux-mêmes formés, leur manière d’utiliser la charge émotionnelle qu’ils ont déclenchée et d’initier un dialogue avec le public mériteraient d’être étudiées plus en profondeur.

Il conviendrait également d’analyser longitudinalement, le parcours de construction des formations à la diversité par le théâtre, depuis la configuration conjointe des prestations entre la société de théâtre d’entreprise et l’organisation commanditaire, jusqu’à leur déroulement et leur suivi dans le temps. Ce prolongement permettrait de pouvoir analyser l’adaptation de l’offre aux contextes organisationnels, ainsi que l’évolution des représentations des responsables RH, de la ligne managériale et des collaborateurs, gages d’une plus grande réceptivité aux enjeux de la diversité femmes-hommes en entreprise.